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Dossier : 2013-2354(IT)G

ENTRE :

DFRANK CH. HOKHOLD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 7 décembre 2016

à Vancouver (Colombie-Britannique).

Devant : L’honorable juge B. Paris


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

[EN BLANC]

[EN BLANC]

Avocate de l’intimée :

Me Geraldine Chen

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre d’un avis de détermination de perte, daté du 22 mai 2012 et fait au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu, concernant l’année d’imposition 2008 est rejeté, sans frais, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.


Signé à Hamilton (Ontario), ce 27jour d’octobre 2017.

« B. Paris »

Le juge Paris

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de novembre 2018.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2017CCI217

Date : 20171027

Dossier : 2013-2354(IT)G

ENTRE :

Dr FRANK CH. HOKHOLD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Paris

[1]  La Cour est saisie d’un appel interjeté à l’encontre d’un avis de détermination de perte, daté du 22 mai 2012, concernant l’année d’imposition 2008 de l’appelant. Un certain nombre de questions soulevées à l’origine dans l’avis d’appel ont été réglées au moyen d’un consentement partiel à jugement déposé par les parties, et un jugement relatif à ces questions a été rendu.

[2]  La seule question qui reste à trancher consiste à savoir si l’appelant a droit à une déduction pour créances irrécouvrables pour son année d’imposition 2008, au titre de l’alinéa 20(1)p) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

[3]  Le montant de la déduction pour créances irrécouvrables est établi à 166 749,73 $ dans l’avis d’appel modifié. Cependant, à l’audience, l’appelant a réduit le montant de la déduction à 126 214,19 $.

[4]  L’appelant soutient que cet écart correspond à la différence entre le montant déclaré dans ses déclarations de revenus de 2005 à 2008, relatif à du travail effectué et facturé à des patients ou à leurs assureurs, et le montant lié au travail en question qu’il a réussi à percevoir.

[5]  L’appelant, lui-même, et son épouse, Maria Hokhold, ont été les seuls témoins à l’audience.

Les faits

[6]  L’appelant est un dentiste qui exploitait sa pratique dentaire à partir de son domicile familial, à Merritt, en Colombie-Britannique. Son épouse travaillait pour lui comme assistante dentaire agréée et s’occupait de la tenue des comptes et de l’administration générale de l’entreprise. Leurs enfants contribuaient au travail généré par la pratique.

Le contexte

[7]  Afin de comprendre la thèse de l’appelant en ce qui a trait à sa déduction pour créances irrécouvrables, il est utile de dresser un tableau de la situation, à partir de 2002, en ce qui a trait à son entreprise et à l’impôt sur le revenu.

[8]  Les problèmes d’impôt sur le revenu de l’appelant ont commencé lorsqu’il a omis de produire, dans le délai imparti, sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2002. Il n’a produit cette déclaration qu’en janvier 2005, et celles visant les années d’imposition 2003 à 2006 n’ont été produites qu’en septembre 2008, après qu’il eut fait l’objet de cotisations arbitraires par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu du paragraphe 152(7) de la Loi. Il a produit sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2007 en juin 2008. La date de production de la déclaration pour 2008 n’a pas été présentée en preuve.

[9]  Le ministre a établi des cotisations à son égard en avril 2005, pour l’année 2002, et en janvier 2006, pour l’année d’imposition 2003. Il a par la suite fait l’objet de cotisations et de nouvelles cotisations pour les années 2004 à 2007. Sa cotisation initiale relative à l’année d’imposition 2008 a été établie le 29 juillet 2009. L’appelant a fait l’objet d’une nouvelle cotisation, dans laquelle le ministre refusait une importante partie des dépenses d’entreprise qu’il avait déduites.

[10]  L’appelant a interjeté appel de ces nouvelles cotisations, et ses appels ont été entendus en 2012. Il a été établi qu’il n’avait déposé aucun avis d’opposition à l’égard des cotisations visant ses années d’imposition 2002 et 2003, et l’appel relatif à ces cotisations a été annulé. Ses appels relatifs aux autres années en cause ont été accueillis en partie. La décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale en 2013.

