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Date: 19981013

Dossier: 97-1748-IT-I

ENTRE :

CÉLINE DUSABLON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Watson, C.C.I.

[1] Dans cet appel, entendu à Rouyn-Noranda (Québec) le 17 août 1998 sous la procédure informelle, l'appelante conteste les cotisations de 8 954,56 $ établies par le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) dont les avis portent les numéros 30735 et 30736 datés du 6 mars 1996.

[2] Pour établir ces cotisations, le Ministre s'est fondé sur les allégations de faits énoncées au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel qui se lisent ainsi :

« a) le 23 août 1993, M. Marcel Deroy vend à l'appelante la résidence principale sise au 19 rue Dorion, Val D'Or pour la somme de 66 207 $;

b) le 23 août 1993, M. Marcel Deroy vend également à l'appelante son chalet sis au Rang A du Canton La Pauze pour la somme de 10 000 $;

c) lors de l'acquisition des biens mentionnés ci-haut, M. Marcel Deroy était célibataire;

d) lors de ces ventes, l'appelante était mariée à M. Marcel Deroy;

e) au moment de ces ventes, la juste valeur marchande de la résidence était de 80 600 $ et celle du chalet s'élevait à 22 800 $;

f) par ailleurs, toujours en date de ces ventes M. Marcel Deroy était débiteur fiscal d'un montant de 8 954,56 $;

g) au moment desdites ventes, l'appelante était une personne liée à M. Marcel Deroy puisqu'elle était son épouse;

h) la juste valeur marchande des immeubles ayant fait l'objet de la vente était supérieure à la contrepartie payée par l'appelante et la différence entre la juste valeur marchande et la contrepartie payée par l'appelante est au moins égale à la dette fiscale de M. Marcel Deroy;

i) l'appelante est solidairement responsable de la dette fiscale de l'auteur du transfert ci-dessus (la vente des immeubles) pour un montant de 8 954,56 $. »

[3] À l'audience de l'appel, le procureur de l'appelante a admis les paragraphes a), b), d), e) et g), a nié les paragraphes c), h) et i) et a ignoré le paragraphe f).

[4] À l'audience, l'appelante et son conjoint, Marcel Deroy ( « Deroy » ), ont déclaré ce qui suit dans le cadre de leur témoignage : Deroy avait été grièvement blessé dans un accident du travail en 1992, ce qui l'avait empêché de continuer à travailler — il est encore inapte au travail aujourd'hui; il lui a fallu attendre environ un an et demi avant de commencer à recevoir une indemnisation de la CSST. Dans l'intervalle, l'appelante travaillait et, seule, couvrait toutes les dépenses familiales, y compris les paiements hypothécaires, les frais d'entretien de la maison et du chalet et les dépenses quotidiennes. Avant l'accident de Deroy, les deux conjoints contribuaient à parts égales. Comme l'appelante payait toutes les dépenses familiales, ils avaient décidé, en reconnaissance du fardeau financier de l'appelante, de transférer la maison et le chalet au nom de l'appelante seulement, comme en font foi les actes de vente en date du 23 août 1993. L'appelante et Deroy soutiennent que les prix d'achat tiennent compte de la contribution supplémentaire de l'appelante, d'où des prix inférieurs à la valeur marchande de la maison et du chalet. Il est admis que, à l'époque de cette vente, la maison et le chalet avaient une valeur marchande de 80 600 $ et de 22 800 $ respectivement.

[5] La preuve documentaire produite à l'audience révèle ce qui suit :

- le 12 décembre 1985, Deroy a, pour 49 000 $, acheté la maison située au 19, rue Dorion, Val D'Or (Québec);

- le 12 juillet 1986, l'appelante et Deroy se sont mariés, sans contrat de mariage, c'est-à-dire « sous le régime de la société d'acquêts » ;

- le 17 août 1988, Deroy a, à son nom seulement, acheté le chalet situé dans le Rang A du Canton La Pauze, pour 22 000 $; l'acte d'achat disait que Deroy avait épousé l'appelante ainsi qu'il a été indiqué précédemment;

