Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19980107

Dossiers: 96-1987-UI; 96-1988-UI; 96-1933-UI

ENTRE :

DONALD PERSAUD, SHEILA PERSAUD, KATHY D. HERRING,

appelants,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

MISTY'S SEAFOOD & TAKE OUT LTD.,

intervenante.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] Les appels en l'instance sont interjetés à l'encontre de règlements selon lesquels les appelants n'exerçaient pas un emploi assurable. L'appelant Donald Persaud a vu son appel annulé dès l'ouverture du procès pour le motif qu'il n'a pas demandé au ministre du Revenu national de régler une question conformément à l'article 61 de la Loi sur l'assurance-chômage, et qu'aucun règlement du genre n'a été rendu. L'avocat de M. Persaud n'a pas contesté le fait que l'appel devait être annulé.

[2] Les deux autres appels ont été interjetés régulièrement à la Cour. L'unique question porte sur le règlement rendu en vertu de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage (maintenant la Loi sur l'assurance-emploi). On n'a pas prétendu qu'il n'existait pas de contrat de louage de services. De nombreuses affaires sur lesquelles la Cour canadienne de l'impôt et la Cour d'appel fédérale ont été appelées à se prononcer ont porté sur les principes à appliquer dans le cas d'un appel interjeté en vertu de l'alinéa 3(2)c). Essentiellement, il s'agit d'une démarche comportant deux étapes :

a) déterminer si le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre a été exercé régulièrement;

b) si la Cour conclut qu'il a été exercé irrégulièrement, et seulement à ce moment-là, déterminer si, compte tenu des facteurs énumérés à l'alinéa 3(2)c), il est raisonnable de conclure que l'employeur et l'employé liés “ auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance ”.

[3] À la première étape, la cour ne peut substituer son propre pouvoir discrétionnaire à celui du ministre. Elle doit plutôt déterminer uniquement si le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière qui est contraire à la loi.

[4] Dans l'arrêt The Queen v. Bayside Drive-In Ltd., [1997] F.C.J. No. 1019 (Q.L.)(C.A.F.), le juge en chef Isaac a énoncé les principes dans les termes suivants :

Dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Jencan Ltd.6, la présente Cour a récemment au l'occasion de réaffirmer les principes régissant le contrôle par la Cour canadienne de l'impôt des décisions prises par le ministre aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii). Je n'ai pas l'intention de reprendre en détail l'analyse qui est contenue dans les motifs de ce jugement. Pour les fins des présentes demandes de contrôle judiciaire, il suffira de réaffirmer les principes directeurs qui ont d'abord été énoncés par la présente Cour dans l'arrêt Tignish Auto Parts Inc. c. M.R.N.7.

D'après l'arrêt Tignish, précité, la Cour de l'impôt doit effectuer une analyse en deux étapes au cours de l'audition d'un appel concernant une décision prise par le ministre aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii). À la première étape de l'analyse, l'examen effectué par la Cour de l'impôt doit se limiter à s'assurer que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon légale. Si, et seulement si, le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon qui est contraire à la loi, la Cour de l'impôt pourra ensuite procéder à une analyse du bien-fondé de la décision. Ce n'est qu'en limitant de cette façon la première étape de son analyse que la Cour fait preuve du degré de retenue judiciaire exigé quand elle est saisie d'un appel concernant une décision discrétionnaire.




6 (Non-publié), dossier A-599-96, le 24 juin 1997 (C.A.F.)

7 (1994), 185 N.R. 73 (C.A.F.) [Tignish].

Les motifs précis qui justifient l'intervention de la Cour relativement à l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire prévu par la loi, y compris le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi, sont bien connus8. Le juge de la Cour de l'impôt n'était justifié d'intervenir dans la décision prise par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) que s'il était convaincu que le ministre avait commis une ou plusieurs des erreurs suivantes pouvant donner lieu à examen : (i) le ministre a agi de mauvaise foi ou en s'appuyant sur un objectif ou un motif inapproprié; (ii) le ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme il est expressément tenu de le faire aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii); ou (iii) le ministre a tenu compte d'un facteur non pertinent. Ce n'est que si le ministre a commis une ou plusieurs de ces trois erreurs susceptibles de contrôle que l'on peut dire qu'il a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon contraire à la loi, et donc, que le juge de la Cour de l'impôt serait justifié de faire sa propre évaluation de la prépondérance des probabilités quant à savoir si les intimés auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'il n'y avait pas eu entre eux de lien de dépendance.

En l'espèce, le juge de la Cour de l'impôt a conclu que son intervention était justifiée en appel parce que, à son avis, le ministre n'avait pas donné “suffisamment d'importance au travail effectué par les employés et à leur contribution à la rentabilité de la société payeuse”. L'opinion selon laquelle l'omission du ministre de donner “suffisamment d'importance” (c'est-à-dire suffisamment de poids) à des faits précis constitue un motif permettant de conclure qu'il a commis une erreur pouvant donner lieu à examen n'est pas appuyée par la jurisprudence de la présente Cour et, en toute déférence, est erronée sur le plan des principes. En remettant en cause non pas la pertinence ou la véracité des faits sur lesquels s'est appuyé le ministre, mais simplement l'importance qu'il a attaché aux différents faits qu'il a par ailleurs examinés de façon appropriée, le juge de la Cour de

l'impôt a en fait infirmé la décision discrétionnaire du ministre

    

8 Voir les observations de Lord Macmillan dans D.R. Fraser and Co. Ltd. v. M.N.R., [1949] a.c. 24, à la p.36 (C.P.), citées avec approbation par la Cour suprême du Canada dans Boulis c. Ministre de la Main-d’oeuvre et de l’Immigration, [1974] R.C.S. 875, P.887. Voir également Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, PP.76-77; et Canada c. Purcell [1996] 1 C.F. 644, p. 653 (C.A.), par le juge Robertson.

sans avoir d'abord conclu que cette décision avait été prise d'une façon contraire à la loi. En agissant ainsi, il a substitué de façon inappropriée sa propre évaluation indépendante de la preuve à celle du ministre, usurpant ainsi le pouvoir discrétionnaire que le législateur a manifestement et sans aucune ambiguïté confié au ministre.

