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Date : 19980604

Date: 19980604

Dossiers : 96-1749-IT-G; 97-944-GST-I; 96-1750-IT-G; 97-945-GST-I; 96-1752-IT-G; 97-946-GST-I

ENTRE :

BRADLEY WORRELL, Lynda McKinnon, RONALD LAPOINTE,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge McArthur, C.C.I.

[1] Ces appels, entendus sur preuve commune, ont été interjetés à l’encontre de cotisations établies en vertu de l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu et du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d’accise pour défaut des appelants de verser au receveur général les sommes payables au titre des cotisations au Régime de pensions du Canada (RPC), des cotisations d’assurance-chômage (AC) et de la taxe sur les produits et services (TPS), de même que les frais d’intérêt et les pénalités. Ces montants sont les suivants : RPC - 7 934,00 $; AC - 13 463,00 $; intérêts et pénalités - 15 946,00 $ et TPS - 92 238,00 $; intérêts et pénalités 4 166,25 $. Il s’agit de déterminer si les appelants ont agi, au sens des articles susmentionnés, avec le degré de soin, de diligence et d’habileté pour prévenir le manquement qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables pour empêcher qu’Abel Metal Limited (“Abel”) n’omette d’effectuer ces paiements.

[2] Le paragraphe 227.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu et le paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d’accise prévoient que, lorsqu’une société omet de verser une somme, les administrateurs sont solidairement responsables de verser le montant non acquitté par la société, de même que les intérêts et les pénalités. Ces articles similaires contiennent les dispositions suivantes :

227.1(3) “Un administrateur n’est pas responsable de l’omission visée au paragraphe (1) lorsqu’il agit avec le degré de soin, de diligence et d’habileté pour prévenir le manquement qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.”

323 (3) “L'administrateur n'encourt pas de responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.”

[3] M. Worrell a témoigné au nom des trois appelants. M. Humphreys, C.A., à qui on a fait appel pour venir en aide à l’entreprise en difficulté quelque six mois avant sa faillite, a également témoigné. Il s’agit tous deux de témoins crédibles. Je ne déduis rien du fait que deux des trois appelants n’ont pas comparu et je constate que l’intimée n’a fait aucune allusion négative à ce sujet.

Faits

[4] Pendant environ 30 ans, Abel a exploité une entreprise de menuiserie métallique viable principalement dans la région du Grand Toronto. Cette entreprise était essentiellement dirigée par M. Lapointe jusqu’en 1990, année où il a vendu des actions à certains employés tout en demeurant administrateur. Il s’agit d’une entreprise de fabrication et d’installation d'éléments d’acier autres que la structure d’acier dans des immeubles en construction. En 1993, cette entreprise comptait environ 70 employés. Elle a commencé à éprouver des difficultés financières en 1992 à la suite de graves pertes subies dans le cadre de projets menés à Kitchener et Waterloo. Comme la récession s’est aggravée en 1990, ses profits ont diminué. Traditionnellement, elle soumissionnait pour des projets allant jusqu’à 2 millions, 80 % de ces offres dépassant 500 000,00 $. Une caution était exigée pour les contrats dépassant 100 000,00 $. En 1993, elle a subi un grave revers lorsqu’une demande de versement d’une caution a été refusée. Après avoir examiné les états financiers de 1993, la banque de l’entreprise, soit la Banque Canadienne Impériale de Commerce, a exprimé des inquiétudes. M. Lapointe s’est personnellement porté garant, auprès de la banque, de cette dette qui dépassait 1 600 000,00 $.

[5] Les difficultés de l’entreprise se sont poursuivies et en octobre 1993 elle a fait appel aux services de M. Humphreys, un comptable agréé, ayant une longue et impressionnante expérience en matière d’aide aux entreprises ayant des difficultés financières. Conjointement avec les appelants, Lynda McKinnon, chargée de la tenue des livres, et Ronald Lapointe, président-directeur général, M. Humphreys a rencontré les représentants de la banque afin de calmer leurs constantes appréhensions. Deux jours plus tard, soit le 18 octobre 1993, la banque a, de façon inattendue, refusé un chèque d'approximativement 46 000,00 $ émis par l’entreprise et libellé à l’ordre du receveur général pour retenues sur la paie. Le 22 octobre 1993, la banque a envoyé une lettre à l’entreprise où l’on pouvait lire :

[Traduction]

“... Vous devriez par conséquent faire preuve de prudence et ne pas émettre de chèques qui, lorsqu’ils sont effectués dans un but compensatoire, pourraient avoir pour effet d’augmenter votre passif au-delà des limites indiquées dans les présentes, car la banque pourrait se voir obligée de retourner une partie ou la totalité de ces chèques sans autre avis à votre intention.”

