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Date: 19980422

Dossiers: 97-554-UI; 97-555-UI; 97-556-UI; 97-562-UI; 97-563-UI; 97-564-UI

ENTRE :

KIMBERLY LUTZ, GAD BENTOLILA, DAVID COLPITTS, ANDRÉ BENTOLILA,

s/n YABSON'S MANAGEMENT SERVICES,

appelants,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] Ces appels ont été entendus sur preuve commune. Seul l'appelant Gad Bentolila a comparu à l'audience. M. Bentolila a déclaré qu'il était autorisé à agir comme représentant des appelants Kimberly Lutz et David Colpitts. Il a présenté à cet égard les pièces A-1 et A-2. Ces documents étaient de la nature de défenses plutôt que de mandats, mais étant donné qu'ils étaient signés par les deux appelants susmentionnés, la Cour a reconnu qu'ils attestaient que M. Gad Bentolila agissait pour leur compte. Étant donné que M. André Bentolila n'était pas représenté, les appels qu'il a interjetés sont rejetés pour défaut de poursuite.

[2] La question en litige en l'espèce est celle de savoir si les emplois que les appelants exerçaient auprès de M. André Bentolila étaient des emplois exclus au sens de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage (la « Loi » ). En ce qui concerne M. Gad Bentolila, étant donné qu'il est le fils de M. André Bentolila, il est lié au soi-disant employeur. Quant à David Colpitts et Kimberly Lutz, qui n'étaient pas unis au payeur par les liens du sang ou du mariage, il s'agit de savoir s'il est vrai qu'ils avaient un lien de dépendance avec le soi-disant employeur, M. André Bentolila.

[3] Quant à M. Gad Bentolila, la période en cause va du 1er avril au 25 août 1995. Les faits sur lesquels le ministre du Revenu national (le « ministre » ) s'est fondé pour rendre la décision en cause sont énoncés comme suit au paragraphe 4 de la réponse à l'avis d'appel (la « première réponse » ) :

[TRADUCTION]

a) le payeur exploite une entreprise de gestion;

b) l'appelant est le fils du payeur;

c) en 1993, le payeur a acheté une maison située au 484, rue Sunnyside, à Ottawa, qu'il a décidé de transformer en petits appartements qu'il louerait aux étudiants de l'université Carleton;

d) le payeur a embauché ses deux fils, soit Dali Bentolila et l'appelant, ainsi que deux amis de son fils, Kimberly Lutz et David Colpitts, pour rénover la maison mentionnée à l'alinéa c);

e) le payeur a déclaré avoir embauché les quatre personnes mentionnées à l'alinéa d) pour qu'elles soient admissibles à des prestations d'assurance-chômage, étant donné qu'elles étudiaient et qu'elles avaient besoin d'argent;

f) en 1995, le payeur n'a embauché, comme travailleurs, que les quatre personnes mentionnées à l'alinéa d);

g) les rénovations de l'immeuble ont commencé en 1994 et, en 1996, elles n'étaient toujours pas terminées;

h) l'appelant avait censément été embauché comme ingénieur de projet;

i) l'appelant a été employé pour 22 semaines assurables seulement, soit près du nombre minimum de semaines qu'il lui fallait pour être admissible à des prestations d'assurance-chômage;

j) l'appelant gagnait censément 3 334 $ par mois;

k) l'appelant a censément été rémunéré en espèces le premier mois où il a travaillé, mais aucune preuve de paiement n’a pu être fournie;

l) pour l'année 1995, le payeur a déclaré un revenu brut de profession libérale de 56 054,30 $, des dépenses au titre des salaires de 58 082,41 $ et une perte nette de 15 446,56 $;

m) le payeur a déduit les cotisations au Régime de pensions du Canada et les cotisations d'assurance-chômage de la rétribution de l'appelant; pourtant, il n'a pas déduit d'impôt comme il était tenu de le faire;

n) en 1994, l'appelant a fourni au payeur le même genre de services aux mêmes conditions, mais le payeur le considérait comme un travailleur indépendant;

o) en 1994, l'appelant a déclaré, dans sa déclaration de revenu, le revenu qu'il avait obtenu du payeur à titre de revenu d'un travail indépendant :