[5] J'infère de ces remarques que, même si la cour est justifiée de déterminer si le ministre a tenu compte de tous les faits pertinents ou s'il a pris en considération des faits non pertinents, elle n'est pas justifiée de déterminer si le ministre a attribué aux faits établis le poids qu'il convenait de leur attribuer.

[6] La proposition selon laquelle “ [l]'opinion selon laquelle l'omission du ministre de donner “suffisamment d'importance” (c'est-à-dire suffisamment de poids) à des faits précis constitue un motif permettant de conclure qu'il a commis une erreur pouvant donner lieu à examen n'est pas appuyée par la jurisprudence de la présente Cour et, en toute déférence, est erronée sur le plan des principes ” appelle une comparaison avec l'affirmation faite dans l'arrêt Canada c. Succession Schnurer, [1997] 2 C.F. 545, où le juge en chef Isaac a écrit ceci à la page 557 :

Essentiellement, si le ministre a accordé suffisamment de poids à tous les facteurs pertinents ayant trait au lien d'emploi, la Cour de l'impôt ne peut en toute liberté annuler la décision du ministre aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii) simplement parce qu'elle en serait venue à une conclusion différente.

(je souligne)

[7] Il n'est pas nécessaire, aux fins des appels en l'instance, de tenter de concilier les deux affirmations.

[8] La liste, énoncée par le juge en chef Isaac, des facteurs qui justifient une intervention dans l'exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire, est un peu plus restrictive que celle que j'ai établie dans l'affaire Caines et al. c. M.R.N., 96-91(UI), 23 septembre 1997, où j'ai dit à la page 4 :

Les principes à appliquer dans un appel interjeté à l'encontre d'un règlement rendu en vertu de l'alinéa 3(2)c) sont raisonnablement bien établis. Comme le règlement rendu en vertu de l'alinéa 3(2)c) implique l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire du ministre, il faut nécessairement examiner d'abord l'exercice de ce pouvoir et non la décision rendue au bout du compte. Ainsi, il faut examiner un certain nombre de facteurs, soit des questions comme les suivantes : le pouvoir discrétionnaire a-t-il été exercé de façon arbitraire ou capricieuse? Était-il basé sur un principe de droit erroné? A-t-il été exercé conformément aux principes de justice naturelle, y compris le principe voulant que la ou les personnes concernées aient pleinement la possibilité de faire valoir leur cause? L'exercice du pouvoir discrétionnaire se fondait-il de manière importante sur des faits superflus ou non pertinents? Le ministre a-t-il omis de tenir compte de considérations ou de faits pertinents? La Cour doit examiner tous ces facteurs — et la liste n'est pas exhaustive — et leur attribuer le poids qu'il convient de leur attribuer dans le contexte de l'affaire considérée.

[9] De toute évidence, si j'allais plus loin, je devrais garder à l'esprit les propos du juge en chef Isaac dans l'arrêt Bayside et, s'il y a contradiction entre les deux, Bayside devrait prévaloir. Je ne crois pas, cependant, qu'il y ait des divergences fondamentales dans nos propos.

[10] Ainsi que le juge en chef Isaac l'a fait remarquer plus loin dans les motifs qu'il a prononcés dans cette affaire, l'utilisation de l'expression “ procès de novo ” pour décrire la seconde étape de l'analyse est clairement abusive. Il s'agit d'un examen indépendant de la preuve, non seulement de celle qui a été présentée au ministre, mais aussi des nouveaux éléments de preuve qui peuvent être soumis à la cour par l'une ou l'autre partie.

[11] En outre, il ressort clairement de l'arrêt A.G. Canada v. Jolyn Sport Inc., [1997] F.C.J. No. 512 (Q.L.) (C.A.F.), que la Cour canadienne de l'impôt n'est pas liée par les conclusions de fait du ministre à quelque étape que ce soit de l'analyse. La Cour d'appel fédérale a dit ceci :

Le requérant soutient que la décision de notre Cour dans l'affaire Tignish Auto Parts Inc. v. Minister of National Revenue2, confirmée par une remarque incidente dans l'arrêt Ferme Émile Richard et Fils Inc. c. Ministère du Revenu national et al3, oblige la Cour de l'impôt à procéder à une enquête en deux étapes, dont la première concerne la légalité de la décision du ministre et dont la deuxième, s'il est établi que l'intervention de la Cour est justifiée, touche la question de savoir si cette décision était erronée. Cet argument du procureur général est juste; il poursuit toutefois en affirmant que la Cour de l'impôt est liée par les conclusions de fait du ministre à la première étape, mais ne l'est pas à la deuxième.

Cette dernière prétention procède, à notre avis, d'une mauvaise compréhension de la décision Tignish. Dans cette affaire, le juge Desjardins a déclaré, au nom de la Cour d'appel :

Le paragraphe 71(1) de la Loi porte que la Cour de l'impôt a le pouvoir de décider toute question de fait et de droit. La requérante, qui en appelle du règlement du ministre, a le fardeau de prouver sa cause et a le droit de soumettre de nouveaux éléments de preuve pour réfuter les faits sur lesquels s'est appuyé le ministre. Toutefois, comme la décision du ministre est discrétionnaire, l'intimé fait valoir que la compétence de la Cour de l'impôt est strictement circonscrite. Le ministre est la seule personne qui puisse établir à sa satisfaction, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rémunération versée, les modalités d'emploi et l'importance du travail accompli, que la requérante et son employée sont réputées ne pas avoir entre elles un lien de dépendance. Souscrivant à l'arrêt Minister of National Revenue v. Wrights’ Canadian Ropes Ltd., qui fait autorité, l'intimé prétend que, à moins que l'on établisse que le ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances (comme il y est tenu aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi), a pris en compte des facteurs dépourvus d'intérêt ou a violé un principe de droit, la Cour ne peut intervenir. En outre, la Cour a le droit d'examiner les faits qui, selon la preuve, se trouvaient devant le ministre quand il est arrivé à sa conclusion, pour décider si ces faits sont prouvés. Mais s'il y a suffisamment d'éléments pour appuyer la conclusion du ministre, la Cour n'a pas toute latitude pour l'infirmer simplement parce qu'elle serait arrivée à une conclusion différente. Toutefois, si la Cour est d'avis que ces faits sont insuffisants, en droit, pour appuyer la conclusion du ministre, la décision de ce dernier ne peut tenir et la Cour est justifiée d'intervenir.

