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Date : 20000301

Dossier : 98-514-IT-G

ENTRE :

WILLIAM H. JOHNSTON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bell, C.C.I.

QUESTIONS

[1] 1. Au cours de son année d’imposition 1993, l’appelant a-t-il subi une perte autre qu’une perte en capital de 57 000 $ relativement à une “ coentreprise ”?

2. Si l’appelant n’a pas le droit de déduire ce montant à titre de perte autre qu’une perte en capital, peut-il demander la déduction d’une perte déductible au titre d’un placement d’entreprise à l'égard de la “ coentreprise ”?

FAITS

[2] Je citerai un certain nombre de déclarations tirées de l’énoncé conjoint des faits, que je compléterai par les témoignages faits de vive voix.

[3] Les parties ont déposé un énoncé conjoint partiel des faits. Celui-ci a été complété par le témoignage de l’appelant et de plusieurs autres personnes ayant participé aux “ activités de la coentreprise ”.

[4] Un certain Wayne Sheldon Leard (“ M. Leard ”) a constitué un certain nombre de sociétés dont une sous la raison sociale WSL Sales Inc. (“ WSL ”) et une autre sous la raison sociale Wayne S. Leard Holdings Inc. (“ Holdings ”). Ces deux sociétés ont employé un stratagème frauduleux pour leurrer des personnes qui étaient disposées à avancer de l’argent à un grand nombre de coentreprises.

[5] M. Leard, ou l’une des compagnies, demandait à des personnes de fournir un chèque en conformité avec les modalités d’une entente de coentreprise, en échange de quoi ces personnes recevaient un billet à ordre et un chèque postdaté. Dans un laps de temps assez court, par exemple dans les trente-cinq à quarante-cinq jours suivants, un représentant de M. Leard ou de sa compagnie récupérait le chèque postdaté et remettait au coentrepreneur un chèque représentant l’avance initiale plus un montant supplémentaire. C’est ainsi qu’on attirait d’autres coentrepreneurs. Les sommes reçues par M. Leard ou ses compagnies aux termes des ententes de coentreprise étaient souvent utilisées pour l'usage personnel de ce dernier et pour payer aux coentrepreneurs précédents l’avance initiale qu’ils avaient consentie plus un montant supplémentaire.

[6] Le stratagème frauduleux employé par M. Leard et ses compagnies consistait à convaincre des personnes d’investir dans l’achat de marchandises excédentaires ou provenant d’entreprises en faillite en vue de les revendre avec bénéfice dans un court laps de temps. En fait, dans quatre-vingt-dix pour cent des cas, ces transactions n’ont pas eu lieu. M. Leard et ses compagnies achetaient des marchandises, les faisait expédier dans des entrepôts qu’ils louaient, embauchaient des employés et vendaient les marchandises à un prix inférieur au prix d’achat, ce qui leur procurait une façade pour justifier le stratagème frauduleux ou le rendre crédible. Cette opération “ pyramidale ” a attiré environ 230 participants.

[7] L’appelant a participé à cinq coentreprises distinctes avec WSL en 1992. Cette compagnie n’a jamais eu l’intention de respecter ses obligations aux termes des ententes conclues. Aucune marchandise n’a en fait été acquise en conformité avec les modalités de la cinquième coentreprise[1]. Il est admis qu’on ne peut établir avec certitude si des marchandises ont été acquises aux termes des quatre premières ententes de coentreprise.

[8] L’appelant n’était pas au courant du stratagème frauduleux pendant la période où il a avancé des fonds aux termes des ententes de coentreprise. En ce qui concerne chacune des quatre premières coentreprises, l’appelant a versé un certain montant et a reçu peu de temps après un montant supérieur à celui qu'il avait versé. Le montant total qu’il a reçu en sus de ses contributions aux termes des quatre premières ententes de coentreprise s’élevait à 31 460 $.

[9] Des copies des cinq ententes de coentreprise ont été versées au dossier de la Cour. Dans chaque cas, l’entente avait été conclue entre WSL et William Johnston. Ces ententes précisaient respectivement que WSL avait de l’expérience dans l’achat de stocks en vrac et dans la revente rapide de ceux-ci, et qu’elle-même et M. Johnston avaient convenu de constituer une entreprise aux fins de l'achat et de la revente de ces stocks. Les parties pertinentes de la cinquième entente, qui est représentative des autres, sont ainsi libellées :

[TRADUCTION]

But

WSL et le coentrepreneur constituent par les présentes une coentreprise aux fins de l'achat et de la revente du stock [...] décrit ci-dessous :

Achat de papier ciré

Prêt

Le coentrepreneur et WSL conviennent de financer les activités de l’entreprise en prêtant à la coentreprise le montant indiqué en regard de leur nom respectif à la date indiquée ci-dessous ou avant :

[10] Suivaient le montant du prêt et la date à laquelle celui-ci devait être versé par le coentrepreneur et WSL. D’autres dispositions de l’entente sont décrites ci-après relativement au billet à ordre remis aux termes de la cinquième coentreprise.

[11] Le document énonçait ensuite un certain nombre de responsabilités et d’activités du coentrepreneur, puis il précisait les engagements du coentrepreneur, notamment aider WSL à concevoir la stratégie de vente et de mise en marché et à trouver des acheteurs potentiels et consulter WSL de temps à autre relativement à tous les aspects de la coentreprise.

[12] Les cinq ententes de coentreprise contenaient le paragraphe suivant :

[TRADUCTION]

Garantie

Wayne S. Leard [...] garantit par les présentes que le coentrepreneur recevra le remboursement intégral de son prêt; si, après répartition des recettes nettes de la coentreprise, le prêt du coentrepreneur n’a pas été remboursé intégralement, Wayne S. Leard s’empressera de verser le solde dû. Il est entendu et convenu que Wayne S. Leard garantit le remboursement du prêt consenti par le coentrepreneur à la coentreprise à titre de débiteur principal et non pas à titre de caution.

[13] Les cinq ententes indiquées ci-après portaient, dans l’ordre, sur l’achat de lotion d’aloès ordinaire, de Tops N Trends, de machines à coudre, de produits Raleigh et, enfin, dans le cas de la cinquième entreprise, de papier ciré. La cinquième entente de coentreprise a été conclue entre WSL Sales et l’appelant le 14 décembre 1992. Elle prévoyait une contribution de 57 000 $ de la part de l’appelant. Alors qu’aucune contribution de WSL n’était indiquée dans cette entente, les contributions de WSL et de l’appelant prévues par chacune des quatre ententes antérieures étaient les suivantes :

Entente du 20 mai 1992 Coentrepreneur Prêt de 25 000 $

WSL Prêt de 37 5000 $

+ taxes, etc.