Les circonstances qui ont donné lieu à la déduction pour créances irrécouvrables

[11]  Il semble qu’étant donné qu’aucun avis d’opposition n’avait été produit en ce qui a trait aux années 2002 et 2003, l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a pris des mesures de recouvrement liées à ces années d’imposition à la fin de 2005 et au début de 2006. En janvier 2006, l’ARC a procédé à une saisie‑arrêt du compte d’entreprise de l’appelant à la Banque Royale.

[12]   Cette saisie‑arrêt a eu comme effet de compliquer considérablement l’exploitation de l’entreprise de l’appelant. Des chèques libellés à des créanciers n’ont pas été honorés par la banque, y compris des paiements pour la location de matériel dentaire. Dans son témoignage, l’appelant a déclaré qu’en avril 2006, la moitié de son matériel dentaire et les ordinateurs utilisés dans l’entreprise avaient été saisis par ses créanciers. Il ne lui restait que du vieux matériel dentaire et, par conséquent, il ne pouvait fournir des services à autant de patients qu’auparavant.

[13]  Afin de contourner les répercussions des ordonnances de saisie‑arrêt visant ses comptes bancaires et afin de poursuivre l’exploitation de sa pratique, l’appelant a ouvert de nouveaux comptes dans différentes banques et il a commencé à déposer le revenu de l’entreprise dans les comptes qui n’étaient pas encore visés par une saisie-arrêt. Cependant, à un moment ou à un autre, tous ses comptes ont fait l’objet d’une saisie-arrêt.

[14]  L’ARC a également procédé à une saisie‑arrêt à l’égard des montants payables à l’appelant par les assureurs dentaires qui versaient des paiements directement à l’appelant, au nom de ses patients assurés. Lorsqu’il s’agissait d’un patient assuré (ce qui représente la grande majorité de ses patients), l’entreprise présentait généralement une réclamation d’assurance au nom du patient. Les compagnies d’assurance versaient le paiement lié aux services dentaires directement à l’entreprise. Dans le cas d’un patient non assuré, ce dernier payait l’appelant une fois les services dentaires reçus.

[15]  L’appelant a tenté de contourner les répercussions des ordonnances de saisie‑arrêt visant les compagnies d’assurance, en demandant à ses patients de présenter eux-mêmes leur réclamation directement à leur assureur et, une fois le chèque reçut, de revenir le remettre à l’appelant. Il déposait alors ces chèques dans un compte en banque qui n’était toujours pas visé par une saisie-arrêt. Cette méthode n’était pas totalement infaillible, puisque certains patients conservaient le chèque reçu de l’assureur sans jamais payer l’appelant pour les services reçus.

[16]  L’appelant et son épouse ont également indiqué que, par suite de la mesure de recouvrement, l’entreprise ne pouvait se permettre de rémunérer des employés pour s’occuper de la tenue des comptes, facturer les services rendus à ses clients, percevoir les paiements de ceux‑ci et présenter des réclamations aux compagnies d’assurance.

[17]  Suivant la pratique habituelle de l’entreprise de l’appelant, une fois les services rendus au patient, l’appelant inscrivait les données correspondant à chaque service rendu sur la fiche du patient et y apposait ses initiales, alors qu’il se trouvait encore avec le patient. Chaque type de service avait un code unique et des frais y afférents. La fiche du patient était alors acheminée à la réceptionniste, qui, à son tour, présentait la facture au patient en fonction des services inscrits sur la fiche. Cela était fait avant que le patient quitte le cabinet. Si le patient bénéficiait d’une assurance, ce qui, selon l’appelant, était le plus souvent le cas, la réceptionniste remplissait un formulaire de réclamation d’assurance indiquant les services rendus et demandait au patient de le signer.

[18]   Lorsque le patient n’était pas assuré pour les services reçus, il s’acquittait des frais à la réception. Lorsqu’un patient était assuré, il payait le montant de la coassurance, et l’appelant présentait une réclamation d’assurance au nom du patient. Les compagnies d’assurance payaient la partie assurée des services dentaires directement à l’entreprise.

[19]  Les données inscrites sur la fiche du patient servaient au calcul du revenu brut quotidien de la pratique, lequel était utilisé pour préparer les déclarations annuelles. Les sommes indiquées dans la déclaration annuelle des services dentaires bruts étaient les sommes déclarées par l’appelant dans ses déclarations de revenus.

