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Date: 19990113

Dossier: 97-1522-UI

ENTRE :

GLENN V. CAMERON,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

AECOMETRIC CORPORATION,

intervenante.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu à Calgary (Alberta) le 21 mai 1998.

[2] L'appelant Glenn Cameron (“ Cameron ”) interjette appel de la décision du ministre du Revenu national (le “ ministre ”) du 28 mai 1997 à l'effet que son emploi chez Aecometric Corporation (la “ société ”) du 23 février au 28 juin 1996 n'était pas un emploi assurable en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage (ci-après la “ Loi ”). La raison sous-jacente à la décision était que :

[TRADUCTION]

Il a été décidé que cet emploi n'était pas assurable et n'ouvrait pas droit à pension pour la raison suivante : vous n'avez pas été embauché en vertu d'un contrat de louage de services et, par conséquent, vous n'étiez pas un employé de Aecometric Corporation durant la période en question.

[3] Les faits établis révèlent que Cameron a été employé, vice-président et gérant des ventes de la société durant plusieurs années avant la période en question. Son oncle, un dénommé Larry Anderson de l’Ontario, était le propriétaire et exploitant principal de la société, laquelle fabriquait et vendait des brûleurs. L'appelant était responsable des ventes de l'Ouest canadien, des États-Unis et du Mexique. À la suite de divergences entre Cameron et son oncle, ils se sont rencontrés en Ontario le 28 février 1996. La société, à titre d'intervenante, a adopté la position, entérinée par la suite par le ministre, selon laquelle, à partir de ce moment, Cameron n'était plus un employé, mais un agent de ventes à commission travaillant à son propre compte pour la société en même temps que pour d'autres sociétés. La position de Cameron était que, quoique Larry Anderson lui ait demandé de signer un contrat pour modifier son statut, il ne l'a jamais fait, n'a jamais convenu de le faire et a simplement poursuivi son travail à titre d'employé, accomplissant les mêmes fonctions jusqu'à la fin de juillet 1998. C'est à ce moment qu'il a reçu une lettre de Jill Anderson, l’épouse de Larry Anderson qui avait alors subi un ACV. Il l’a prise pour une lettre de congédiement qui mettait fin à son emploi.

[4] La question en litige est de savoir si le statut de Cameron à titre d'employé a été modifié à la rencontre de février. La question à savoir s’il y avait un motif valable justifiant le renvoi ne concerne pas la Cour; si j’ai bien compris, cette question fait l'objet d'un autre litige. La Cour doit plutôt considérer la question à savoir si oui ou non, on a mis fin en février 1996, ou à n’importe quel moment par la suite au cours de la période en question, à l’arrangement selon lequel Cameron travaillait à titre d’employé.

Le droit

[5] Quoique la Cour puisse à juste titre tenir compte du critère établi par la Cour d'appel fédérale pour décider si l'entente de travail entre Cameron et la société était un contrat de louage de services, auquel cas l’emploi était assurable, ou un contrat d'entreprise, auquel cas il existait une relation d'entrepreneur indépendant, il me semble que la situation qui nous intéresse est davantage une question de fait que de droit. La question consiste à déterminer ce qui s’est passé à la rencontre de février entre Cameron et Larry Anderson. Avant cette rencontre, la relation qui existait était clairement une relation employeur-employé. Si l’on a modifié ou terminé cette relation à la rencontre de février ou par la suite, la Cour considérerait alors la nature de la relation au cours des mois subséquents.

[6] La façon dont la Cour doit procéder pour déterminer si un arrangement spécifique représente un contrat de louage de services, donc une relation employeur-employé, ou un contrat d'entreprise, donc une relation avec un entrepreneur indépendant, a été clairement énoncée par la Cour d'appel fédérale dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R., 87 DTC 5025. Le critère à appliquer a été par la suite explicité par la même cour dans Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. v. M.N.R., 88 DTC 6099. À la suite de ces arrêts, notre Cour a rendu de nombreuses décisions, dont certaines ont été citées par les avocats, qui démontrent de quelle façon ces lignes directrices établies en appel ont été appliquées. Dans l’arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc, précité, la Cour d'appel fédérale a énoncé :

“ [Analyse]

La cause décisive concernant cette question dans le contexte de la loi est la décision de la Cour dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. Le Ministre du Revenu national, 87 DTC 5025. Parlant au nom de la Cour, le juge MacGuigan a analysé des causes canadiennes, britanniques et américaines et, en particulier, il a mentionné les quatre critères pour rendre une telle décision qui sont énoncés par lord Wright dans l'affaire La Ville de Montréal c. Montreal Locomotive Works Ltd., [1974] 1 D.L.R. 161, aux pages 169 et 170. Il a conclu à la page 5028 que

Dans ce contexte, les quatre critères établis par lord Wright [contrôle, propriété des instruments de travail, chances de bénéfice, risques de perte] constituent une règle générale, et même universelle, qui nous oblige à [TRADUCTION] “ examiner l'ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties ”. Quand il s'est servi de cette règle pour déterminer la nature du lien existant dans l'affaire Montreal Locomotive Works, lord Wright a combiné et intégré les quatre critères afin d'interpréter l'ensemble de la transaction.