Entente du 5 juillet 1992 Coentrepreneur Prêt de 30 000 $

WSL Prêt de 560 200 $

Entente du 28 août 1992 Coentrepreneur Prêt de 35 000$

WSL Prêt de 1 215 000 $

Entente du 13 octobre 1992 Coentrepreneur Prêt de 50 000 $

WSL Prêt de 890 000 $

Entente du 14 décembre 1992 Coentrepreneur Prêt de 57 000 $

WSL        $

[14] Une requête de mise en faillite de M. Leard et de ses compagnies a été déposée en avril 1993, le stratagème ayant échoué parce que M. Leard avait été incapable de trouver des fonds pour continuer à payer les personnes ayant investi dans les opérations pyramidales.

[15] Le syndic de faillite a recouvré des montants auprès des investisseurs qui avaient réalisé des bénéfices en faisant affaire avec M. Leard ou ses compagnies, et ces montants ont été distribués aux créanciers.

[16] Dans sa déclaration de revenu pour son année d’imposition 1993, l’appelant a fait état d’une perte au titre d’un placement d’entreprise de 25 540 $ et en a déduit 75 p. 100, soit 19 155 $, à titre de perte déductible au titre d’un placement d’entreprise relativement à sa cinquième et dernière coentreprise. Pour arriver au montant de 25 540 $, l’appelant a déduit la somme de 31 460 $, reçue en excédent de ses contributions totales aux quatre premières coentreprises, de sa contribution de 57 000 $. Le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a refusé la déduction d’une perte déductible au titre d’un placement d’entreprise et a informé l’appelant qu’il avait une perte en capital de 25 540 $. L’appelant a alors déposé un avis d’opposition relativement à l'année d’imposition 1993, dans lequel il réclamait la déduction d’un montant de 25 540 $ à titre de perte d’entreprise.

[17] Lors de son témoignage, l’appelant a déclaré qu’on ne lui avait jamais demandé d’aider WSL de quelque manière que ce soit à mener à bien les coentreprises auxquelles il participait. Il a déclaré avoir cru comprendre que les bénéfices seraient partagés également entre WSL et lui-même. Il n’a jamais demandé de rapports financiers. Il a affirmé que rien n’avait éveillé ses soupçons au cours de la période. Il n’avait pas remarqué que le montant de la contribution de WSL n’était pas précisé dans la cinquième entente de coentreprise. Il a également déclaré que sa perte réelle s’élevait en bout de ligne à 55 008 $ parce que, sur le montant de 57 000 $ avancé, il avait reçu 1 992 $ par suite de la distribution. Il a également témoigné qu’il avait cru comprendre que M. Leard achetait les marchandises à des prix supérieurs aux prix de vente, comme il est précisé dans le rapport du syndic de faillite, et que ce genre d’activité ne pouvait pas générer de bénéfice. Il a déclaré qu’il ne savait ni ce qu’était “ Tops N Trends ” ni s’ils avaient été acquis. Il a admis qu’il ne savait rien si ce n’est qu’on lui avait dit qu’il pourrait peut-être faire de l’argent en investissant dans WSL Sales. Il a déclaré qu’il n’était pas au courant des activités de M. Leard.

[18] M. Johnston a également dit que, selon son interprétation de la nature de l’entente de coentreprise, il investirait un certain montant d’argent, WSL en ferait autant et il recevrait un pourcentage des bénéfices. Il a en outre déclaré que, si les marchandises n’étaient pas achetées :

[TRADUCTION]

L’argent me serait remboursé si les marchandises n’étaient pas acquises.

[19] Il a déclaré qu’il s’était rendu à l’entrepôt de WSL Sales à une occasion et qu’il y avait vu des camescopes, des sacs à déchet, de la coutellerie, des vélos d’exercice, des appareils de télévision et d’autres marchandises qui étaient livrées à l’entrepôt ou en sortaient. Il a également déclaré qu’il avait vu des employés y apporter des marchandises et en expédier. Il a dit s’être fié en grande partie à un ami de longue date, Brian McDonnell, qu’il a décrit comme un homme d’affaires très avisé. Il estimait que d’autres auraient fait diligence raisonnable, et il a nommé quatre personnes qui étaient des “ gens d’affaires bien connus ”.

[20] Il est indiqué que la cinquième entente de coentreprise a été signée le quatorzième jour de décembre 1992. L’appelant a reçu un billet à ordre qui est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

BILLET À ORDRE

57 000 $

En contrepartie du montant reçu, la soussignée, WSL Sales Inc., pour le compte et au nom de la coentreprise (la “ coentreprise ”) mentionnée dans l’entente de coentreprise (l’“ entente de coentreprise ”) signée le 14e jour de décembre 1992 entre la soussignée et William Johnston (le “ détenteur ”), promet par les présentes de verser au détenteur le principal de cinquante-sept mille dollars (57 000 $), sans intérêt.

Le présent billet à ordre est celui mentionné à l’article 2 de l’entente de coentreprise et il est donc assujetti aux modalités de cette entente.

Le principal du présent billet à ordre devient échu et exigible suivant les modalités de l’entente de coentreprise.

Le présent billet à ordre ne peut être cédé par le détenteur sans le consentement préalable de la coentreprise.

La soussignée renonce par les présentes, pour le compte et au nom de la coentreprise, à la présentation à l’encaissement, à la réclamation, à l’avis de refus, au protêt et à la dénonciation de protêt.

WSL SALES INC. pour le compte et au nom de la coentreprise

Par “ Wayne Leard ”   

Mandant dûment autorisé

[21] La clause 2 de l’entente de coentreprise se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Tous les fonds ainsi avancés sont payables à WSL pour le compte et au nom de la coentreprise, et WSL garde les fonds ainsi reçus en fiducie pour la coentreprise et délivre au nom de cette dernière un billet à ordre attestant de l’avance de fonds.

[22] L’une des modalités de l’entente de coentreprise à laquelle le billet à ordre était assujetti est prévue au paragraphe 3, qui est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

Durée

La coentreprise commence le jour de la signature de la présente entente et se termine à la date à laquelle le stock aura été écoulé et à laquelle WSL aura procédé à la distribution finale et présenté son rapport au coentrepreneur. La durée de la coentreprise ne devrait pas dépasser douze mois. Si WSL est incapable d’acheter le stock, WSL s’empressera de retourner les fonds reçus du coentrepreneur et la présente entente ainsi que la coentreprise prendront fin.

