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Date: 20001114

Dossier: 1999-3974-IT-I

ENTRE :

DEREK HOGG,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Campbell, C.C.I.

[1] L’appelant a été nommé à la Cour provinciale de l’Ontario, Division criminelle, en 1984. Depuis quatre ans et demi, il est juge administratif de la cour provinciale du East Mall, à Etobicoke. Cette cour est le siège du tribunal. La pièce A-1 est une lettre datée du 9 février 1999 et signée par le juge en chef adjoint de la Cour, qui confirme que l’appelant a été affecté au siège du tribunal du East Mall ainsi qu’aux autres endroits où il peut être appelé à exercer sa charge judiciaire.

[2] L’appelant recevait une allocation non imposable pour l’utilisation de son véhicule, en fonction du nombre de kilomètres parcourus en excédent de 15 kilomètres, lorsqu’il devait s’acquitter de ses fonctions ailleurs qu’au siège du tribunal.

[3] L’appelant a indiqué qu’il y avait deux raisons pour lesquelles il devait utiliser un véhicule pour faire l’aller-retour entre sa résidence et le siège du tribunal :

1. l’impossibilité d’utiliser les transports publics, c’est-à-dire la nécessité d’avoir un véhicule à sa disposition au cours de la journée pour se rendre à des réunions, à d’autres tribunaux, etc.;

2. des questions de sécurité.

[4] Un certain nombre de pièces ont ensuite été produites au cours du témoignage de l’appelant pour étayer les problèmes de sécurité avec lesquels l’appelant a affirmé être aux prises de manière continue. Au nombre de ces pièces figuraient des articles de journaux et des entrevues au sujet des problèmes de sécurité, des notes de service sur des problèmes d’introduction par effraction et d’autres questions de sécurité, des constats ou des comptes rendus d’alerte à la bombe au palais de justice et la transcription d’éléments de preuve dans lesquels des menaces étaient proférées contre l’appelant. Les pièces produites et le témoignage de l’appelant indiquent que les problèmes de sécurité sont une réalité quotidienne. Il semblerait, d’après la preuve, que des améliorations ont été apportées, en grande partie grâce à l’acharnement que met l’appelant à régler la question, mais il existe encore des problèmes bien réels.

[5] L’appelant affirme que les problèmes de sécurité l’ont empêché d’utiliser le réseau de transport public pour se rendre de sa résidence au siège du tribunal et en revenir à la fin de sa journée de travail. Il a aussi affirmé avoir besoin de sa voiture pendant la journée. Il a déduit les montants de 12 330,01 $ et de 14 668,15 $ à titre de dépenses accessoires liées à l’emploi au cours des années d’imposition 1996 et 1997 respectivement. Ces dépenses comprenaient des frais comptables, des frais juridiques et les frais afférents à un véhicule à moteur, dont la déduction a été rejetée. Au cours de l’audience, l’appelant et l’intimée ont convenu d’abandonner les questions relatives aux frais comptables et frais juridiques de 422,65 $ et 5 371,40 $ respectivement pour les années d’imposition 1996 et 1997.

[6] Il reste donc à trancher la question des frais afférents à un véhicule moteur de 11 907,36 $ et de 9 296,75 $, dont l’appelant a demandé la déduction dans les années d’imposition 1996 et 1997. Ni l’appelant ni l’intimée ne se sont particulièrement attardés sur ces montants, si ce n’est pour clarifier les questions que je dois trancher. Les deux avocats ont convenu que la Cour n’avait pas à se pencher sur les questions du quantum et des courtes distances parcourues entre les divers lieux de travail (moins de 15 kilomètres, non remboursées par l’employeur), et que la seule question à trancher dans les plaidoiries était celle de la déductibilité des frais afférents à un véhicule à moteur engagés par l’appelant pour se rendre de sa résidence au siège du tribunal et en revenir à la fin de la journée de travail.

[7] J’en viens maintenant au cadre législatif dans lequel cette question s’inscrit. À l’alinéa 3(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui énonce les règles fondamentales régissant le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition, il est dit que le revenu tiré d’une charge ou d’un emploi doit être inclus. Le terme “ charge ” est défini de la manière suivante au paragraphe 248(1) de la Loi :

“ charge ” Poste qu’occupe un particulier et qui lui donne droit à un traitement ou à une rémunération fixes ou vérifiables, y compris une charge judiciaire [...] (je souligne).

Cette disposition définit comme suit le terme “ emploi ” :

“ emploi ” Poste qu’occupe un particulier, au service d’une autre personne (y compris Sa Majesté ou un État ou souverain étrangers); “ préposé ” ou “ employé ” s’entend de la personne occupant un tel poste.

[8] L’article 8 porte sur les montants qui peuvent être inclus dans le revenu d’un contribuable tiré d’un emploi ou d’une charge. L’interdiction générale de déduire certains montants est énoncée au paragraphe 8(2), qui est ainsi libellé :

Seuls les montants prévus au présent article sont déductibles dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi.

