Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 199902226

Dossier: 98-1147-IT-I

ENTRE :

DAVID E. MIDDLESTEAD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge O'Connor, C.C.I.

[1] Le présent appel a été entendu à Calgary (Alberta) le 18 février 1999 en conformité avec la procédure informelle de la Cour.

QUESTION EN LITIGE :

[2] La question est de savoir si l’indemnité de réinstallation que la Banque de Nouvelle-Écosse a versée à l’appelant, son employé, en 1990, dans le cadre de sa mutation de Brandon au Manitoba à Calgary en Alberta, doit être incluse dans son revenu pour l’année en vertu des al. 6(1)a) et 6(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ).

LES FAITS :

[3] Les faits sont clairement établis dans la réponse à l’avis d’appel :

[TRADUCTION]

1. En ce qui a trait aux allégations de faits figurant dans l’avis d’appel, l’appelant admet seulement :

(a) avoir été muté de Brandon au Manitoba à Calgary en Alberta à la mi-1990 à la demande de son employeur;

(b) avoir reçu une indemnité de réinstallation au montant de 5 962 $, la somme de 2 980,90 $ ayant été retenue à la source à titre d’impôt;

[...]

4. Dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 1990, l’appelant a inclus le revenu tiré d’une charge ou d’un emploi, à savoir son emploi à la Banque de Nouvelle-Écosse (l’ « employeur » ) soit la somme de 59 809,05 $

[...]

8. En établissant la nouvelle cotisation de l’appelant de la manière susmentionnée, le ministre a assumé que :

(b) l’appelant a reçu de son employeur une indemnité de réinstallation de 5 962 $ en raison de sa mutation de Brandon au Manitoba à Calgary en Alberta;

(c) la somme de 59 809,05 $ déclarée par l’appelant à titre de revenu tiré d’une charge ou d’un emploi comprenait l’indemnité de réinstallation de 5 962 $;

(d) l’appelant n’était pas tenu de justifier ses dépenses pour avoir droit à l’indemnité de réinstallation;

(e) l’indemnité de réinstallation ne se rapportait pas à l’achat d’un nouveau logement et ne représentait pas un montant versé pour compenser la différence d’intérêts hypothécaires;

(f) l’indemnité de réinstallation n’avait pas été calculée en fonction d’une perte réelle ou d’un montant précis de dépenses engagées par l’appelant;

[...]

(h) l’employeur a remboursé à l’appelant toutes ses dépenses de déménagement;

LES ARGUMENTS :

[4] L’appelant a fait valoir qu’il n’avait en réalité tiré aucun avantage du paiement parce que, la première année, il avait dû payer 7 733 $ de plus au total pour l’achat d’un logement et le remboursement de son prêt hypothécaire, le montant d’intérêt additionnel versé relativement au prêt hypothécaire pour la maison de Calgary s’élevant à lui seul à 7 100 $. Il a indiqué qu’à cause de la hausse du taux d’intérêt il s’est trouvé dans une situation plus précaire après seulement un an (c’est-à-dire que l’indemnité de 5 962 $ n’avait même pas couvert les coûts de 7 733 $). L’appelant a ajouté que son prêt hypothécaire à Calgary ayant un terme de cinq ans, il s’exposait à perdre en tout près de 33 000 $. Pour arriver à la somme de 7 100 $, l’appelant, comme on peut le voir dans la pièce A-1, a ajouté 50 000 $ au montant de son prêt hypothécaire à Brandon (44 000 $) ce qui donne le montant de 94 000 $. Il a expliqué qu’il a dû verser 50 000 $ de plus pour acheter à Calgary un terrain comparable à celui qu’il possédait à Brandon. L’appelant, avec raison, n’a pas tenu compte dans son calcul du montant additionnel qu’il a dû emprunter pour acheter une maison plus dispendieuse.