Revenu brut 29 613 $

Revenu net 7 158 $

p) l'appelant n'a pas produit sa déclaration de revenu pour l'année 1995, de sorte qu'il a été impossible de vérifier la façon dont il avait déclaré son revenu cette année-là;

q) l'emploi que l'appelant exerçait auprès du payeur pendant la période pertinente visait à permettre à celui-ci d'être admissible à des prestations d'assurance-chômage, au lieu d'être un emploi fondé sur une considération ou un besoin d'ordre commercial;

r) l'appelant et le payeur sont des personnes liées au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu;

s) il n'est pas raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, que l'appelant et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance;

[4] En ce qui concerne l'appelante Kimberly Lutz, la période en cause va du 1er avril au 31 juillet 1995. Les faits sur lesquels le ministre s'est fondé (je désignerai la réponse dans ce cas-ci comme étant la deuxième réponse) sont presque identiques à ceux qui sont énoncés dans la première réponse. Les alinéas 4b), 4h), 4i), 4n), 4o), 4p) et 4r) de la première réponse n'ont pas été reproduits dans la deuxième réponse. Je citerai ici les alinéas de la deuxième réponse qui sont différents de ceux de la première réponse : il s'agit des alinéas 4g) 4h), 4i) et 4o) :

[TRADUCTION]

g) l'appelante a censément été embauchée comme adjointe administrative; pourtant, il n'y avait pas suffisamment de travail de cette nature pour justifier le poste;

h) les registres montraient que le payeur avait acheté la majeure partie des fournitures et du matériel en 1994;

i) l'appelante a censément été employée pour exactement 18 semaines, soit le nombre de semaines qu'il lui fallait pour être admissible à des prestations d'assurance-chômage;

o) l'appelante n'est pas liée au payeur, mais le payeur et elle avaient en fait entre eux un lien de dépendance;

[5] En ce qui concerne l'appelant David Colpitts, les périodes en question vont du 1er avril au 14 juillet 1995 et du 24 juillet au 25 août 1995. Je citerai les alinéas 4g) et 4i) de la troisième réponse, étant donné que ces alinéas sont les seuls qui diffèrent de ceux de la deuxième réponse :

[TRADUCTION]

g) l'appelant a censément été employé comme superviseur de projet;

i) l'appelant n'a travaillé que durant 21 semaines pour le payeur, et il lui fallait 20 semaines assurables pour être admissible à des prestations d'assurance-chômage;

[6] L'appelant Gad Bentolila a admis les allégations figurant aux alinéas 4a) à 4d), 4g) à 4j) ainsi que 4o) et 4p) de la première réponse. Il a admis les allégations figurant à l'alinéa 4g) des deux autres réponses.

[7] J'examinerai maintenant la première réponse, qui concerne la seule personne ayant comparu à l'audience. En ce qui concerne l'énoncé figurant à l'alinéa 4a), M. Gad Bentolila a dit que son père possédait certains biens locatifs et que l'entreprise de gestion se rapportait à ces biens.

[8] En ce qui concerne l'alinéa 4c), M. Bentolila a déclaré que la maison n'avait pas été transformée en petits appartements, mais qu'il s'agissait plutôt d'une grosse maison meublée où habitent maintenant 17 étudiants. La maison, dont la superficie était de 1 000 pieds carrés, a été transformée en une habitation unifamiliale dont la superficie est, après agrandissement, de 5 000 pieds carrés. C'étaient le père, la mère et le frère de l'appelant qui avaient acheté la maison pour la somme de 150 000 $. Pendant les périodes en question, les quatre employés habitaient à l'adresse mentionnée à l'alinéa 4c) de la première réponse, soit au 484, rue Sunnyside, à Ottawa.

[9] Quant à l'énoncé figurant à l'alinéa 4e), l'appelant ne savait pas si son père avait fait pareille déclaration. Il a nié le contenu de l'alinéa 4f), affirmant qu'on avait peut-être fait appel à certains entrepreneurs, sans pour autant fournir de preuve à cet égard.