[6] M. Humphreys était un témoin impressionnant et fort bien renseigné. On a fait appel à ses services afin qu’il se penche sur la situation et conseille la compagnie quant à la ligne de conduite à adopter. Il ne fait aucun doute qu’il est expert dans ce domaine. En octobre 1993, il est parvenu à la conclusion qu’Abel constituait une entreprise viable et qu’il était possible de rétablir la situation en injectant du capital rapidement, mais comme cela n’a pas été fait, cela aurait pris 18 mois pour redresser la situation. Il a préparé une analyse financière à l’intention des investisseurs éventuels.

[7] Dans le cadre des contacts d’affaires, il a traité avec environ 12 investisseurs. Un investisseur en particulier semblait disposé à investir, mais la banque a, sans donner de raisons, jugé que l’investisseur ne convenait pas et, tout de suite après, soit le 27 avril 1994, la banque a exigé le remboursement du prêt, ce qui a obligé la compagnie de se placer sous la protection de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.

[8] Les retenues sur la paye dont il est question se rapportent aux périodes postérieures au 18 octobre 1993, soit la date à laquelle la banque a commencé à exercer un contrôle sur les paiements effectués par Abel.

[9] Le fiduciaire a versé au receveur général toutes les retenues des employés en souffrance. Le fiduciaire n’a pas fait les versements en souffrance concernant les cotisations d'employeur au Régime de pensions du Canada et à l'assurance-chômage ni les intérêts et pénalités connexes assujettis à la cotisation fiscale établie en vertu du paragraphe 227.1(1). Le fiduciaire a également omis de verser la TPS impayée et les intérêts et pénalités d’Abel. La totalité de la somme, à l’exception d’un montant de 1 548,77 $ de TPS et d’intérêts et pénalités connexes, pour lesquels le ministre a établi une cotisation, ont trait aux versements exigibles après le 18 octobre 1993.

Position des appelants

[10] Le principal argument invoqué voulait que les appelants, en tant qu’administrateurs d’Abel, n’aient pas eu la liberté de choix de diriger la société et d’empêcher le défaut de versement. En deuxième lieu, la plus grande partie du montant de TPS dû par Abel pour lequel le ministre du Revenu national (le “ministre”) tient les administrateurs responsables n’a jamais été perçue par Abel; les administrateurs n’ont jamais eu le pouvoir de le faire et ces sommes n’ont jamais été placées en fiducie. Les appelants font valoir qu’il n’est pas correct qu’on les tienne responsables du fait d’autrui pour ces montants.

[11] L’avocat des appelants s’est appuyé sur un certain nombre de décisions, y compris :

1. Beer v. R. [1996] 3 C.T.C. 2628

2. Soper v. R. [1997] 3 C.T.C. 242

3. Robitaille v. Canada, [1990] 1 C.T.C. 121

4. Champeval v. M.N.R., [1990] 1 C.T.C. 2385

5. McMartin c. Sa Majesté la Reine

(non rapporté, dossier no 95-2166(GST)I, 4 janvier 1996)

6. Fancy v. M.N.R., [1988] 2 C.T.C. 2256

Il a fait valoir que l’on pouvait déduire un certain nombre de principes de ces décisions, y compris :

1. Beer (précitée), à la page 2637 :

“Il est essentiel que les gens d’affaires comprennent ce message. Les sommes retenues sur le salaire d’un employé au titre de l’impôt sur le revenu n’appartiennent plus à l’employeur. Il s’agit de l’argent gagné par l’employé, dont une bonne partie lui est enlevée en un clin d’oeil en application de la Loi, puis détenue en fiducie pour le compte de Sa Majesté.”

2. Soper (précitée), à la page 262 :

“Le moment convient bien pour résumer mes conclusions au sujet du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu. La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi est fondamentalement souple. Au lieu de traiter les administrateurs comme un groupe homogène de professionnels dont la conduite est régie par une seule norme immuable, cette disposition comporte un élément subjectif qui tient compte des connaissances personnelles et de l’expérience de l’administrateur, ainsi que du contexte de la société visée, notamment son organisation, ses ressources, ses usages et sa conduite. Ainsi, on attend plus des personnes qui possèdent des compétences supérieures à la moyenne (p. ex. les gens d’affaires chevronnés).”