À la page 5029, il déclare :

Je considère le critère de lord Wright non pas comme une règle comprenant quatre critères, comme beaucoup l'ont interprété, mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé [TRADUCTION]“ l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations ” et ce même si je reconnais l'utilité des quatre critères subordonnés.

...

À la page 5030, il poursuit :

Il est toujours important de déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles.

Il fait également observer : “ Quand il doit régler un tel problème, le juge de première instance ne peut se soustraire à l'obligation de peser avec soin tous les facteurs pertinents ”.

... comme le juge MacGuigan, nous considérons les critères comme des subordonnés utiles pour peser tous les faits relatifs à l'entreprise de la requérante. C'est maintenant l'approche appropriée et préférable pour la très bonne raison que dans une cause donnée, et celle-ci peut très bien en être une, un ou plusieurs des critères peuvent être peu ou pas applicables. Pour rendre une décision, il faut donc considérer l'ensemble de la preuve en tenant compte des critères qui peuvent être appliqués et donner à toute la preuve le poids que les circonstances peuvent exiger.

[7] Les critères auxquels la Cour d’appel fédérale fait référence peuvent se résumer ainsi :

a) le degré, ou l'absence, de contrôle exercé par le prétendu employeur;

b) la propriété des instruments de travail;

c) les chances de bénéfice et les risques de perte;

d) l'intégration des travaux effectués par les prétendus employés dans l’entreprise de l'employeur présumé.

[8] Je tiens également compte des propos ultérieurs du juge MacGuigan dans l’affaire Wiebe, précitée, où il a approuvé l'approche adoptée par les cours anglaises :

C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732, qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (pp. 738-739) :

[TRADUCTION] “ Les remarques de lord Wright, du lord juge Denning et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci : “ La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte? ” Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement. ”

Les faits

[9] Cameron a été le seul à témoigner. Quoique la société soit très habilement représentée à l'audience par son avocat, elle n’a pas comparu, et ni Larry ni Jill Anderson s’est présenté non plus. Cameron a été contre-interrogé vigoureusement par l'avocat de la société.

[10] Il est évident que, jusqu'à février 1996, Cameron était considéré comme un employé de la société. Toutefois, au cours des mois précédents, Larry Anderson est entré en possession de renseignements selon lesquels Cameron travaillait pour d'autres sociétés qui pourraient devenir des compétitrices. Les deux hommes ont échangé un certain nombre de lettres, de télécopies et d’appels téléphoniques. Il est clair pour la Cour que Larry Anderson désirait mettre fin à la relation employeur-employé et la remplacer par un contrat d'entreprise selon lequel Cameron serait rémunéré à commission et non à salaire. Il a préparé une ébauche de contrat dans ce sens (voir pièce A-5). Il s'est évidemment senti contraint du fait que Cameron était de sa famille. Toutefois, en février, il a insisté pour obtenir une rencontre personnelle et c'est dans ce but que Cameron s'est rendu en Ontario.

[11] La preuve contient uniquement la version de Cameron de ce qui s’est passé à cette rencontre. Il a mentionné qu'avant la rencontre il avait consulté un avocat qui lui avait conseillé de ne rien accepter et d'obtenir d'Anderson qu'il mette par écrit tout ce qu'il avançait.

[12] Il a mentionné qu'à la rencontre on lui avait adressé diverses plaintes reliées, entre autres, à ses relations avec d'autres sociétés : il s'était alors justifié. Ils avaient discuté également des frais de déplacement et de son travail actuel. On lui avait mentionné que Larry Anderson voulait qu'il change son statut à celui d'agent de ventes, travaillant uniquement à commission. Il a témoigné avoir demandé à Anderson de le mettre par écrit, ce que son avocat lui avait conseillé. Il est évident qu'il n'a rien signé à cette rencontre; dans le cas contraire, je suis persuadé qu’un tel document aurait été présenté en preuve et qu’on lui aurait demandé de l’expliquer. Il a mentionné qu'il avait reçu le contrat écrit par courrier en avril 1996. On lui a fortement suggéré qu'il l'avait reçu à la rencontre, mais il a nié la suggestion.

[13] Je note que le contrat signé au nom de la société est daté du 1er février 1996, bien que la rencontre ait eu lieu le 28 février.

[14] Cameron a témoigné du fait qu'il avait l'impression, après cette rencontre, qu'il n'était pas renvoyé et qu'il se contenterait d'examiner le contrat quand il le recevrait. Entre-temps, il avait l'impression que ses tâches à la société n'avaient pas été modifiées.

