Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19980819

Dossier: 97-2840-IT-I

ENTRE :

ROBERT S. EDWARDS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] M. Edwards travaille dans une banque. En 1995, parce qu'il craignait d'être mis à pied, il s'est inscrit à un cours offert par un établissement connu sous le nom de Toronto Truck Driving School, que j'appellerai l' « école » , en vue d'obtenir une formation sur laquelle il pourrait se rabattre si cela était nécessaire. Il avait pris connaissance de l'existence de l'école grâce à une annonce publiée dans un journal. Il y était mentionné que les frais versés à l'école seraient déductibles d'impôt. Ajoutant foi à cette affirmation, M. Edwards ne s'est pas renseigné auprès de Revenu Canada sur son exactitude. Il s'est simplement inscrit, il a suivi le cours et, dans sa déclaration de revenus pour l'année 1995, il a demandé un crédit en vertu du sous-alinéa 118.5(1)a)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ). En temps opportun, une nouvelle cotisation refusant la déduction qu'il avait demandée a été établie à son égard. Il interjette aujourd'hui appel de cette nouvelle cotisation.

[2] Le sous-alinéa 118.5(1)a)(ii) de la Loi qui s'appliquait pour l'année d'imposition 1995 se lit comme suit :

118.5(1) Les montants suivants sont déductibles dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition :

a) si le particulier est inscrit au cours de l'année à l'un des établissements d'enseignement suivants situés au Canada :

[...]

(ii) établissement d'enseignement reconnu par le ministre de l'Emploi et de l'Immigration comme offrant des cours — sauf les cours permettant d'obtenir des crédits universitaires — qui visent à donner ou à augmenter la compétence nécessaire à l'exercice d'une activité professionnelle,

le produit de [...]

À l'article 95 des L.C. 1996, ch. 11, entré en vigueur le 12 juillet 1996, « ministre de l'Emploi et de l'Immigration » a été remplacé par « ministre du Développement des ressources humaines » ; je les appellerai respectivement le ministre de l'E. et de l'I. et le ministre du DRH.

[3] Si l'on se reporte aux actes de procédure, la seule question en litige dans l'appel en l'instance est de savoir si, à l'époque pertinente, l'école était un établissement « reconnu par le ministre » . J'ai conclu dès le départ qu'à cet égard, la charge de la preuve incombait à la Couronne et non au contribuable, contrairement à ce que l'on voit habituellement dans les appels en matière d'impôt sur le revenu. Voici en peu de mots les motifs qui appuient ma conclusion.

[4] Dès le début du siècle, la Cour suprême du Canada a statué que la charge de réfuter les faits sur lesquels une cotisation d'impôt est fondée incombait au contribuable. L'arrêt le plus souvent cité est Johnston v. M.N.R.[1]. Le plus récent est l'arrêt Hickman Motors Ltd. c. Canada[2]. Si l'on impose cette charge aux contribuables, c'est que, dans la plupart des cas, ce sont eux qui connaissent les faits pertinents. C'est ce qu'a expliqué succinctement le juge Duff, tel était alors son titre, dans l'arrêt Anderson Logging[3] :

[TRADUCTION]

Premièrement, en ce qui a trait au débat sur la question du fardeau de la preuve. Si, dans le cadre d'un appel devant le juge de la Cour de révision, il semble, d'après les faits véridiques, que l'application de la loi pertinente soulève des doutes, il semblerait, en principe, que le ministère public doive être débouté. Ce serait la conséquence nécessaire du principe à la lumière duquel les lois imposant un fardeau de preuve au sujet ont, en vertu d'une pratique bien enracinée, été interprétées et appliquées. Mais en ce qui a trait à l'enquête sur les faits, l'appelant se trouve dans la même position que tout autre appelant. Il doit démontrer que la cotisation contestée n'aurait jamais dû être établie; c'est-à-dire qu'il doit faire la preuve de faits qui permettent d'affirmer que la cotisation n'était pas autorisée par la loi fiscale ou qui jettent un tel doute sur la question qu'en vertu des principes auxquels il a été fait allusion, la responsabilité de l'appelant ne peut être retenue. Naturellement, les faits véridiques peuvent être prouvés au moyen d'éléments de preuve directe ou d'inférences probables. L'appelant peut présenter des faits pour établir une prétention prima facie qui demeure incontestée; mais pour déterminer si une telle preuve a été établie, il est important de ne pas oublier, si tel est le cas, que les faits sont jusqu'à un certain point, sinon exclusivement, du domaine de la connaissance de l'appelant; bien que pour des raisons évidentes, il convienne de ne pas trop insister sur cette dernière question.

[5] Le seul fait en litige en l'espèce est de savoir si, à l'époque pertinente, l'école était un établissement reconnu par le ministre compétent. Évidemment, ce n'est pas une question où la connaissance des faits exacts incombe au contribuable. C'est plutôt à la Couronne exclusivement qu'incombe cette connaissance et, comme il est ressorti de la preuve, ce n'est pas sans difficulté que le contribuable pourrait prendre connaissance des faits auprès d'une source de première main qu'il pourrait consulter lui-même. En pratique, on ne peut apparemment avoir accès à l'information en cause qu'en formulant une demande verbale à un bureau de Revenu Canada, soit en personne soit au téléphone, et en tenant pour acquis que la réponse obtenue est juste.