La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi n’est donc pas purement objective. Elle n’est pas purement subjective non plus. Il ne suffit pas qu’un administrateur affirme qu’il a fait de son mieux, car il invoque ainsi la norme purement subjective. Il est également évident que l’intégrité ne suffit pas. Toutefois, la norme n’est pas une norme professionnelle. Ces situations ne sont pas régies non plus par la norme du droit de la négligence. La Loi contient plutôt des éléments objectifs, qui sont représentés par la notion de la personne raisonnable, et des éléments subjectifs, qui sont inhérents à des considérations individuelles comme la “compétence” et l’idée de “circonstances comparables”. Par conséquent, la norme peut à bon droit être qualifiée de norme “objective subjective”.

3. Robitaille (précitée), à la page 125 :

“De plus, lorsqu’une banque a assumé le contrôle effectif d’une société comme c’est le cas en l’espèce, sans que les administrateurs lui aient demandé d’agir de la sorte ni l’aient invité à le faire, et lorsque c’est exclusivement la banque qui décide quels chèques seront ou ne seront pas rédigés sans consultation du conseil d’administration, à partir de ce moment les actions de la société en ce qui concerne le versement ou la retenue des deniers sont essentiellement celles de la banque et je serais disposé à statuer que même abstraction faite du paragraphe 227.1(3), les administrateurs n’auraient aucune responsabilité en vertu du paragraphe 227.1(1) car cette disposition envisage clairement la situation où la société agit librement par le truchement de son conseil d’administration. La responsabilité personnelle de l’administrateur ne saurait être engagée que s’il jouit d’une pleine et entière liberté de choix.”

4. Champeval (précitée), à la page 2389 :

“La responsabilité d’un administrateur d’une société établie par le paragraphe 227.1(1) n’est pas une responsabilité absolue. Elle est contingente, c’est-à-dire que l’administrateur en est dégagé lorsqu’il a agi avec le degré de soin, de diligence et d’habileté qu’une personne raisonnable aurait exercé dans des circonstances comparables. Pour pouvoir déterminer si un administrateur a exercé le degré de soin, de diligence ou d’habileté requis en vertu du paragraphe 227.1(3), il faut que cet administrateur ait eu le libre choix de pouvoir l’exercer. S’il n’avait pas ce libre choix de ses décisions à cause de facteurs complètement en dehors de son contrôle, il ne peut être sujet aux dispositions du paragraphe 227.1(1) parce que les dispositions du paragraphe (3) l’exonore de toute responsabilité personnelle puisque dans les circonstances une personne raisonnable n’aurait pu agir autrement.”

5. McMartin (précitée), à la page 5 :

“L’appelant ne pouvait contrôler et affecter les fonds de la compagnie. Aucune preuve n’indique qu’il avait le pouvoir discrétionnaire de le faire. La preuve indique cependant que l’on était conscient non seulement de l’obligation relative à la TPS, mais également, après une visite chez l’avocat, en novembre 1991, de la responsabilité personnelle, ainsi que des efforts faits pour affecter des sommes au règlement de cette obligation. Me fondant sur ces faits et sur les principes énoncés par l’avocat de l’appelant, je conclus que l’appelant a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence que l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances pour empêcher que l’on omette de verser la taxe.”

6. Fancy (précitée), à la page 2261 :

“Les présents motifs ne devraient pas être interprétés de façon à suggérer que l’employeur qui accorde une cession de ses créances à un tiers échappe automatiquement à l’application du paragraphe 227.1(1). Au contraire, ils ne s’appliquent qu’à la combinaison particulière de faits et de circonstances se rattachant aux présents appels.

L’avocat de l’intimé a suggéré qu’au moment où ils ont eu connaissance des sérieux problèmes financiers de la société vers le début d’août 1982, les appelants auraient dû forcer celle-ci à mettre un terme à son exploitation. Selon l’avocat, en poursuivant l’exploitation, ils ont accepté le risque de devenir personnellement responsables de la dette de la société envers l’intimé en vertu du paragraphe 227.1(1). Je ne puis accepter cette proposition parce qu’elle ne reflète pas l’intention véritable de la Loi. La responsabilité personnelle des administrateurs prévue au paragraphe 227.1(1) n’est pas une responsabilité absolue. Elle est conditionnelle à la conduite personnelle dans le cadre des circonstances liées à l’omission par leur société de remettre les sommes d’impôt prélevées sur le salaire de ses employés. L’exercice du degré de soin, de diligence et d’habileté visé au paragraphe 227.1(3) les libère de cette responsabilité personnelle.”