À mon avis, la position de l'intimé est correctement exposée sur le plan du droit.

[...]

Le passage souligné indique clairement que la Cour de l'impôt n'est pas liée par les conclusions de fait du ministre. En outre, cette conclusion s'infère nécessairement du libellé de l'article 70 et du paragraphe 71(1):

[...]

Dans tout appel interjeté en vertu de l'article 70, les conclusions de fait du ministre, ou ses “présuppositions”, seront énoncées en détail dans la réponse à l'Avis d'appel. Si le juge de la Cour de l'impôt qui, contrairement au ministre, se trouve dans une situation privilégiée pour apprécier la crédibilité des témoins qu'elle a vus et entendus, parvient à la conclusion que certaines ou la totalité de ces présuppositions de fait étaient erronées, elle devra déterminer si le ministre pouvait légalement tirer la conclusion qu'il a formulée en se fondant sur les faits établis en preuve.

[12] Il y a lieu de formuler trois autres remarques. La première est que l'aspect du procès qui se rapporte à la preuve ne doit pas nécessairement comporter deux parties distinctes. Toute la preuve doit être présentée initialement, et la Cour peut ensuite se prononcer sur la première question et, si elle décide que le pouvoir discrétionnaire n'a pas été exercé conformément aux principes appropriés, elle peut passer à la deuxième question. Le gros de la preuve qui se rapporte au premier volet sera pertinente relativement au second volet de l'analyse.

[13] Il y a lieu de procéder ainsi par souci tant d'efficacité que d'équité procédurale. La plupart des appelants dans le cadre de procédures de cette nature ne sont pas représentés. La charge de passer l'épreuve à deux volets dans un appel interjeté à l'encontre d'un règlement rendu en vertu de l'alinéa 3(2)c) est suffisamment lourde. Je n'entends pas alourdir davantage la tâche des appelants. Dans l'affaire Caines, précitée, on peut lire la remarque suivante à la page 5 :

La tâche de la cour est un peu plus difficile dans les affaires relatives à l'alinéa 3(2)c), car, dans la majorité de ces cas-là, la partie appelante n'est pas représentée par un avocat et ne connaît pas les principes applicables, tels qu'ils ont été énoncés dans l'affaire Wrights’ Canadian Ropes et dans les nombreux arrêts rendus ces dernières années par la Cour d'appel fédérale1. D'une manière générale, les appelants se présentent devant la cour et racontent leur histoire. C'est pour cette raison qu'il est primordial que la partie intimée fasse pleinement état aux appelants et à la cour du fondement de l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Cela doit être indiqué dans la réponse à l'avis d'appel, sous la rubrique de ce qu'on appelle généralement les “hypothèses”, qui ont le caractère de renseignements. Les hypothèses doivent être complètes et exactes. Dans certains cas, les fonctionnaires qui ont établi le règlement de la question sont appelés comme témoins pour expliquer le fondement de la décision. Cela est extrêmement utile. Par contraste, on avait fait fi de ces règles dans l'affaire Clara Rita Harvey c. M.R.N., (95-340(UI)). Dans cette affaire-là, l'intimé soutenait seulement que le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire à l'encontre de l'appelante parce que cette dernière était l'épouse de l'employeur et l'intimé faisait simplement valoir la question du fardeau de la preuve. Il s'agissait nettement d'un cas d'exercice inapproprié du pouvoir discrétionnaire du ministre.

________________________________

1 Je songe ici à des arrêts comme Tignish Auto Parts Inc. c. M.R.N., A-555-93, Ferme Émile Richard et Fils Inc. v. M.N.R., 178 N.R. 361, La Reine c. Bayside Drive-In Ltd., A-626-96, P.G. du Canada c. Jencan Ltd., A-599-96, et P.G. du Canada c. Jolyn Sport Inc., A-96-96.

[14] Il convient en deuxième lieu de faire remarquer que dans le cas du second volet d'un appel interjeté à l'encontre d'un règlement rendu en vertu de l'alinéa 3(2)c), la Cour doit déterminer si les parties concernées auraient, si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance, conclu entre elles un contrat de travail semblable compte tenu des facteurs énumérés à l'alinéa en question. Une telle détermination est simplement le propre de la fonction judiciaire et, contrairement au règlement du ministre, elle ne constitue pas l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, bien que la cour soit appelée à se faire une opinion sur la même question que celle que le ministre était censé régler. En d'autres termes, le fait, pour la cour, de se faire une opinion — ce que les juges sont censés faire — n'est pas un acte discrétionnaire, alors que le fait pour le ministre de se faire une opinion sur la même question en est un. L'appelant moyen qui n'est pas représenté peut avoir de la difficulté à saisir cette distinction légale subtile.