[5] L’appelant a cité diverses décisions, dont celle rendue dans l’affaire Côté v. M.N.R., 91 DTC 262 dans laquelle le juge Lamarre Proulx de la Cour affirme à la page 263 et aux pages suivantes :

L’avocate de l’intimée m’a référée à l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Gagnon c. La Reine [1986] 1 R.C.S. 264 à la page 272, où monsieur le juge Beetz définit le terme « allocation » de la façon suivante :

Selon la définition de l’arrêt Pascoe, il faut, pour que l’on puisse qualifier une somme d’argent d’ « allocation » , qu’elle satisfasse à trois conditions : (1) la somme doit être limitée et déterminée à l’avance; (2) la somme doit être versée afin de permettre à celui qui la reçoit de faire face à un certain type de dépenses; (3) cette somme doit être à l’entière disposition de celui qui la touche sans qu’il ait de comptes à rendre à personne.

Je suis d’avis cependant que dans les circonstances du présent appel, l’étude du sens à donner au mot « allocation » dans le contexte de l’alinéa 6(1)b) de la Loi, me demande de considérer attentivement l’arrêt Richard D. McNeill c. La Reine, [1987] 1 C.F. 119. Je cite le juge Rouleau à la page 128 de cet arrêt :

L’avocat du demandeur a contesté l’allégation selon laquelle la somme versée au demandeur était une « allocation » au sens de la Loi. Il a reconnu que les bénéficiaires de la soi-disant « allocation » n’étaient aucunement obligés d’acheter une autre maison pour recevoir cette somme, mais il a ajouté que dans les faits, le demandeur avait bel et bien acheté une résidence, et la somme en question ne pouvait être considérée comme une allocation puisque le contribuable devait assumer une hypothèque plus importante, comme il l’avait prévu.

Dans la présente cause, l’appelant a aussi fait la preuve qu’il a engagé des frais concomitants supérieurs à la somme reçue de son employeur. L’avocate de l’intimée me souligne toutefois les propos du juge Rouleau à la page 135 :

Mais ce qui est encore plus important, c’est que le paiement de l’indemnité en cause était principalement motivé par des questions tout à fait étrangères à l’emploi, c’est-à-dire des questions de relations publiques et de relations de travail.

Elle dit donc, que contrairement à ce qui s’est passé dans l’arrêt McNeill, les sommes reçues par l’appelant dans la présente cause sont des sommes reçues en vertu d’une directive concernant les conditions d’emploi des cadres supérieurs.

Je ne crois pas que le motif exprimé par le juge Rouleau dans l’extrait ci-avant cité ait été le motif déterminant dans l’affaire McNeill et ce, pour deux raisons :

a) une autre allocation payée en vertu de la même entente a été considérée comme un avantage en vertu d’un emploi au sens de l’alinéa 6(1)a) de la Loi parce que le demandeur n’avait soumis « aucune preuve portant qu’il avait véritablement subi des pertes imputables à sa réinstallation, égales à la somme touchée [...] » , et

b) parce que le juge dit ceci au sujet du sens à donner au mot « allocation » :

L’avocat de la Couronne a ajouté que le contribuable n’était pas tenu de rendre compte du paiement reçu et qu’il n’était pas obligé d’acheter une maison dans la région d’Ottawa. C’est ce qui semble avoir convaincu la Cour canadienne de l’impôt qui a ainsi conclu [...] :

[TRADUCTION] Il avait le choix d’acquérir une maison et il a touché l’argent sans même avoir à prouver une perte. La formule avait été établie, et c’est elle qui a été appliquée. Si l’appelant avait jugé bon de louer un appartement ou de vivre chez des amis ou des parents, il aurait quand même reçu le même montant.

À mon avis, ce raisonnement n’est pas pertinent. Tout d’abord, la décision de la Cour canadienne de l’impôt n’est pas fondée sur les faits, à savoir que le contribuable a bel et bien acheté une maison. Ensuite, le contribuable était forcé d’accepter la mutation afin de conserver son emploi. Dans ces circonstances, je pense qu’il avait non seulement le choix mais bien le droit d’acheter une maison dans la région d’Ottawa et d’essayer de refaire sa vie comme à Montréal. D’après la preuve soumise à l’audience, il est clair que le demandeur « n’a rien mis dans ses poches mais n’a fait que sauver ses poches » .

