Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20000324

Dossier: 98-2067-IT-G

ENTRE :

SANTOKH SINGH,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bonner, C.C.I.

[1] L'appel dont il s'agit est interjeté contre une cotisation d'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1993 de l'appelant. Par la cotisation en question, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a refusé la déduction de 150 000 $ demandée par l'appelant en vertu du sous-alinéa 20(1)p)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cette déduction était demandée au titre d'un prêt de 225 000 $ que l'appelant avait consenti à Sergio Pancella en juillet 1992.

[2] Le sous-alinéa 20(1)p)(ii) se lit comme suit :

20. (1) Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1)a), b) et h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition, peuvent être déduites celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée comme s'y rapportant :

[...]

p) le total des montants suivants :

[...]

(ii) les montants dont chacun représente la partie du coût amorti, pour le contribuable, à la fin de l'année d'un prêt ou d'un titre de crédit qu'un contribuable - qui est un assureur ou dont l'entreprise habituelle consiste en partie à prêter de l'argent - a consenti ou acquis dans le cours normal de ses affaires, qu'il a établie comme étant devenue irrécouvrable au cours de l'année;

[3] Les principales questions étaient de savoir si le prêt avait été consenti dans le cours normal des affaires de l'appelant et si l'entreprise habituelle de l'appelant consistait en partie à prêter de l'argent comme l'exige l'alinéa 20(1)p). La position de l'intimée était que l'appelant n'exploitait nullement une entreprise consistant à prêter de l'argent.

[4] L'appelant a été la seule personne à témoigner à l'audition de l'appel. J'estime qu'il a été un témoin digne de foi.

[5] Son témoignage a établi que ses activités consistant à prêter de l'argent avaient commencé en 1988. L'appelant a consenti quatre prêts :

a) un prêt de 8 500 $ à Amrik Walia en 1988;

b) un prêt de 225 000 $ à Sergio Pancella en 1992;

c) un prêt de 100 000 $ à la 659327 Ontario Inc. en 1993;

d) un prêt de 16 000 $ à Michael Gerrior en 1993.

Les activités consistant à prêter de l'argent n'ont pas été un succès. En 1993, l'appelant a cessé de prêter de l'argent à cause de défauts de paiement à l'égard des prêts qu'il avait consentis.

[6] L'appelant est ingénieur titulaire d'un permis. Il travaille comme directeur de projets d'entreprise générale par l'intermédiaire de sociétés qu'il contrôle et qui l'emploient. Les activités de prêt d'argent décrites en preuve n'étaient pas exercées à grande échelle ni organisées d'une manière détaillée. L'appelant n'utilisait pas une ligne téléphonique distincte aux fins de ces activités. Il n'avait pas fait imprimer de cartes d'affaires ou de papier à en-tête. Rien de cela n'était nécessaire pour attirer des emprunteurs potentiels et pour s'occuper des prêts consentis.

[7] Le prêt de 1988 avait été consenti pour permettre à Amrik Walia de faire supprimer une charge grevant un bien qu'il était en train d'acheter. Le compte bancaire personnel de l'appelant était la source de l'argent prêté. Le prêt portait des intérêts à 12 p. 100 par an et était attesté par un billet. L'appelant avait décidé de ne pas prendre de sûreté réelle, car le montant du prêt était faible, et il s'agissait d'un prêt à court terme. L'emprunteur a manqué à ses engagements. L'appelant a intenté une action et a obtenu un jugement, mais n'est pas parvenu à recouvrer l'argent.

[8] Le prêt à M. Pancella a été consenti en juillet 1992 pour aider l'emprunteur à acheter un immeuble à Petrolia (Ontario). Le prêt portait des intérêts à 12 p. 100 par an et devait être remboursé le 31 mars 1993. Il était attesté par un billet. L'appelant n'avait pas pris de sûreté réelle à l'égard du prêt à l'époque où celui-ci avait été consenti. Il avait réuni le montant du prêt, sauf 20 000 $, en empruntant sur les lignes de crédit qu'il avait à des établissements financiers. Pour ce qui est des 20 000 $, il les avait empruntés à une connaissance. Le coût en intérêts de l'emprunt total fait par l'appelant était de 9,45 p. 100. L'appelant et M. Pancella ont discuté de la situation financière de ce dernier en décembre 1992. L'appelant a appris que M. Pancella avait de la difficulté à vendre l'immeuble de Petrolia. Cela a suscité chez l'appelant des inquiétudes quant aux possibilités de recouvrement, inquiétudes qui ont amené l'appelant à prendre des dispositions pour qu'une somme de 75 000 $ soit immédiatement remboursée par M. Pancella. De plus, l'appelant s'est fait céder une hypothèque détenue par un membre de la famille de M. Pancella comme sûreté réelle pour le remboursement du solde de 150 000 $ du prêt initial. Ultérieurement, la sûreté réelle a disparu, lorsqu'un grevant prioritaire a vendu l'immeuble en vertu d'un pouvoir de vente. C'est le refus du ministre d'admettre une déduction à l'égard de cette créance irrécouvrable qui a donné lieu au présent appel.