[10] L’appelant a admis l'allégation figurant à l'alinéa 4h), selon laquelle il avait été embauché comme ingénieur de projet pour la période en question, mais n'a pas produit de preuve documentaire à ce sujet. Il a témoigné qu'il agissait comme agent de liaison auprès des municipalités en vue d'obtenir les permis nécessaires. Son travail était par ailleurs le même que celui des trois autres soi-disant employés. Ils auraient tous travaillé au sous-sol ou au rez-de-chaussée; ils commençaient à travailler tôt le matin et cessaient de travailler à 18 h. Pendant le contre-interrogatoire, l'appelant s’est rappelé qu'il avait peut-être suivi un cours d'été au cours de la période en question.

[11] En ce qui concerne l'énoncé figurant à l'alinéa 4j), la pièce R-3 montre qu'un chèque que l'appelant Gad Bentolila avait reçu a été déposé dans un compte bancaire qu'il avait en commun avec sa mère et son frère.

[12] M. Bentolila n'était pas au courant des faits énoncés à l'alinéa 4l), dans lequel il est question du revenu de profession libérale fortement négatif du soi-disant payeur; l'avocate de l'intimé a toutefois produit des déclarations de revenu, sous les cotes R-8 et R-9, qui confirmaient l'allégation figurant à cet alinéa.

[13] La déclaration de revenu du payeur versée sous la cote R-9 a été produite conformément au paragraphe 241(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Elle indique, en ce qui a trait au revenu du payeur, des pertes d'un montant de 10 452,39 $ se rapportant aux locations immobilières et des pertes d'un montant de 15 446,56 $ se rapportant aux activités professionnelles. Il y avait un montant positif de 24 002,88 $ qui se rapportait à un revenu de pensions.

[14] Quant au contenu de l'alinéa 4n), l'appelant a affirmé qu'il effectuait le même genre de travail, mais que les conditions de travail étaient différentes en ce sens qu'au cours de l'année précédente, il avait travaillé comme entrepreneur et qu'en 1995, il avait travaillé comme employé.

[15] En ce qui concerne les énoncés figurant à l'alinéa 4o), l'appelant a déclaré que le revenu tiré du travail effectué pour son père aurait été de 10 000 $ en 1994.

[16] En ce qui concerne la déclaration figurant à l'alinéa 4g) de la deuxième réponse, selon laquelle David Colpitts avait été embauché comme superviseur de projet, l'appelant a admis que David Colpitts n'avait jamais auparavant travaillé dans le domaine de la construction.

[17] Mme Simone Rosengrand a témoigné pour le compte de l'intimé. Elle travaille comme agente de l'assujettissement pour le compte de l'intimé. Mme Rosengrand a déclaré que le 7 juillet 1995, M. David Colpitts avait présenté une demande de prestations d'assurance-chômage, après 15 semaines de travail. On lui a répondu qu'il lui fallait 20 semaines. Il a présenté une nouvelle demande le 8 août 1995, après avoir censément travaillé pendant cinq semaines additionnelles. Ces demandes figurent à la pièce R-6. Dans les deux demandes, l’auteur de celles-ci déclare, à la ligne 21, qu’il ne travaillait plus en raison d'une pénurie de travail.

[18] En ce qui concerne l'appelante Kimberly Lutz, Mme Rosengrand a déclaré qu'elle lui avait d'abord parlé au téléphone et qu'elle lui avait demandé quel genre de travail elle effectuait pour l'employeur. Mme Lutz avait répondu qu'elle était adjointe administrative et qu'elle faisait des travaux de dactylographie, de classement et ainsi de suite. Mme Rosengrand lui a demandé de se présenter à son bureau et d'apporter avec elle le travail qu'elle avait fait. Une fois arrivée au bureau, Mme Lutz a mentionné qu'elle exécutait également des travaux de rénovation. Le payeur avait répondu qu'elle travaillait à l'ordinateur chez elle. Lorsque Mme Rosengrand lui a demandé où elle habitait, Mme Lutz a répondu qu'elle n'habitait pas 484, rue Sunnyside, à Ottawa. Toutefois, c'est l'adresse qui est inscrite dans ses déclarations de revenu depuis 1993. L'agente du ministre a déclaré qu'il lui fallait 18 semaines de travail et qu'elle avait censément travaillé ce nombre de semaines.