[20]  À la suite de la saisie de ses ordinateurs, et en l’absence d’un personnel adéquat pour l’assister, l’appelant a affirmé que le processus de facturation était devenu problématique. Bien qu’il ait continué à inscrire le code lié aux services rendus sur la fiche du patient, s’il n’y avait personne à la réception, l’appelant devait toutefois remplir lui-même les formulaires et percevoir les montants dus par les patients. Il arrivait souvent qu’il manque de temps pour préparer adéquatement les factures des patients ou remplir un formulaire de réclamation d’assurance avec le patient, parce que le patient suivant attendait qu’on s’occupe de lui. Dans de tels cas, il était devenu nécessaire de demander au patient de revenir signer le formulaire une fois que celui-ci était rempli.

[21]  L’appelant préparait des réclamations d’assurance après les heures de travail et pendant les week-ends, et Mme Hokhold ainsi que les enfants lui donnaient un coup de main lorsqu’ils en avaient l’occasion. Sans ordinateur, la facturation et la préparation de réclamations d’assurance devaient se faire à la main, ce qui a compliqué et allongé le processus, et il s’ensuivit bientôt un arriéré considérable de réclamations non remplies.

[22]  Durant leur témoignage, l’appelant et Mme Hokhold ont également déclaré qu’il était très facile de commettre une erreur lorsque l’on remplissait un formulaire d’assurance. Par suite d’une telle erreur, la compagnie d’assurance ne payait pas pour les services rendus. Il était possible de présenter un nouveau formulaire, mais, dans un tel cas, il fallait faire revenir le patient au cabinet pour qu’il signe le formulaire corrigé, ce qui n’était pas toujours possible, compte tenu de l’arriéré qu’il y avait dans les réclamations.

[23]  L’appelant et Mme Hokhold ont tous les deux déclaré que leur état de santé, combinés aux longues heures de travail et à la minutie exigée pour remplir les formulaires de réclamation d’assurance, rendait très difficile la présentation des réclamations d’assurance dans les délais. Par conséquent, certains services fournis aux patients durant les années en cause sont demeurés impayés, parce que les formulaires d’assurance n’ont pas été présentés dans le délai imparti de 12 mois pour le dépôt des réclamations. Si les réclamations n’étaient pas remplies correctement ni présentées à l’intérieur du délai, la compagnie d’assurance ne payait pas pour les services, et l’appelant a dit qu’il ne pouvait demander au patient de payer, parce que c’était sa faute si les formulaires d’assurance n’avaient pas été présentés en temps opportun.

[24]  L’appelant et son épouse ont indiqué que, durant la période en cause, ils s’étaient concentrés sur la poursuite de l’exploitation de l’entreprise et sur la prestation de services de qualité aux patients.

[25]  L’appelant et Mme Hokhold ont également expliqué qu’en raison de leurs problèmes médicaux et du manque de temps, ils n’avaient pas été en mesure d’assurer le suivi des soldes impayés ainsi que de déterminer quels patients avaient acquitté leurs factures et quel était le montant de ces paiements.

[26]  Durant leur témoignage, l’appelant et son épouse ont tous les deux déclaré que l’ordonnance de saisie-arrêt avait aussi rendu difficile, pour l’appelant, la création de comptes clients visant chaque patient, puisque l’ARC refusait de produire une ventilation des sommes recouvrées des compagnies d’assurance au moyen de la saisie-arrêt. L’appelant connaissait uniquement les montants totaux qui étaient visés par la saisie-arrêt, mais il ne pouvait les lier à aucun patient en particulier. Cependant, Mme Hokhold a plus tard dit que les compagnies d’assurance fournissaient des relevés à l’appelant lorsque les réclamations étaient payées, pour démontrer ce qui était payé pour chaque patient. Les raisons pour lesquelles aucun relevé de ce genre n’aurait été fourni par les compagnies d’assurance, même si les paiements réels avaient été visés par la saisie-arrêt, étaient ambiguës.

[27]  Selon l’appelant et son épouse, tous les problèmes de facturation et de perception des sommes dues signifiaient qu’en réalité, l’appelant n’avait pas reçu les montants inscrits dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2005 à 2008.