[23] A également été versée au dossier de la Cour relativement à la cinquième entente de coentreprise une photocopie d’un chèque de 57 000 $ daté du 23 janvier 1993, que Wayne S. Leard Holdings Inc. a libellé au nom de l’appelant et qui porte la mention “ objet : papier ciré ”. L’appelant a déclaré qu’il avait cru que le papier ciré n’avait pas été acheté et que son argent lui était retourné. Il a également déclaré qu’il n’avait pas déposé le chèque à la banque parce que Jack Asbury, qui travaillait avec M. Leard, lui avait demandé d’attendre quelques semaines avant d’encaisser le chèque parce qu’ils éprouvaient des problèmes financiers. Il a déclaré avoir entendu dire par la suite que “ la compagnie était en faillite ” et que le chèque n’était pas valide; il ne l’avait pas déposé à la banque parce qu’il estimait qu’il serait sans provision.

[24] Au cours du contre-interrogatoire, l’appelant a eu l’échange suivant avec l’avocat de l’intimée relativement au stock :

[TRADUCTION]

Q. Je comprends, mais vous comprenez qu’il ressort des faits sur lesquels les parties se sont entendues, après enquête et autres activités du genre, que 90 p. 100 de ces ententes de coentreprise n’ont pas donné lieu à l’acquisition de stocks?

R. Oui. C’est ce qui est énoncé dans les... oui.

Q. Et vous comprenez également que les autres 10 p. 100 ont été utilisées par M. Leard et ses compagnies comme façade dans les faits pour commettre la fraude. N’est-ce pas cela?

R. Oui.

Q. Et vous comprenez également que, dans bon nombre de cas, M. Leard payait un coentrepreneur avec l’argent qu’il avait obtenu d’un autre coentrepreneur?

R. Oui.

Q. Et vous comprenez aussi que M. Leard a, semble-t-il, versé des montants supérieurs au prix qu’il exigeait ensuite pour les produits?

R. On dirait, oui.

Q. Par conséquent, il payait les marchandises plus cher qu’il ne les vendait dans le but de laisser croire à une activité commerciale?

R. Il semble que c’est ainsi que les choses se passaient.

Q. Et il n’y a aucun doute dans votre esprit qu’une entreprise exploitée de cette manière ne pouvait générer de bénéfices, n’est-ce pas?

R. Elle ne pouvait pas le faire.

Q. Et elle ne pouvait pas non plus générer des bénéfices si M. Leard utilisait de façon continue l’avance faite par un coentrepreneur pour payer un autre coentrepreneur, n’est-ce pas?

R. Non, elle ne pouvait pas le faire.

Q. Finalement, il en est venu à ne plus trouver personne pour avancer des fonds à ces coentreprises, n’est-ce pas?

R. Je crois que c’est ce qui s’est produit.

[25] L’appelant a déclaré qu’il n’avait pas fait d’enquête très poussée sur M. Leard ou ses compagnies, qu’il s’était plutôt fié aux avis d’autres personnes.

[26] Est reproduite ci-dessous une autre partie de l’échange entre l’avocat de l’intimée et l’appelant.

[TRADUCTION]

Q. Avez-vous reçu un état de WSL indiquant ce qu’était “ Tops N Trends ”?

R. Non, je n’en ai pas reçu.

Q. Vous ne savez toujours pas aujourd’hui ce qu’est “ Tops N Trends ”?

R. Non, je ne le sais pas.

[27] Il a ensuite déclaré qu’il ne savait pas si cette marchandise avait été acquise, qu’il n’avait pas reçu d’état financier indiquant les bénéfices réalisés dans le cadre de cette coentreprise, qu’il ne savait pas si le montant retourné pouvait être rattaché à une activité commerciale quelconque, qu’il ne connaissait ni le prix du stock ni le prix de vente prévu, que tout ce qu’il savait c’était qu’on lui avait dit qu’il pourrait peut-être faire de l’argent en investissant avec WSL. Il a déclaré qu’il ne s’était jamais demandé pourquoi WSL avait signé une entente aux termes de laquelle elle contribuait un montant de 560 000 $ et lui-même, 30 000 $ seulement, alors que les bénéfices devaient être partagés à parts égales. Il a déclaré qu’il n’avait pas réfléchi à sa contribution possible à l’effort de vente, qu’il n’avait pas posé de questions à ce sujet à M. Leard et que sa participation était totalement passive en ce qui concerne cette coentreprise. Il a ensuite admis qu’il s’était quelque peu laissé aveugler par l’appât du gain en faisant ces tractations avec WSL.

[28] L’appelant a admis que l’achat et la vente de marchandises se faisaient de telle manière qu’il était impossible de réaliser un profit. En ce qui concerne la cinquième coentreprise examinée, l’échange qui suit a eu lieu entre l’avocat de l’intimée et l’appelant :

[TRADUCTION]

Q. Bon, vous indiquez dans votre avis d’appel que WSL vous devait un montant de 57 000 $ en 1993?

R. Oui.

Q. Comment cette créance est-elle née?

R. Eh bien, je leur ai simplement remis un chèque de 57 000 $ pour acheter du papier ciré, mais la transaction n’a pas eu lieu.

Q. Bon, vous n’êtes pas en train de dire qu’il y avait un stock de papier ciré que M. Leard, ou WSL, avait l’intention d’acheter, n’est-ce pas?

R. Non, je ne sais pas.

Q. Donc, vous avez donné à M. Leard ou à sa compagnie un montant de 57 000 $, qu’ils avaient l’intention d’empocher?

R. Je suppose que c’est ce qu'on pourrait dire.

[...]

Q. [...] Vous n’avez jamais prêté 57 000 $ à la compagnie, n’est-ce pas? Vous l’avez prêté à la coentreprise, c’est cela?

R. La coentreprise, oui.

Q. Et s’il y avait une créance envers la compagnie, c’est parce qu’elle n’avait pas respecté les modalités de la coentreprise. Je crois comprendre que c’est ce que vous dites?

R. Oui.

Q. Donc, vous seriez d’accord pour dire que vous n’avez pas acquis cette créance dans le but de gagner un revenu?

[29] Les avocats de l’appelant se sont opposés à cette question au motif qu'il s'agissait d'une conclusion juridique.

