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Date: 19991214

Dossier: 97-1358-UI

ENTRE :

LAURIE ROSCOE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Cain, C.C.I.

[1] Laurie Roscoe, ci-après appelée l'“ appelante ”, interjette appel de la décision du ministre du Revenu national, ci-après appelé l'“ intimé ”, selon laquelle elle n'exerçait pas auprès de Resort Unlimited Company Limited, ci-après appelée le “ payeur ”, un emploi assurable au sens de la Loi sur l'assurance-chômage au cours de la période allant du 1er juillet au 16 septembre 1994, du 1er juin au 1er septembre 1995 et du 3 au 29 juin 1996, ou au sens de la Loi sur l'assurance-emploi au cours de la période allant du 30 juin au 23 août 1996.

Hypothèses de l'intimé

[2] Dans sa décision, l'intimé se fondait sur les hypothèses suivantes :

[TRADUCTION]

a) l'appelante et son conjoint, Britt, détenaient 35 p. 100 des actions, et le reste était détenu par le frère de Britt, Barry, et la conjointe de ce dernier, Janice Roscoe, ainsi que par la soeur de Britt, Terry, et le conjoint de cette dernière, Wayne Boucher;

b) durant les périodes d'a.-c. et d'a.-e. en question, les administrateurs du payeur étaient les actionnaires nommés à l'alinéa 6c);

c) dans la région de Baddeck, au Cap-Breton (Nouvelle-Écosse), le payeur exploitait un centre d'équitation s'occupant de donner des leçons, de prendre des chevaux en pension et de vendre des chevaux;

d) la principale période d'activité de l'entreprise correspondait aux mois d'été;

e) les heures d'exploitation allaient du matin au soir durant les mois d'été;

f) avant la constitution du payeur en société, l'entreprise était une entreprise individuelle de l'appelante;

g) l'entreprise ainsi que l'écurie appartenant au payeur, évaluées à 100 000 $, étaient situées sur une propriété appartenant à l'appelante et son conjoint;

h) durant les périodes d'a.-c. et d'a.-e. en question, les administrateurs et actionnaires autres que l'appelante et son conjoint se trouvaient dans la vallée d'Annapolis (Nouvelle-Écosse); ils n'étaient pas libres et ne dirigeaient ni ne contrôlaient nullement l'appelante dans l'exercice de ses fonctions;

i) durant les périodes d'a.-c. et d'a.-e. en question, le conjoint de l'appelante exerçait un emploi dans le domaine de la construction et, pendant la semaine, il n'était pas libre le jour pour diriger ou contrôler l'appelante dans l'exercice de ses fonctions;

j) les administrateurs et actionnaires autres que l'appelante et son conjoint n'avaient aucune expérience ou connaissance en matière d’exploitation d'un centre d'équitation;

k) avant décembre 1996, aucune assemblée des actionnaires ou réunion des administrateurs n'a été tenue par le payeur;

l) avant décembre 1996, les administrateurs du payeur autres que l'appelante et son conjoint n'avaient aucune connaissance de la façon dont l'entreprise était exploitée ou gérée;

m) avant décembre 1996, les actionnaires et administrateurs autres que l'appelante et son conjoint n'étaient pas au courant de la situation financière de l'entreprise;

n) les actionnaires et administrateurs du payeur autres que l'appelante et son conjoint n'étaient au courant ni du salaire versé à l'appelante ni de la manière dont le salaire était déterminé;

o) depuis la constitution du payeur en société, aucune somme autre que les sommes versées à l'appelante n'a été versée à l'un quelconque des actionnaires ou administrateurs;

p) les fonctions de l'appelante consistaient à donner des leçons d'équitation, à nourrir les chevaux, à nettoyer les écuries, à panser les chevaux et à vendre des chevaux;

q) l'appelante gagnait 400 $ par semaine durant les périodes d'a.-c. et d'a.-e. en question;

r) l'appelante travaillait pour le payeur durant les heures d'exploitation, qui allaient du matin au soir;

s) hors des périodes d'a.-c. et d'a.-e. en question, l'appelante a fourni des services pour le payeur sans être rétribuée;

[3] L'appelante a admis les hypothèses énoncées aux alinéas b), c), d), e), g), h), j), o), p), q), r) et s). Elle a nié les hypothèses énoncées aux alinéas a), f), i), k), l), m) et n). Les alinéas t), u) et v) représentent des allégations et questions de droit à l’égard desquelles il appartient à la Cour de rendre une décision :

[TRADUCTION]

t) l'appelante était liée au payeur au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu;

u) l'appelante et le payeur avaient entre eux un lien de dépendance;

v) il n'est pas raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, que l'appelante et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance.