[6] L'avocat de l'intimée a appelé M. Chiarotto, agent des appels à Revenu Canada, à venir témoigner sur la question de la reconnaissance des établissements. M. Chiarotto a produit une photocopie d'un imprimé qu'il a obtenu de l'ordinateur du bureau de Revenu Canada à Toronto. Il a déclaré qu'il avait interrogé l'ordinateur pour savoir si l'école était un établissement reconnu par le ministre du DRH et que, d'après l'imprimé, ce n'était pas le cas puisque le nom de l'école n'y figurait pas. Sur l'imprimé figurent un certain nombre d'autres établissements dont les noms sont semblables et qui, d'après le témoin, sont des établissements reconnus. Ce témoignage pose un certain nombre de problèmes, sans parler des difficultés habituelles qu'il faut surmonter pour établir l'exactitude des dossiers informatiques, question que le témoin en l'espèce n'a pas du tout traitée.

[7] Premièrement, rien ne prouve que l'ordinateur ait à quelque moment que ce soit contenu la liste exacte et complète des établissements reconnus. M. Chiarotto a reconnu avec franchise que, bien qu'il utilise de temps en temps l'ordinateur et l'information qu'il contient pour vérifier si des établissements sont reconnus, il tient simplement pour acquis que la banque de données est exacte. Il ne sait pas du tout qui consigne l'information ni à quel moment elle est consignée. Il n'a pas abordé la question de la tenue à jour de la liste, qui est certainement modifiée à l'occasion. Il a cependant expliqué, par ouï-dire, qu'il avait vérifié l'information obtenue sur imprimé en appelant une dame Thibodeau au ministère du Développement des ressources humaines (MDRH), en vue de préparer son témoignage. Il ignore complètement qui est cette personne et ce qu'elle fait au MDRH. Il a expliqué qu'il ne pouvait produire la liste complète en preuve parce que, pour ce faire, il aurait fallu transmettre la liste par télécopieur à partir d'Ottawa, une liste qui compte des centaines de pages. La seule copie de la liste qui se trouve dans les bureaux de Revenu Canada à Toronto, a-t-il dit, n'est pas à jour. Un contribuable de l'extérieur de la région de la capitale nationale qui souhaiterait vérifier si un établissement est reconnu avant de s'inscrire à un cours pourrait s'informer par téléphone à Revenu Canada; il obtiendrait les résultats d'une recherche par ordinateur de la nature de celle que M. Chiarroto a effectuée aux fins de son témoignage. Le contribuable serait cependant incapable d'obtenir une liste exacte des établissements reconnus au bureau de Revenu Canada.

[8] Cette preuve ne me convainc absolument pas que, selon la prépondérance des probabilités, l'école n'était pas, en 1995, un établissement reconnu par le ministre de l'E. et de l'I. M. Chiarotto n'a pu préciser la question qu'il avait posée à l'ordinateur. Son témoignage m'a donné l'impression qu'il avait posé la question sur la reconnaissance des établissements et que l'ordinateur avait répondu au moment où la question avait été posée, c'est-à-dire, si je comprends bien, cette semaine. Dans son témoignage, M. Chiarotto a parlé de la reconnaissance par le ministre du DRH, un ministère créé en 1996. Je ne crois pas qu'il ait prétendu traiter de la situation telle qu'elle existait en 1995, l'année qui, bien sûr, est pertinente en l'espèce. Dans la réponse de la Couronne, on renvoie à la reconnaissance par le ministre de l'E. et de l'I. et non par le ministre du DRH. Indépendamment de toutes les autres faiblesses du témoignage de M. Chiarotto, il est parfaitement possible que l'école ait été reconnue par le ministre de l'E. et de l'I. au moment où M. Edwards l'a fréquentée en 1995 et qu'elle ait perdu cette reconnaissance depuis lors pour une raison quelconque.

[9] J'ajouterai que, dans la présente affaire, l'avocat de la Couronne n'a pas tenté d'invoquer les dispositions de la Loi sur la preuve au Canada et que mes commentaires relatifs à la preuve devraient être interprétés dans cette perspective.

[10] La Couronne ne s'est pas acquittée du fardeau d'établir qu'en 1995, l'école n'était pas un établissement reconnu par le ministre de l'E. et de l'I. aux fins du sous-alinéa 118.5(1)a)(ii). L'appel est par conséquent admis et la nouvelle cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelant a droit au crédit d'impôt pour frais de scolarité qu'il a demandé.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour d'août 1998.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 10e jour de février 1999.

Mario Lagacé, réviseur



[1]           [1948] R.C.S. 486; voir les motifs du juge Rand à la page 489 et du juge Kellock à la page 492.

[2]           [1997] 2 R.C.S. 336, motifs du juge L'Heureux-Dubé, aux pages 378 à 381.

[3]           [1925] R.C.S. 45, à la page 50.

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