[15] Dans Clara Rita Harvey c. M.R.N., (95-340(UI)), j'ai posé la question suivante : “ Quelle est la nature du pouvoir discrétionnaire conféré par l'alinéa 3(2)c)? ”. Dans ma tentative peut-être infructueuse d'y répondre, j'ai dit ce qui suit à la page 2 :

La question de savoir si les termes “si le ministre du Revenu national est convaincu” confèrent à ce dernier un pouvoir administratif discrétionnaire semble avoir été réglée1. Quelle est la nature du pouvoir discrétionnaire conféré par l'alinéa 3(2)c)? Cette disposition n'accorde pas au ministre le choix d'exercer ou de ne pas exercer un pouvoir une fois qu'il est suffisamment convaincu de l'état de la situation. Dès qu'il est convaincu de l'existence des conditions exposées à l'alinéa 3(2)c), son pouvoir discrétionnaire a été exercé. L'alinéa 3(2)c) vise essentiellement deux objectifs : il impose au ministre l'obligation d'examiner toutes les circonstances, y compris celles qui sont expressément énumérées, et de déterminer s'il est “convaincu” qu'il est raisonnable de conclure que l'employeur et l'employé qui sont des personnes liées auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance. Une fois qu'il est convaincu, le résultat est inévitable. En quoi consiste donc son pouvoir discrétionnaire? Le législateur lui a indiqué les éléments qu'il doit examiner. L'obligation d'examiner toutes les circonstances entourant une relation employeur-employé et d'arriver à une conclusion fait appel à l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire très limité. La question de savoir si des personnes ayant un lien de dépendance auraient, si ce n'était ce lien, conclu un contrat de travail semblable constitue essentiellement une question de fait. Néanmoins, dans les arrêts Tignish Auto Parts Inc. c. Le ministre du Revenu national, A-555-93 (25 juillet 1994), et Ferme Émile Richard et Fils Inc. c. Le ministre du Revenu national et autres, 178 N.R. 361, la Cour d'appel fédérale a qualifié la fonction du ministre visée à l'alinéa 3(2)c) de pouvoir discrétionnaire et un appel interjeté auprès de cette cour, de demande de contrôle judiciaire. Cette cour doit donc aborder la question en fonction de ces arrêts.




1 Voir Cook and Cook v. Carter and Harrower [1952] 4 D.L.R. 656. Dans cette affaire, on a déterminé que les mots “si le juge est convaincu” conféraient un pouvoir discrétionnaire devant être exercé de façon judiciaire. Il est vrai que le pouvoir discrétionnaire conféré par l'alinéa 3(2)c) est de nature administrative et non judiciaire, mais, bien que cette distinction puisse être pertinente à d'autres fins, elle ne permet pas de déterminer si les mots cités confèrent un pouvoir discrétionnaire.

[16] J'ajouterai simplement à cette remarque qu'il faut nécessairement tirer des conclusions de fait avant de se faire une opinion dans le cadre de l'alinéa 3(2)c), mais que cette étape n'est pas essentielle à l'exercice du pouvoir discrétionnaire.

[17] Il convient en troisième lieu de faire remarquer qu'il a été statué que le juge de la Cour canadienne de l'impôt qui n'expose pas pleinement les motifs pour lesquels il arrive à la conclusion que le règlement du ministre doit être confirmé ou infirmé commet une erreur de droit. Inévitablement, dans le cas d'une décision confirmant le règlement du ministre, soit que la décision subsume la conclusion suivant laquelle le règlement était fondé sur des principes appropriés, soit qu'à tout le moins, même si le processus par lequel le ministre est arrivé à son règlement est vicié en droit, elle rende sans importance les vices notés dans le processus. Le juge de première instance qui omet d'indiquer qu'il a suivi la procédure à deux étapes risque sérieusement de voir l'affaire déférée à un autre juge qui peut très bien arriver à la même conclusion, mais, qui, on l'espère, sera suffisamment éloquent lorsqu'il exposera son raisonnement. Ferme Émile Richard et Fils Inc. v. M.N.R., 178 N.R. 361 (C.A.F.); Le Procureur général du Canada c. Thibault, [1997] A.C.F. no 1499 (Q.L.)(C.A.F.). La Cour d'appel fédérale a insisté sur ce point dans la décision qu'elle a rendue récemment dans l'arrêt Corbo v. M.N.R., [1997] F.C.J. No. 1588 (Q.L.)(C.A.F.).

[18] En tenant compte de ces principes et en demeurant attentif à la myriade d'erreurs que la Cour d'appel fédérale paraît estimer les juges de la Cour canadienne de l'impôt capables de commettre dans les appels interjetés en vertu de l'alinéa 3(2)c), j'entreprends avec une certaine inquiétude le premier volet de l'analyse.

[19] Avant toute chose, la question à laquelle le ministre du Revenu national devait répondre était celle de savoir si Sheila Persaud et Kathy D. Herring, si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance avec Misty’s Seafood and Take Out Ltd. (“ Misty’s ”), auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable avec Misty’s, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui sont mentionnées à l'alinéa 3(2)c).

[20] Les périodes en question sont, dans le cas de Sheila Persaud, du 20 juin au 9 octobre 1993, du 19 juin au 17 septembre 1994 et du 11 juin au 2 septembre 1995, et, dans le cas de Kathy D. Herring, du 17 mai au 18 septembre 1993 et du 3 juillet au 24 septembre 1994.

[21] Il ne fait aucun doute que les appelantes et Misty’s sont liées entre elles et qu'elles ont un lien de dépendance. Viola Herring (la belle-mère de Kathy D. Herring) détient 61 p. 100 des actions de Misty’s et Donald Persaud (le gendre de Viola Herring) en détient 39 p. 100. Sheila Persaud, la fille de Viola, était l'épouse de Donald Persaud.

[22] Misty’s exploite un restaurant de façon saisonnière à Murray River, dans le comté de Kings (Île-du-Prince-Édouard). Donald Persaud et Viola Herring ont acheté le restaurant par l'intermédiaire de la compagnie Misty’s. Donald Persaud travaille comme ingénieur chimique pour la province du Nouveau-Brunswick. Le restaurant s'appelait initialement “ Bernice’s ”. Donald Persaud est devenu associé en 1962, lorsqu'il est revenu d'Alberta et a décidé, avec Viola Herring, d'acquérir et d'agrandir le restaurant.

[23] Au cours des périodes en question, Misty’s a engagé Sheila Persaud à titre de gérante et Kathy D. Herring comme chef cuisinière. D'autres faits seront exposés lorsque je me pencherai sur les hypothèses.