[28]  À la fin mai 2008, l’appelant a perdu sa maison en raison de la forclusion, ce qui a entraîné la fermeture de sa pratique dentaire. Après la forclusion, les dossiers d’entreprise de la pratique ont précipitamment été déposés dans des boîtes non étiquetées. Il a déclaré qu’à l’époque de la forclusion, il n’avait pas d’argent pour embaucher quelqu’un pour faire le tri de ces boîtes, organiser les dossiers d’entreprise, ou pour communiquer avec les patients en vue de faire le suivi des sommes dues. Lors son témoignage, l’appelant a également déclaré qu’il ignorait où ces dossiers étaient entreposés à ce moment‑là.

[29]  Lorsqu’il a, par la suite, produit ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2005 à 2008, l’appelant ne disposait pas de suffisamment de dossiers pour établir le montant de créances irrécouvrables encourues en raison des problèmes de facturation et de recouvrement. L’appelant et son épouse ont tous les deux déclaré que les vérificateurs de l’ARC chargés du dossier de l’appelant avaient laissé entendre qu’ils devraient procéder à une estimation des créances irrécouvrables et qu’ils devraient inclure le montant dans les déclarations de revenus de l’appelant. Mme Hokhold pensait qu’il ne serait pas correct de procéder ainsi, puisqu’elle n’avait aucune idée du montant réel des créances irrécouvrables pour ces années.

[30]  L’appelant a affirmé que, jusqu’au moment de l’audience, il n’avait pas été en mesure de récupérer la plus grande partie des dossiers de l’entreprise relatifs aux années 2005 à 2008.

Le calcul fait par l’appelant des créances irrécouvrables

[31]  Mme Hokhold a affirmé que, en ce qui a trait aux années d’imposition antérieures à celles en cause, le montant des créances irrécouvrables était d’environ 3 p. 100 du montant brut des services dentaires rendus et que, avant 2006, des dossiers complets sur le calcul des créances irrécouvrables étaient tenus. Néanmoins, l’appelant n’a pu produire des éléments de preuve à l’appui de cette prétention que pour l’année d’imposition 2002.

[32]  Quoi qu’il en soit, Mme Hokhold a indiqué que l’appelant et elle‑même avaient toujours été au courant qu’il y avait un niveau plus élevé de créances irrécouvrables pour les années d’imposition de 2005 à 2008, mais qu’elles n’avaient pas été déduites dans les déclarations produites. C’est pourquoi elle a inclus les créances irrécouvrables relatives à toutes ces années dans le montant déduit relativement à l’année d’imposition 2008. Le calcul du total de la déduction relative aux créances irrécouvrables a été effectué au moment du dépôt de l’avis d’appel initial en l’espèce. Il a été révisé juste avant l’audience afin de tenir compte de certains autres facteurs qui ont retenu son attention durant le processus de préparation à l’audience.

[33]  Mme Hokhold a fondé son calcul sur une formule qu’elle a élaborée, laquelle incorporait l’information disponible relativement aux années d’imposition 2005 à 2008. Elle a soutenu que la formule offrait un calcul raisonnablement exact des créances irrécouvrables liées à cette période.

[34]   Son calcul des créances irrécouvrables liées aux années d’imposition 2005 à 2008 est présenté dans le tableau qui suit :

Saisie-arrêt par l’ARC

14 413,52 $ [1]

18 242,37 $

14 867,60 $

4 661,92 $

[EN BLANC]

Dépôts bancaires à la RBC

248 031,79 $

0,00 $

0,00 $

1 000,00 $

[EN BLANC]

Dépôts bancaires à l’Interior Savings

0,00 $

$149 356,32

114 997,84 $

54 686,98 $

[EN BLANC]

Paiements au comptant

0,00 $

10 000 $

10 000 $

7 000 $

[EN BLANC]

Moins : montant brut des services dentaires

283 692,76 $

232 951,12 $

179 287,76 $

77 540,89 $

[EN BLANC]

[EN BLANC]

2005

2006

2007

2008

[EN BLANC]

Créances irrécouvrables à déduire

21 247,45 $

55 352,43 $

39 422,32 $

10 191,99 $

126 214,19 $

 

[35]  Comme l’illustre le tableau ci-dessus, les créances irrécouvrables sont la différence entre le montant brut relatif aux services dentaires rendus par l’appelant durant cette année, tel qu’il a été déclaré dans ses déclarations de revenus, et la somme de ce que Mme Hokhold a établi comme le montant total reçu par l’appelant de patients ou de leurs assureurs pour ces services (y compris les sommes recouvrées des compagnies d’assurance par l’ARC au moyen de l’ordonnance de saisie-arrêt). Elle a additionné tous les dépôts bancaires, les paiements recouvrés des compagnies d’assurance par la saisie‑arrêt et son estimation des paiements en espèces reçus de patients. Elle a déclaré que les chiffres relatifs aux dépôts bancaires utilisés dans ce tableau avaient été tirés directement des relevés bancaires. Quant aux sommes en espèces, il s’agissait d’estimations.