[9] Les exceptions dont il est question au paragraphe 8(2) sont énoncées au paragraphe 8(1). Les dispositions applicables du paragraphe 8(1) en l’espèce sont l’alinéa 8(1)h), qui porte sur les frais de déplacement, et l’alinéa 8(1)h.1), qui porte sur les frais afférents à un véhicule à moteur. L’alinéa 8(1)h) dit ceci :

8. (1) Sont déductibles dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qu’il est raisonnable de considérer comme s’y rapportant :

[...]

h) frais de déplacement - lorsque le contribuable, au cours de l’année, à la fois :

(i) a été habituellement tenu d’exercer les fonctions de son emploi ailleurs qu’au lieu d’affaires de son employeur ou à différents endroits,

(ii) a été tenu, en vertu de son contrat d’emploi, d’acquitter les frais de déplacement qu’il a engagés pour l’accomplissement des fonctions de sa charge ou de son emploi,

les sommes qu’il a dépensées pendant l’année (sauf les frais afférents à un véhicule à moteur) pour se déplacer dans l’exercice des fonctions de son emploi, sauf s’il a, selon le cas :

(iii) reçu une allocation pour frais de déplacement qui, par l’effet des sous-alinéas 6(1)b)(v), (vi) ou (vii), n’est pas incluse dans le calcul de son revenu pour l’année,

(iv) demandé une déduction pour l’année en application des alinéas e), f) ou g);

(je souligne)

[10] L’alinéa 8(1)h.1) est ainsi libellé :

h.1) frais afférents à un véhicule à moteur - dans le cas où le contribuable, au cours de l’année, a été habituellement tenu d’accomplir les fonctions de son emploi ailleurs qu’au lieu d’affaires de son employeur ou à différents endroits et a été tenu, aux termes de son contrat d’emploi, d’acquitter les frais afférents à un véhicule à moteur qu’il a engagés dans l’accomplissement des fonctions de sa charge ou de son emploi, les sommes qu’il a dépensées au cours de l’année au titre des frais afférents à un véhicule à moteur pour se déplacer dans l’exercice des fonctions de son emploi, sauf s’il a, selon le cas :

(i) reçu une allocation pour frais afférents à un véhicule à moteur qui, par l’effet de l’alinéa 6(1)b), n’est pas incluse dans le calcul de son revenu pour l’année,

(ii) demandé une déduction pour l’année en application de l’alinéa f);

[11] L’arrêt clé qui s’applique en l’espèce est la décision Ricketts v. Colquhoun, [1926] AC 1, qui énonce la règle générale voulant que les frais engagés par un employé pour se rendre à son travail et en revenir ne sont pas déductibles.

[12] L’appelant et l’intimée ont tous deux présenté des observations sur la question de savoir si l’appelant était ou non employé en vertu d’un contrat d’emploi et, par conséquent, si l’obligation d’engager des frais de déplacement constituait une condition d’emploi. Je conclus que l’appelant occupait une charge judiciaire, et qu’il n’était pas employé en vertu d’un contrat d’emploi écrit ou verbal. Au paragraphe 248(1), les termes “ charge ” et “ emploi ” sont définis séparément. L’appelant n’était pas un employé engagé en vertu d’un contrat d’emploi, d’une entente ou quoi que ce soit d’autre. Il occupe une charge qui lui a été confiée par voie de nomination. Je ne trouve rien dans la Loi qui justifierait de faire une distinction entre une charge et une entreprise aux fins de trancher la question dont je suis saisi.

[13] Le droit sur cette question a été bien établi depuis l’affaire Ricketts. Les frais de déplacement engagés pour se rendre au travail ne sont pas déductibles. Il s’agit de dépenses personnelles.

[14] Les tribunaux ont toujours rejeté la déduction de ces frais de déplacement dans le calcul du revenu. Ils les ont traités comme des dépenses qui permettent à un contribuable d’exercer son emploi, non pas comme des dépenses engagées dans le cours de l’exercice des fonctions liées à l’emploi. Chaque contribuable doit nécessairement se rendre à son lieu de travail, où qu’il se trouve, pour gagner un revenu, mais les dépenses engagées à cette fin ne sont pas déductibles. En l’espèce, l’appelant à soutenu que, pour des raisons de sécurité, il devait utiliser un véhicule plutôt que les transports publics, et que ces considérations liées à la sécurité le faisaient entrer dans une catégorie tout à fait différente de celle des autres employés.

[15] Quoi que je souscrive au témoignage de l’appelant et aux observations de son avocat selon lesquelles il compromet probablement moins sa sécurité en utilisant son propre véhicule pour se rendre au travail, je ne trouve aucune disposition législative qui permette à l’appelant de déduire les montants en cause en l’espèce. Les tribunaux ont établi une distinction entre les frais de déplacement engagés dans le cours d’un emploi et les frais de déplacement pour se rendre au travail. Ces derniers frais ont toujours été considérés comme des frais personnels ou de subsistance, à moins que l’employé ne soit tenu d’utiliser un véhicule et que le défaut de satisfaire à cette exigence donne lieu à l’imposition d’une mesure disciplinaire ou entraîne son congédiement.

