Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19971104

Dossier: 96-3983-IT-I

ENTRE:

ROGER ROUSSEL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge G. Tremblay, C.C.I.

Point en litige

[1] Il s’agit de savoir si l’appelant est bien fondé dans le calcul de son revenu de l’année d’imposition 1994 de réclamer un crédit d’impôt non remboursable de 719,61 $ conformément aux articles 118.3 et 118.4 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) à cause d’une déficience mentale.

[2]Malgré deux demandes de l’intimée, l’appelant n’aurait pas produit de certificat médical. Selon l’intimée, au stade de l’avis d’opposition, le dossier a été remis aux médecins de Développement des Ressources humaines Canada. D’après les informations reçues, l’appelant n’avait pas de déficience mentale ou physique grave et prolongée dont les effets étaient tels que sa capacité d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne était limitée de façon marquée.

[3] Selon l’appelant, toutefois, deux psychiatres se seraient prononcés sur son invalidité totale et permanente. L’appelant aurait perdu pour cette raison son emploi auprès du Gouvernement du Québec.

Fardeau de la preuve

[4] L'appelant a le fardeau de démontrer que les cotisations de l'intimée sont mal fondées. Ce fardeau de la preuve découle de plusieurs décisions judiciaires dont un jugement de la Cour suprême du Canada rendu dans l'affaire Johnston c. Le ministre du Revenu national.[1]

[5] Dans le même jugement, la Cour a décidé que les faits assumés par l'intimé pour appuyer les cotisations ou nouvelles cotisations sont également présumés vrais jusqu'à preuve du contraire. Dans la présente cause, les faits présumés par l'intimée sont décrits aux alinéas a) et b) du paragraphe 3 de la réponse à l'avis d'appel. Ce paragraphe se lit comme suit :

3. Pour établir cette nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 1994, le Ministre a tenu notamment pour acquis les faits suivants :

a)               le 9 novembre 1994 et le 4 juillet 1995, dans le cadre d’un programme d’examen, pour l’anée d’imposition 1994, le Ministre a demandé à l’appelant de fournir un certificat médical (T-2201) original afin de pouvoir étudier sa demande de crédit d’impôt non remboursable pour personnes handicapées;

b)              le Ministre a produit un avis de nouvelle cotisation en date du 2 octobre 1995, refusant à l’appelant le crédit d’impôt non remboursable pour personnes handicapées, d’un montant de 719,61 $, étant donné que l’appelant n’a pas répondu aux demandes du Ministre.

c)             

Faits mis en preuve

[6]L’appelant fut la seule personne à témoigner. Il a témoigné calmement. Il s’exprime bien.

[7] Au cours de son témoignage, il a produit, sous les pièces A-1 à A-8, une série de documents constituée principalement de lettres échangées entre lui-même, ses médecins psychiatres et son médecin traitant. Sous la pièce A-9, une série de lettres transmises à la Cour canadienne de l’impôt et à l’intimée, le tout contenant 29 pages. La documentation en mains démontre qu’il a été examiné par quatre psychiatres. Toutefois, les rapports médicaux de deux psychiatres seulement ont été produits, soit ceux du docteur Pierre Dorion (pièce A-7) et du docteur Frédéric Grunberg.(pièce A-8).

[8] Les commentaires et la conclusion du rapport du docteur Grunberg, aux pages 5 et 6, résument bien la position du médecin :

COMMENTAIRES

Monsieur Roger Roussel se présente comme une personne intelligente qui a réussi à s’éduquer et à devenir autonome malgré les conditions d’adversité et de carence dans son enfance.

Il est à l’emploi du gouvernement du Québec depuis 27 ans, mais n’a pas réussi, dans ses perceptions de lui-même, à obtenir la reconnaissance et le mérite qui lui reviennent. En effet, il se sent bloqué depuis 14 ans dans un poste de technicien en administration. En outre, monsieur Roussel a un profil de personnalité caractérisé par de la rigidité, une hypertrophie du moi et un manque de souplesse et d’adaptabilité dans une organisation telle qu’une bureaucratie gouvernementale.

Dans ce contexte inévitablement conflictuel au travail et compte tenu de ses traits de personnalité, il s’est insidieusement développé chez monsieur Roger Roussel un trouble mental caractérisé par un délire de revendication qui l’amène à totalement s’investir dans des litiges sans fin. Cette pathologie correspond à ce que l’on appelle la paranoia querulans de type processif. Il s’agit d’un trouble mental plutôt rare, caractérisé simplement par un délire de type persécutoire bien systématisé qui n’affecte pas les fonctions intellectuelles et le jugement en dehors de la sphère du délire. Cependant, ce délire envahissant affecte le comportement de la personne qui en est atteinte et qui consacre une bonne partie de sa vie à obtenir justice en s’impliquant dans des démarches judiciaires pratiquement sans fin et à son propre détriment. Malheureusement, il s’agit d’une maladie chronique qui ne répond pas bien au traitement psychiatrique.

CONCLUSION

J’arrive donc à la conclusion que monsieur Roger Roussel, compte tenu de son trouble mental, est inapte à reprendre son travail en tant que technicien en administration au MEQ [Ministère de l’Éducation du Québec].

Compte tenu aussi de la chronicité de sa maladie et de son pronostic réservé, je suis d’avis que l’on devrait considérer monsieur Roger Roussel en invalidité totale et permanente.

[9] Le docteur Dorion arrive à la même conclusion dans son rapport de quatre pages.

[10]Toutefois, ni le docteur Dorion (pièce A-6), ni le docteur Grunberg (pièces A-1 et A-2) n’ont voulu compléter le formulaire T2201 intitulé “Certificat pour le crédit pour personnes handicapées” qui doit être complété par le médecin traitant. Les deux psychiatres ont allégué qu’ils n’étaient pas des médecins traitant ou qu’ils n’ont agi que comme experts.

