Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19991110

Dossier: 98-2072-IT-I

ENTRE :

DORIS WOOD,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1] L'appelante a interjeté appel contre les cotisations établies pour les années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994 parce que les pertes locatives qu'elle a déclarées n'ont pas été admises.

[2] La propriété dont il est question en l'espèce, le logement condominial faisant partie de l'ensemble Todd Brooker's Mountain Lodge situé sur la route rurale no 3, Blue Mountain Road, Collingwood, Ontario (la “ propriété ”), a été achetée en 1989.

[3] Dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994, l'appelante a déclaré des pertes locatives de 18 241 $, 18 636 $, 22 316 $ et 16 006 $ à l'égard de la propriété.

[4] Dans les nouvelles cotisations qu'il a établies à l'égard de l'appelante, le ministre du Revenu national (le “ministre ”) n'a pas admis les pertes locatives. Les avis en ce qui concerne les années d'imposition 1991 et 1992 ont été mis à la poste simultanément le 2 février 1996 et ceux qui concernent les années d'imposition 1993 et 1994, le 7 mars 1996.

[5] Dans son avis d'appel qui est considéré faire partie du témoignage fait sous serment, l'appelante a dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Je n'ai rien à voir avec l'important déclin économique qui s'est installé depuis que j'ai décidé d'acheter ce bien de placement en 1989. L'achat du bien de placement en question en 1989 visait à générer ou produire un revenu. Des professionnels administraient le placement. [...] Quand j'ai acheté la propriété, j'avais une attente raisonnable de profit puisqu'il était prévu que les revenus serviraient à rembourser le prêt hypothécaire graduellement. J'ai versé une mise de fonds de 25 p. 100 et la propriété a été grevée d'un prêt hypothécaire de premier rang de 142 425 $. ... J'avais prévu obtenir un revenu locatif de 18 000 $ environ, soit plus qu'il n'en fallait pour couvrir les paiements hypothécaires et les taxes foncières. Ces projections étaient très prudentes puisque j'avais prévu louer la propriété pendant une période correspondant à 50 p. 100 de l'année. À l'époque, les autres propriétés dans la région étaient louées pendant une période correspondant à 70 p. 100 de l'année. [...] À compter de 1991, l'économie s'est détériorée et les profits et les revenus de tous les placements ont baissé. Il m'aurait été impossible de prévoir qu'il allait se produire un important déclin économique quand j'ai décidé de faire un placement et d'acheter la propriété.

Je m'oppose également à l'argument voulant que la propriété ait été utilisée à des fins personnelles et que, par conséquent, les dépenses engagées représentent des frais de subsistance plutôt que des dépenses effectuées à l'égard d'un placement. Je visitais la propriété une fois en hiver et une fois en été pour en vérifier l'état et exercer un suivi de la gestion et de l'entretien. Lors de ces visites, je passais une nuit dans la propriété puisque je devais faire un très long trajet en voiture pour m'y rendre et en revenir. J'ai des documents qui établissent que mon utilisation de la propriété a été minimale. [...] Le reste du temps, la propriété était offerte en location.

[6] À l'audience, l'appelante a reconnu que les hypothèses suivantes du ministre étaient fondées :

- le conjoint de l'appelante a acheté la propriété en janvier 1989;

- la propriété a été vendue pour la somme de 189 900 $ et grevée d'un prêt hypothécaire de premier rang de 142 425 $;

- dans les années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994, en ce qui concerne la propriété, l'appelante a déclaré comme loyers bruts et réclamé comme dépenses et pertes locatives les sommes suivantes :

Année

d'imposition

Loyers

bruts

Dépenses

Perte

locative

1991

3 261 $

21 502 $

18 241 $

1992

3 188 $

21 824 $

18 636 $

1993

1 115$

23 431 $

22 316 $

1994

2 059 $

18 065 $

16 006 $

- la dépense d'intérêt déclarée à l'égard de la propriété était supérieure au montant de loyers bruts;

- l'appelante a cautionné le prêt hypothécaire de premier rang consenti à son conjoint;

- l'appelante déclare des pertes locatives à l'égard de la propriété depuis l'année d'imposition 1989.