[24] Le premier volet de l'analyse nécessite un examen tripartite :

a) Il y a d'abord ce qu'on appelle les “ hypothèses ” alléguées. L'allégation et l'utilisation d'hypothèses dans les appels de décisions ou d'actions du ministre du Revenu national dans les affaires d'impôt ou d'assurance-chômage sont chose unique dans les instances civiles. Cela découle principalement de deux arrêts de principes, Johnston v. M.N.R., [1948] R.C.S. 486, et M.N.R. v. Pillsbury Holdings Ltd., 64 DTC 5184. Les hypothèses alléguées ont le caractère de renseignements sur le fondement factuel de l'action du ministre, qu'il s'agisse d'une cotisation d'impôt établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu ou de la Loi sur la taxe d'accise ou d'un règlement rendu en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi. Dans les faits, elles établissent la charge qui incombe à l'appelant. Si elles ne sont pas contestées, elles doivent être acceptées, aux fins du litige, comme étant exactes sur le plan factuel. Pour cette raison, il est d'une importance capitale que les hypothèses alléguées révèlent complètement, exactement et honnêtement le fondement de la décision du ministre et qu'elles incluent toutes les conclusions tirées par le ministre, quelle que soit la partie qu'elles favorisent.

Étrangement, l'appelant est pour la première fois informé de la teneur de ce qu'on appelle les hypothèses lorsque le procureur général dépose une réponse à l'avis d'appel. Si je comprends bien, elles ne sont en général pas communiquées à l'appelant avant que le règlement soit rendu, et l'appelant (à cette étape il est un requérant) n'a pas la possibilité de les réfuter ou d'indiquer pourquoi le règlement qui lui est défavorable ne devrait pas être rendu. Au risque d'affirmer l'évidence même, cette omission constitue manifestement une atteinte fondamentale à l'un des préceptes les plus fondamentaux de la justice naturelle. Puisque nous savons de source sûre que pour arriver à la conclusion qu'il est convaincu ou qu'il n'est pas convaincu, le ministre doit exercer son pouvoir discrétionnaire, il est essentiel que le principe voulant que l'autre partie soit entendue soit respecté. En outre, l'omission de donner les motifs au moment où le pouvoir discrétionnaire est exercé est en soi une violation d'une autre règle cardinale de justice naturelle.

Pour les motifs qui suivent, je ne crois pas nécessaire en l'espèce de tenir compte de ces atteintes aux principaux fondamentaux de justice naturelle dans ma décision d'infirmer le règlement. Celui-ci est si manifestement vicié à de nombreux autres égards qu'il est inutile de traiter de ces points, bien qu'en elle-même l'omission de respecter les règles de justice naturelle justifierait que l'on annule le prétendu exercice de ce qu'on appelle le pouvoir discrétionnaire du ministre.

La première étape de l'examen consiste à déterminer si les hypothèses alléguées, en autant qu'elles ne sont pas contestées, appuient le règlement. Dans la négative, le règlement ne peut être maintenu, bien que le ministre ait le droit d'alléguer d'autres faits à l'appui du règlement et d'assumer la charge d'établir ces faits. Si les hypothèses alléguées et non contestées justifient à elles seules le règlement, il faut passer à la deuxième étape de l'examen.

b) La deuxième étape consiste pour l'appelant à produire une preuve visant à établir, si possible, soit que certaines des hypothèses ou la totalité de celles-ci sont erronées, soit qu'il existe d'autres faits importants que le ministre a omis de prendre en considération et qu'il aurait dû examiner dans le cadre de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. À cet égard, je me reporte aux facteurs énoncés par le juge en chef Isaac dans le passage de l'arrêt Bayside cité précédemment. La question de savoir si les hypothèses sont correctes sur le plan factuel est implicite dans ce passage.

c) La troisième étape consiste à déterminer si ce qui reste, une fois que les hypothèses contestées par l'appelant ont été réfutées et que les autres faits présentés à la Cour par l'appelant ou le ministre ont été établis, justifie l'exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire. Même à cette étape-ci, la Cour ne peut substituer son propre pouvoir discrétionnaire à celui du ministre. Ce n'est que si, et seulement si la réponse à cette question est négative, que la Cour peut passer à la deuxième étape.

[25] Je commencerai donc par les hypothèses de fait alléguées par l'intimé. Dans l'affaire Sheila Persaud, elles sont énoncées dans les termes suivants au paragraphe 6 de la réponse à l'avis d'appel :

[TRADUCTION]

a) le payeur est une société qui a été dûment constituée sous le régime des lois de l'île-du-Prince-Édouard le 14 octobre 1992;

b) pendant toutes les périodes pertinentes, les actions émises avec droit de vote du payeur étaient détenues de la façon suivante :

Viola Herring (mère de l'appelante) 61 %

Donald Persaud (époux de l'appelante) 39 %

c) le payeur exploitait un restaurant saisonnier pouvant accueillir 44 personnes et offrant un menu pour commandes à emporter;

d) l'appelante a été engagée pour exécuter les tâches de gérante, de cuisinière et de serveuse;

e) les tâches de l'appelante étaient substantiellement les mêmes en 1993, 1994 et 1995;

f) en 1993, le salaire hebdomadaire de l'appelante était de 490 $ pour une semaine de travail de 48 heures, en 1994, de 495 $ pour une semaine de travail de 45 heures et, en 1995, de 517,50 $ pour une semaine de travail de 45 heures;

g) l'appelante a obtenu des augmentations de salaire de 7,75 p. 100 en 1994 et de 4,5 p. 100 en 1995, alors que le payeur a subi des pertes en 1993, 1994 et 1995;

h) les profits bruts du payeur, les salaires versés et les pertes annuelles nettes pour les périodes en question se présentaient comme suit :

