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Date: 20000426

Dossier: 1999-4841-EI

ENTRE :

GENESIS LEASING LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] L'appel en instance a été entendu à Calgary (Alberta), le 21e jour de mars 2000.

[2] L'appelante interjette appel à l'encontre de la décision du ministre du Revenu national (ci-après nommé le “ ministre ”) datée du 20 septembre 1999 selon laquelle l'emploi de Wieslaw Krezlewicz (le “ travailleur ”) pour la période allant du 18 mars 1998 au 18 mars 1999 était un emploi assurable aux termes de la Loi sur l'assurance-emploi pour les raisons suivantes :

[TRADUCTION]

Même si Wieslaw Krezlewicz travaillait à son compte, puisqu'il n'exerçait pas un emploi en vertu d'un contrat de louage de services et, en conséquence, n'était pas un employé, son emploi était inclus parmi les emplois assurables en vertu du Règlement sur l'assurance-emploi. Son emploi est assurable parce qu'il n'était pas le propriétaire de plus de 50 p. 100 du véhicule, ni le propriétaire ou l'exploitant de l'entreprise de taxi.

La décision était rendue conformément à l'article 93 de la Loi sur l'assurance-emploi, et était fondée sur l'alinéa 6e) du Règlement sur l'assurance-emploi pris en vertu de la Loi.

[3] Les faits indiquent que l'appelante exploitait une entreprise de location de véhicules à des particuliers que ceux-ci utilisaient, entre autres, comme taxis dans la ville de Lethbridge, en Alberta. Le travailleur n'avait aucun intérêt dans cette entreprise, et louait simplement de l'appelante un véhicule pour la journée qu'il utilisait comme taxi. Il obtenait le service de répartition d'une autre compagnie, Mesa Entreprises Ltd. (“Mesa”), une compagnie distincte mais liée à l'appelante en ce sens que les deux compagnies étaient contrôlées par le même actionnaire. Le ministre a décidé que, même si l'arrangement ne représentait pas un contrat de louage de services, il était inclus dans les emplois assurables selon l'alinéa 6e) du Règlement sur l'assurance-emploi, dont voici le libellé :

l'emploi exercé par une personne à titre de chauffeur de taxi, d'autobus commercial, d'autobus scolaire ou de tout autre véhicule utilisé par une entreprise privée ou publique pour le transport de passagers, si cette personne n'est pas le propriétaire de plus de 50 pour cent du véhicule, ni le propriétaire ou l'exploitant de l'entreprise privée ou l'exploitant de l'entreprise publique;

[4] L'appelante prétend que le Règlement ne s'applique pas à l'arrangement en question, et c'est la question en litige.

Les faits

[5] Dans la réponse à l'avis d'appel signée au nom du sous-procureur général du Canada, il est dit que le ministre a pris sa décision en s'appuyant sur les hypothèses de fait suivantes :

[TRADUCTION]

(a) les faits admis ci-dessus;

(b) l'entreprise de l'appelante consiste à louer à des particuliers des véhicules qu'ils utilisent comme taxis dans la ville de Lethbridge;

(c) le travailleur a fourni des services à l'appelante du 23 octobre 1995 au 18 mars 1999;

(d) le travailleur n'exerçait pas un emploi aux termes d'un contrat de louage de services conclu avec l'appelante;

(e) le travailleur n'était pas le propriétaire d'au moins 50 p. 100 du taxi (le “ véhicule ”);

(f) le travailleur n'est pas l'exploitant ou le propriétaire de l'entreprise;

(g) le véhicule et le matériel que le travailleur utilisait à bord du véhicule appartenaient à l'appelante;

(h) le travailleur payait 40 $ par jour pour la location du véhicule durant l'été, et 50 $ par jour durant l'hiver;

(i) l'appelante avait signé des ententes avec Visa et MasterCard;

(j) l'appelante transportait des postiers aux termes d'un contrat conclu avec la Société canadienne des postes;

(k) pour payer la location du véhicule, le travailleur employait habituellement des rentrées de fonds reçues par cartes de crédits ainsi que les bons de taxi qui lui étaient remis par les postiers;

(l) si l'appelante recevait ainsi plus que ce qu'il lui était dû pour la location, elle remettait chaque jour l'excédent au travailleur;

(m) Mesa Enterprises Ltd. fournissait le service de répartition;

(n) Émile Théroux est le propriétaire tant de Mesa Enterprises Ltd. que de l'appelante.