[30] Les avocats de l’appelant ont appelé Brian McDonnell à témoigner. Il a affirmé qu’il avait fait preuve de diligence raisonnable pour vérifier les antécédents de M. Leard et visiter les locaux où M. Leard et WSL entreposaient des biens de tous genres dans le but de les vendre avec l’aide de 25 à 30 employés, qui manipulaient ces biens.

[31] Un certain M. Lacey, qui a témoigné pour le compte de l’appelant, a décrit entre autres choses la nature des activités de M. Leard et de WSL relativement à la marchandise, de toute évidence dans le but d’établir qu’elles semblaient légitimes.

[32] Un certain M. Suchard a témoigné dans le même sens et a décrit les lieux où “ tous les genres de marchandises imaginables ” étaient présentés. Le restant de sa déposition n’est d’aucune utilité pour trancher l’appel qui nous occupe.

[33] L’avocat de l’intimée a consigné en preuve certaines parties de son interrogatoire de l’appelant. Celui-ci y déclare qu’il n’avait pas cherché à savoir pourquoi la contribution de WSL dans la coentreprise devait différer de la sienne alors qu’elle n’allait toucher que 50 p. 100 des bénéfices. En ce qui concerne la coentreprise d’achat de lotion d’aloès ordinaire, il ne connaissait pas le montant de la contribution prévue de WSL et il n’était pas en mesure de dire si le produit en question avait été acheté. Il a également déclaré qu’il n’avait pas reçu d’état financier relativement aux coentreprises. Il a affirmé qu’il ne savait pas si le produit appelé “ Tops N Trends ” avait été acheté, ni ne pouvait dire ce que contenait ce présumé stock.

[34] L’échange suivant a eu lieu :

[TRADUCTION]

Q. Selon vous, M. Leard, par l’entremise de WSL, a simplement pris votre argent?

R. Oui

Q. Et, à ce que vous sachiez, il a pu s’en servir à toutes sortes de fins?

R. Oui.

[35] L’appelant a déclaré qu’il ne savait pas quels produits Raleigh avaient été achetés ni, en fait, si de tels produits avaient été achetés. Il a également dit qu’il n’y avait pas eu d’achat de papier ciré, ce qui a donné lieu à l’échange qui suit au sujet de la cinquième coentreprise :

[TRADUCTION]

Q. Je remarque que, dans ce cas, il n’y a aucune mention d’une contribution de WSL. Le voyez-vous?

R. Oui, je le vois.

Q. Avez-vous signé cette entente sachant que vous deviez contribuer 57 000 $ et WSL, rien du tout?

R. Je ne m’en souviens pas.

Q. Je vais reformuler ma question. Avez-vous des renseignements qui indiqueraient que WSL devait absolument contribuer quelque montant que ce soit?

R. Je ne suis pas sûr.

Q. S’agit-il de l’entente intégrale qui a été signée en décembre 1992?

R. Oui.

M. GALWAY : À ce que nous sachions.

LE DÉPOSANT : À ce que je sache, en effet.

Q. [...] Avez-vous d’autres sources de renseignements, hormis les modalités des ententes de coentreprise elles-mêmes, relativement à cette coentreprise?

R. Non, je n’en ai pas.

[...]

Q. Êtes-vous au courant d’un plan d’activités établi par M. Leard ou ses compagnies?

R. Non.

Q. Vous a-t-on fourni des prospectus concernant votre placement?

R. Non.

[36] L’appelant a ensuite déclaré qu’il ne savait pas ce que l’acquisition du stock allait coûter, qu’il n’en connaissait pas le prix de vente, qu’il ne savait pas si M. Leard ou ses compagnies investissaient quelque argent que ce soit, qu’il ne s’était acquitté d’aucune des tâches prévues dans l’entente et qu’il ne savait pas à quelles vérifications les autres avaient procédé pour obtenir l’assurance que M. Leard était fiable.

OBSERVATIONS DE L’APPELANT

[37] L’appelant prétend qu’il a le droit de déduire une “ perte d’entreprise ”[2] de 57 000 $ pour son année d’imposition 1993 relativement à la cinquième entente de coentreprise conclue avec WSL. Subsidiairement, l’appelant demande la déduction de 75 p. 100 de la somme de 57 000 $ à titre de perte admissible au titre d’un placement d’entreprise aux termes du paragraphe 38c), de l’alinéa 39(1)c), du sous-alinéa 40(2)g)(ii) et de l’alinéa 50(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la “ Loi ”).

[38] Concernant ses premières observations, l’avocat de l’appelant fait valoir que les activités de ce dernier correspondaient à “ un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial ” au sens de la définition d'“ entreprise ” au paragraphe 248(1) de la Loi, qui est ainsi libellée :

“ entreprise ” ou “ affaire ” comprend une profession, un métier, un commerce, une industrie ou une activité de quelque genre que ce soit et [...] un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial, mais ne comprend pas une charge ou un emploi;

[39] Il a fait valoir qu’une transaction unique peut constituer un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial et a fait référence à l’arrêt Jake Friesen v. H.M.Q., 95 DTC 5551. Dans cette affaire, l’appelant avait acheté avec d’autres personnes un terrain dans le seul but de le revendre avec bénéfice. Le terrain ayant par la suite subi une perte de valeur, M. Friesen a demandé la déduction de la diminution de la valeur à titre de perte d’entreprise, en s’appuyant sur l’article 9 et les paragraphes 10(1)[3] et 248(1) de la Loi. La Cour suprême du Canada a conclu que l’activité était une “ entreprise ”, au sens de la définition de ce terme, constituant une affaire de caractère commercial.

[40] L’avocat a ensuite fait référence à l’arrêt M.N.R. v. Taylor, 56 DTC 1125, souvent cité, dans lequel la Cour de l’Échiquier du Canada a énuméré les critères à appliquer pour déterminer si l’achat et la vente par M. Taylor de 1 500 tonnes de plomb constituait un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial. À la page 1137, le président Thorson a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

J’estime aussi qu’il n’est pas possible de déterminer avec précision la portée de l’expression, ni de formuler un critère pour décider si une transaction donnée constitue une initiative d’un caractère commercial parce que chaque cas doit être tranché selon les faits et les circonstances entourant l’espèce. Cela dit, il est possible d’énoncer avec certitude des propositions de nature négative.