[9] Dans le cas de la troisième opération, l'emprunteur était la 659327 Ontario Inc., soit une société faisant affaire sous le nom de Nu-West Businesses & Properties. L'appelant avait avancé 50 000 $ à cette entreprise le 2 mars 1993 et 50 000 $ le 5 avril 1993. Des intérêts à 12 p. 100 par an devaient être payés mensuellement. Le prêt devait être remboursé le 31 mars 1994. Il était attesté par un billet. Il avait été consenti pour permettre à l'emprunteur de payer des taxes municipales sur un immeuble lui appartenant. Encore là, l'appelant a réuni le montant du prêt en empruntant sur sa ligne de crédit bancaire. L'emprunteur a payé des intérêts à l'appelant du début jusqu'en mars 1994, puis a manqué à ses engagements. Le principal a été remboursé en mars 1997.

[10] Le quatrième et dernier prêt a été consenti par l'appelant en août 1993, à Michael Gerrior, un vendeur de voitures d'occasion qui avait besoin de 16 000 $ pour payer les frais d'expédition de voitures en Europe. L'appelant a emprunté une partie du montant du prêt sur une carte Visa, et le reste sur une autre carte de crédit. L'emprunteur a manqué à ses engagements. L'appelant a intenté une action contre l'emprunteur, mais a été incapable de recouvrer son argent.

[11] L'appelant doit établir que son entreprise habituelle consistait en partie à prêter de l'argent et que c'est dans le cours normal de ses affaires qu'il a consenti le prêt à M. Pancella.

[12] Dans l'affaire Morflot Freightliners Limited c. La Reine[1], à la page 7 (DTC : à la page 5185), le juge Strayer (titre qu'il portait alors) a fait remarquer que “ [...] dans des affaires comme celle-ci, [...] il faut considérer la situation par rapport à la pratique commerciale [...] ”. À mon sens, lorsque les faits sont considérés de cette manière, il est clair que, en consentant les prêts, l'appelant se lançait dans le domaine du prêt d'argent. Il évaluait les possibilités de prêt et considérait à la fois le gain potentiel pour lui-même et la capacité de remboursement des emprunteurs. Il obtenait une sûreté réelle lorsque c'était possible. Les prêts semblent avoir été consentis à des taux d'intérêt commerciaux ordinaires. Les prêts, quoique peu nombreux, n'étaient guère différents des opérations d'un prêteur d'argent commercial ordinaire. Les prêts de 1992 et de 1993 ne représentaient pas des investissements de capitaux propres de l'appelant. Ils ont été consentis grâce à de l'argent emprunté à un taux d'intérêt qui, espérait l'appelant, serait inférieur aux intérêts gagnés. En bref, l'appelant s'attendait à gagner de l'argent grâce à l'écart entre les deux taux, comme dans le cas d'opérations d'autres prêteurs commerciaux. Ni le fait que l'opération s'est révélée un échec ni le fait qu'elle a été de courte durée n'étayent une conclusion selon laquelle il ne s'agissait pas d'une entreprise commerciale ordinaire. Comme de l'argent a été emprunté pour consentir les trois derniers prêts, on ne peut dire que les prêts étaient de simples investissements de capitaux accumulés. Une entreprise qui en est à ses débuts n'en demeure pas moins une entreprise. L'appelant répond donc à la première partie du critère de l'alinéa 20(1)p).

[13] À mon avis, c'est dans le cours normal de ses affaires que l'appelant a consenti le prêt à M. Pancella. Aucune circonstance relative aux modalités du prêt ne permettrait de dire que ce n'était pas dans le cours normal de ses affaires que l'appelant avait consenti ce prêt. Les opérations subséquentes sont pertinentes en ce qu'elles indiquent une ligne de conduite[2]. L'appelant répond donc à la deuxième partie du critère de l'alinéa 20(1)p).

[14] Rien n'indiquait que la créance sur M. Pancella n'était pas devenue irrécouvrable en 1993. Pour les motifs énoncés précédemment, l'appel est admis, avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre pour nouvelle cotisation au motif que l'appelant a droit à la déduction en question.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de mars 2000.

“ M. J. Bonner ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 10e jour de novembre 2000.

Benoît Charron, réviseur



[1]        C.F. 1re inst., no T-1048-87, 23 mars 1989 (89 DTC 5182).

[2]        Osler, Hammond and Nanton Ltd. v. M.N.R., 63 DTC 1119 (C.S.C.).

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