[6] D'après la réponse à l'avis d'appel, le ministre admettait également les faits suivants :

2. c) Le locataire payait l'essence et les frais d'exploitation;

d) Le locateur payait les primes d'assurance et le coût d'immatriculation.

Le travailleur :

a) louait le véhicule quand il le voulait;

b) se servait du véhicule pour une partie de la journée ou durant toute la journée;

c) déterminait à quelle fin il utilisait le véhicule;

d) choisissait sa tenue vestimentaire;

e) choisissait le type d'essence lorsqu'il faisait le plein.

[7] Émile Théroux a témoigné pour le compte de l'appelante. Il était un administrateur et l'actionnaire majoritaire de l'appelante. Il a admis les hypothèses de fait énoncées aux paragraphes suivants : 12(a), (b), (d), (e), (f), (h), (i), (k) (il a fourni d'autres explications à ce sujet), (m) et (n).

[8] M. Théroux a cependant rejeté les hypothèses de fait énoncées au paragraphe (c) (le travailleur ne fournissait aucun service à l'appelante), le paragraphe (g) (c'est Mesa qui fournissait le matériel suivant : un radio-téléphone, un compteur, l'enseigne taxi et des affiches pour les portières), le paragraphe (l) (M. Théroux a déclaré que le conducteur lui payait simplement 50 $ pour le véhicule et gardait le reste de l'argent qu'il avait gagné. L'appelante ne versait rien au travailleur).

[9] Émile Théroux a expliqué en quoi consistait l'arrangement. L'appelante, sa compagnie, louait de nombreux véhicules de types différents, notamment des minibus, des remorques et des fourgonnettes. Durant la période en question, il a loué un véhicule à la journée au travailleur pour 50 $ par jour. Le contrat a été déposé comme pièce A-1. Aux termes du contrat, le travailleur se servait du véhicule comme il le voulait, et l'utilisait à des fins personnelles ou comme taxi. Le contrat n'imposait aucune restriction sur l'usage du véhicule mais il était interdit de laisser une autre personne conduire le véhicule. Il a insisté sur le fait que son entreprise consistait seulement à louer des véhicules. Il a aussi souligné que l'appelante n'exerçait aucun contrôle sur les endroits où les travailleurs se rendaient, la manière dont ils prenaient les clients ou la manière dont ils étaient payés pour les courses.

[10] Il a dit que le travailleur, s'il le voulait, pouvait utiliser le service de répartition fourni par Mesa, prendre les clients directement ou utiliser son propre téléphone cellulaire.

[11] Le prix de location quotidien était habituellement payé chaque jour. Il n'y avait pas d'entente de crédit ni d'obligation de porter un uniforme.

[12] Toutefois, si le prix de la course était payé au travailleur par Visa ou MasterCard, il pouvait remettre les rentrées de fonds par cartes de crédit à l'appelante pour payer la location du véhicule. Mesa, semble-t-il, ne pouvait pas encaisser les rentrées de fonds par cartes de crédit Visa ou MasterCard, mais l'appelante si. Les postiers obtenaient du transport en vertu d'un contrat conclu entre Mesa et la Société canadienne des postes. Pour régler leurs courses, les postiers remettaient au travailleur un des bons de taxi émis par Mesa. Cette dernière les présentait ensuite à la Société canadienne des postes pour se faire payer. Comme dans le cas des rentrées de fonds par cartes de crédit, le travailleur remettait ces bons de taxi à l'appelante pour régler le prix de location du véhicule, et cette dernière en réclamait le montant à Mesa.

[13] En dernier lieu, il me semble important de mentionner le service de répartition fourni par Mesa. Ce n'est pas le travailleur mais l'appelante qui payait le coût de ce service à Mesa. Pour ce faire, l'appelante puisait dans les frais de location que lui avait versés le travailleur. Ce dernier pouvait alors utiliser le service en question.

