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Date: 19980520

Dossier: 97-1767-IT-I

ENTRE :

LA SUCCESSION DE FEU MICHEL HAUSMANN,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] Les présents appels portent sur des cotisations établies pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 à l'égard de feu M. Hausmann et par lesquelles le ministre du Revenu national a inclus dans le revenu de feu M. Hausmann une pension reçue du gouvernement de la Belgique, soit des montants de 4 800 $, de 4 761 $ et de 5 217 $ respectivement. Il semble que les sommes aient été reçues en francs belges. Les cotisations étaient basées sur la division 56(1)a)(i)(C.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui se lit comme suit :

56.(1) Sans préjudice de la portée générale de l'article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition :

a) — toute somme reçue par le contribuable au cours de l'année au titre, ou en paiement intégral ou partiel :

(i) d'une prestation de retraite ou de pension, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède :

(C.1) tout paiement fait dans le cadre d'un mécanisme de retraite étranger prévu par la législation d'un pays, sauf dans la mesure où le paiement serait exclu du calcul du revenu du contribuable aux fins de l'impôt sur le revenu dans ce pays s'il y résidait.

[2] L'appelante invoque l'article XVIII de la Convention Canada-Belgique en matière d'impôt sur le revenu, qui se lit comme suit en anglais :

Article XVIII

Pensions and Annuities

1. Subject to the provisions of paragraph 2, periodic or non-periodic pensions and other similar allowances arising in a Contracting State and paid in consideration of past employment to a resident of the other Contracting State may be taxed in the Contracting State in which they arise.

2. Periodic or non-periodic social security pensions and other similar allowances and war veterans pensions paid by a Contracting State or a political subdivision, a local authority or a government instrumentality thereof (personne morale ressortissant à son droit public), shall be taxable only in that State.

3. Annuities arising in a Contracting State and paid to a resident of the other Contracting State may be taxed in the State in which they arise.

4. Any alimony or other maintenance payment arising in a Contracting State and paid to a resident of the other Contracting State who is subject to tax there in respect thereof, shall be taxable only in that other State.

[3] La version française de l'article XVIII se lit comme suit :

Article XVIII

Pensions et rentes

1. Sous réserve des dispositions du paragraphe 2, les pensions et autres allocations similaires, périodiques ou non, provenant d’un État contractant et versées au titre d’un emploi antérieur à un résident de l’autre État contractant sont imposables dans l’État contractant d’où elles proviennent.

2. Les pensions de sécurité sociale et les autres allocations similaires, périodiques ou non, ainsi que les pensions d’ancien combattant, qui sont payées par un État contractant, par une de ses subdivisions politiques ou collectivités locales ou par une personne morale ressortissant à son droit public, ne sont imposables que dans cet État.

3. Les rentes provenant d’un État contractant et payées à un résident de l’autre État contractant sont imposables dans l’État d’où elles proviennent.

4. Les rentes ou pensions alimentaires et les autres paiements d'entretien provenant d'un État contractant et versés à un résident de l'autre État contractant qui est soumis à l'impôt de ce chef, ne sont imposables que dans cet autre État.

[4] Les versions anglaise, française et flamande de la convention font également foi.

[5] Les paragraphes 5(1) et (2) de la Loi sur la Convention Canada-Belgique en matière d'impôt sur le revenu (1976) prévoyaient :

(1) La Convention conclue entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la Belgique, dont le texte figure à l'annexe II, est approuvée et a force de loi au Canada pendant la durée de validité prévue par son dispositif.

(2) INCOMPATIBILITÉ — La présente Partie et la Convention s'appliquent dans la limite des cas d'incompatibilité avec toute autre loi ou règle de droit.

[6] En passant, signalons que l'alinéa 110(1)f) permet de déduire lors du calcul du revenu imposable :

f) — toute prestation d'assistance sociale payée après examen des ressources, des besoins ou du revenu et incluse en application de la division 56(1)a)(i)(A) ou de l'alinéa 56(1)u) dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année ou toute somme dans la mesure où elle a été incluse dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année, représentant, selon le cas:

(i) une somme exonérée de l'impôt sur le revenu au Canada par l'effet d'une disposition de quelque convention ou accord fiscal avec un autre pays qui a force de loi au Canada.