[11]Selon l’appelant, son médecin traitant, par ailleurs, n’aurait pas voulu non plus compléter ledit formulaire vu qu’il n’y connaissait rien en psychiatrie.

[12]Sous la pièce I-1, l’intimée a produit un formulaire T 2201 daté du 20 avril 1995 mais complété par l’appelant lui-même, répondant “oui” aux questions suivantes, à savoir : 1) si le patient a une déficience prolongée? 2) ... une déficience grave? et 3) ... de façon marquée?

[13]Cependant, dans son témoignage l’appelant admet, en se référant au formulaire, qu’il ne souffre pas d’invalidité de la “vue” (même s’il porte des verres correcteurs), d’élocution, de l’ouïe, ni dans sa façon de marcher. De plus, ses fonctions intestinales et urinaires ne sont pas déficientes et il peut se nourrir et s’habiller facilement sans l’aide de personne.

[14] Sous la pièce I-2, l’intimée a produit le formulaire T 749 intitulé “Feuille de renvoi - crédit d’impôt pour personnes handicapées” provenant du docteur J. Harris de Développement des Ressources humaines Canada. Ce formulaire est daté du 19 octobre 1995 et a été reçu par l’intimée le 24 octobre 1995. À la suite du questionnaire reçu, le médecin recommande que le crédit d’impôt soit refusé.

Loi

[15] Les dispositions 118.3(1) et 118.4(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) sont à la base du problème en litige. Elles se lisent comme suit :

118.3 : Crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique.

(1) Le produit de la multiplication de 4 118 $ par le taux de base pour l'année est déductible dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition, si les conditions suivantes sont réunies

a) le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée;

a.1) les effets de la déficience sont tels que la capacité du particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée;

a.2) un médecin en titre ou, s'il s'agit d'une déficience visuelle, un médecin en titre ou un optométriste atteste, sur formulaire prescrit, que le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée dont les effets sont tels que sa capacité d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée;

b) le particulier présente au ministre l'attestation visée à l'alinéa a.2) pour une année d'imposition;

c) aucun montant représentant soit une rémunération versée à un préposé aux soins du particulier, soit des frais de séjour du particulier dans une maison de santé ou de repos, n'est inclus par le particulier ou par une autre personne dans le calcul d'une déduction en application de l'article 118.2 pour l'année (autrement que par application de l'alinéa 118.2(2)b.1)).

118.3(4) Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social. Le ministre peut obtenir l’avis du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social pour établir si un particulier pour qui un montant est déduit en application des paragraphes (1) ou (2) a une déficience grave et prolongée dont les effets sont tels que sa capacité d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée. Toute personne visée aux paragraphes (1) ou (2) doit fournir, sur demande écrite de ce ministère, des renseignements concernant la déficience d’un particulier et ses effets sur celui-ci.

118.4: Déficience grave et prolongée.

(1) Pour l'application du paragraphe 6(16), des articles 118.2 et 118.3 et du présent paragraphe:

a) une déficience est prolongée si elle dure au moins 12 mois d'affilée ou s'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'elle dure au moins 12 mois d'affilée;

b) la capacité d'un particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée seulement si, même avec des soins thérapeutiques et l'aide des appareils et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours aveugle ou incapable d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif;

c) sont des activités courantes de la vie quotidienne pour un particulier :

(i) la perception, la réflexion et la mémoire,

(ii) le fait de s’alimenter et de s’habiller,

(iii) le fait de parler de façon à se faire comprendre, dans un endroit calme, par une personne de sa connaissance,

(iv) le fait d’entendre de façon à comprendre, dans un endroit calme, une personne de sa connaissance,

(v) les fonctions d'évacuation intestinale ou vésicale,

(vi) le fait de marcher,

d) il est entendu qu'aucune autre activité, y compris le travail, les travaux ménagers et les activités sociales ou récréatives, n'est considérée comme une activité courante de la vie quotidienne.”

Analyse

[16] Un des arguments avancés par l’appelant a été le suivant:

“ Quelles qualifications avez-vous, Monsieur le juge, pour contredire les conclusions de rapports de psychiatres me déclarant une invalidité totale et permanente? ”

La Cour constate en faveur de la lucidité de l’appelant qu’il s’agit d’une question très sensée.

[17] La question en litige que les psychiatres avaient à résoudre était de savoir si l’appelant était à même de continuer à exécuter son travail en tant que technicien en administration au ministère de l’Éducation du Québec (M.E.Q.).

Les conclusions des psychiatres sont claires: monsieur Roussel ne peut continuer son travail.

[18] La question en litige à résoudre par cette Cour est de savoir si les effets de la déficience de l’appelant sont tels que sa capacité d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée au sens des alinéas 118.3(1)a.1) et 118.4(1)c) de la Loi.

[19] Dans son témoignage, l’appelant a été bien honnête et a admis en substance que les effets de sa déficience sont tels que sa capacité d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne n’était pas limitée de façon marquée [par. 13].

De plus, aucun médecin traitant n’a voulu produire un rapport à cet effet tel que requis par l’alinéa 118.3(1)a.2) de la Loi [par. 11]

[20] En fait, sa déficience concerne l’accomplissement de son travail au M.E.Q. en tant que technicien en administration.

Or, les activités concernant le travail sont exclues de même que les travaux ménagers, les activités sociales ou récréatives (118.4(1)d)).

Conclusion

[21] Pour les motifs précités, l’appel est rejeté.

“ Guy Tremblay ”

J.C.C.I.



[1] [1948] R.C.S. 486, 3 DTC 1182, [1948] C.T.C. 195.

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