[16] Dans l’arrêt R. c. E.E. Deimert, [1976] 2 C.F. 697 ([1976] C.T.C. 301), le juge Cattanach a examiné ce type de dépenses et a déclaré, à la page 704 (C.T.C. : à la page 306) :

[...] il est bien établi que les frais de déplacement pour se rendre au travail ne peuvent pas être déduits de la rémunération reçue pour l’exécution du travail aux fins du calcul du revenu imposable. Il faut distinguer entre les déplacements du contribuable dans le cours de son emploi [...] et les déplacements pour se rendre au travail,

Et à la page 710 (C.T.C. : à la page 311), il a ajouté :

En l’espèce, les déplacements du défendeur dans son automobile personnelle n’étaient pas faits au profit de l’employeur, ni pour son compte, ni selon ses instructions et l’employeur ne surveillait aucunement le défendeur pendant qu’il faisait des déplacements. Ces déplacements n’intéressaient l’employeur que dans la mesure où le défendeur était présent en temps et lieu à son travail.

[17] Au cours de l’interrogatoire principal de l’appelant, on a fait valoir que les questions de sécurité ne revêtiraient pas la même importance si l’appelant habitait à London (Ontario), par exemple, plutôt que dans un grand centre comme Toronto (Ontario). L’appelant a déclaré qu’au palais de justice de London (Ontario), par exemple, la sécurité était bien meilleure qu’à Toronto (Ontario). Il se peut que la qualité des mesures de sécurité en place dans un palais de justice ou que la seule taille d’une ville rendent les déplacements d’un juge plus sûrs, mais ce ne sont pas là des questions sur lesquelles la Cour doit se pencher, ou se prononcer.

[18] La décision de l’appelant d’utiliser son véhicule personnel pour se rendre au travail, quoique motivée par des considérations d’ordre sécuritaire, était une décision personnelle, qui ne relève donc pas de l’application de l’article 8 de la Loi. Au paragraphe 8(10), il est dit que l’employeur du contribuable doit remplir et produire des formulaires T2200 pour que les montants puissent être déductibles aux termes de l’article 8. L’appelant et l’intimée ont tous deux présenté des arguments concernant la validité de ces certificats. Je conviens avec l’avocate de l’intimée que l’exactitude ou l’inexactitude des données fournies dans ce formulaire n’est pas pertinente, mais pour des raisons différentes de celles qu’elle a invoquées, à savoir que le formulaire n’attestait pas de la nécessité d’engager les frais. Je fonde plutôt ma conclusion sur le fait que le paragraphe 8(10) ne s’applique pas à l’affaire dont je suis saisie étant donné que j’ai conclu que les montants dont l’appelant a demandé la déduction n’étaient pas déductibles, de toute façon, aux termes de l’article 8.

[19] L’appel doit être rejeté étant donné que les dépenses engagées pour se rendre au travail et en revenir à la fin de la journée ne sont pas des dépenses déductibles dans le cadre de la “ charge ” judiciaire de l’appelant, qu’elles sont plutôt des frais purement personnels qui ne sont pas visés par la loi. En rejetant l’appel, je ne minimise d’aucune façon les risques que court l’appelant dans l’exercice de sa charge. Il se peut fort bien que le remboursement des frais soit en fait la responsabilité de l’employeur.

[20] En terminant, même si cela n’a aucun rapport avec la décision, je juge nécessaire de formuler des observations concernant plusieurs déclarations faites par l’appelant relativement au remboursement de frais de déplacement semblables auquel d’autres juges auraient droit. L’appelant a affirmé que la plupart des juges avaient le droit de déduire des montants au titre des frais de déplacement et qu’il se trouvait donc à être traité différemment par Revenu Canada. Exception faite de ces vagues prétentions de l’appelant ainsi que d’une lettre datée du 21 février 1997 (pièce A-1) et d’une ébauche de lettre non signée adressée, semble-t-il, par le “ juge principal régional ” à chaque juge du tribunal (pièce A-13), aucun autre élément de preuve n’a été produit sur cette question. La correspondance que je viens de mentionner confirme simplement que les juges peuvent être appelés à siéger à d’autres endroits dans la province pour s’acquitter de leur charge judiciaire et que les frais d’utilisation d’un véhicule personnel leur seront alors remboursés au tarif établi, mais que les montants ainsi payés ne seront pas inclus dans leur revenu imposable. Il est ensuite question des déplacements effectués à partir du siège du tribunal, non pas de la résidence. J’ai de la difficulté à croire, après avoir lu la lettre, que des contribuables reçoivent un traitement préférentiel. Je ne suis pas obligée de tirer quelque conclusion que ce soit sur ce point, et je serais on ne peut plus surprise d’apprendre que des contribuables sont traités différemment dans les faits. Qui plus est, même s’il avait été établi que l’appelant n’avait pas bénéficié du même traitement, la Cour ne pourrait en tenir compte pour rendre sa décision.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de novembre 2000.

“ Diane Campbell ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 28e jour de mars 2001.

Isabelle Chénard, réviseure

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