[41] Il a déclaré que c’est la nature de la transaction, non pas son caractère unique ou isolé, qui doit être déterminé. Il a dit, à la page 1139 et aux pages suivantes :

[TRADUCTION]

[...] si l’opération est de la même nature et conduite de la même façon qu’une transaction effectuée par un commerçant ou un négociant ordinaire de biens du même genre que l’objet de l’opération, elle peut à juste titre être qualifiée d’initiative d’un caractère commercial [...]

Il existe en outre la règle bien établie qui veut qu’en raison de la nature et de la quantité de l’objet de l’opération il faille exclure la possibilité que sa vente soit la réalisation d’un investissement, qu’elle soit imputable au capital d’autre façon ou encore que l’on ait pu en disposer autrement qu’en effectuant une opération commerciale [...]

[42] Il a également déclaré qu’il n’est pas essentiel qu’un organisme soit créé pour donner effet à une transaction et que le fait que celle-ci diffère des autres activités du contribuable ne l’empêche pas pour autant de constituer un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial. Il a en outre déclaré que le fait de disposer de marchandises comme le ferait un négociant est un facteur pertinent au même titre que la nature et la quantité de l’objet de la transaction.

[43] L’avocat a ensuite fait référence à la décision Friesen c. Canada, [1995] A.C.I. no 922 (C.C.I.). L’appelant était agent immobilier depuis 1948. En 1974, il a commencé à exploiter une entreprise d’aménagement de terrains, qu’il exploitait toujours à la date de l’audience. Il avait par le passé fait le commerce de biens immeubles en qualité de mandant. En 1983 ou en 1984, il a rencontré un certain Terry Jacobs au cours d’une croisière. M. Jacobs a demandé à M. Friesen de lui prêter de l’argent pour réaliser la vente de trois des cinq maisons qu’il avait achetées à Seattle. M. Friesen s’est rendu à Seattle, a rencontré un acheteur éventuel de l’une des maisons et, à son retour à Winnipeg, a envoyé à M. Jacobs un chèque de 10 000 $. Plus tard, à la suite d’un appel téléphonique de M. Jacobs qui, tout énervé, lui a fait part de difficultés concernant la maison et lui a demandé de lui avancer un autre montant de 12 000 $ pour acheter une autre maison, l’appelant a envoyé un chèque de ce montant à M. Jacobs. Celui-ci a tout simplement volé l’argent de M. Friesen. La Cour canadienne de l’impôt a statué que M. Friesen avait conclu une coentreprise avec M. Jacobs relativement à la première maison et que la coentreprise s’étendait à la seconde maison. Elle a conclu que l’argent avait été utilisé dans le cadre d’une entreprise et que M. Friesen avait le droit de déduire la perte.

[44] L’avocat de l’appelant a ensuite fait référence à la décision Kosowan c. Canada, [1996] A.C.I. no 683, dans laquelle la Cour a déterminé que les appelants avaient avancé des sommes, aux fins d’une entreprise commerciale douteuse qui s’était soldée par un échec, dans le but de réaliser un bénéfice qui revêtait un caractère purement spéculatif. La Cour a déclaré que tout bénéfice réalisé aurait été imposable et qu’en conséquence les sommes avancées étaient considérées comme des débours faits en vue de tirer un revenu d’un projet comportant un risque de caractère commercial.

[45] L’avocat de l’appelant a ensuite fait référence à la décision Kleinfelder v. M.N.R., 91 DTC 913. Dans cette affaire, la Cour a conclu que les sommes avancées pour l’achat et la vente d’automobiles, qui n’ont pu être recouvrées par la suite parce que l’opération n’a jamais eu lieu, n’étaient pas déductibles. Ayant admis que cette affaire ne semblait pas lui être utile en l’espèce, l’avocat de l’appelant a essayé de faire une distinction entre les deux affaires en citant la décision de la Cour à l’appui de sa déclaration selon laquelle il n’y avait ni “ entente officielle ” ni “ véritable structure organisationnelle pour mener à bien la transaction ”. Pour étayer sa position, il a cité les termes “ vagues et imprécis ” employés par la Cour dans la partie des motifs du jugement qui suit, à la page 916 :

L’opération d’achat des automobiles n’a jamais eu lieu, leur vente ne s’est jamais réalisée et les éléments de preuve portant sur la façon dont l’entreprise devait concrètement être exploitée sont vagues et imprécis. L’injection de capitaux qu’a effectuée l’appelant visait à lancer l’entreprise, mais cette opération commerciale n’a jamais vu le jour. L’argent n’a pas été dépensé par la société dans le but de gagner ou de produire un revenu parce que l’autre associé [...] a mal employé les fonds.

[46] L’avocat de l’appelant a déclaré ceci :

[TRADUCTION]

Le seul autre point que j’aimerais faire valoir en l’espèce, votre Honneur, est que mes amis ont insisté sur le fait que la coentreprise n’a pas exploité d’entreprise. Je me reporte ici au paragraphe 14 de mon mémoire. Le fait est qu’il faut mettre l’accent non pas sur la coentreprise, mais sur les intentions de M. Johnston, sur ses activités ainsi que sur la question de savoir s’il existait une structure organisationnelle pour mener à bien l’activité.

[47] Il déclare ce qui suit dans son mémoire :

[TRADUCTION]

Nous soutenons que la Cour devrait faire porter son analyse sur les actions et les intentions de M. Johnston ainsi que sur la structure en place et non pas sur la question de savoir si la coentreprise a réellement été menée à bien.

[48] L’avocat a ensuite présenté des observations sur la notion de l’attente raisonnable de profit. Il répondait ainsi à l’observation subsidiaire de l’intimée selon laquelle, en l’absence d’attente raisonnable de profit, on ne pouvait dire de l’appelant qu’il avait exploité une entreprise. Pour les motifs exposés ci-après, je ne me pencherai pas sur les observations qu’il a formulées à cet égard.

[49] Finalement, l’avocat de l’appelant a présenté ses observations subsidiaires, à savoir que l’appelant avait droit à la déduction d’une perte au titre d’un placement d’entreprise, telle qu’elle est définie à l’article 39.

OBSERVATIONS DE L’INTIMÉE

[50] L’avocat de l’intimée a fait référence à l’arrêt Moldowan v. R., 77 DTC 5213, et en a cité l’extrait suivant, tiré de la page 5215 :

Il y a d’abord eu controverse, mais il est maintenant admis que pour avoir une “ source ” de revenu, le contribuable doit avoir en vue un profit ou une expectative raisonnable de profit. L’expression source de revenu équivaut donc au terme entreprise [...]

