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Date: 19981124

Dossiers: 97-1791-IT-G; 97-1793-IT-G

ENTRE :

PETER J. SPEER, CRAIG G. BUSHELL,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge O'Connor, C.C.I.

[1] Ces appels ont été entendus sur preuve commune à Vancouver (Colombie-Britannique) les 26 et 27 octobre 1998.

[2] Plusieurs témoins ont été entendus et de nombreuses pièces ont été déposées.

[3] La principale question est de savoir si le ministre a eu raison d'imposer comme revenu de commissions certains dividendes reçus par M. Peter Speer en 1987 et par l'épouse de M. Craig Bushell en 1988, pour le motif que les montants payés effectivement représentaient des commissions gagnées par le cabinet Coopers & Lybrand (“ Coopers ”), dont les deux appelants étaient des associés de Vancouver. Subsidiairement, il s'agit de savoir : si la nouvelle cotisation établie par le ministre est frappée de prescription; si le ministre peut soulever la question du “ trompe-l'oeil ” seulement à la date tardive des réponses aux avis d'appel, alors que la première cotisation se fondait uniquement sur le paragraphe 56(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”); si le ministre peut, pour 1989, imposer un revenu de commissions représentant exactement les mêmes sommes que les dividendes qui avaient été déclarés et imposés comme dividendes pour 1987 dans le cas de M. Speer et pour 1988 dans le cas de Mme Bushell, aucune nouvelle cotisation à l'égard de l'une ou l'autre de ces deux personnes n'ayant été établie concernant lesdits dividendes.

Contexte

[4] Comme ces appels tournent autour du concept d'“ impôt en main remboursable au titre de dividendes ”, je renvoie aux extraits suivants de CCH Canadian Limited Reports, vol. 4, p. 19039 et suivantes, qui expliquent ce concept.

[TRADUCTION]

Un des principes sous-jacents à la Loi de l'impôt sur le revenu est le concept selon lequel l'intégration doit être réalisée lorsque la plupart des types de revenus sont reçus par une corporation privée, puis transmis à un actionnaire individuel. L'intégration est réalisée lorsque le total de l'impôt payable par la corporation privée et par l'actionnaire individuel résident correspond à l'impôt qui aurait été payable si l'actionnaire avait directement reçu le revenu. Ce résultat suppose quatre étapes :

1) une corporation est imposée sur tous les types de revenus de placements (sauf les dividendes dans certaines situations);

2) une partie de l'impôt payé par la corporation est remboursée en vertu de l'article 129 lorsque la corporation paie un dividende, ce qui donne lieu à un taux d'imposition net effectif sur le revenu de placements de la corporation;

3) le dividende est “ majoré ” entre les mains d'un actionnaire individuel résident en vertu du paragraphe 82(1), compte tenu du principe que l'impôt de la corporation sur le revenu de placements a été payé au nom de l'actionnaire;

4) l'actionnaire est autorisé à déduire un crédit d'impôt pour dividendes en vertu de l'article 121, compte tenu de l'impôt théoriquement “ payé ” par la corporation au nom de l'actionnaire.

Parmi les plus importantes dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu visant la réalisation de cette intégration, il y a les dispositions de l'article 129 concernant le calcul du remboursement de l'impôt en main remboursable au titre de dividendes. Comme l'indique ce qui suit, un des plus importants aspects de l'impôt en main remboursable au titre de dividendes et, partant, des avantages de l'intégration, se limite à des corporations privées dont le contrôle est canadien.

[...]

Il est à noter que, selon l'état actuel du droit, l'impôt en main remboursable au titre de dividendes s'accumule à l'égard de revenus de placements canadiens et étrangers seulement si la compagnie est admissible comme corporation privée dont le contrôle est canadien tout au long des années au cours desquelles le revenu est gagné. Une corporation privée est définie au paragraphe 89(1) comme étant une corporation résidant au Canada qui n'est pas une corporation publique au sens du paragraphe 89(1) et qui n'est pas contrôlée, directement ou indirectement, par une ou plusieurs corporations publiques. En vertu du paragraphe 125(7), une corporation privée dont le contrôle est canadien est définie comme étant une corporation privée qui n'est pas contrôlée, directement ou indirectement, par des personnes non résidentes, par des corporations publiques (autres qu'une corporation à capital de risque prescrite) ou par une combinaison de celles-ci.