Profits bruts Salaires Pertes nettes

1993 32 345 $      38 337 $    10 790 $

1994 26 173 $      29 514 $    9 015 $

1995    18 753 $      17 366 $    4 768 $

i) comme en font foi ses états financiers, le payeur n'avait pas la capacité de payer tous les salaires et, dans les faits, il ne les a pas tous payés;

j) au cours des périodes en question, lorsque le payeur n'avait pas suffisamment d'argent en caisse pour verser tous les salaires, l'appelante était payée après tous les autres employés et il arrivait qu'elle ne soit pas payée;

k) l'appelante a obtenu des relevés d'emploi pour une rémunération qui ne lui a pas été versée au complet et elle a utilisé ces relevés pour présenter une demande de prestations d'assurance-chômage;

l) l'appelante a utilisé son propre véhicule à des fins commerciales, sans être remboursée;

m) l'appelante a fourni du matériel culinaire qu'elle-même et d'autres employés du payeur ont utilisé, sans être remboursée;

n) l'appelante a préparé des aliments à sa résidence sans être rémunérée;

o) l'appelante était personnellement propriétaire de l'immeuble et du bien-fonds où l'entreprise du payeur était exploitée et elle ne recevait rien en échange de l'usage de sa propriété;

p) en 1993, le payeur a exploité son entreprise pendant 19 semaines alors que le nom de l'appelante n'a figuré sur la feuille de paie que pendant 14 semaines au cours de la saison et qu'il y a figuré deux autres semaines après que le payeur eut fermé le restaurant et mis à pied tous les autres travailleurs;

q) en 1993, l'appelante avait besoin de 12 semaines d'emploi assurable pour être admissible à des prestations d'assurance-chômage et elle a obtenu du payeur un relevé d'emploi faisant état de 16 semaines d'emploi assurable;

r) en 1994, le payeur a exploité son entreprise pendant 23 semaines alors que le nom de l'appelante n'a figuré sur la feuille de paie que pendant 13 semaines;

s) en 1994, l'appelante avait besoin de 12 semaines d'emploi assurable pour être admissible à des prestations d'assurance-chômage et elle a obtenu du payeur un relevé d'emploi faisant état de 13 semaines d'emploi assurable;

t) en 1995, le payeur a exploité son entreprise pendant 18 semaines alors que le nom de l'appelante n'a figuré sur la feuille de paie que pendant 12 semaines;

u) en 1995, l'appelante avait besoin de 12 semaines d'emploi assurable pour être admissible à des prestations d'assurance-chômage et elle a obtenu du payeur un relevé d'emploi faisant état de 12 semaines d'emploi assurable;

v) l'appelante a fourni des services au payeur sans être rétribuée en dehors des périodes en cause;

w) l'emploi de l'appelante chez le payeur était le résultat d'une entente factice destinée à permettre à l'appelante d'être admissible à des prestations d'assurance-chômage;

x) l'appelante et le payeur étaient liés entre eux au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu;

y) l'appelante et le payeur avaient un lien de dépendance;

z) compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, il n'est pas raisonnable de conclure que l'appelante et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[26] Dans le cas de Kathy D. Herring, les hypothèses énoncées au paragraphe 9 de la réponse à l'avis d'appel sont les suivantes :

[TRADUCTION]

a) le payeur est une société qui a été dûment constituée sous le régime des lois de l'île-du-Prince-Édouard le 14 octobre 1992;

b) pendant toutes les périodes pertinentes, les actions émises avec droit de vote du payeur étaient détenues de la façon suivante :

Viola Herring (belle-mère de l'appelante) 61 %

Donald Persaud (gendre de Viola Herring) 39 %

c) au cours des périodes en question, le fils de Viola Herring, Garry Herring était marié avec l'appelante;

d) la fille de Viola Herring, Sheila Persaud, gérait l'entreprise pendant les périodes en question;

e) Sheila Persaud était l'épouse de Donald Persaud;

f) l'appelante a été engagée pour exécuter les tâches de gérante adjointe, de cuisinière et de serveuse;

g) le salaire hebdomadaire de l'appelante était de 490 $ en 1993 et de 400 $ en 1994;

h) le taux de paie de l'appelante au cours des périodes en question était excessif;

i) les fonctions de l'appelante étaient substantiellement les mêmes en 1993 et en 1994, alors que son salaire a été réduit de 90 $;

j) le taux de rémunération de l'appelante n'avait aucun lien avec les tâches qu'elle était chargée d'accomplir;

k) les profits bruts du payeur, les salaires versés et les pertes annuelles nettes pour les périodes en question se présentaient comme suit :

Profits bruts Salaires Pertes nettes

1993 32 345 $ 38 337 $ 10 790 $

1994 26 173 $ 29 514$ 9 015 $

l) comme en font foi ses états financiers, le payeur n'était pas en mesure de payer tous les salaires et, dans les faits, il ne les a pas tous payés;

m) l'appelante a utilisé son propre véhicule, son propre matériel culinaire et sa résidence à des fins commerciales, sans aucune rémunération;

n) au cours des périodes en question, l'appelante et son époux exploitaient “ Alpha & Omega Motel & Cottages ”, situé approximativement à 3 kilomètres du restaurant du payeur;

o) outre le motel et les chalets, l'époux de l'appelante exploitait, au cours des périodes en question, un service de nolisement sous le nom de “ Captain Garry’s Deep-Sea Fishing ” en 1993 et de “ Captain Garry’s Seal & Bird Watching Cruises ” en 1994;

p) l'appelante établissait son horaire de travail chez le payeur en fonction des besoins de l'entreprise de motel et de chalets;

q) l'appelante devait s'occuper activement de la gestion quotidienne du motel et des chalets;

r) le payeur a été ouvert pendant 19 semaines du 17 mai au 25 septembre 1993, alors que le nom de l'appelante n'a figuré sur la feuille de paie du payeur que pendant 13 semaines;

s) en 1993, l'appelante avait besoin de 20 semaines d'emploi assurable pour être admissible à des prestations d'assurance-chômage;

