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Date: 19991012

Dossier: 1999-1227-IT-I

ENTRE :

PERRY PILON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] Le présent appel a été entendu à Edmonton (Alberta) le 30 août 1999.

[2] Le litige porte sur la somme de 13 435 $ que l'appelant a déduite de son revenu et qui représente la pension alimentaire ou l’allocation pour subvenir aux besoins des ses enfants versée par lui à sa conjointe dont il vivait séparé durant l'année d'imposition 1996. Dans sa déclaration de revenus pour cette année d’imposition, l'appelant n’a pas déduit cette somme de son revenu. Le ministre du Revenu national (le “ministre ”) avait d’abord accepté la déduction dans une nouvelle cotisation établie le 14 octobre 1997 puis l’avait refusée dans une cotisation ultérieure établie le 18 novembre 1997.

[3] L'appelant admet certaines des hypothèses de fait sur lesquelles le ministre se serait appuyé, à savoir les suivantes :

[TRADUCTION]

a) l'appelant et sa conjointe se sont séparés en janvier 1996;

b) aux termes d’une ordonnance écrite d'un tribunal datée du 2 décembre 1996, l'appelant devait payer 1 500 $ par mois, à compter du 15 décembre 1996, pour subvenir aux besoins des cinq enfants mineurs issus du mariage;

c) le 18 juin 1997, l'appelant et sa conjointe ont signé un accord écrit en vertu duquel l'appelant devait verser 1 300 $ par mois jusqu’au 31 décembre 1996 pour subvenir aux besoins des cinq enfants mineurs issus du mariage; un nouvel accord devait être rédigé pour 1997;

d) la phrase suivante : “ Les versements de pension alimentaire pour les enfants ont commencé le 1er février 1996, avant que le présent accord soit signé ” (la “ phrase additionnelle ”) a été ajoutée au bas de l’accord conclu le 18 juin 1997.

[4] L'appelant conteste, cependant, les hypothèses de fait suivantes :

[TRADUCTION]

e) la phrase additionnelle a été ajoutée sans le consentement de la conjointe de l'appelant;

f) les paiements antérieurs n’ont pas été considérés comme payés et reçus au titre d’un accord écrit ou d’une ordonnance rendue par un tribunal compétent.

[5] La question en litige est simple : la somme en cause peut-elle être légalement et légitimement déduite du revenu de l'appelant pour l'année d'imposition 1996?

Le droit

[6] Les dispositions pertinentes de la Loi de l’impôt sur le revenu sont les suivantes :

60 b)

b) Pensions alimentaires – un montant payé par le contribuable au cours de l'année [...] en vertu d’un accord écrit, à titre de pension alimentaire [...] payable périodiquement pour subvenir aux besoins [...] d’enfants [du bénéficiaire...] si le contribuable, pour cause d’échec de son mariage, vivait séparé de son conjoint [...] à qui il était tenu d’effectuer le paiement, au moment où le paiement a été effectué...

60.1(3)

(3) Paiements antérieurs. Pour l’application [...] de l’article 60, lorsqu’[...]un accord écrit, établi à un moment d’une année d’imposition, prévoit que tout montant payé avant ce moment et au cours [...] de l'année d'imposition précédente est considéré comme payé et reçu au titre [...] de l’accord, le montant est réputé payé à ce titre.

[7] Les parties m’ont cité les décisions ci-dessous, et je les ai prises en considération :

Chabros v. Her Majesty the Queen, 95 DTC 5247 (C.A.F.)

Chabros c. Sa Majesté la Reine, 12 février 1992, non publiée (C.C.I.)

Stewart v. The Minister of National Revenue, 4 janvier 1990, non publiée (C.C.I.)

MacLachlin v. The Minister of National Revenue, 6 décembre 1991, non publiée (C.C.I.)

Von Neudegg c. Sa Majesté la Reine, 9 février 1999, non publiée (C.C.I.).

[8] Je tiens particulièrement compte de ce passage tiré de l’arrêt Chabros de la Cour d'appel fédérale :

[...] cette disposition énonce très clairement que l’accord de séparation, à la différence de la clause 14 (ci-dessus) doit prévoir que les sommes versées antérieurement seront considérées comme ayant été versées et reçues en vertu dudit accord. (Je souligne.)

Dans la clause 14 dont il est question dans l'affaire Chabros, un des conjoints reconnaissait simplement que l’autre lui avait versé des aliments dans une année antérieure.

Les faits

[9] Les dispositions pertinentes de l’accord conclu en l'espèce sont ainsi libellées :

[TRADUCTION]

La présente vise à confirmer que les parties, Perry J. Pilon et Dorothy A. Pilon, ont conclu un accord verbal lors de leur séparation en janvier 1996. Cet accord prévoit ce qui suit :

Perry J. Pilon verse à Dorothy A. Pilon une pension alimentaire de 1 300 $ par mois pour les enfants, soit 260 $ par mois par enfant. Cet accord est en vigueur jusqu’au 31 décembre 1996. Un autre accord sera rédigé pour 1997.

[10] Il ressort clairement de la preuve de l'appelant qu’il s’est séparé de sa conjointe en janvier 1996. Il lui a ensuite fait, durant toute l’année 1996 et généralement à raison de 1 300 $ par mois, des paiements totalisant 13 435 $. Le 2 décembre 1996, la Cour provinciale de la Saskatchewan a rendu une ordonnance prévoyant que l'appelant devait verser 1 500 $ par mois à sa conjointe pour leurs enfants à compter du 15 décembre 1996. L'appelant travaillait dans le Nord et il n’était pas au courant des modalités de cette ordonnance.