Preuve de l'appelante

[4] L'appelante s’est installée à Baddeck, sur l'île du Cap-Breton (Nouvelle-Écosse), en 1982.

[5] Elle était institutrice de formation, mais n'arrivait pas à trouver un travail permanent. Elle a fondé une entreprise sur la propriété appartenant à son époux et elle, soit une entreprise appelée Rocking Horse Ranch; elle prenait des chevaux en pension, donnait des leçons d'équitation et, lorsqu'elle était libre, faisait de la suppléance comme institutrice.

[6] En 1986, le payeur a été constitué et a lancé une entreprise semblable. L'entreprise appelée Rocking Horse Ranch a cessé d'exister.

[7] L'émission d'actions du payeur était structurée de manière à ce que l'appelante puisse travailler durant les mois d'été, qu'elle puisse être mise à pied à la fin de l'automne et qu'elle puisse recevoir des prestations d'assurance-chômage. L'appelante a été avisée par des organismes fédéraux auxquels des demandes de subventions avaient été présentées que l'entreprise saisonnière du payeur ne survivrait que si le personnel pouvait être retenu durant la morte-saison, et la seule manière dont cela pouvait se faire consistait à donner au personnel la possibilité de recevoir des prestations d'assurance-chômage durant la morte-saison.

[8] Des subventions fédérales ont été demandées et reçues et, avec l'aide financière de la famille de l'appelante, le payeur a pu construire sur la propriété de l'appelante une installation pour entraînement en intérieur. Le payeur ne payait aucun loyer pour le terrain. On prévoyait qu'une telle installation entraînerait une augmentation de l'activité les jours où il ne ferait pas beau et même, espérait-on, durant les mois d'hiver. Le bureau du payeur était situé chez l'appelante, et aucun loyer n'était payé.

[9] Initialement, l'entreprise a prospéré, atteignant un point culminant en 1992. À cette époque, le salaire de l'appelante a été porté à 400 $ par semaine. À partir de cette année-là, tout a mal été pour l'entreprise.

[10] L'appelante n'était payée que pour une période de 20 semaines s'étalant sur le printemps, l'été et l'automne, soit le nombre de semaines nécessaire pour être admissible à des prestations d'assurance-chômage.

[11] L'appelante a pris sa retraite en 1996 et son époux et elle ont quitté la région. Le payeur est encore propriétaire du centre, qu'il continue d'exploiter.

[12] Outre les activités énoncées à l'hypothèse p) précitée, le payeur offrait un service de garde d'enfants pour la journée durant les mois d'été, permettant aux jeunes enfants de profiter de toutes les installations ainsi que des cours. Parfois, des enfants étaient gardés pour la nuit chez l'appelante, mais cette dernière n'était pas remboursée par le payeur à cet égard.

[13] Lorsque l'entreprise a commencé à décliner, le payeur s'est limité à l'achat et à la vente de chevaux.

[14] En ce qui a trait aux hypothèses qu’elle a niées, l'appelante a fait les observations suivantes au cours de son témoignage :

[TRADUCTION]

1) hypothèse a) — que son époux et elle ne détenaient qu'environ 33 p. 100 des actions émises du payeur;

2) hypothèse f) — que l'entreprise appelée Rocking Horse Ranch a été non pas vendue au payeur, mais abandonnée;

3) hypothèse i) — que, malgré le fait que son époux s'absentait de temps à autre pour travailler et suivre des cours, il était de temps à autre libre pour aider le payeur et se mettre au courant des affaires de celui-ci;

4) hypothèse k) — que des réunions des administrateurs et des assemblées des actionnaires se tenaient une fois par année mais qu’aucun compte rendu des réunions ou assemblées n'était fait par écrit;

5) hypothèse l) — que les autres actionnaires n'étaient pas au courant des activités quotidiennes de l'entreprise, mais savaient de façon générale quelles étaient les fonctions quotidiennes de l'appelante;

6) hypothèse m) — que les autres actionnaires étaient avisés une fois par année de la situation financière du payeur;

7) hypothèse n) — que les autres actionnaires étaient au courant du salaire de l'appelante et qu'ils avaient approuvé qu'il soit porté à 400 $.