Dans la perspective de la décision rendue dans la cause McNeill, je suis d’avis que la somme reçue par l’appelant pour les frais concomitants à son déménagement ne devrait pas être considérée comme une allocation au sens de l’alinéa 6(1)b) pace que l’appelant a, dans les faits, réellement engagé des frais concomitants à son déménagement pour les montants des sommes reçues.

LES ARGUMENTS DE L’INTIMÉE :

[6] L’avocat de l’intimée a prétendu que le ministre avait eu raison d’inclure la somme de 5 962 $ dans le revenu de l’appelant parce qu’il s’agissait d’une allocation prévue à l’al. 6(1)b) de la Loi ou d’un avantage imposable dont il est question à l’al. 6(1)a) de la Loi. L’avocat a également passé en revue les affaires généralement citées en pareilles circonstances.

ANALYSE ET DÉCISION :

[7] Les alinéas en question sont ainsi rédigés :

6.(1) Doivent être inclus dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi, ceux des éléments appropriés suivants :

a) la valeur de la pension, du logement et autres avantages de quelque nature que ce soit qu’il a reçus ou dont il a joui dans l’année au titre, dans l’occupation ou en vertu d’une charge ou d’un emploi à l’exception des avantages ... (aucune des exceptions ne s’applique).

[...]

b) toutes les sommes qu’il a reçues dans l’année à titre d’allocations pour frais personnels ou de subsistance ou à titre d’allocations pour toute autre fin, sauf...(aucune des exceptions ne s’applique).

[8] Il convient d’examiner davantage certaines des décisions rendues dans ce domaine. Dans l’affaire Attorney General of Canada v. Enrique Hoefele et al, 95 DTC 5602, la Cour d’appel fédérale devait examiner l’al. 6(1)a) de la Loi et elle a statué que, pour être considérée comme un avantage imposable, la somme versée devait attribuer un avantage économique, c’est-à-dire accroître la valeur nette du bénéficiaire, et que les paiements visant à couvrir la différence d’intérêts hypothécaires versés à certains employés de Petro-Canada mutés de Calgary à Toronto n’étaient pas imposables.

[9] Dans l’arrêt Her Majesty the Queen v. Phillips, 94 DTC 6177, la Cour d’appel fédérale a statué qu’un paiement de 10 000 $ par le CN à un de ses employés en raison de son déménagement de Moncton à Winnipeg représentait une allocation imposable. Dans cette affaire, le juge Robertson a analysé minutieusement d’autres décisions et a conclu que le paiement en question avait accru la valeur nette du contribuable.

[TRADUCTION]

Arrêt : L’appel de Sa Majesté la Reine a été accueilli. Le juge de première instance a commis une erreur en qualifiant le paiement de 10 000 $ comme un remboursement non imposable des dépenses engagées en raison de l’emploi. La somme de 10 000 $ n’a pas rétabli le contribuable dans sa situation financière antérieure, elle a plutôt accru sa valeur nette de 10 000 $. Par conséquent, elle ne satisfait pas aux paramètres juridiques applicables aux avantages non imposables qui ont été formulés dans les arrêts suivants : La Reine c. Savage, (83 DTC 5409), Ransom v. M.N.R. (67 DTC 5235) et The Queen v. Splane (92 DTC 6021). Dans l’arrêt Ransom, la Cour a formulé la règle que le remboursement de la perte subie par l’employé en vendant sa maison à la suite d’une mutation n’est pas imposable dans la mesure où la somme remboursée représente la perte réelle. En l’espèce cependant, la somme que le CN a versée au contribuable visait à compenser le prix plus élevé d’un nouveau logement, et le raisonnement à la base de la décision Ransom ne s’appliquait pas. Il convient également de souligner que l’arrêt Ransom est devenu tellement associé à notre conception des avantages imposables qu’il appartient à la Cour suprême ou au législateur d’en écarter la logique. Par conséquent, la somme de 10 000 $ en litige aurait dû être incluse dans le revenu d’emploi du contribuable pour 1987. La cotisation initiale du ministre a été rétablie.