[19] On a demandé au payeur d'apporter les factures au bureau de l'agente du ministre. Les factures qu'il a apportées étaient peu nombreuses et elles se rapportaient toutes à des montants de moins de 100 $. Le payeur a apporté ses relevés de compte bancaire au bureau; ces relevés n'indiquaient aucun retrait de 13 000 $, soit le total des salaires mensuels des quatre employés durant les périodes en question.

[20] En 1995, les soi-disant employés étudiaient tous à l'université Carleton et, en avril, ils préparaient leurs examens finaux.

[21] En ce qui concerne l'appelant Gad Bentolila, l'agente du ministre a déclaré qu'il lui avait dit qu'il travaillait la fin de semaine et qu'il suivait en même temps des cours pendant la semaine.

Arguments et conclusions

[22] L'alinéa 3(2)c) de la Loi se lit comme suit :

(2) Les emplois exclus sont les suivants :

[...]

c) sous réserve de l'alinéa d), tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l'application du présent alinéa :

(i) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu,

(ii) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi, étant réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance;

[23] L'avocate de l'intimé a soutenu que M. Gad Bentolila était lié à l'employeur et qu'il n'avait pas présenté de preuve corroborée montrant que, s'il n'avait pas été lié à l'employeur, il aurait été employé aux mêmes conditions.

[24] L'avocate de l'intimé a soutenu que les autres appelants n'avaient pas comparu en personne pour se défendre et que leurs appels devraient être rejetés en raison de l'absence de preuve. Elle a également soutenu que ces appelants et le soi-disant employeur avaient entre eux un lien de dépendance et que leur soi-disant emploi était donc exclu aux termes de l'alinéa 3(2)c) de la Loi.

[25] Sur ce dernier point, l'avocate a mentionné les trois critères qui permettent habituellement de déterminer si les parties à une transaction n’ont pas entre elles un lien de dépendance. Elle a cité le paragraphe 16 du bulletin d'interprétation IT-419R, qui est ainsi libellé :

16. Les critères appliqués uniformément par les tribunaux pour déterminer si une transaction a été réalisée entre personnes n'ayant pas de lien de dépendance sont les suivants :

• la présence d'une entité responsable de la négociation pour les deux parties à une transaction;

• le fait que les parties à une transaction agissent ensemble sans intérêt distinct;

• la présence d'un contrôle « de fait » .

[26] L'avocate de l'intimé a déclaré qu'en l'espèce, ce n'était pas le premier critère qui était pertinent, étant donné que ce critère s'appliquait surtout aux personnes morales et non aux particuliers. Lorsqu'un particulier est en cause, c'est le deuxième critère dont il faudrait tenir compte.

[27] Ces critères ont été analysés à fond comme suit par le juge Bonner dans la décision McNichol et al v. The Queen, 97 DTC 111, aux pages 117 et 118 :

Le critère relatif à l’existence d’une même personne résulte de deux jugements, notamment en premier lieu le jugement que la Cour suprême du Canada a rendu dans l'affaire M.N.R. v. Sheldon’s Engineering Ltd. [(1995) C.T.C. 174, 55 DTC 1110]. Aux pages 1113-1114, le juge Locke, qui parlait au nom de la Cour, a dit ceci :

[TRADUCTION]

Lorsqu'une même personne contrôle des compagnies directement ou indirectement, que cette personne soit un individu ou une compagnie, des compagnies contrôlées sont, aux termes de cet article, censées ne pas traiter entre elles à distance. Les dispositions de cet article mises à part, dans le cas d'une vente d'éléments d'actif dépréciables par un contribuable à une entité qu'il contrôle ou par une compagnie contrôlée par le contribuable à une autre compagnie également contrôlée par lui, le contribuable dictant à titre d'actionnaire majoritaire les conditions de la transaction, on ne peut à mon avis prétendre sérieusement que les parties traitaient entre elles à distance et que l'article 20(2) ne s'appliquait pas.