Une jurisprudence volumineuse traite de la signification de l’expression expectative raisonnable de profit, mais il ne s’en dégage aucune constante. À mon avis, on doit s’appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit. On doit alors tenir compte des critères suivants : l’état des profits et pertes pour les années antérieures, la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s’engager, la capacité de l’entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l’allocation à l’égard du coût en capital. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive.

[51] Il a ensuite affirmé que les critères énoncés ci-dessus doivent être appliqués et que les sentiments ou les préoccupations du contribuable n’entrent pas en ligne de compte. L’avocat a fait référence à la décision Kleinfelder, précitée, dont il a notamment cité l'extrait qui suit :

L’opération d’achat des automobiles n’a jamais eu lieu, leur vente ne s’est jamais réalisée et les éléments de preuve portant sur la façon dont l’entreprise devait concrètement être exploitée sont vagues et imprécis. L’injection de capitaux qu’a effectuée l’appelant visait à lancer l’entreprise, mais cette opération commerciale n’a jamais vu le jour [...]

[52] L’avocat a fait valoir que cette situation était identique à celle de l’appelant en l’espèce, et il a cité le passage qui suit de cette même décision Kleinfelder :

[...] L’argent n’a pas été dépensé par la société dans le but de gagner ou de produire un revenu parce que l’autre associé, M. Gee, a mal employé les fonds.

La dépense en capital qu’a engagée l’appelant n’était pas un débours ou une dépense engagés en vue de gagner ou de produire un revenu de l’entreprise dans laquelle le contribuable s’était engagé.

Le contribuable n’exploitait pas une entreprise de prêt d’argent. Les sommes d’argent ont été avancées pour lancer une entreprise qui n’a jamais commencé ses activités : le présumé associé a mal employé les fonds. Le billet à ordre a été signé par le présumé associé pour accorder une certaine garantie à l’appelant à l’égard des sommes avancées à titre de dépense en capital et non dans le cadre d’une activité commerciale de prêt d’argent.

[53] L’avocat a ensuite renvoyé à l’entente relative à la transaction donnant lieu au présent appel. Il a déclaré que l’appelant avait conclu cette entente en décembre 1992, qu’il ne savait pas quelle devait être la contribution de WSL[4], qu’il ne savait pas combien coûterait le papier ciré (l’objet de l’entreprise), qu’il ne savait pas s’il y avait un acheteur prévu, qu’il ne savait pas à quel prix le papier ciré pouvait être vendu et qu’il ne savait pas quels frais il fallait peut-être s’attendre à engager pour vendre le papier ciré. Comme dans la décision Kleinfelder, l’avocat a fait valoir que les capitaux ont été avancés mais qu’ils n’ont pas été utilisés pour acheter du papier ciré. Il a déclaré que l’entreprise de WSL et de l’appelant visant à vendre et à acheter du papier ciré n’avait jamais vu le jour, mais qu’on avait pris l’argent de l’appelant et qu’on avait leurré celui-ci de la même manière que dans la décision Kleinfelder. L’avocat a mentionné le vice que comportait l’entente, ce qu’une personne prudente se serait empressée de tirer au clair, à savoir les contributions disproportionnées prévues dans les autres ententes, et le fait que l’appelant devait toucher 50 p. cent des bénéfices. L’avocat a fait valoir que, dans les faits, l’appelant n’avait pas cherché à connaître les raisons de ces contributions disproportionnées, qu’il ne savait pas si les marchandises mentionnées dans les ententes de coentreprise avaient été achetées, qu’il ne savait pas combien elles avaient été payées, ni combien elles devaient être vendues ou quels frais seraient engagés à leur égard. L’avocat a déclaré que l’appelant avait le droit d’obtenir des états financiers mais qu’il ne l’avait jamais exercé. Il a en outre déclaré que l’appelant ne connaissait même pas la nature du stock dans les deuxième et quatrième coentreprises. Il a dit que l’appelant n’avait pas apporté son appui à la coentreprise comme le prévoyait l’entente, et n’avait pas demandé pourquoi on n’avait pas sollicité son aide. L’avocat a en outre déclaré que l’appelant n’avait pas de temps à autre consulté WSL comme il était prévu dans l’entente. L’avocat a fait valoir que M. Johnston avait simplement avancé des fonds et que, dans un très court laps de temps, il avait reçu de l’argent. En ce qui concerne la coentreprise donnant lieu à la perte de 57 000 $, il a affirmé ce qui suit :

[TRADUCTION]

[...] si vous prenez ensuite connaissance de l’entente de coentreprise portant sur l’achat de papier ciré, comment M. Johnston peut-il en venir à tirer un bénéfice de sa participation à cette coentreprise lorsque les fonds ne sont jamais utilisés pour acheter les marchandises en cause?

[54] L’avocat a de nouveau fait référence à l’arrêt Moldowanpour ce qui est de “ déterminer objectivement ” et de “ la capacité de l’entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l’allocation à l’égard du coût en capital ”. Il a également mentionné l’absence de “ plan d’activités ”, qui constitue l’un des facteurs importants pour déterminer si une entreprise existait et que l’intimée invoque, semble-t-il, dans ses observations subséquentes au sujet de nombreuses autres affaires.

[55] Finalement, à ce sujet, l’avocat a déclaré que le présumé associé avait utilisé les fonds à d’autres fins et que le billet à ordre avait été délivré “ [TRADUCTION] à un présumé associé pour donner certaines garanties à l’appelant concernant les capitaux investis et non pas dans le cadre d’une activité commerciale de prêt d’argent ”. Il a conclu comme suit :

[TRADUCTION]

À mon avis, cela devrait clore le débat sur la question de la perte d’entreprise. Il n’y avait aucune activité dont on pouvait dire qu’elle constituait une entreprise.

Le fait que M. Leard était un habile mystificateur ne change rien aux faits qui sous-tendent la signature, par M. Johnston, de l’entente de coentreprise le 14 décembre 1992. Cela explique peut-être pourquoi M. Johnston a été leurré, mais cela ne crée pas une entreprise commerciale à laquelle M. Johnston s’est associé le 14 décembre 1992 [...]