[10] Dans l’arrêt Attorney General of Canada v. MacDonald, 94 DTC 6262, la Cour d’appel fédérale a statué ce qui suit :

[TRADUCTION]

Arrêt : La demande du Procureur général du Canada est accueillie. L’alinéa 6(1)b) de la Loi oblige les contribuables à inclure dans le revenu qu’ils tirent d’une charge ou d’un emploi toutes les sommes qu’ils ont reçues dans l’année à titre d’allocation pour frais personnels ou de subsistance ou à titre d’allocation pour toutes autres fins. Cependant, le libellé de cet alinéa nous est de peu d’utilité pour déterminer ce qu’est une « allocation » . Il découle des décisions de la Cour de l’Échiquier dans l’affaire Ransom v. M.N.R. (67 DTC 5235), de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt The Queen v. Pascoe (75 DTC 5427) et de la Cour suprême dans l’arrêt Gagnon c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 265 que le terme « allocation » aux fins de l’application de l’al. 6(1)b) de la Loi comporte trois éléments qui se trouvent dans l’allocation en litige : (a) le contribuable a reçu la somme de 700 $ en tant que somme d’argent limitée, déterminée à l’avance, « arrondie » et elle n’était pas calculée en fonction d’un coût ou d’une dépense réels que le contribuable serait appelé à engager; (b) l’argent visait une fin particulière, à savoir, subventionner ses frais de logement et; (c) il a reçu l’argent et n’était pas tenu d’en rendre compte. La somme en litige représentait une allocation imposable au sens de l’al. 6(1)b) de la Loi. La décision du juge de la Cour canadienne de l’impôt a été annulée, et la nouvelle cotisation du ministre a été rétablie.

[11] Les trois éléments décrits ci-dessus dans l’arrêt MacDonald se trouvent dans le présent appel et, comme je suis tenu d’appliquer une décision de la Cour d’appel fédérale, je conclus que l’appelant a reçu une allocation au sens de l’al. 6(1)b).

[12] Il est reconnu que l’appelant a dû faire face à des dépenses d’intérêt plus élevées à Calgary, mais contrairement aux faits mis en preuve dans l’affaire Hoefele et al, le plan d’indemnité de réinstallation de la Banque de Nouvelle-Écosse ne visait pas à compenser la différence d’intérêts hypothécaires. En fait, le plan déposé comme pièce A-2 mentionne que l’indemnité vise à aider les employés à payer les dépenses de réinstallation dont il n’est pas clairement question ailleurs dans les directives de la banque et cite certaines des dépenses courantes que cette indemnité visait à couvrir. Le plan contient la liste des nombreuses dépenses pour lesquelles l’indemnité était accordée. Aucune de ces dépenses ne se rapporte à la différence d’intérêts hypothécaires. En fait, un bon nombre des dépenses dont il est fait mention dans le plan représentent des dépenses personnelles et des frais de subsistance.

[13] Dans l’arrêt McNeill, considéré dans l’arrêt Côté précité, le juge Rouleau a conclu que le contribuable n'était pas tenu d'inclure dans son revenu une indemnité visant à compenser une augmentation du coût de son prêt hypothécaire, mais il a conclu qu'il devait inclure dans le calcul de son revenu une « Indemnité de changement de milieu » visant à compenser d’autres dépenses que celles liées à une augmentation du coût du prêt hypothécaire.

[14] Bien que ce fait ne soit pas fatal à la cause de l’appelant, il convient de noter que l’employeur a considéré que l’indemnité était imposable et en a inscrit le montant sur le relevé T4 de l’appelant. En outre, l’employeur a payé toutes les dépenses de déménagement de l’appelant.

[15] Puisque je conclus que la somme en question représente une allocation imposable au sens de l’al. 6(1)b) de la Loi, il n’est pas nécessaire de déterminer si elle pourrait aussi représenter un avantage imposable au sens de l’al. 6(1)a). Par conséquent, et pour les motifs ci-dessus, l’appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de février 1999.

« T.P. O'Connor »

J.C.C.I.

[Traduction française officielle]

Traduction certifiée conforme ce 13e jour de décembre 1999.

Mario Lagacé, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.