- le 23 août 1993, l'appelante a acheté à Deroy la maison et le chalet, en vertu d'actes de vente distincts; le prix de vente de la maison était de 66 207 $, y compris un paiement comptant de 5 000 $, et l'appelante prenait en charge le solde dû sur l'emprunt hypothécaire de 61 207 $; une disposition de l'acte disait : « Le vendeur déclare qu'au moment où il a acquis ledit immeuble, il était célibataire et majeur mais depuis il est marié à Céline Dusablon (l'acquéreur) sous le régime légal de la société d'acquêts en l'absence de contrat de mariage ... » ;

- l'acte de vente du chalet disait : « La valeur de la contrepartie est de DIX MILLE dollars (10,000. $) » ; en outre, il disait à tort en parlant de Deroy « qu'au moment où il a acquis ledit immeuble il était célibataire et majeur mais que depuis il est marié à Céline Dusablon sous le régime légal de la société d'acquêts en l'absence de contrat de mariage ... » (Le soulignement est de moi.);

le 20 mars 1995, Deroy a fait opposition à la cotisation établie en vertu du paragraphe 227.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu;

- le 31 août 1995, Deroy a fait une cession de biens dans laquelle était énumérée une dette de 9 000 $ envers Revenu Canada, Impôt.

[6] Il n'y avait aucune preuve documentaire à l'appui de la prétention voulant que l'appelante ait effectivement payé à Deroy 5 000 $ à l'égard de l'achat de la maison, qu'elle ait effectivement payé 10 000 $ au titre du chalet ou qu'elle ait effectivement payé les sommes correspondant à ses paiements hypothécaires ou encore d'autres dépenses familiales. La question restante est de savoir si la juste valeur marchande de la maison et du chalet dépassait d'au moins 8 954,56 $ la contrepartie donnée par l'appelante, ainsi que l'indiquent les cotisations en cause dans cet appel, établies en vertu de l'article 160 de la Loi.

[7] J'ai eu l'occasion d'étudier la jurisprudence et les textes faisant autorité que les deux avocats m'avaient fournis. À la lumière des articles 415 et 416 du Code civil du Québec,je suis convaincu que les deux biens faisaient partie du patrimoine familial à l'époque de la vente; toutefois, je ne suis pas d'accord sur la prétention de l'appelante selon laquelle cette dernière détenait une participation de 50 p. 100 dans ces biens puisque, avant la vente, il n'y avait pas de « séparation de corps, de dissolution ou de nullité du mariage » . Il semble que cette question ait été clairement réglée par la Cour d'appel du Québec dans l'affaire Droit de la famille – 977, [1991] R.J.Q. 904. Dans son analyse, le juge Baudoin disait, à la page 909 :

« Avec la plus grande déférence pour l'opinion contraire, je suis d'avis que le droit des conjoints sur le patrimoine familial n'est pas un droit réel, emportant un droit de propriété, mais constitue au contraire un droit de créance général et personnel pour les raisons suivantes ... »

Puis il disait :

« ... Je ne vois rien dans les textes du code qui me permettrait de conclure que le législateur ait entendu créer, par le seul fait du mariage, un droit de propriété indivis sur les biens faisant partie du patrimoine familial. »

[8] Même en présumant que l'appelante ait effectivement payé 5 000 $ au titre de la maison et 10 000 $ au titre du chalet, je suis convaincu, compte tenu de toutes les circonstances de cet appel, y compris la déposition des témoins, les aveux et la preuve documentaire, et compte tenu du droit et de la jurisprudence applicables, que l'appelante ne s'est pas acquittée de la charge qui lui incombait d'établir, selon la prépondérance des probabilités, que les cotisations du Ministre étaient mal fondées en fait et en droit; l'appelante a une obligation fiscale à l'égard du montant de 8 954,56 $ en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu, car elle n'a pas établi que la juste valeur marchande des biens ne dépassait pas d'au moins 8 954,56 $ la contrepartie qu'elle avait donnée.

[9] En conséquence, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour d'octobre 1998.

« D.R. Watson »

J.S.C.C.I.

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