[7] Cette disposition ne s'applique évidemment pas. Les paiements de pension n'étaient pas imposés en vertu de la division 56(1)a)(i)(A).

[8] Je ne comprends pas pourquoi il est nécessaire d'exclure du revenu imposable une somme qui est exonérée en vertu d'un traité. Une telle somme ne devrait pas avoir été incluse dans le revenu d'un contribuable et ne devrait donc pas être le fondement d'une déduction lors du calcul du revenu imposable. Quoi qu'il en soit, l'alinéa 110(1)f) n'est pas une base fiable pour l'interprétation du traité conclu avec la Belgique.

[9] En l'espèce, il s'agit essentiellement de savoir si les paiements de pension reçus par M. Hausmann de l'Office national des pensions du gouvernement de la Belgique étaient des « pensions de sécurité sociale et [...] autres allocations similaires » .

[10] M. Rymas Pranaitis, comptable occupant un poste de vérificateur principal au ministère du Revenu national, a témoigné et a expliqué le fondement de la cotisation. Le bureau de district de Toronto du ministère du Revenu national avait reçu de la direction de la vérification internationale du ministère une lettre contenant un certain nombre de bordereaux relatifs à des sommes payées à des résidents du Canada par le gouvernement de la Belgique. Le bordereau déposé en preuve comme bordereau typique de ceux qu'avait reçus M. Hausmann s'intitule « Fiche de pensions » (pièce R-4) et se lit comme suit :

2. pensions, rentes viagères et autres

allocations y assimilées 127.319

capitaux, valeurs de rachat et alloc.

en capital non convertibles en rente

ni imposables distinctement

total (A) 127.319 ***

arriérés taxables

distinctement (C) ***

[11] Un deuxième bordereau qui a été déposé en preuve (pièce R-5) concerne un autre contribuable, mais fait état de la réception d'une somme beaucoup plus importante (614,319 FB). Ce bordereau contenait toutefois la note supplémentaire suivante : « 5. Precompte prof. (ZA) 109,838 » .

[12] Des discussions avec le consulat de la Belgique ainsi qu'une lettre du ministère des Finances de la Belgique s'ensuivirent. Il semble que la désignation « ZA » indiquait que l'impôt était retenu en Belgique, alors que l'absence des lettres « ZA » indique qu'aucun impôt n'a été retenu. On avait également déclaré à M. Pranaitis que la pension que M. Hausmann avait reçue de l'Office national des pensions résultait du fait qu'il avait travaillé en Belgique. La personne du consulat belge qui avait informé M. Pranaitis avait dit que cette pension était « semblable au Régime de pensions du Canada » .

[13] La lettre du ministère des Finances de la Belgique (pièce R-6) se lisait en partie comme suit :

[TRADUCTION]

Tel étant le cas, je puis vous dire que les pensions dont il est question dans les fiches sont visées par les dispositions 1 ou 2 de l'article XVIII de la convention, selon leur type. Dans les deux cas, le pouvoir d'imposition est dévolu à l'État source (soit la Belgique en l'occurrence).

De plus, il n'y a aucune imposition ou retenue à la source en Belgique lorsque le revenu est sous le seuil imposable.

Quant au Canada, il doit éviter la double imposition de ces pensions de source belge en appliquant l'impôt dû en Belgique à l'impôt canadien. De cette manière, lorsqu'une pension n'a pas été effectivement imposée en Belgique, le Canada peut l'imposer sans restriction.

Les fiches 281.11 (relatives aux pensions) envoyées au Canada par mon ministère indiquent le montant de la pension annuelle (code A) et le montant de l'impôt (déductions salariales) retenu à la source (code ZA).

L'absence d'un code ZA signifie en principe qu'aucun impôt n'a été retenu à la source en Belgique.

[14] Cette lettre quelque peu présomptueuse, dans laquelle un fonctionnaire du gouvernement de la Belgique prétend donner des instructions au gouvernement du Canada sur la façon dont ce dernier devrait administrer sa législation fiscale, semble avoir servi de base à la cotisation. Pour l'essentiel, les personnes dont les bordereaux comportaient la désignation « ZA » n'étaient pas imposées par le Canada. Les personnes qui, comme M. Hausmann, n'étaient pas imposées par la Belgique et dont les bordereaux ne comportaient pas la désignation « ZA » étaient l'objet d'une cotisation.