[15] Il est clair dans mon esprit qu'au cours des mois qui ont suivi il a reçu des chèques de paye pour son salaire régulier à partir duquel les retenues légales habituelles ont été faites. Ces chèques ont été réduits de 25 % en mai et de 50 % en juin, ce qui correspond au document qu'il avait reçu par télécopieur le 6 février 1996 (pièce A-3) et aux conditions du contrat écrit (pièce A-5). Cameron affirme qu'il n'a jamais accepté ces réductions.

[16] Je suis porté à croire Cameron sur ces points, à savoir qu'il n'avait rien accepté, qu'il n'avait pas été congédié et qu'il continuait d'accomplir les mêmes fonctions. Quoiqu'il ait été imprécis sur plusieurs sujets, au point d'en être frustrant, il était ferme sur ces points. Qui plus est, sa preuve a été corroborée selon moi par la lettre de Jill Anderson (pièce A-6) du 25 juillet 1996. Mme Anderson y précise :

[TRADUCTION]

Je pense que nous sommes arrivés à une impasse et que tu devras prendre une décision ferme.

[17] Cette phrase m'indique qu'aucune décision ferme n'avait encore été prise. Dans cette même lettre, Mme Anderson mentionne également que le contrat écrit a été envoyé à Cameron en avril, ce qui s’accorde avec la déposition de ce dernier. Elle ajoute que le contrat datait du 1er février 1996, “ conformément à l'entente orale conclue par téléphone entre Larry et toi-même ”. Toutefois, je considère qu'une telle entente n'a jamais existé, mais qu'il s'agissait simplement de l'expression unilatérale de Larry de son désir de changer les choses à partir de ce moment.

[18] Mme Anderson a également précisé dans cette lettre :

[TRADUCTION]

Jusqu'à maintenant, nous t’avons payé ton salaire comme si tu avais accepté cette entente.

[19] Cette assertion aussi m'indique que dans les faits Cameron n'avait pas à ce moment confirmé l'entente et qu'en fait il n'y avait pas d'entente.

[20] Finalement, elle poursuit dans sa lettre :

[TRADUCTION]

Nous ne désirions pas résilier le contrat tant que tu n'aurais pas pris une décision finale et cela nous empêchait de faire une annonce dans un sens ou dans l'autre [à savoir si oui ou non Cameron demeurerait avec la société].

[21] Cette phrase me confirme également le fait que, bien qu’on veuille que Cameron devienne un agent de ventes ou quitte définitivement la société, on lui a jusqu’à ce point laissé le soin d’en décider, et les relations de travail antérieures n'avaient pas encore été modifiées.

[22] Un autre élément de preuve qui renforce cette conclusion est le relevé d'emploi, qui n'a pas été rempli avant le 25 octobre 1996. Si l’on avait mis fin à cet emploi en février comme la société l'affirme, alors sûrement ce document aurait été préparé et envoyé à ce moment ou peu après. Au contraire, rien n'indique une cessation d'emploi en février, tel que le suggère la société. Cameron a subi beaucoup de pression pour modifier l'entente de travail et signer le formulaire de contrat. Toutefois, la preuve est claire dans mon esprit, qu'en fait, le contrat n'avait pas été modifié avant qu'il ne reçoive la lettre de juillet qu'il a considérée comme un licenciement implicite. À ce moment-là, il recevait déjà seulement la moitié de son salaire, sinon moins, et il réclamait vigoureusement certaines dépenses liées au travail qu’on ne lui remboursait pas.

Conclusion

[23] Après avoir entendu le témoignage de Cameron et examiné les divers documents déposés en preuve, je considère fortement que son emploi chez la société avait continué d'être exercé en vertu d’un contrat de louage de services tout au long de la période en question. J'accepte son témoignage, vu qu’il est corroboré sur les principaux points par la preuve documentaire. Je ne le considère pas du tout nécessaire d’examiner les critères de Wiebe Door en détail. Quoiqu'il semble clair qu’on poussait Cameron vers la porte de sortie, pour ainsi dire, à la fin de la période, il n'y a eu aucun changement significatif dans ses conditions de travail qui me ferait penser, indépendamment de la rencontre, qu’il y a eu un changement de fait d'un contrat de louage de services à un contrat d'entreprise. À mon point de vue, il est demeuré un employé tout au long de la période en question. S’il a en plus effectué des travaux pour d'autres sociétés – et en autant que j'aie pu l'établir ces travaux semblent avoir été minimes –, ils ne représentaient pas plus qu’un certain travail au noir et n'ont rien enlevé à son emploi principal.

[24] En l’occurrence, l'appel est accueilli et la décision du ministre est infirmée.

Signé à Calgary (Alberta) ce 13e jour de janvier 1999.

“ Michael H. Porter ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 14e jour de juillet 1999.

Stephen Balogh, réviseur

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