En second lieu, la décision que le juge Cattanach a rendue dans l'affaire M.N.R. v. T R Merritt Estate [(1969) C.T.C. 207, 69 DTC 5159] est également utile. Aux pages 5165-5166, voici ce que le juge a dit :

[TRADUCTION]

Selon moi, le principe fondamental sur lequel se fonde la présente analyse est le suivant : lorsque les négociations menées au nom de chacune des deux parties au contrat sont en fait dirigées par le même « cerveau » , on ne peut dire que les parties traitent à distance. En d'autres termes, lorsque la preuve révèle que la même personne « dictait » les « conditions de la transaction » au nom de chacune des deux parties, on ne peut dire que les parties traitaient à distance.

Le critère voulant que les parties agissent de concert montre jusqu'à quel point il est important que la négociation ait lieu entre des parties distinctes, qui cherchent chacune à protéger leurs propres intérêts. Ce critère est énoncé dans la décision que la Cour de l'Échiquier a rendue dans l'affaire Swiss Bank Corporation v. M.N.R. [(1971) C.T.C. 427, 71 DTC 5235; conf. [1972] C.T.C. 614, 71 DTC 6470]. À la page 5241, le juge Thurlow (tel était alors son titre) a dit ceci :

J'ajouterais que lorsque plusieurs parties, qu'elles soient des personnes physiques, des compagnies ou une combinaison des deux, agissent de concert et dans le même intérêt pour diriger ou dicter la conduite d'une autre, le « cerveau » directeur peut à mon avis être celui de l'ensemble des parties agissant de concert ou celui d'une seule d'entre elles qui remplit un rôle ou des fonctions particulières qu'il faut accomplir pour atteindre l'objectif commun. De plus, à mon sens, il n'y a lieu de faire aucune distinction à ce titre entre des personnes qui agissent à leur propre compte pour en contrôler d'autres et celles qui, quelque nombreuses qu'elles soient, se font représenter par une autre. D'autre part, si l'une des parties à une transaction agit dans un intérêt différent de celui des autres ou le représente, le fait que le but commun soit de diriger les actes d'une autre partie de façon à obtenir un résultat bien précis ne suffira pas en soi à enlever à la transaction son caractère de transaction entre personnes traitant à distance. Selon moi, l'affaire Sheldon's Engineering [précitée] en est un exemple.

Enfin, il est à noter que l'existence d'une relation sans lien de dépendance est exclue si l'une des parties à l'opération en cause exerce un contrôle de fait sur l'autre. À cet égard, on peut mentionner la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Robson Leather Company Ltd. v. M.N.R., 77 DTC 5106.

[28] Comme il en est fait mention ci-dessus, le critère voulant que les personnes en cause agissent de concert a été énoncé dans le jugement Swiss Bank Corporation and Swiss Credit Bank v. M.N.R., précité. Ce critère est considéré comme étendant aux personnes physiques la portée du critère relatif à l'entité responsable ou du critère relatif à l'âme dirigeante. Comme l'a mentionné le juge Thurlow dans la décision précitée, les personnes peuvent agir de concert tout en n'ayant aucun lien de dépendance dans la mesure où leurs intérêts sont différents. Il est donc important de comprendre ce qu'on entend par « intérêts distincts » en ce qui concerne le deuxième critère.

[29] À cet égard, je renverrai à une décision de la Cour fédérale de l’Australie dans l’affaire Furse Estate v. Federal Commissioner of Taxation, 91 ATC 4007 (C.F.A.). Je cite les pages 24, 26, 27 et 28 :

[TRADUCTION]

Le tribunal a statué que les parties au contrat, dont on n'a pas indiqué la nature, avaient entre elles un lien de dépendance. En concluant ainsi, le tribunal n'a pas bien compris le critère à appliquer [...], qui n'était pas de savoir si les parties au contrat en question n'avaient aucun lien de dépendance mais si, en ce qui concerne le contrat en question, elles traitaient l'une avec l'autre comme des parties sans lien de dépendance. En appliquant le mauvais critère, le tribunal a commis une erreur de droit.