[15] Selon la théorie, il semble que si la Belgique n'entend pas imposer la pension, le Canada doit le faire. Sinon, l'impensable pourrait se réaliser, c'est-à-dire que la somme pourrait ne pas être imposée par qui que ce soit. On jetterait l'anathème. Ce point de vue semble conforme à celui qui est exprimé dans la lettre de la Belgique.

[16] La question de savoir si la pension reçue par M. Hausmann était une pension de sécurité sociale au sens du traité ne semble pas avoir été considérée.

[17] Je commence par la Loi de l'impôt sur le revenu. La pension devait être incluse dans le revenu en vertu de la division 56(1)a)(i)(C.1), sauf dans la mesure suivante (version anglaise) :

[...] except to the extent that the amount would not, if the taxpayer were resident in the country, be subject to income taxation in the country.

[18] On aurait pu conclure exactement le contraire de ce qu'avait conclu le ministère du Revenu national : si les sommes n'étaient pas assujetties à l'impôt sur le revenu (subject to income taxation) en Belgique, elles étaient expressément exclues des dispositions de la division (C.1).

[19] L'expression « subject to income taxation » figurant dans la division (C.1) est un peu ambiguë. Elle peut vouloir dire « effectivement imposé » ou « susceptible d'être imposé, que le paiement soit ou non effectivement imposé (c.-à-d. non expressément exclu) » . La version française se lit comme suit :

(C.1) tout paiement fait dans le cadre d’un mécanisme de retraite étranger prévu par la législation d’un pays, sauf dans la mesure où le paiement serait exclu du calcul du revenu du contribuable aux fins de l’impôt sur le revenu dans ce pays s’il y résidait.

[20] La preuve semble établir que les paiements reçus par M. Hausmann se situaient sous un certain seuil et qu'ils n'ont donc pas été imposés par la Belgique. Toutefois, on ne sait pas clairement si le seuil est le même pour les résidents de la Belgique et les non-résidents. Cependant, une chose est bien claire, et c'est le fait que le principe à la base de la cotisation — à savoir que, si la Belgique n'a pas imposé les paiements, ceux-ci doivent être imposés par le Canada — est carrément erroné, tout comme l'opinion exprimée par le fonctionnaire de la Belgique dans la pièce R-6.

[21] Je passe maintenant au traité. La présente affaire concernait une somme relativement faible et a été entendue sous le régime de la procédure informelle. Néanmoins, toutes les causes relatives à un traité sont importantes et soulèvent des questions d'une vaste application. Les principes d'interprétation des traités permettent aux tribunaux de se reporter dans une large mesure à une preuve extrinsèque, y compris des éléments de preuve portant sur les lois du pays avec lequel le Canada a conclu un traité et sur l'interprétation de ce traité par l'autre partie. Voir les jugements Crown Forest Industries c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 802, et RMM Canadian Enterprises Inc. et al. v. The Queen, 97 DTC 302, aux pages 313 à 316.

[22] Malheureusement, des contraintes financières ont empêché la présentation d'éléments de preuve par des experts fiscaux de la Belgique. Je dois donc me fonder sur la preuve disponible, soit en grande partie du ouï-dire. (Voir les jugements Ainsley v. Canada, [1997] A.C.F. no 701, et Brennan v. Canada, [1997] A.C.I. no 971.)

[23] En vertu du traité, la question est de savoir si les paiements de pension reçus par M. Hausmann sont des « pensions de sécurité sociale » . Cette expression n'est pas définie dans le traité. La pièce A-1 traite d'une « rente de vieillesse » . La personne du consulat belge qui a informé le ministère disait que la pension était « semblable au Régime de pensions du Canada » .