[36]  Puisqu’il lui était absolument impossible de déterminer la proportion de paiements en espèces qui ont ultérieurement été déposés dans des comptes bancaires et touchés par la saisie‑arrêt, Mme Hokhold a tenu pour acquis qu’aucun de ces paiements en espèces n’avait été déposé.

[37]  Les montants bruts liés aux services dentaires comprennent les montants qui auraient été facturés au patient en ce qui a trait aux services rendus, y compris les services rendus, mais non remboursés par les compagnies d’assurance en raison du non-respect du délai de 12 mois imposé, à l’intérieur duquel il fallait présenter les formulaires appropriés.

[38]  L’appelant et Mme Hokhold ont admis ne pas avoir la moindre idée de la proportion de créances irrécouvrables pouvant être attribuables au défaut de présenter les formulaires d’assurance en temps opportun.

[39]  Mme Hokhold a également expliqué que la raison justifiant l’écart entre la déduction initiale de 166 749,73 $ de créances irrécouvrables et celle de 126 214,19 $ dont il est question dans le présent appel est le fait qu’elle a trouvé des renseignements additionnels lui permettant d’effectuer un calcul à jour. Elle avait oublié que le paiement par les compagnies d’assurance relatif à des formulaires d’assurance présentés en décembre d’une année donnée ne serait effectué qu’en janvier de l’année suivante. Elle a, par conséquent, additionné les reçus d’assurance de janvier aux reçus de l’année précédente dans son calcul. De plus, elle s’est aperçue que certains des paiements en espèces n’avaient pas été déposés dans des comptes bancaires et, par conséquent, comme il a été antérieurement expliqué, elle avait tenu pour acquis qu’aucun paiement en espèces n’avait été déposé.

La thèse de l’appelant

[40]  L’appelant a soutenu qu’il n’avait pas reçu de ses patients des paiements pour des services rendus pour lesquels les factures avaient été présentées, et qui avaient été inscrits dans son revenu de 2005, 2006, 2007 et 2008. Bien qu’il ait admis que le montant des déductions liées aux créances irrécouvrables visant les années d’imposition 2005, 2006 et 2007 étaient devenues irrécouvrables avant 2008, il a soutenu qu’il n’était pas en mesure de déduire ces sommes en tant que créances irrécouvrables durant les années au cours desquelles elles étaient devenues irrécouvrables, parce qu’il ne pouvait accéder aux renseignements requis pour calculer la déduction appropriée de créances irrécouvrables. À son avis, il est tout à fait équitable qu’on lui donne la possibilité de déduire ces créances irrécouvrables accumulées en 2008, puisque, autrement, il allait se voir imposé pour des services rendus et pour lesquels des factures ont été envoyées, mais qui sont demeurées impayées.

[41]  En ce qui a trait au calcul des créances irrécouvrables, l’appelant a soutenu que le calcul effectué par Mme Hokhold présentait avec exactitude le montant de créances irrécouvrables relatives aux années d’imposition de 2005 à 2008 et que celles-ci étaient fondées sur les meilleures informations dont il disposait pour le moment.

Le cadre juridique permettant de déduire des créances irrécouvrables

[42]  La disposition législative applicable en matière de créances irrécouvrables se trouve à l’alinéa 20(1)p) de la Loi. La partie pertinente de l’alinéa 20(1)p) de la Loi est ainsi libellée :

Déductions admises dans le calcul du revenu tiré d’une entreprise ou d’un bien

20 (1) Malgré les alinéas 18(1) a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu’il est raisonnable de considérer comme s’y rapportant :

[]

Créances irrécouvrables

p) le total des montants suivants :

(i) les créances du contribuable qu’il a établies comme étant devenues irrécouvrables au cours de l’année et qui sont incluses dans le calcul de son revenu pour l’année ou pour une année d’imposition antérieure, […]