[...]

On ne peut répondre à la première des deux questions en litige en se demandant uniquement si les parties au contrat n'avaient aucun lien de dépendance. La disposition met plutôt l'accent sur la question de savoir si les parties en cause traitaient l’une avec l’autre comme des parties sans lien de dépendance relativement au contrat. Le fait que les parties ont entre elles un lien de dépendance ne signifie pas qu'elles ne peuvent pas, relativement à une transaction donnée, traiter l'une avec l'autre comme des parties sans lien de dépendance. Il ne s'ensuit pas pour autant que la relation entre les parties n'est pas pertinente relativement à la question à trancher aux termes de la disposition en question. Le juge Davies a établi la distinction dans le contexte d'un libellé semblable, à savoir celui du paragraphe 26AAA(4) de la Loi, dans l'affaire Barnsdall v. Federal Commissioner of Taxation (1988) 88 ATC 4565, à la page 4568, dans un passage auquel, avec égards, je souscris :

Cependant, le paragraphe 26AAA(4) utilise l'expression « ne traitent pas l'une avec l'autre comme des parties sans lien de dépendance » . Cette expression ne devrait pas être interprétée comme si le terme « traitent » n'y était pas. Le Commissaire doit être convaincu non seulement qu'il y a un lien entre le contribuable et la personne en faveur de qui ce dernier a effectué le transfert, mais aussi que les parties ne traitaient pas l'une avec l'autre comme des parties sans lien de dépendance. La conclusion relative au lien entre les parties ne constitue qu'une étape dans le raisonnement et elle ne sera pas déterminante.

Il faut, pour déterminer si des parties traitaient l’une avec l’autre comme des parties sans lien de dépendance dans le cadre d'une transaction donnée, établir si, relativement à cette transaction, elles ont traité l'une avec l'autre comme des parties sans lien de dépendance le feraient normalement, de façon que la transaction soit le résultat d'une véritable négociation.

[30] Je suis par conséquent d’avis qu’afin de déterminer si des parties non liées entre elles ont un lien de dépendance ou non, la cour doit établir, en se fondant sur une constatation de faits, si, en ce qui concerne une transaction donnée, les parties ont traité l’une avec l’autre comme des parties sans lien de dépendance le feraient normalement, de façon que la transaction soit le résultat d’une véritable négociation.

[31] Il faut avoir une idée de la façon dont est déterminée la notion de personnes ayant entre elles un lien de dépendance pour comprendre pourquoi, dans la première partie de l’alinéa 3(2)c) de la Loi, l’emploi est définitivement un emploi exclu lorsque l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance par opposition à l’emploi exclu de personnes liées entre elles mentionné au sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi, où cet emploi exclu cesse d’être exclu lorsque c’est un emploi qui aurait existé sur le marché du travail normal du fait que les modalités d’emploi sont le résultat d’une véritable négociation.

[32] Dans le cas de personnes non liées entre elles, c’est la nature de la transaction entre les parties, selon qu’il s’agit ou non du résultat d’une véritable négociation, et non la relation entre les parties, qui déterminera si ces personnes ont ou n’ont pas traité l’une avec l’autre comme des parties sans lien de dépendance. Aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu, « l’expression personnes liées » s’entend de personnes qui ont entre elles un lien de dépendance, quelle que soit la transaction. Par conséquent, dans cette dernière situation, l’emploi n’est pas définitivement exclu. Si le contrat de travail est un véritable contrat de travail, l’emploi ne sera pas exclu.