Application de la Loi aux faits

[14] Les deux parties s'appuient sur la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Procureur général du Canada c. Skyline Cabs (1982) Ltd., C.A.F., no A-498-85, 26 mai 1986 ([1986] 5 W.W.R. 16). Le juge MacGuigan de la Cour d'appel fédérale a examiné cette question pour la Cour. Il a d'abord souligné que le mot “ emploi ” figurant dans le Règlement ne signifie pas un emploi exercé dans le cadre d'un contrat de louage de services conclu entre un employeur et un employé, mais que le mot est plutôt utilisé dans le sens large d'“ activité ” ou d'“ occupation ”. Il a ajouté :

Ainsi que cette Cour l'a déclaré dans l'arrêt Jean Sheridan et autre c. Ministre du Revenu national, A-718-84, rendu le 21 mars 1985, non publié, à la page 11, l'alinéa 4(1)c) s'applique "aux personnes occupant des emplois autrement qu'en vertu d'un contrat de louage de services dans les circonstances où elles accomplissent un travail dont la nature et les modalités sont semblables au travail des personnes occupant un emploi en vertu d'un contrat de service."

La prétention principale que l'intimée a fait valoir devant nous était fondée sur la corrélation existant entre l'alinéa 4(1)c) de la Loi et l'alinéa 12e) du Règlement; ainsi a-t-elle soutenu que, bien que l'alinéa 12e) n'exige pas l'existence d'un contrat de louage de services, les rapports des chauffeurs et de la société doivent être analogues à ceux d'un employeur et d'un employé, c'est-à-dire que le rôle d'employeur suppose plus que la simple fourniture des instruments de travail (en l'espèce, les voitures taxis) aux personnes employées.

À mon avis, la corrélation de l'alinéa 12e) et du paragraphe 4(1)c) est plus complexe que ne le voudrait cette analyse. L'alinéa 4(1)c) confère à la Commission d'assurance-chômage le pouvoir exclusif de juger de la similitude existant entre l'emploi visé et un emploi fondé sur un contrat de louage de services ("s'il paraît évident à la Commission"). Il ne fait aucun doute que, en l'absence d'une preuve contraire, un tribunal sera porté à présumer que la Commission a correctement rempli le mandat que lui confie l'alinéa 4(1)c) de la Loi en adoptant l'alinéa 12 e) ) du Règlement; une telle présomption ne deviendrait cependant pertinente à l'interprétation de l'alinéa 12e) que si le tribunal devait choisir entre une interprétation conforme aux pouvoirs de la Commission visés par l'alinéa 4(1)c) et une interprétation qui ne s'y accorderait pas. En l'espèce, l'application de l'alinéa 12e) ne m'apparaît pas présenter ce genre d'ambiguïté.

Les faits en l'espèce révèlent que l'intimée possède des automobiles équipées de manière à pouvoir être utilisées comme taxis et dont elle propose la location, pour un prix prédéterminé, aux chauffeurs de taxi détenteurs de permis. Si tel était le seul rôle de l'intimée, les taxis ne seraient pas utilisées par l'intimée pour le transport des passagers ainsi que l'exige l'alinéa 12e) ("l'emploi exercé par une personne à titre de chauffeur de taxi ... utilisé par une entreprise privée ... pour le transport de passagers, lorsque cette personne n'est pas le propriétaire du véhicule ni l'exploitant, ni le patron de l'entreprise privée ..."). Ses activités sont cependant loin de se limiter à cela.

[15] Il a ensuite mentionné que Skyline, dans cette affaire, détenait une licence de courtage en taxi, que son tarif de location donnait accès à un service de répartition, qu'elle assurait l'application d'un code vestimentaire et la présentation des chauffeurs, qu'elle voyait à ce que les chauffeurs gardent leur véhicule propre, qu'elle payait les bordereaux de cartes de crédit et qu'elle interdisait aux chauffeurs de dérober des courses déjà attribuées et de consommer de la drogue et de l'alcool. Le public reconnaissait les “ Skyline Cabs ” grâce aux diverses affiches apposées sur les taxis.