[24] Un élément de preuve convaincant (pièce A-2) est un passage des Cahiers de droit fiscal international, publiés par l'Association fiscale internationale. Il semble se dégager clairement de ce document que le très large filet du régime de sécurité sociale de la Belgique inclut le paiement de pensions du genre de celle qui nous occupe ici. Le sommaire du rapport du rapporteur national belge, Christian Willems, qui figure dans le rapport de la 38e conférence de l'AFI, tenue en 1984, se lit en partie comme suit :

[TRADUCTION]

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Belgique a un régime général de sécurité sociale pour les employés. Les droits généraux et traditionnels que prévoit le régime sont les suivants : remboursements de frais médicaux, prestations familiales, prestations de chômage, prestations pour incapacité de travailler et pensions, y compris les pensions de veufs et de veuves. Le régime est géré par une institution publique, l'Office national de sécurité sociale, dont le budget consiste dans les cotisations de sécurité sociale des employés et des employeurs (pourcentage de la rémunération brute des employés) et dans des subventions de l'État. Le versement des prestations est assuré dans le cadre d'un système mixte administré par des organismes publics et privés.

Sauf disposition contraire d'une convention internationale, tout employé, quelle que soit sa nationalité, qui travaille en Belgique et dont l'employeur a son siège en Belgique ou y a une usine ou un bureau auquel est rattaché l'employé entre dans le cadre du régime de sécurité sociale belge. Ce principe de territorialité, dont une application stricte a souvent donné lieu à des situations où des paiements doubles étaient dus, a été atténué par des conventions internationales bilatérales ou multilatérales. Il convient ici de mentionner particulièrement les activités de la Commission européenne, qui a régularisé la situation des travailleurs migrants en introduisant les principes de non-discrimination, la totalisation des périodes d'assurance prises en compte par les différentes législations nationales, ainsi que l'octroi transfrontalier des prestations, et en déterminant le droit applicable.

[25] En admettant que la pension belge est semblable au Régime de pensions du Canada, il semble très clair que les pensions de ce genre sont des pensions de sécurité sociale. Il semble que ce soit là un des éléments fondamentaux de tout le système de sécurité sociale de la Belgique.

[26] De plus, il est utile de considérer la façon dont le Canada interprète ces mots dans ses relations avec d'autres parties signataires d'une convention fiscale. La modification apportée à l'article XVIII de la convention fiscale Canada-États-Unis par le protocole de 1995, qui cède au pays de résidence d'un bénéficiaire le droit exclusif de percevoir un impôt sur les « prestations payées en vertu de la législation sur la sécurité sociale » part du principe que les paiements de RPC sont des « prestations de sécurité sociale » . C'est ce qu'indique un communiqué du ministère des Finances du 23 décembre 1997, de même que le document d'information relatif au communiqué du ministère des Finances du 9 avril 1997.

[27] Ce que j'en conclus, c'est que le Canada considère les paiements de RPC comme des prestations de sécurité sociale. Donc, en négociant la convention fiscale Canada-Belgique, le Canada et la Belgique considéraient indiscutablement les pensions payées en vertu de leur législation sur la sécurité sociale, par exemple le RPC ou le régime législatif belge correspondant, comme n'étant imposables seulement dans le pays duquel elles provenaient et non dans le pays de résidence du bénéficiaire.

[28] L'avocate de l'intimée a soutenu que les pensions basées sur un emploi antérieur sont visées par la disposition 1 de l'article XVIII et que seules les pensions non basées sur un emploi antérieur sont visées par la disposition 2. En toute déférence, je ne suis pas d'accord. Une telle interprétation fait fi des termes « Sous réserve des dispositions du paragraphe 2 » . Une telle conclusion exclurait de l'article 2 les prestations du Régime de pensions du Canada, car elles sont basées sur un emploi antérieur.

[29] J'ai conclu que les paiements de pension reçus par feu M. Hausmann de l'Office national des pensions sont des pensions de sécurité sociale et allocations similaires et qu'elles ne sont imposables que par la Belgique. Le fait que la Belgique ait choisi de ne pas les imposer en l'espèce n'est pas pertinent.

[30] Les appels sont admis, avec dépens, et les cotisations pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation de manière à supprimer du revenu de feu Michel Hausmann les paiements de pension de 4 800 $, de 4 761 $ et de 5 217 $ respectivement.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de mai 1998.

« D. G. H. Bowman »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de janvier 1999.

Isabelle Chénard, réviseure

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