[56] L’avocat de l’intimée a ensuite répondu à la thèse subsidiaire de l’appelant, à savoir qu’il a le droit de déduire une perte déductible au titre d’un placement d’entreprise si la déduction d’une perte autre qu’une perte en capital lui est refusée. Il a fait valoir que l’appelant n’avait pas disposé des actions du capital-actions d’une société exploitant une petite entreprise et que les fonds avancés par lui à l’entreprise conjointe constituaient un prêt à cette coentreprise, non pas un prêt à une société exploitant une petite entreprise. Il a en outre déclaré que l’appelant ne s’était pas acquitté d’une créance qu’avait envers lui une société privée dont le contrôle est canadien qui était une société exploitant une petite entreprise et que, si l'appelant s’était acquitté d’une créance, la perte serait réputée nulle à moins que la créance ait été “ acquise en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien ”. L’avocat a déclaré que la créance tenait au fait que la coentreprise n’avait pas été menée à bien et que l’appelant avait donc le droit d’exiger qu’on lui rembourse son argent. Il a fait valoir que l’appelant avait

obtenu la garantie de pouvoir exercer ce droit au moyen du billet à ordre, lequel ne prévoyait toutefois pas le paiement d’intérêt. Il a conclu que l’appelant n’avait pas acquis la dette en vue de gagner un revenu, qu’il avait simplement le droit, en raison de la fraude, de présenter une réclamation contre WSL afin de récupérer son argent. L’avocat a également fait valoir que l’appelant n’avait pas fait d’investissement, que ce soit sous forme de participation au capital ou de prêt, dans WSL dans le but de tirer des bénéfices des activités illégales de cette dernière. Il a déclaré qu’une créance était née du fait que WSL n’avait pas respecté les modalités de l’entente et que cette créance n’avait donc pas été acquise par l’appelant pour gagner un revenu.

ANALYSE ET CONCLUSION

[57] J’ai conclu que l’appelant n’exploitait pas une “ entreprise ” au sens où ce terme est défini comme suit à l’article 248 de la Loi :

“ entreprise ” ou “ affaire ” comprend une profession, un métier, un commerce, une industrie ou une activité de quelque genre que ce soit et [...] un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial, mais ne comprend pas une charge ou un emploi;

L’appelant a conclu cinq ententes de coentreprise distinctes, la dernière ayant donné lieu à la perte faisant l’objet du présent appel. L’énoncé conjoint partiel des faits est libellé en partie comme suit :

[TRADUCTION]

WSL Sales n’a jamais eu l’intention de respecter ses obligations aux termes des cinq ententes de coentreprise. Même si elles prévoyaient toutes l’achat et la vente de certaines marchandises, aucune marchandise n’a en fait été acquise aux termes de la cinquième entente de coentreprise et il n’est pas clair si des marchandises ont en fait été acquises aux termes des quatre premières ententes de coentreprise, ou si les transactions faisaient partie de la façade décrite au paragraphe 4 ci-dessus.

Cette façade a été décrite comme l’achat de marchandises, la location d’entrepôts pour ces marchandises, l’embauchage d’employés et la vente de marchandises à un prix inférieur à leur prix d’achat afin de rendre le frauduleux stratagème crédible ou de le justifier. L’appelant a avancé de l’argent “ à la coentreprise ”. Aucun stock n’a été acheté. L’appelant n’a pas posé de questions au sujet de l’acquisition, du coût d’acquisition, du prix de vente ou, en fait, de tout autre aspect de la présumée entreprise. Il n’était pas au courant de la contribution de WSL et n’a pas cherché à savoir pourquoi l’entente ne faisait pas mention du montant de cette contribution. WSL n’a ni acheté ni vendu de papier ciré, elle a simplement pris l’argent de l’appelant et a en fin de compte leurré celui-ci comme elle avait leurré les autres. L’appelant n’a pas demandé les états financiers de WSL, il n’a pas apporté son appui à la coentreprise et il n'a pas cherché à savoir pourquoi il n’avait pas été appelé à le faire. Même si une coentreprise n’est pas une entité légale, celle en cause en l’espèce n’existait que sur papier seulement et n’avait absolument aucune activité commerciale lui conférant quelque statut ou quelque légitimité que ce soit.

[58] Je n’accepte pas les observations de l’avocat de l’appelant selon lesquelles ce dernier participait à une “ activité de quelque nature que ce soit ”. Dans la décision Friesen rendue par la Cour, l’appelant, qui a perdu de l’argent aux mains d’un mystificateur, avait été agent immobilier et il exploitait une entreprise d’aménagements de terrains lorsqu’il a décidé de participer à l’achat éventuel de biens immeubles à Seattle, décision qui s’est soldée par la perte des fonds avancés. Dans l’arrêt Friesen (C.S.C.), l’appelant avait en fait acheté avec d’autres personnes un terrain dans le but de le revendre avec bénéfice. Il n’existe aucune condition semblable en l’espèce. En fait, j’estime que la décision Kleinfelder est non seulement juste compte tenu des faits, mais qu’elle appuie ma conclusion en l’espèce. Il n’y avait jamais eu d’achat d’automobiles, leur vente ne s’était pas réalisée et aucune opération commerciale n’avait eu lieu. Il n’y a pas eu d’achat de papier ciré, la vente de celui-ci ne s’est pas réalisée et aucune opération commerciale à cet égard n’a eu lieu. J’en viens à cette conclusion en m’appuyant sur les faits, sans égard aux observations de l’avocat de l’intimée concernant l’absence d’attente raisonnable de profit, lesquelles n’ont, à mon avis, rien à voir avec la question de savoir s’il existait une entreprise en l’espèce.

[59] Je souscris aux observations de l’appelant selon lesquelles il a le droit de déduire une perte déductible au titre d’un placement d’entreprise. L'alinéa 38c) se lit comme suit :

la perte déductible au titre d’un placement d’entreprise d’un contribuable, pour une année d’imposition, résultant de la disposition d’un bien est égale aux ¾ de la perte au titre d’un placement d’entreprise que ce contribuable a subie, pour l’année, à la disposition du bien.

L’alinéa 39(1)c) se lit en partie comme suit :

une perte au titre d’un placement d’entreprise subie par un contribuable [...] résultant de la disposition d’un bien quelconque désigne la fraction [...] de la perte en capital [...] subie pour l’année résultant d’une disposition [...] à laquelle le paragraphe 50(1) s’applique, [...] d’un bien qui est [...] une créance du contribuable sur une corporation [société] privée dont le contrôle est canadien [...] qui est [...] une corporation [société] exploitant une petite entreprise [...]

L’alinéa 50(1)a) prévoit que :

lorsqu’un contribuable établit qu’une créance qui lui est due à la fin d’une année d’imposition [...] s’est révélée être au cours de l’année une mauvaise créance [...] le contribuable est réputé avoir disposé de la créance [...] à la fin de l’année pour un produit nul [...]