[…]

[43]  Pour qu’une déduction soit acceptée au titre du sous-alinéa 20(1)p)(i), un contribuable doit démontrer l’existence d’une créance. S’il est démontré qu’il existe une créance, il faut satisfaire à deux autres conditions. Il incombe au contribuable de démontrer que la créance en cause était incluse dans son revenu relatif à l’année visée par la déduction ou une année d’imposition antérieure. Il incombe également au contribuable d’établir que cette créance est devenue irrécouvrable pendant l’année d’imposition visée par la déduction (Clackett c. La Reine, 2007 CCI 499).

[44]  L’approche généralement acceptée pour déterminer si une créance est irrécouvrable a été établie par la Cour d’appel fédérale (la « CAF ») dans l’arrêt Flexi-Coil Ltd. c. Canada, [1996] A.C.F. no 811, 96 DTC 6350, en ces termes :

Les parties, en outre, souscrivent toutes deux à l’exposé de la jurisprudence applicable à ces dispositions fait par le juge de la Cour canadienne de l’impôt (Dossier d’appel V, 942) :

La question de savoir à quel moment une créance devient mauvaise est une question de fait à trancher selon les circonstances de chaque affaire. Une créance est reconnue comme mauvaise principalement lorsqu’elle s’est avérée irrécouvrable dans l’année. Dans la décision Roy v. M.N.R., 58 DTC 676, MBoisvert de la Commission d’appel de l’impôt a dit ceci, à la page 680 :

[traduction]

Étant donné que la Loi ne dit pas ce qu’est une mauvaise créance, il faut se fonder sur les principes comptables reconnus en matière commerciale. Il est reconnu qu’une créance est mauvaise lorsqu’elle s’est avérée irrécouvrable dans l’année.

Pour ce qui est de savoir quand une créance doit être considérée comme irrécouvrable, cela relève du jugement du contribuable lui-même en tant qu’homme d’affaires prudent. Dans la décision Hogan v. M.N.R., 56 DTC 183 à la page 193, Me Fisher a expliqué comment cette détermination devrait se faire :

[traduction]

Par conséquent, pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu, une mauvaise créance peut être désignée comme étant la totalité ou une partie d’une créance à l’égard de laquelle le créancier, après avoir personnellement tenu compte des facteurs pertinents susmentionnés, pour autant qu’ils s’appliquent à chaque créance particulière, conclut en toute honnêteté et d’une façon raisonnable qu’elle est irrécouvrable à la fin de l’exercice au cours duquel la détermination doit se faire, même si, par la suite, il peut se produire des événements par suite desquels la créance peut en fait être recouvrée en totalité ou en partie. La détermination devrait être faite par le créancier lui-même (ou par son employé), car il est personnellement parfaitement au courant des faits et des circonstances se rapportant non seulement à chaque créance particulière, mais aussi, si possible, à chaque débiteur individuel.

[Je souligne.]

Cette approche a été suivie dans de nombreux jugements, notamment dans Anjalie Enterprises Ltd. v. The Queen, 95 DTC 216 (TCC), et Berretti v. M.N.R., 86 DTC 1719 (TCC). En résumé, pour décider si le contribuable a droit à une déduction pour mauvaises créances, la Cour doit être convaincue que le contribuable lui-même a conclu que les créances étaient devenues irrécouvrables et qu’en arrivant à cette conclusion, il a agi raisonnablement et d’une manière pragmatique et sérieuse propre au milieu des affaires, appliquant les facteurs appropriés.

(à la page 6351)

[45]  La CAF dans l’arrêt Flexi-Coil a également conclu qu’une créance devient irrécouvrable lorsque le contribuable détermine que la créance ne peut être recouvrée et qu’en arrivant à cette conclusion, il a agi raisonnablement et d’une manière pragmatique et sérieuse propre au milieu des affaires, appliquant les facteurs appropriés.