Preuve de l'intimé

[15] L'intimé a fait témoigner David Shaw, qui était agent des appels à Emploi et Immigration Canada à l'époque de la décision de l'intimé.

[16] À ce titre, M. Shaw s'était entretenu avec l'appelante et les autres actionnaires. Il n'avait pu trouver quelque preuve que ce soit de l'exercice d'une supervision à l'égard de l'appelante. Il a bel et bien confirmé que les fonctions de l'appelante correspondaient à ce que l'appelante avait dit dans son témoignage et qu'elle avait fait un investissement initial de 40 000 $ à l'aide d'un prêt provenant de sources familiales.

[17] L'entretien de M. Shaw avec les autres actionnaires avait révélé que seuls l'appelante et son époux étaient bien informés des affaires de l'entreprise. Les actionnaires Wayne Boucher et son épouse étaient au courant de la relation entre l'appelante et le payeur, mais ils n'avaient aucune connaissance véritable de l'entreprise et de son administration quotidienne.

Décision

[18] L'appelante a déposé auprès de la Cour un grand livre de comptes de produits et de charges (pièce A-1) pour les années 1994, 1995 et 1996, en vue d'étayer son allégation selon laquelle le payeur avait subi une perte de 473,36 $ en 1995.

[19] Je n'ai pu déterminer à partir des grands livres comment cette perte avait été calculée, mais elle présente peu d'intérêt par rapport aux points litigieux en l'espèce.

[20] J'ai été étonné de voir les inscriptions de charges suivantes :

[TRADUCTION]

Mai 1994

Visa - Banque Scotia

(voyage en autobus) 1 800 $ Promotion et déplacements

Visa - Banque Scotia (voyage) 1 000 $ "      "

Juillet 1994

Visa - Banque Scotia 941,13 $ "     "

Mars 1995

Visa - Banque Scotia 83 $ "      "

Avril 1995

Visa - Banque Scotia 410,69 $ "      "

Octobre 1995

Visa - Banque Scotia 677,88 $ "      "

Novembre 1995

Visa - Banque Scotia 1 231,21 $ "      "

Décembre 1995

Visa - Banque Scotia 404,96 $ "      "

Mai 1996

Visa - Banque Scotia 113,81 $ "      "

Juin 1996

Visa - Banque Scotia 61,40 $ "      "

_________

6 724,08 $

Ces dépenses de 6 724,08 $ ont été entièrement imputées à la rubrique “ promotion et déplacements ” et avaient été engagées dans les dernières années de l'exploitation – sous la direction de l'appelante – de l'entreprise du payeur, époque où, de l'aveu même de l'appelante, l'entreprise périclitait.

[21] Aucun élément de preuve n'a été présenté par l'appelante concernant les grands livres. La mention “ voyage en autobus ” semblerait n'avoir rien à voir avec l'entreprise du payeur, et on ne distingue aucune inscription de produit d'exploitation compensant cette dépense et indiquant que celle-ci était reliée à l'une quelconque des activités du payeur. Malheureusement, les produits d'exploitation ont été comptabilisés sous la forme de sommes globales, et leur provenance n’est pas mentionnée dans les grands livres. Est indiqué pour mai 1994 un revenu de 3 414,33 $, dont une somme de 2 000 $ provient d'un prêt. Est indiqué pour juin 1994 un revenu de 4 061 $, dont une somme de 2 000 $ provient également d'un prêt. Le revenu total pour ces deux mois ne représente que quelques centaines de dollars de plus que la dépense de 2 800 $. La dépense de 1 000 $ semble avoir été effectuée en même temps que la dépense de 2 800 $ ou conjointement avec cette dépense.

[22] Bien qu'il n'y ait rien d'illégal à ce qu'un actionnaire reçoive un prêt d'une compagnie – s'il s'agit bien d'un prêt – pour financer un voyage personnel, cela devrait être indiqué comme tel dans les comptes et, une fois la somme remboursée, une écriture de compensation devrait être passée dans les livres.

[23] Il se peut très bien que les dépenses susmentionnées aient été effectuées pour le bénéfice de l'appelante et que le montant en cause ait été subséquemment remboursé. Toutefois, il s’agit là d’une façon de procéder qui ne serait pas admise dans une relation de travail sans lien de dépendance. De telles opérations auraient dû être approuvées par le conseil d'administration, et des comptes rendus faisant état de l'approbation de telles opérations auraient dû être établis et signés par le conseil d'administration.

[24] Au début de l'audience, l'appelante a été avisée qu'il lui incombait de prouver qu'elle avait droit aux prestations qu'elle a reçues.