t) l'appelante a obtenu 7 semaines d'emploi assurable d'un autre employeur entre le 8 février et le 26 mars 1993 et elle a ensuite obtenu du payeur un relevé d'emploi pour les 13 autres semaines d'emploi assurable;

u) le payeur a été ouvert pendant 23 semaines du 23 avril au 24 septembre 1994, alors que le nom de l'appelante n'a figuré sur la feuille de paie du payeur que pendant 12 semaines;

v) en 1994, l'appelante avait besoin de 12 semaines d'emploi assurable pour être admissible à des prestations d'assurance-chômage et elle a obtenu du payeur un relevé d'emploi faisant état de 12 semaines d'emploi assurable;

w) l'emploi de l'appelante chez le payeur était le résultat d'une entente factice destinée à permettre à l'appelante d'être admissible à des prestations d'assurance-chômage;

x) l'appelante et le payeur étaient liés entre eux au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu;

y) l'appelante et le payeur avaient un lien de dépendance;

z) compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, il n'est pas raisonnable de conclure que l'appelante et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[27] Si les hypothèses alléguées n'avaient pas été contestées avec succès, elles auraient sans aucun doute formé un fondement approprié pour le règlement.

[28] Je ne crois pas avoir instruit auparavant d'affaire d'assurance-chômage où les hypothèses importantes avaient été si totalement réfutées. J'estime que les témoins étaient crédibles. Ils m'ont paru être des personnes honnêtes qui travaillent fort et je ne vois aucune raison de rejeter leur témoignage ou de ne pas les croire, compte tenu de la preuve qui m'a été présentée et suivant mon examen de leur comportement à la barre des témoins. Dans le cas de Sheila Persaud, l'hypothèse énoncée à l'alinéa d) est inexacte. Elle a été engagée à titre de gérante et, dans les faits, elle a agi à ce titre. Elle n'a pas été engagée comme cuisinière et serveuse. Les hypothèses énoncées aux alinéas i), j) et k) sont erronées. Sheila Persaud a témoigné qu'elle avait été payée, et je la crois. L'hypothèse énoncée à l'alinéa k) laisse supposer l'existence d'une fraude, et il n'y a rien qui justifie une telle suggestion. Les hypothèses énoncées aux alinéas l), m) et n) ont été niées avec véhémence par Mme Persaud, et je la crois. Son témoignage n'a pas été contredit ni contesté en contre-interrogatoire.

[29] Les hypothèses énoncées aux alinéas p), q), r), s), t) et u) sont admises mais, dans la mesure où elles laissent entendre qu'elle n'a été employée que pour obtenir des prestations d'assurance-chômage, l'appelante nie cette insinuation. Elle nie aussi l'hypothèse énoncée à l'alinéa v).

[30] L'hypothèse énoncée à l'alinéa w), à savoir que l'emploi de Mme Persaud était le résultat d'une entente factice destinée à lui permettre d'être admissible à des prestations d'assurance-chômage, est une hypothèse fondamentale. M. et Mme Persaud ont nié avec une certaine vigueur cette hypothèse fondamentale, que j'estime être totalement dénuée de fondement. M. Persaud a témoigné qu'il avait besoin de quelqu'un à qui il pouvait faire confiance pour gérer le restaurant. Il s'est fié à son épouse parce qu'il travaillait au Nouveau-Brunswick et ne pouvait être sur place. Elle avait de l'expérience, elle était fiable et intelligente — ce que j'ai pu moi-même observer. On n'a pas supposé ni insinué que son salaire était excessif.

[31] En ce qui concerne Kathy D. Herring, je devrais, avant d'examiner les hypothèses, faire remarquer qu'elle a une vaste expérience de la restauration et de l'alimentation puisqu'elle a géré une cantine et travaillé au restaurant de la traverse de Northumberland. Elle a exploité, avec son époux, des restaurants aux États-Unis.

[32] L'hypothèse énoncée à l'alinéa f) est inexacte. L'appelante a été engagée comme chef cuisinière.

[33] L'hypothèse énoncée à l'alinéa h), à savoir que le taux de paie était excessif, a été niée. M. Persaud a témoigné qu'il versait à l'appelante ce qu'il estimait être le salaire courant de l'Île, et il ne m'appartient pas, ni n'appartient-il au ministre, de mettre en doute son sens des affaires en déterminant combien il aurait dû payer sa belle-soeur (voir Gabco Ltd. v. M.N.R., 68 DTC 5210). Le salaire versé à Mme Herring se trouvait dans la fourchette moyenne des salaires versés, d'après la preuve, pour un travail semblable dans l'industrie de l'alimentation à l'île-du-Prince-Édouard.

[34] L'hypothèse énoncée à l'alinéa i) fait état d'une réduction de salaire en 1994. C'est que, cette année-là, le restaurant n'a pas été aussi rentable qu'on l'avait espéré. Cela est tout à fait compatible avec l'existence d'une relation entre parties sans lien de dépendance.

[35] Je tire la conclusion de fait que, contrairement à l'hypothèse énoncée à l'alinéa j), le taux de rémunération de l'appelante était établi en fonction de ses tâches. Elle était une cuisinière expérimentée et compétente.

[36] Mme Herring a nié les hypothèses énoncées aux alinéas k) et l). Elle a affirmé avoir été payée, et j’estime quelque peu exagéré de prétendre qu'une personne travaillerait pour son beau-frère sans être payée. L'insinuation, à l'alinéa l), selon laquelle il existait une fraude, est totalement dénuée de fondement.

[37] L'hypothèse énoncée à l'alinéa m) est inexacte, selon la preuve, et paraît être le fruit de l'imagination du représentant du ministère.