[46]  Les facteurs appropriés ont été résumés par la CAF dans l’arrêt Rich c. Canada, 2003 CAF 38, ainsi :

1. l’historique et l’âge de la créance;

2. la situation financière du débiteur, ses revenus et ses dépenses, gagne‑t‑il un revenu ou essuie‑t‑il des pertes?, sa trésorerie et son actif, son passif et les liquidités dont il dispose;

3. l’évolution du chiffre d’affaires total par rapport aux années antérieures;

4. l’encaisse, les comptes clients et autres disponibilités du débiteur à l’époque pertinente et par rapport aux années antérieures;

5. les comptes fournisseurs et autres exigibilités du débiteur à l’époque pertinente et par rapport aux années antérieures;

6. les conditions économiques générales ayant cours dans le pays, parmi l’ensemble des débiteurs et dans la branche d’activités du débiteur; et

7. l’expérience antérieure du contribuable en matière de radiation de créances irrécouvrables.

Cette liste n’est pas limitative et, selon les circonstances, un facteur ou un autre pourra prendre une importance accrue.

(au paragraphe 13)

Analyse

[47]  La question qu’il faut trancher dans le présent appel est de savoir si l’appelant à droit à une déduction pour créances irrécouvrables pour son année d’imposition 2008, au titre de l’alinéa 20(1)p) de la Loi.

[48]  Il incombe à l’appelant d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’une créance lui était due, que celle-ci a été incluse dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2008, ou une année antérieure, et qu’elle est devenue irrécouvrable au cours de l’année visée par la déduction.

[49]  En ce qui a trait à la question de savoir si les montants déduits avaient été inclus dans le revenu, l’appelant et Mme Hokhold ont déclaré tous les deux lors de leur témoignage que les frais relatifs à tous les services rendus avaient été additionnés sur les fiches des patients et comptabilisés quotidiennement comme un revenu de la pratique. Ces sommes étaient, à leur tour, additionnées et déclarées chaque année dans les déclarations du revenu de l’appelant comme un revenu brut de sa pratique. Mme Hokhold a affirmé qu’elle avait utilisé ces chiffres relatifs aux revenus déclarés dans son calcul des sommes de créances irrécouvrables.

[50]  L’intimée n’a pas contesté ce témoignage, et plus important encore, elle n’a présenté aucune preuve pour le contredire. De toute évidence, l’intimée aurait été en mesure de confirmer les chiffres correspondant aux revenus bruts inscrits aux déclarations produites par l’appelant, et en cas d’écart, aurait pu produire en preuve les déclarations de revenus de l’appelant, ou la transcription électronique des renseignements qu’elles contenaient. Comme l’intimée n’a produit aucun élément de preuve à cet égard, je tire l’inférence que les montants de revenus bruts indiqués dans le calcul de Mme Hokhold relatif aux créances irrécouvrables étaient exacts. Par conséquent, il s’ensuit que les parties du revenu brut que l’appelant déduit maintenant à titre de créances irrécouvrables étaient en fait incluses dans le revenu de l’appelant pour son année d’imposition 2008 ou pour une année antérieure.

[51]  Néanmoins, il reste à déterminer si l’appelant a démontré que les sommes déduites étaient bien des créances qui lui étaient dues. Sur ce point, la preuve est loin d’être convaincante. Elle se limite au témoignage de l’appelant et de Mme Hokhold. Aucun dossier comptable relatif à la pratique n’a été produit en preuve. L’appelant a déclaré qu’il ignorait où se trouvaient les dossiers.

[52]  Les calculs effectués par Mme Hokhold étaient, pour le moins que l’on puisse dire, rudimentaires et n’indiquaient aucune créance due de façon précise. Elle a simplement rassemblé ce qu’elle estimait être la totalité des reçus annuels de la pratique couvrant une période de quatre ans et elle a soustrait ce montant du total des revenus déclarés par l’appelant en vue de faire le calcul de la déduction pour créance irrécouvrable. Ni cet élément de preuve ni le témoignage de l’appelant et de son épouse ne permettent d’établir précisément qui sont les débiteurs ou la somme due par chacun d’entre eux, ce qui, à mon avis, serait essentiel pour prouver l’existence des créances. Le terme « créance » n’est pas défini dans la Loi. Il a cependant été défini sur le plan juridique par la Cour suprême du Canada comme une [traduction] « somme payable à l’égard de la demande d’une quantité déterminée d’argent, recouvrable par une action » : Diewold v. Diewold, [1941] S.C.R. 35. À mon avis, pour qu’il y ait une demande d’une quantité déterminée d’argent, recouvrable par une action, il faudrait que le débiteur soit connu ainsi que le montant de la créance.