Le sous-alinéa 40(2)g)(ii) prévoit ce qui suit :

une perte résultant de la disposition d’une créance [...] sauf si la créance [...] a été acquis[e] par le contribuable en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien [...] est nulle;

[60] Même si l’entente en question prévoyait l’octroi d’un prêt par l’appelant “ à la coentreprise ”, la somme a été avancée à WSL “ pour le compte et au nom de la coentreprise ”. L’appelant est la seule des deux parties à la coentreprise qui a avancé de l’argent, et cet argent a été avancé à l’autre partie. L’entente prévoyait la délivrance par WSL d’un billet à ordre attestant de l’avance de fonds et précisait en outre que WSL s’empresserait de rembourser les fonds à l’appelant si elle était incapable d’acheter le stock. Le billet à ordre rédigé et livré par WSL faisait état de l’entente de coentreprise et précisait qu’il était assujetti aux modalités de celle-ci et prévoyait qu’il était payable en conformité avec les modalités de cette entente. Je conclus que la créance ainsi acquise de WSL par l’appelant au moment où il a consenti le prêt de 57 000 $ a été acquise en vue de tirer un revenu “ d’une entreprise ou d’un bien ”. Ce dernier avait déjà participé à des coentreprises avec WSL, chacune lui ayant rapporté un montant supérieur à celui de son avance. Cette conclusion n’est pas incompatible avec ma conclusion selon laquelle il n’exploitait pas une entreprise parce que, dans l’esprit de l’appelant, il a avancé la somme de 57 000 $ en vue de gagner un revenu. Il importe peu de savoir si le revenu devait être tiré d’une entreprise ou d'un bien. Si le revenu tiré des quatre coentreprises antérieures de l’appelant était un revenu tiré d’une entreprise, la perte découlant de la cinquième entreprise devrait donc être une perte au titre d’un placement d’entreprise. J’ai décidé qu’elle n’en était pas une. Cependant, si le revenu des entreprises antérieures était un revenu tiré d’un bien, la perte découlant de la cinquième coentreprise, qui est identique sur le plan de la forme, doit être une perte découlant d’un bien et, par conséquent, une perte en capital.

[61] Pour pouvoir déduire une “ perte au titre d’un placement d’entreprise ” en 1993, l’appelant doit avoir subi une perte en capital lors de la disposition réputée d’une créance qui s’est révélée être une mauvaise créance au cours de l’année. La réponse modifiée à l’avis d’appel de l’intimée est libellée en partie comme suit :

[TRADUCTION]

Pour établir la cotisation à l’égard de l’appelant pour l’année d’imposition 1993, le ministre du Revenu national [...] a refusé la déduction d’une perte déductible au titre d’un placement d’entreprise et a avisé l’appelant qu’il avait une perte en capital de 25 540 $.

Dans ses observations, l’avocat de l’intimée n’a pas contesté l’existence d’une perte en capital. Il a plutôt essayé de convaincre la Cour que la créance donnant lieu à la perte n’était pas une créance de WSL, que cette dernière n’était pas une “ corporation [société] exploitant une petite entreprise ” au sens de l’alinéa 39(1)c) et que la créance n’avait pas été acquise en vue de tirer un revenu, de sorte que la perte de l’appelant serait réputée nulle aux termes du sous-alinéa 40(2)g)(ii). Dans la réponse à l’avis d’appel, l’intimée a admis que WSL était une société privée dont le contrôle était canadien. Je dois déterminer si c’était une “ corporation [société] exploitant une petite entreprise ” comme le requiert cette disposition. L’expression “ corporation [société] exploitant une petite entreprise ” est définie de la manière suivante à l’article 248 de la Loi :

une corporation [société] privée dont le contrôle est canadien et dont la totalité, ou presque, de la juste valeur marchande des éléments d’actif sont utilisés principalement dans une entreprise que la corporation [société] exploite activement principalement au Canada.

[62] L’expression “ entreprise exploitée activement ”, qui est également définie à l’article 248, désigne toute entreprise exploitée par un contribuable autre qu’une entreprise de placement désignée ou une entreprise de prestation de services personnels. Il est clair que les activités de WSL ne correspondaient ni à une “ entreprise de placement désignée ” ni à une “ entreprise de prestation de services personnels ”. J’accepte les observations de l’avocat de l’appelant selon lesquelles WSL exploitait activement une entreprise de fraude. Le fait qu’elle s’adonnait à des activités criminelles n’empêche pas de la qualifier “ d’entreprise ” aux fins de l’impôt sur le revenu[5]. Au cours de la période en cause, WSL avait des employés, des locaux, des entrepôts et des stocks et elle faisait la vente et l’achat de marchandises. Elle avait également de l’argent, même s’il s’agissait d’avances consenties par des personnes participant à des coentreprises. Ces éléments d’actif étaient utilisés pour leurrer ces personnes. Je conclus donc que WSL utilisait ces éléments d’actif dans l’entreprise qui consistait à attirer des coentrepreneurs et à les leurrer. Ce qui précède me convainc que WSL était une société exploitant une petite entreprise qui avait une créance envers l’appelant, laquelle créance a été acquise en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien. Je suis aussi convaincu que le contribuable est réputé avoir disposé de cette créance en 1993 pour un produit nul, ce qui entraîne donc une perte au titre d’un placement d’entreprise au sens de l’alinéa 39(1)c) de la Loi.

[63] En conséquence, l’appelant n’obtient pas gain de cause en ce qui concerne ses premières observations selon lesquelles la perte découlant de la cinquième coentreprise était une perte autre qu’une perte en capital déductible. Il obtient gain de cause en ce qui concerne ses observations subsidiaires selon lesquelles il avait le droit, relativement à la perte, de déduire une perte déductible au titre d’un placement d’entreprise aux termes de l’article 3 et des dispositions mentionnées précédemment.

[64] L’appel est admis avec frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de mars 2000.

“ R. D. Bell ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 16e jour d'octobre 2000.

Philippe Ducharme, réviseur



[1]              Cette coentreprise a donné lieu à la perte de 57 000 $.

[2]               À ce qu’il semble, une “ perte autre qu’une perte en capital ” au sens de l’article 111 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[3]               Disposition portant sur l’évaluation des biens figurant dans un inventaire.

[4]               À la rubrique “ Montant du prêt ”, la contribution de WSL n’était pas précisée.

[5]               M.N.R. v. Eldridge, 64 DTC 5338; Buckman v. M.N.R., 91 DTC 1249.

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