[25] Dans l'affaire Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, la Cour suprême du Canada a décrit les principes qui sont applicables quand une personne conteste les hypothèses de l'intimé. Dans cette cause-là, la cour traitait d'hypothèses faites par le ministre dans l'établissement d'une cotisation d'impôt. Les principes s'appliquent également à des hypothèses faites par l'intimé relativement à une décision rendue en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage. Le juge L'Heureux Dubé déclarait ceci aux pages 378 et 379 :

Il est bien établi en droit que, dans le domaine de la fiscalité, la norme de preuve est la prépondérance des probabilités [...] et que, à l'intérieur de cette norme, différents degrés de preuve peuvent être exigés, selon le sujet en cause, pour que soit acquittée la charge de la preuve [...] En établissant des cotisations, le ministre se fonde sur des présomptions [...] et la charge initiale de “ démolir ” les présomptions formulées par le ministre dans sa cotisation est imposée au contribuable [...] Le fardeau initial consiste seulement à “ démolir ” les présomptions exactes qu'a utilisées le ministre, mais rien de plus [...]

L'appelant s'acquitte de cette charge initiale de “ démolir ” l'exactitude des présomptions du ministre lorsqu'il présente au moins une preuve prima facie [...] Il est établi en droit qu'une preuve non contestée ni contredite “ démolit ” les présomptions du ministre [...]

Lorsque l'appelant a “ démoli ” les présomptions du ministre, le “ fardeau de la preuve [...] passe [...] au ministre qui doit réfuter la preuve prima facie ” faite par l'appelant et prouver les présomptions [...]

Lorsque le fardeau est passé au ministre et que celui-ci ne produit absolument aucune preuve, le contribuable est fondé à obtenir gain de cause [...]

[26] Une preuve prima facie est étayée d'éléments soulevant un tel degré de probabilité en sa faveur que, si elle est jugée digne de foi, elle doit être acceptée par la cour, à moins qu'elle ne soit réfutée ou que le contraire ne soit prouvé. Par contraste, une preuve concluante exclut la possibilité de la véracité d'une conclusion autre que celle qui est établie par cette preuve.

[27] Pour satisfaire à l'obligation de démolir les hypothèses de l'intimé, l’autre partie doit présenter suffisamment d'éléments de preuve pour établir une preuve prima facie. D'après une règle de preuve bien établie, l'omission, de la part d'une partie ou d'un témoin, de présenter une preuve que cette partie ou ce témoin était en mesure de présenter, et qui aurait pu permettre d'élucider les faits, fonde la cour à conclure que la preuve de cette partie ou de ce témoin aurait été défavorable à la partie à laquelle l'omission a été attribuée. La partie contre qui joue cette conclusion peut cependant faire état de circonstances ayant empêché la présentation d'une telle preuve (voir le jugement Murray v. Saskatchewan, [1952] 2 D.L.R. 499, aux pages 505 et 506).

[28] L'appelante a également été avisée que la Cour devait faire preuve d'un degré élevé de déférence judiciaire dans l'examen du règlement de l'intimé, pour ce qui est de l'allégation formulée par celui-ci en vertu de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage ou de l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'assurance-emploi et selon laquelle le payeur et l'appelante étaient des personnes liées, avaient entre eux un lien de dépendance et n'auraient pas conclu un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu entre eux un lien de dépendance.

[29] Dans l'affaire Attorney General of Canada (requérant) and Jencan Ltd. (intimée), (1997) 215 N.R. 352, la Cour d'appel fédérale a énoncé les critères en fonction desquels la Cour canadienne de l'impôt doit exercer sa compétence dans des appels relatifs à des demandes de prestations d'assurance-emploi rejetées par le ministre, lorsque ce dernier exerce son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage ou de l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'assurance-emploi. Ces critères peuvent être résumés comme suit.

[30] En exerçant sa compétence, notre cour doit faire preuve d'un degré élevé de déférence judiciaire dans l'examen du règlement du ministre. Bien que la Cour ait le pouvoir de trancher des questions de droit et de fait, sa compétence est circonscrite.

[31] Quoique la procédure soit désignée par le terme “ appel ”, en réalité elle s'apparente beaucoup à un contrôle judiciaire, la Cour devant déterminer non pas si le règlement du ministre était exact, mais plutôt s'il résultait d'un exercice approprié du pouvoir discrétionnaire du ministre.