[53]  En outre, bien que la question de savoir à quel moment la créance est devenue irrécouvrable en soit une qui doit être élucidée par le contribuable, je n’arrive tout simplement pas à saisir comment l’appelant en l’espèce aurait pu y parvenir sans savoir qui étaient les débiteurs ni connaître le montant que ceux-ci lui devaient.

[54]  L’appelant demande à la Cour d’accepter le calcul général de la déduction pour créances irrécouvrables, parce qu’il n’a plus les dossiers comptables de sa pratique en sa possession. Bien que je reconnaisse que l’appelant et sa famille ont traversé des moments très difficiles, je ne suis pas en mesure de tenir compte de considérations d’équité pour fonder ma décision. Le fait demeure qu’il est simplement impossible d’apprécier l’exactitude des sommes déduites sans les dossiers d’entreprise liés à la pratique de l’appelant. Le calcul de Mme Hokhold me semble être, au mieux, qu’une simple hypothèse éclairée du montant des revenus que l’appelant n’a pas perçu de ses patients ou de leurs assureurs.

[55]  Considérant la nature de la présente affaire, laquelle concerne une déduction relative à de nombreuses créances irrécouvrables s’échelonnant sur une période considérable, le témoignage de l’appelant et de Mme Hokhold ne suffit pas pour me convaincre de l’existence des créances en question. Leur témoignage n’avait pas la précision requise pour surmonter le problème de l’absence de documents à l’appui.

[56]  Par conséquent, l’appelant n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que la somme de 126 214,19 $ lui était due en 2008 pour des services rendus à ses patients entre 2005 et 2008.

[57]  Même si l’appelant avait prouvé l’existence des créances, je n’aurais pas été en mesure de conclure quelle partie, le cas échéant, de ces créances était devenue irrécouvrable en 2008. Lors de l’audience, l’appelant et Mme Hokhold ont admis qu’une partie des créances irrécouvrables déduites était devenue irrécouvrable au cours des années antérieures à 2008. Cette situation s’appliquerait certes aux cas de réclamations d’assurance qui n’avaient pas été présentées durant la période de douze mois suivant la date des services rendus. Quoi qu’il en soit, l’appelant et son épouse ont déclaré qu’aucune déduction relative à des créances irrécouvrables n’avait été faite pour les années d’imposition 2005 à 2007, parce que, sans les dossiers, il leur était impossible d’établir le montant à déduire. L’alinéa 20(1)p) de la Loi autorise uniquement les déductions relatives aux créances devenues irrécouvrables au cours de l’année visée par la déclaration. Il n’autorise pas le contribuable à reporter la déduction en raison de circonstances qui ne sont pas liées au recouvrement de la créance.

[58]  Il me semble également que l’appelant disposait toujours de renseignements qui lui auraient permis de prendre des mesures de recouvrement des sommes impayées par ses patients ou leurs assureurs après la fin de 2008. À cette époque‑là, il savait toujours où se trouvaient les documents liés à sa pratique et, par conséquent, il aurait toujours eu la possibilité d’entreprendre des mesures de recouvrement relativement à ces créances.

[59]  Pour tous ces motifs, l’appelant n’a pas démontré qu’il avait des créances totalisant 126 214,19 $ qui étaient devenues irrécouvrables durant son année d’imposition 2008.

Conclusion

[60]  L’appel est rejeté. Il n’y a pas d’ordonnance quant aux dépens.

Signé à Hamilton (Ontario), ce 27jour d’octobre 2017.

« B. Paris »

Le juge Paris

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de novembre 2018.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2017CCI217

NDE DOSSIER DE LA COUR :

2013-2354(IT)G

INTITULÉ :

Dr FRANK CH. HOKHOLD ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 décembre 2016

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge B. Paris

DATE DU JUGEMENT :

Le 27 octobre 2017

COMPARUTIONS :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

[EN BLANC]

[EN BLANC]

Avocat de l’intimée :

Me Geraldine Chen

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

S.O.

Cabinet :

S.O.

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada Ottawa, Canada

 

 



[1]   Bien que la saisie-arrêt ait commencé le 17 janvier 2006, certains paiements touchés par la saisie-arrêt visaient des services rendus en 2005.

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