[7] Cependant, selon l'appelante, les hypothèses suivantes ne sont pas fondées :

- les loyers bruts perçus et les dépenses engagées à l'égard de la propriété n'étaient pas raisonnables dans les circonstances;

- dans les années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994, l'appelante n'a pas, comme elle l'a déclaré, effectué ou engagé des dépenses de location supérieures aux loyers bruts déclarés ou, si elle a effectué ou engagé ces dépenses, ces dernières n'ont pas été effectuées ou engagées pour tirer ou produire un revenu d'une entreprise ou d'un bien et elles représentaient des frais personnels ou de subsistance de l'appelante;

- les dépenses rejetées n'étaient pas raisonnables dans les circonstances;

- dans les années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994, l'appelante n'avait pas d'attente raisonnable de profit à l'égard de la propriété;

- le conjoint de l'appelante a acheté la propriété pour son usage personnel;

- l'appelante pouvait utiliser la propriété à des fins personnelles;

- en déclarant des pertes locatives dans les années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994, l'appelante n'a pas tenu compte de leur usage personnel de la propriété.

LES AUTRES ÉLÉMENTS DE PREUVE PRÉSENTÉS À L'AUDIENCE

[8] Selon l'acte de vente déposé au bureau d'enregistrement, le mari de l'appelante a acheté la propriété. Toutefois, une convention de fiducie établissant que l'appelante et son mari étaient tous les deux les propriétaires bénéficiaires du logement condominial a été enregistrée en janvier 1992. Pour acheter la propriété, le mari de l'appelante a utilisé l'argent de la famille, faisant tout particulièrement appel à l'épargne et au fonds enregistré d'épargne retraite. L'acquisition de la propriété visait deux objectifs : accroître l'actif et générer un revenu locatif. Dans son témoignage, l'appelante a confirmé qu'elle et son mari se consultaient avant de prendre une décision à l'égard de la propriété. Durant la période en question, outre ses activités de location, l'appelante était professeure à temps plein et agente d'immeuble à temps partiel.

[9] L'appelante a déclaré que la propriété n'avait pas été achetée pour que la famille y passe ses heures de loisir, et que la famille n'y était jamais allée passer ses vacances. L'appelante et les membres de sa famille ont occupé le logement condominial trois ou quatre jours par année pour assister aux réunions de propriétaires de condominiums. Ils ont alors versé aux administrateurs la somme réclamée pour le séjour. D'après les pièces déposées, le logement condominial faisait partie d'un complexe hôtelier administré par une société de gestion de centre de villégiature qui louait les logements en vertu d'une entente contractuelle conclue avec les propriétaires de condominiums. Les droits et les pouvoirs que les propriétaires pouvaient exercer aux termes de la convention de gestion étaient limités.

[10] L'appelante a affirmé qu'elle s'attendait à ce que la location de la propriété produise des rentrées nettes de fonds. Ses prévisions prudentes étaient fondées sur les résultats d'une enquête sur les taux de loyer locaux et sa compréhension selon laquelle, compte tenu des taux de loyer projetés, dans trois ou cinq ans au maximum les loyers seraient supérieurs aux dépenses. En contre-interrogatoire toutefois, l'appelante n'a pas été en mesure d'expliquer clairement les facteurs sur lesquels elle s'était appuyée pour établir ses prévisions. Néanmoins, les éléments de preuve dont la Cour est saisie démontrent que le site et l'ensemble se prêtaient tous les deux à une exploitation comme centre de villégiature durant l'hiver et l'été. L'administration du centre de villégiature était professionnelle sous tous les rapports, notamment en ce qui concerne l'établissement des taux de loyer et l'exploitation. Selon l'appelante, le fait que les recettes n'aient jamais été supérieures aux dépenses est une conséquence du ralentissement économique qui a eu des répercussions directes sur les centres de villégiature. L'appelante a déclaré avoir investi plus de cinquante mille dollars dans la propriété et l'avoir perdu lorsque le créancier hypothécaire a exercé son pouvoir de vente en 1995.