Position de l’intimée

[12] À l’automne 1993, la situation financière de l’appelant était critique et le premier versement de TPS n’a pas été fait. S’inquiétant de la détérioration de la situation, les trois administrateurs de l’appelant ont, sous les instances de la banque, embauché M. Humphreys afin qu’il traite avec la banque, les fournisseurs et qu’il obtienne du financement extérieur. La banque a commencé à réduire la marge de crédit qui était déjà insuffisante. Néanmoins, les trois administrateurs ont pris délibérément la décision de demeurer en affaires sachant que la banque n’honorerait pas les versements de TPS et les retenues à la source.

L’avocat a évoqué la décision rendue par la Cour dans l’affaire Deschênes c. M.R.N. 1989 C.C.I., page 3, où la juge Lamarre Proulx, déclarait :

“Cependant, au témoignage même de l’appelant, déjà cité, c’est ce dernier qui a choisi volontairement de ne pas payer les retenues d’impôt et d’assurance-chômage. C’était un risque que l’appelant prenait. Un risque pris dans des circonstances difficiles, sans aucun doute. Mais tout de même un choix délibéré qui s’est continué sur une période de quelques semaines et qui va à l’encontre du devoir de l’administrateur d’une corporation d’agir avec soin, diligence et habileté dans la remise des sommes retenues à la source sur le traitement des employés.

...lors de ses négociations avec le banquier, il a fait le choix conscient et délibéré de ne payer que les salaires nets des employés dans l’espoir que l’entreprise se remette à flot et qu’il n’ait pas à rembourser les emprunts bancaires qu’il avait cautionnés. Malheureusement, l’entreprise a quand même fait faillite. Les circonstances de ce choix sont évidemment très pénibles. Mais ce choix demeure de la nature d’un choix libre, d’un risque calculé qui se situe à l’opposé de l’action à suivre par l’administrateur diligent pour prévenir l’omission visée au paragraphe 227.1(1) de la Loi.”

[13] L’avocat a ajouté qu’il appartenait aux appelants de déterminer s’ils continueraient à payer les employés et à ne pas verser ces retenues à la source ou s’ils cesseraient de payer les employés, ou quant à la TPS, il leur appartenait de continuer à engager leur responsabilité pour la TPS et à ne pas verser ou de cesser d’engager leur responsabilité pour la TPS. Tel fut leur choix. Personne d’autre n’exerçait de contrôle quant à cette décision.

[14] L’avocat a cité à l’affaire Hamel v. M.N.R. 92 DTC 1288, page 1291, où le juge Dussault, de cette cour, a déclaré :

“Si on accepte de poursuivre l’exploitation d’une entreprise malgré les difficultés financières qu’elle rencontre, si on accepte de payer les employés et les fournisseurs, il faut aussi accepter d’acquitter ses obligations envers le fisc...”

Analyse

[15] Les paragraphes 323(1) de la Loi sur la taxe d’accise, 21.1(1) du Régime de pensions du Canada et 54(1) de la Loi sur l’assurance-chômage ont pour effet de rendre un administrateur de société solidairement responsable de la TPS et la cotisation d'employeur au RPC et à l’AC, auxquels s’ajoutent les intérêts et les pénalités si la société omet de verser ces montants. La responsabilité du fait d’autrui des administrateurs de société n’est pas absolue. En vertu des paragraphes 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise et 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, tels qu’ils s'appliquent en vertu du paragraphe 21.1(2) du Régime de pensions du Canada et 54(2) de la Loi sur l’assurance-chômage, un administrateur est dégagé de la responsabilité :

“... lorsqu’il agit avec le degré de soin, de diligence et d’habileté pour prévenir le manquement qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.”

[16] Les faits étayent la conclusion voulant que, pendant la période s’étalant du 18 octobre 1993 à la faillite du 28 avril 1994, c’était la banque, et non les administrateurs, qui contrôlait les finances d’Abel. Cette restriction quant à la liberté de choix suffit à dégager les appelants de la responsabilité personnelle tant à l’égard des cotisations établies pour retenues salariales que pour les cotisations de la TPS. Les appelants n’ont pas eu la liberté de choix de diriger la société et d’empêcher les manquements en ce qui concerne les versements, tant en ce qui a trait aux cotisations établies pour les retenues salariales qu’aux cotisations de TPS.