[11] Il convient de faire remarquer que l’accord écrit entre les parties a été conclu le 18 juin 1997, c'est-à-dire cinq mois et demi après la fin de l'année d'imposition 1996. Il ressort de la preuve que la mère de l'appelant a rédigé l’accord après que celui-ci eut discuté de l'affaire avec des agents de Revenu Canada. Il est clair que l'appelant n’est pas un homme très instruit et qu’il s’est fié à d’autres personnes pour faire ce qui était requis dans les circonstances. Quoi qu'il en soit, l’accord ne portait que sur les paiements de pension alimentaire pour les enfants durant 1996. Il n’était pas question, dans l’accord, de l'année 1997, pour laquelle les parties devaient soit conclure un nouvel accord, soit s'en tenir à l’ordonnance rendue par le tribunal de la famille. La conjointe de l'appelant a signé l’accord tel qu’il avait été présenté.

[12] Il ressort clairement de la preuve de l'appelant — et il a été tout à fait honnête à cet égard — que sa conjointe et lui avaient signé l’accord et qu’il y avait eu d’autres discussions avec Revenu Canada avant que ne soit ajoutée à l'accord la dernière phrase : “ Les versements de pension alimentaire pour les enfants ont commencé le 1er février 1996, avant que le présent accord soit signé. ” Sa conjointe n’a pas paraphé la modification, mais il a déclaré qu’elle y avait consenti verbalement. Ainsi, le tribunal ne peut considérer la phrase additionnelle comme faisant partie de l’accord “ signé ” puisque ce n’est pas le cas.

[13] Revenu Canada, dans une lettre datée du 6 novembre 1997 envoyée lors de l’établissement de la nouvelle cotisation, et le ministre, dans la Réponse à l’avis d’appel, motivent la décision de refuser la déduction par le fait que [TRADUCTION] : “ l’accord écrit ne dit pas que les paiements antérieurs ont été effectués au titre de l’accord ” et que “ les paiements antérieurs n'ont pas été considérés comme payés et reçus au titre d’un accord écrit... ”. (Je souligne.)

[14] La position du ministre se fonde sur le fait qu'il n'y a rien dans l’accord qui prévoit que les paiements effectués durant l'année d'imposition 1996 sont considérés comme payés et reçus au titre de cet accord. À cet égard, le ministre s’appuie sur la décision Chabros, entre autres. Il semble, selon moi, y avoir une distinction fondamentale entre l’affaire Chabros et la présente affaire. Dans Chabros, l’accord créait une obligation future et mentionnait simplement le fait que des paiements antérieurs avaient été faits. Toutefois, il ne créait aucune obligation légale en ce qui concernait le passé. En l'espèce, l’accord en question ratifie une entente verbale intervenue lors de la séparation (janvier 1996) et, dans la mesure où les paiements n’étaient pas effectués (et certains ne l’ont pas été), crée une obligation légale dont la conjointe bénéficiaire pourrait exiger l’exécution. L’accord, de par sa nature même, ne vise pas des obligations pour 1997 mais des obligations pour 1996, et les paiements faits ne se rapportent qu’à ces obligations. Il ne semble pas, selon moi, y avoir de façon plus claire de s'assurer que les paiements se font au titre de l’accord que de dire qu’ils seront faits conformément aux modalités de l’accord. Manifestement, dans ce contexte, l’accord “ prévoit ”.

[15] Selon le libellé du paragraphe 60.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’accord doit non pas déclarer mais bien prévoir que les sommes payées avant la conclusion de l’accord sont “ considéré[es] comme payé[es] ” au titre de l’accord. En termes simples, cela signifie prendre des dispositions pour qu'elles soient ainsi considérées. La conjointe bénéficiaire en l'espèce n’aurait pas pu demander que les mêmes montants soient payés une seconde fois, et, ainsi, la seule conclusion logique qu’il est possible de tirer est celle selon laquelle les paiements faits en 1996 devaient être considérés comme ayant été faits et reçus au titre de l’accord. Si le document crée une obligation légale de payer et parle de paiements mensuels à effectuer et si les paiements déjà faits ne peuvent plus être réclamés, alors il faut considérer qu’ils ont été faits et reçus au titre de ce document. C’est ce que prévoit le document. La stipulation n’est peut-être pas formulée en termes aussi simples que c'est souvent le cas, mais selon moi, c’est ce que le document “ prévoit ” clairement.

[16] L’accord ne portait pas sur d’autres paiements, et on ne pourrait pas dire qu’il portait sur d’autres paiements. Ainsi, il “ prévoyait ”, en ce sens qu’il prenait des dispositions pour que ces paiements soient ceux qui étaient exigibles en vertu de l’accord, ou qu'il stipulait qu'ils l'étaient. Contrairement aux accords dont il est question dans les décisions que me cite l’avocat, lesquels, dans un sens, ne représentaient rien d’autre que des reconnaissances de paiements antérieurs, des confirmations ou des reçus, l’accord en l'espèce crée une obligation réelle ou, à tout le moins, ratifie une obligation existante. Si les paiements faits durant 1996 ne doivent pas être considérés comme l'ayant été au titre de cet accord, il faut alors se demander en vertu de quoi d'autre ils pourraient être considérés comme ayant été effectués.

Conclusion

[17] De toute évidence, à mon avis, l’accord prévoit que les sommes payées en 1996 doivent être considérées comme ayant été payées conformément à ses modalités. Son libellé n’est pas aussi succinct qu’il aurait pu l’être, mais c'est ce qu'il dit faire et ce qu'il fait. L’appel est donc admis.

Signé à Calgary, Alberta, ce 12e jour d’octobre 1999.

“Michael H. Porter”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 9e jour de juin 2000.

Erich Klein, réviseur

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