[32] L'omission de tenir compte de toutes les circonstances pertinentes comme l'exige la Loi sur l'assurance-emploi, ou la prise en considération de faits non pertinents, représenterait un exercice inacceptable de ce pouvoir discrétionnaire.

[33] La Cour n'a pas le droit de substituer sa propre décision à celle du ministre parce qu'elle serait arrivée à une conclusion différente sur la foi des faits dont le ministre disposait. Toutefois, comme la partie appelante n'est pas dans le secret de la décision du ministre et a la charge de prouver le bien-fondé de sa cause, elle a le droit de présenter de nouveaux éléments de preuve pour contester les hypothèses de fait invoquées par le ministre. Si, après avoir examiné l'ensemble de la preuve, la Cour conclut que les faits sur lesquels le ministre s'était appuyé sont insuffisants en droit pour étayer le règlement de ce dernier, elle est fondée à scruter ce règlement et, si elle juge que le règlement est juridiquement défectueux, à intervenir.

[34] Une hypothèse de fait réfutée au procès ne représente pas nécessairement un défaut rendant le règlement du ministre contraire à la loi. Tout dépend des points forts et des points faibles du reste de la preuve. La Cour doit franchir une autre étape et se demander si, sans l'hypothèse de fait qui a été réfutée, il y a suffisamment d'éléments de preuve pour étayer le règlement du ministre.

[35] En résumé, l'entreprise du payeur était en fait une continuation du même type d'entreprise que celle que l'appelante avait exploitée sous le nom de Rocking Horse Ranch. L'appelante exploitait l'entreprise du payeur avec l'aide de son époux.

[36] Les actionnaires et administrateurs autres que l'appelante et son époux ne connaissaient guère l'exploitation quotidienne et ne s'y intéressaient guère. Ils n'avaient manifestement fait aucun investissement dans l'exploitation, et c'est sûrement pour rire que l'appelante a laissé entendre qu'ils se renseignaient sur les dividendes de temps à autre. Si tel avait été le cas, des dividendes auraient été payés au cours des bonnes années de l’entreprise, soit les années allant de 1987 à 1992. Aucune de ces personnes n'était assez intéressée pour comparaître à l'audience et étayer la thèse de l'appelante.

[37] De l'aveu de l'appelante, le payeur a été constitué pour faire en sorte que l'appelante et d'autres membres du personnel chargés de l'entraînement puissent recevoir des prestations durant les mois d'hiver, alors que les affaires marchaient au ralenti. Les actions du payeur ont été émises de manière à ce que l'appelante en ait moins de 40 p. 100 et que le reste soit détenu par de proches parents, lesquels sont devenus actionnaires pour aider l'appelante à atteindre ses objectifs.

[38] Je ne pouvais qu’être impressionné par l'honnêteté et la sincérité de l'appelante. Celle-ci répétait sans cesse qu'elle faisait appel de la décision pour le bénéfice des chômeurs et non pour son bénéfice personnel. Il était facile de voir qu'elle voulait vraiment que l'opération soit couronnée de succès, non seulement pour son propre bénéfice, mais aussi pour celui de la communauté dans laquelle elle vivait. Mieux conseillée et mieux orientée, elle aurait peut-être pu y parvenir.

[39] Je suis convaincu que l'appelante n'avait pas conclu un contrat de louage de services avec le payeur, c'est-à-dire qu'elle n'était pas dans une situation de subordination par rapport au payeur, indépendamment du fait qu'elle était payée par lui. En outre, il y avait un lien de dépendance entre le payeur et elle.

[40] De plus, je ne suis pas convaincu que, en l'absence d'un lien de dépendance, le payeur aurait conclu un contrat avec l'appelante pour que celle-ci s'acquitte de ses fonctions et gère les affaires du payeur comme elle l’a fait.

[41] L'appelante n'a pas réussi à démolir les hypothèses de l'intimé ni à démontrer que le pouvoir discrétionnaire conféré à l'intimé par l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage et l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'assurance-emploi avait été exercé d'une manière contraire à la loi, c'est-à-dire que l'intimé avait agi de mauvaise foi ou pour une fin ou un motif inacceptable, qu'il avait omis de prendre en considération toutes les circonstances pertinentes ou qu'il avait pris en considération un facteur non pertinent.

[42] Je rejette l'appel et confirme la décision de l'intimé.

Signé à Rothesay (Nouveau-Brunswick) ce 14e jour de décembre 1999.

“ Murray F. Cain ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de septembre 2000.

Philippe Ducharme, réviseur

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