[16] Comme il l'a fait remarquer, l'ensemble de ces faits n'était pas suffisant pour établir l'existence d'un contrat de louage de services entre les chauffeurs et Skyline. À son avis, cependant, l'ensemble de ces faits établissait irréfutablement “ un degré suffisant de participation de l'intimée [Skyline] au transport de passagers par taxi. ” Il a ajouté :

[...] Si une participation aussi importante de l'intimée au transport de passagers ne suffisait pas à établir que celle-ci utilise des taxis dans le cadre de son entreprise, il me semble que l'objectif visé par la Loi, c'est-à-dire la protection des chauffeurs de taxi contre le "risque de manquer de travail et d'être contraints à l'inactivité", selon les termes employés par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Martin, précitée, ne serait pas réalisé. À mon avis, toute autre interprétation des faits serait absurde ou arbitraire ou ne tiendrait pas compte des éléments portés à la connaissance de la Cour.

[17] La question à trancher dans l'appel en l'instance est celle de savoir si les faits établissent un degré suffisant de participation de l'appelante au transport de passagers par taxi. Comme le juge MacGuigan l'a souligné, si l'appelante avait simplement loué des véhicules équipés de manière à pouvoir être utilisés comme taxis, elle n'aurait pas participé à un degré suffisant au transport de passagers par taxi. Dans l'affaire Skyline, l'entreprise ne louait pas seulement des véhicules, elle jouait un rôle beaucoup plus important. En l'espèce, l'appelante est loin d'avoir joué un rôle aussi important que l'entreprise dont il était question dans l'affaire Skyline. Toutefois, il me semble que l'appelante a participé au transport de passagers par taxi de deux manières importantes. D'abord et avant tout, il y a la question du service de répartition. Même s'il était exploité par une compagnie distincte de l'appelante, mais, je le rappelle, totalement liée à cette dernière, le service de répartition offert par Mesa devenait une des parties intégrantes du service de transport de passagers par taxi lorsque l'appelante versait à Mesa une partie du prix de location quotidien payé par le travailleur. Lorsque l'appelante payait Mesa, une relation d'affaires s'établissait entre l'appelante, Mesa et le travailleur et tous les trois participaient ensemble au transport de passagers par taxi. Le rôle de l'appelante ne se limitait plus simplement à la location de véhicules, ce dont Émile Théroux a voulu me convaincre au début se son témoignage. Il fournissait le service de répartition nécessaire par l'entremise de son autre compagnie.

[18] Il y a ensuite la question du système de cartes de crédit qui avait été établi. Le travailleur pouvait remettre des paiements par cartes de crédit à l'appelante pour payer la location du véhicule. Mesa, quant à elle, avait conclu un contrat avec la Société canadienne des postes pour le transport des postiers. Toutefois, si les postiers payaient leurs courses avec des bons de taxi, le travailleur pouvait se servir des bons de taxi, qui, en fait, avaient été émis par Mesa pour payer la location du véhicule à l'appelante. Avec la remise des bons de taxi à l'appelante, il s'établissait de nouveau une relation d'affaires entre le travailleur, l'appelante et Mesa.

[19] À mon avis, l'arrangement mis sur pied par Émile Théroux était certainement ingénieux. Cet arrangement est probablement celui qui est venu le plus près d'échapper à l'application des dispositions du Règlement sur l'assurance-emploi. Toutefois, à mon avis, les éléments que j'ai mentionnés établissent un degré suffisant de participation de l'appelante dans le transport de passagers par taxis. Il ne s'agissait pas simplement d'une entreprise de location de véhicules comme on aurait été enclin à le croire à première vue.

Conclusion

[20] Je conclus que le travailleur était un chauffeur de taxi, qu'il n'était pas le propriétaire de plus de 50 p. 100 du véhicule ni le propriétaire de l'entreprise. Son emploi est, en conséquence, un emploi assurable selon l'alinéa 6 e) du Règlement sur l'assurance-emploi.

[21] L'appel est rejeté, et la décision du ministre est confirmée.

Signé à Calgary (Alberta), ce 26e jour d'avril 2000.

“ Michael H. Porter ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 11e jour d'octobre 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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