ANALYSE

ANNÉE D'IMPOSITION 1993

[11] Dans la réponse à l'avis d'appel, le ministre a fait valoir que l'appel interjeté par l'appelante à l'égard de son année d'imposition 1993 n'était pas valide parce qu'elle n'avait aucun impôt à payer cette année-là. Les éléments de preuve démontrent que le ministre n'a réclamé aucune somme d'impôt dans la cotisation établie à l'égard de l'appelante pour l'année 1993. Le principe juridique selon lequel aucun appel ne peut être interjeté contre une cotisation dans laquelle le ministre ne réclame aucun impôt est bien établi. Je conclus que l'appel interjeté contre la cotisation établie à l'égard de l'année 1993 n'est pas valide.

QUI ÉTAIT PROPRIÉTAIRE DU LOGEMENT CONDOMINIAL?

[12] D'après le contrat de vente, le mari de l'appelante était le propriétaire du logement condominial. L'appelante a signé l'acte de prêt hypothécaire en qualité de caution. L'appelante a prétendu qu'il s'agissait de son bien locatif. Cependant, compte tenu de tous les éléments de preuve, du fait que l'appelante et son mari ont utilisé l'argent de la famille pour acheter la propriété, qu'ils prenaient conjointement toutes les décisions concernant la propriété, qu'ils ont déposé une convention de fiducie établissant qu'ils étaient tous les deux les propriétaires bénéficiaires du logement condominial, je conclus que l'appelante et son mari étaient tous les deux propriétaires du logement condominial. En outre, ces éléments de preuve étayent la conclusion selon laquelle l'appelante et son mari exploitaient la location du logement en société.

LA DURÉE DE L'UTILISATION À DES FINS PERSONNELLES PAR RAPPORT À CELLE DE L'UTILISATION À DES FINS DE LOCATION

[13] Aux termes du contrat de gestion, l'appelante avait le droit d'occuper la propriété pour son usage personnel durant des périodes déterminées sur versement des frais de service stipulés. Je conclus, selon les éléments de preuve, que l'appelante et son mari n'ont exercé ce droit que pendant de très courtes périodes durant les années en question et seulement pour assister aux réunions des propriétaires. En outre, lorsqu'ils sont devenus conscients que la location du logement ne serait pas rentable, ils n'ont pas affecté la propriété à leur usage personnel mais ont décidé de ne plus s'en occuper et l'ont perdue lorsque le prêteur hypothécaire a exercé son droit de vente.

L'APPELANTE EXPLOITAIT-ELLE UNE ENTREPRISE ?

[14] L'appelante et son mari ont acheté la propriété dans le but d'exploiter une entreprise de location d'un bien locatif dans le cadre des activités de la Todd Brooker Mountain Lodge et c'est l'objectif primordial qu'ils ont visé pendant les années en question. L'emplacement de la propriété, la réputation de la société de gestion, l'enquête sur les taux de loyers et les prévisions selon lesquelles la propriété serait louée pendant une période correspondant à 50 p. 100 de l'année représentent les divers éléments qui ont porté l'appelante à croire qu'elle réaliserait un profit. En outre, elle a investi une importante somme en capital par rapport au prix de la propriété. L'appelante et son mari ont exploité et administré la propriété comme ils auraient exploité et administré un commerce. Toutefois, à cause du ralentissement économique, l'appelante et son mari ont subi des pertes importantes, l'entreprise n'a pas réussi et ils ont perdu la propriété. Selon les faits, il y a suffisamment d'éléments différents pour que la Cour puisse conclure qu'il y avait une attente raisonnable de profit et que l'entreprise était potentiellement viable.

[15] De plus, je conclus que les dépenses engagées étaient raisonnables, qu'elles ne représentent pas des frais personnels et qu'elles ont été faites dans le but de tirer ou produire un revenu de l'exploitation d'une entreprise de location d'un bien.

DÉCISION

[16] Les appels interjetés contre les années d'imposition 1991, 1992 et 1994 sont admis. Les cotisations sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations pour le motif que l'appelante et son mari exploitaient en société une entreprise de location viable à l'égard de laquelle ils avaient une attente raisonnable de profit et que l'appelante a le droit de déduire cinquante pour cent des pertes qu'elle a déclarées à l'égard de cette entreprise.

[17] En ce qui concerne l'année d'imposition 1993, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de novembre 1999.

“ D. Hamlyn ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 24e jour de juillet 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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