[17] Dans l’affaire Soper (précitée), la Cour d’appel fédérale s’est récemment penchée sur la nature de la défense basée sur la diligence raisonnable. Une condition préalable nécessaire à l’imposition de la responsabilité personnelle veut que les administrateurs aient la liberté de choix nécessaire de sorte que la société puisse agir librement par le truchement de son conseil d’administration. Dans l’affaire Champeval (précitée), dans des circonstances semblables à celles des appelants, le juge en chef Couture de la C.C.I. a constaté que, lorsque le défaut de la société résultait de facteurs indépendants de la volonté de l’administrateur, l’administrateur était dégagé de toute responsabilité personnelle. L'arrêt McMartin (précité) est une autre affaire où la banque a dicté quels chèques devraient être honorés et quels ne devraient pas l’être. Le juge Bell, a tranché en faveur de l’appelant.

[18] Dans l’affaire Soper, le juge Robertson est arrivé à la conclusion que la norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi est souple et qu’on pouvait la décrire comme étant “objective subjective”. Il commence donc son analyse en caractérisant la nature de l’administration des appelants. Dans le cas présent, les appelants n’avaient pas le contrôle de droit des finances, après que la banque eut imposé ses conditions le 18 octobre 1993. À juste titre, l’intimée a conclu que les appelants avaient le choix, avant le 18 octobre, soit de se conformer aux conditions posées par la banque, soit de fermer l’entreprise et, bien qu’il s’agissait là d’une décision très ardue, l’intimée a conclu qu’ils auraient dû fermer les portes de l'entreprise, et ce contre l’avis de l’expert, entraînant ainsi le chômage de 70 employés. Est-ce là faire preuve de diligence raisonnable? Étant donné l'ensemble des circonstances, je ne le crois pas. Les appelants oeuvraient au sein d’une entreprise cyclique ayant réussi à surmonter des récessions par le passé. Jusqu’au 30 septembre 1993, moment où la banque a retourné un chèque pour insuffisance de fonds, les factures avaient toujours été payées. On avait retenu les services d’un professionnel hautement qualifié pour secourir les entreprises ayant des difficultés financières. Il est parvenu à la conclusion qu’Abel était viable et il a conseillé aux appelants de poursuivre leurs activités. Après avoir activement cherché un nouvel investisseur, il avait constaté qu’aucun n’avait été approuvé par la banque pour des raisons non connues des appelants. Il semblerait qu’un contrôleur de l’investisseur proposé, qui était dans la même entreprise qu’Abel, soit parvenu à la conclusion que la société ne devrait pas fermer ses portes. M. Humphreys a conclu que, même sans nouvel investisseur, Abel aurait pu rétablir la rentabilité de l’entreprise dans un délai de dix-huit mois.

[19] Les appelants avaient, à l’égard de leurs employés, l’obligation de ne pas fermer les portes de l’entreprise sans fournir de preuves satisfaisantes selon lesquelles l’entreprise n’était pas viable. On doit alors appliquer le critère de la personne raisonnable. Les appelants ont adopté une approche fondée sur le bon sens. Ils avaient déjà fait preuve de leur capacité de survivre à des ralentissements; leur banque semblait appuyer la poursuite de leurs activités; M. Humphreys les appuyait à titre de conseiller et M. Lapointe avait fourni à la banque une garantie personnelle au milieu de l’année 1993.

[20] Les appelants ont déployé beaucoup d’efforts pour que la banque effectue les versements. Les retenues sur la paie des employés ont été versées. C’est la partie de l’employeur qui est en cause ainsi que la TPS, dont la plus grande partie n’avait jamais été payée à Abel ou à ses administrateurs.

[21] Dans l’affaire Fancy (précitée) à la page 2261, le juge en chef Couture faisait face à une situation quelque peu semblable et avait rendu une décision favorable aux contribuables. Il affirmait dans celle-ci que le paragraphe 227.1(1) n’avait pas pour effet d’entraîner une responsabilité absolue mais était conditionnelle à la conduite des administrateurs, compte tenu de l’ensemble des circonstances. Après le 18 octobre 1993, Abel n’agissait plus librement par l’entremise de ses appelants en ce qui a trait à ses finances. Comme il a été affirmé dans l'arrêt Robitaille (précité), l’exercice de la liberté de choix de la part des administrateurs est essentiel à l’établissement de la responsabilité personnelle.

[22] Les appelants n’ont pas eu la liberté de choix d’empêcher le défaut de paiement en ce qui a trait tant aux cotisations d’impôt sur le revenu que de TPS.

[23] Les appels sont admis et un seul mémoire de frais est adjugé pour les appelants.

Signé à Ottawa, Canada, ce quatrième jour de juin 1998.

“C.H. McArthur”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 10e jour de novembre 1998.

Mario Lagacé, réviseur

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