[33] J'examinerai d'abord l'appel que M. Gad Bentolila a interjeté. Cet appelant est lié à l'employeur. Il s'agit d'une situation visée au sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi. Dans ce cas-ci, le ministre n'était pas convaincu qu'il était raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée et la durée du travail accompli, que les personnes en cause auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[34] Le rôle qui incombe à notre cour en ce qui concerne le pouvoir que le ministre possède en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi a été examiné à fond par la Cour d'appel fédérale dans plusieurs décisions, notamment dans la décision Canada c. Jencan Ltd. en date du 24 juin 1997. Je cite :

[...] La Cour de l'impôt est justifiée de modifier la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)ii) — en examinant le bien-fondé de cette dernière — lorsqu'il est établi, selon le cas, que le ministre : (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii); (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent.

[...]

En d'autres termes, ce n'est que lorsque la décision du ministre n'est pas raisonnablement fondée sur la preuve que l'intervention de la Cour de l'impôt est justifiée. Une hypothèse de fait qui est réfutée au procès peut, mais pas nécessairement, constituer un défaut qui fait que la décision du ministre est contraire à la loi. Tout dépend de la force ou de la faiblesse des autres éléments de preuve. La Cour de l'impôt doit donc aller plus loin et se demander si, sans les hypothèses de fait qui ont été réfutées, il reste suffisamment d'éléments de preuve pour justifier la décision du ministre. Si la réponse à cette question est affirmative, l'enquête est close. Mais, si la réponse est négative, la décision est alors contraire à la loi et ce n'est qu'alors que la Cour de l'impôt est justifiée de procéder à sa propre appréciation de la prépondérance des probabilités. [...]

[35] Les faits décrits dans la première réponse ont été jugés en majeure partie exacts et je conclus, en ce qui concerne M. Gad Bentolila, que, pour les motifs énoncés aux paragraphes 34 et 35 des présents motifs, le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon raisonnable lorsqu'il a conclu que des personnes sans lien de dépendance n'auraient pas conclu entre elles un contrat de travail semblable.

[36] Quant aux autres appelants, je ne puis faire autrement que de conclure que le ministre a eu raison, sur le plan des faits et du droit, de conclure qu'ils avaient un lien de dépendance avec le soi-disant employeur, étant donné que le soi-disant contrat de travail qu'ils avaient conclu avec ce dernier n'était pas un contrat auquel de véritables négociations auraient donné lieu ou, en d'autres termes, qu'il ne s'agissait pas d'un véritable contrat de travail.

[37] Le fait que l'employeur ne s'est pas présenté pour témoigner m'amène à conclure qu'il ne pouvait pas prouver que la déclaration qu'il avait faite à l'agente du ministre, laquelle est reproduite dans toutes les réponses, était inexacte. Voici la déclaration en question :

[TRADUCTION]

e) le payeur a déclaré avoir embauché les quatre personnes mentionnées à l'alinéa d) pour qu'elles soient admissibles à des prestations d'assurance-chômage, étant donné qu'elles étudiaient et qu'elles avaient besoin d'argent;

[38] En 1995, le revenu de l'employeur était négatif, et de beaucoup. Au moment où l'agente du ministre a mené son enquête, l'employeur n'a pu prouver qu'il versait un montant de 13 000 $ au titre de la paie mensuelle. Quant aux travaux de construction qui ont été exécutés pendant la période en question, le payeur n'a pu présenter à l'agente du ministre que quelques factures d'un montant peu élevé. Les soi-disant employés n'avaient pas la formation requise en vue de faire le travail pour lequel ils étaient censément employés. Ils croyaient si peu au bien-fondé de leur cause qu'ils ne se sont même pas présentés à l'audience. M. Gad Bentolila s'est présenté. Il se peut qu'il ait eu une certaine expérience dans le domaine de la construction et qu'il ait exécuté certains travaux, mais rien ne montre qu'il ait effectué le nombre d'heures alléguées et le nombre de semaines alléguées et qu'il ait touché le salaire allégué. Je tiens à répéter encore une fois que l'employeur n'a jamais établi qu'il était en mesure de payer tous les travailleurs en cause, et il n'a pas établi non plus qu'il avait acheté les matériaux nécessaires pour que les quatre employés puissent exécuter pareils travaux de construction sur une période de cinq mois.

[39] Les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour d'avril 1998.

Louise Lamarre Proulx

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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