[38] L'hypothèse énoncée à l'alinéa o) est admise, mais les hypothèses qui sont énoncées aux alinéas n), p) et q) ont été complètement réduites à néant par le témoignage de Mme Herring et celui de son époux, M. Herring, ainsi que par ceux de M. et Mme Persaud. Mme Herring a travaillé des heures régulières et elle n'a aucunement pris part à l'exploitation ou à la gestion de l'entreprise de motel et de chalets. Compte tenu du fait que tous les témoins ont nié catégoriquement ces hypothèses, j'ai énormément de difficulté à comprendre comment le représentant de Développement des ressources humaines Canada, un certain M. Heinz, aurait pu arriver à une telle conclusion. L'intimé n'a appelé personne à témoigner pour contredire les témoignages de M. et Mme Herring et de M. et Mme Persaud. Puisque M. Heinz aurait de toute évidence obtenu la grande partie de ses renseignements en interrogeant les employés, je tire une conclusion défavorable de l'omission de l'appeler à témoigner.

[39] Les remarques faites dans le cas de Mme Persaud s'appliquent à l'égard des hypothèses énoncées aux alinéas r), s), t), u) et v).

[40] Il n'y a simplement rien qui puisse appuyer l'hypothèse énoncée à l'alinéa w), selon laquelle l'emploi était le fruit d'une entente factice destinée à permettre à l'appelante de demander des prestations d'assurance-chômage. Cette hypothèse a été réduite à néant.

[41] Que reste-t-il? Toutes, ou presque toutes les hypothèses fondamentales et importantes ont été détruites. Il n'y a rien, dans ce qui reste, qui puisse appuyer le règlement.

[42] Un autre point mérite que l'on s'y attarde. Mme Persaud et Mme Herring ont toutes deux témoigné que l'enquêteur de Développement des ressources humaines Canada les avait traitées de façon rude, intimidante et arrogante, qu'il les avait accusées de mentir et, dans les deux cas, qu'il était allé jusqu'à les menacer de poursuites criminelles. Je crois leur témoignage. Il n'a pas été contredit ni contesté en contre-interrogatoire. M. Heinz n'a pas été appelé à témoigner. Dans les circonstances, leur témoignage est à mon avis inattaquable.

[43] Un tel comportement d'un représentant du gouvernement du Canada est, dans notre pays, totalement inacceptable. Bien que le règlement soit à ce point vicié à d'autres égards qu'il est inutile de traiter ce comportement de M. Heinz comme un motif distinct d'infirmer le règlement, je dois mentionner qu'en soi, il pourrait vicier l'exercice de ce qu'on appelle le pouvoir discrétionnaire du ministre parce qu'il viole les règles fondamentales de justice naturelle. L'avocat de l'intimé a déclaré que M. Heinz, l'enquêteur, travaillait pour Développement des ressources humaines Canada, alors que le “ pouvoir discrétionnaire ”, comme on l'appelle, a été exercé par le directeur des appels du bureau local du ministère du Revenu national. Cela, à mon avis, ne sépare pas pour autant le fonctionnaire qui a rendu le règlement du processus vicié au moyen duquel les faits sur lesquels le règlement était fondé ont été rassemblés. J'ai été incapable de conclure à l'existence, dans le règlement d'application, d'une délégation qui permette explicitement que les pouvoirs du ministre prévus à l'alinéa 3(2)c) soient délégués à un fonctionnaire du bureau local. Je ne me propose cependant pas de fonder ma décision sur ce point. Les avocats n'ont pas été appelés à traiter de la question, qui pourrait devoir être traitée dans une autre affaire. Si, de fait, il n'existe aucune délégation explicite — de fait, la partie I de la Loi ne contient aucun règlement qui soit comparable au paragraphe 75(2) de la partie III, qui permet au ministre de déléguer ses pouvoirs — les avocats devraient avoir la possibilité de traiter de la question de savoir si, en common law, une telle délégation est permise (voir par exemple Carltona, Ltd. v. Commissioners of Works and others, [1943] 2 All E.R. 560), ou si l'ajout récent à la Loi de l'interprétation de l'alinéa 24(1)d) confère un pouvoir approprié à cet égard.

[44] J'en viens maintenant au second volet de l'analyse. M. Leslie a très honnêtement concédé qu'étant donné la preuve, il convenait que j'entreprenne le deuxième volet de l'analyse et que je détermine si, compte tenu de l'ensemble de la preuve, les parties concernées, si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance, auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui sont énoncées expressément à l'alinéa 3(2)c). Sur ce point, je n'ai aucune hésitation. Manifestement, elles l'auraient fait, et je me fonde particulièrement sur le témoignage de M. Persaud, un témoin impressionnant et éloquent. Dans le cadre de la gestion de l’entreprise, il a pris la décision d'engager son épouse comme gérante et sa belle-soeur comme chef cuisinière parce qu'il estimait qu'elles étaient tout à fait qualifiées pour exécuter le travail, et il leur a versé un salaire qu'il estimait être le salaire courant. Il a déclaré que, s'il avait été capable de trouver des personnes de ce calibre n'ayant pas de lien de dépendance avec Misty’s, il l'aurait fait selon les mêmes modalités. J'estime que les ententes entre Misty’s et les deux appelantes étaient parfaitement normales. C'est à mon avis un cas clair en l'espèce. La conclusion tirée par le fonctionnaire qui exerçait prétendument le pouvoir discrétionnaire et sur lequel le règlement était fondé est si arbitraire et si coupée de la réalité et de ce que j'estime être les faits qu'on peut sérieusement se demander si le règlement a été rendu de bonne foi. Même si le représentant du ministère du Revenu national a honnêtement tenu pour vrais les faits qui lui ont été soumis par le représentant de Développement des ressources humaines Canada, ces faits étaient si bizarres que j'estime difficile de croire que les hypothèses ont pu être formulées. Cependant, cela se rapporte davantage au premier volet de l'analyse.

[45] Quant au second volet, il ne peut y avoir de doute. La preuve établit clairement que, si les parties concernées n'avaient pas eu un lien de dépendance, il est raisonnable de conclure qu'elles auraient conclu entre elles des contrats de travail à peu près semblables.

[46] Les appels sont accueillis, et le règlement selon lequel les appelantes n'exerçaient pas un emploi assurable est infirmé.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de janvier 1998.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 24e jour de février 1998.

Mario Lagacé, réviseur

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