Si une compagnie est admissible comme corporation privée, elle est assujettie à l'impôt de 33 1/3 p. 100 sur les dividendes de portefeuille imposés en vertu de l'article 186, mais elle a droit à un remboursement de cet impôt. Elle peut en outre avoir droit à un remboursement d'une partie de l'impôt payé sur ses autres revenus de placements.

[...]

Le revenu, autre que le revenu provenant d'une entreprise exploitée activement, peut être divisé en deux catégories de base : (i) les dividendes de portefeuille; (ii) les revenus autres, y compris les gains en capital imposables, les revenus provenant de biens et les revenus provenant d'une “ entreprise de placement désignée ”. [...] Les dividendes de portefeuille sont des dividendes qu'une corporation privée reçoit et qui sont assujettis à l'impôt en vertu de la partie IV, et le montant total de cet impôt peut être remboursé à la corporation privée par suite du paiement de dividendes imposables. Mis à part l'impôt de la partie IV, le flux de dividendes entre corporations canadiennes est généralement libre d'impôt. L'impôt remboursable prévu à la partie IV vise à empêcher un report d'impôt indu dans les cas où des dividendes de portefeuille sont reçus par une corporation privée plutôt que directement par un actionnaire individuel. Toutefois, si le taux marginal d'impôt de l'actionnaire sur les dividendes est supérieur à 33 1/3 p. 100, le fait que les dividendes soient reçus par une corporation privée donnera lieu à un certain report d'impôt, comparativement à ce qu'il en serait si de tels dividendes étaient directement reçus par l'actionnaire. [...]

Faits

[5] Je considère les faits suivants comme étant les plus pertinents :

1. Le cabinet Coopers a élaboré un plan en matière d'impôt en main remboursable au titre de dividendes (le “ plan IMRTD ”) en vertu duquel des compagnies ayant des soldes d'IMRTD pourraient obtenir des remboursements d'impôt sans payer de dividendes imposables aux actionnaires existants.

2. Le cabinet Coopers de Vancouver a facilité une telle opération vers le début de 1987 et a reçu une commission pour son travail. Il a été décidé d'élargir le plan plus tard dans l'année 1987.

3. La meilleure façon d'expliquer le plan est de citer la note suivante en date du 27 mars 1987, soit une note de Coopers à tous les associés en fiscalité. Cette note, qui figure à l’onglet 9 de la pièce R-1, se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Date : 27 mars 1987

À : Tous les associés en fiscalité

De : M. Bruce Sinclair, Vancouver

Objet : OBTENTION D'UN REMBOURSEMENT DE

L'IMPÔT EN MAIN REMBOURSABLE

AU TITRE DE DIVIDENDES DE VOS CLIENTS

Le bureau de Vancouver a élaboré un plan qui intéressera les corporations privées ayant d'importants soldes d'IMRTD. Il n'est pas nécessaire de payer des dividendes imposables aux actionnaires existants. Parmi les corporations privées intéressées, il y aura des corporations ayant réalisé d'importants gains en capital, des corporations qui gagnent des revenus de placements en sus des exigences des actionnaires en matière de dividendes en espèces ou des corporations qui ont eu d'importantes obligations fiscales en vertu de la partie IV. Dans ces circonstances, la valeur actuelle de l'IMRTD peut être faible et les actionnaires peuvent préférer conclure des opérations aujourd'hui plutôt que d'attendre jusqu'à ce que des dividendes finissent par être payés au cours d'années ultérieures.

Les opérations, dans lesquelles un client du bureau de Vancouver est engagé, sont conçues de manière que la corporation ait un remboursement de son IMRTD moyennant un coût relativement faible — environ 10 p. 100 du montant de l'impôt remboursé. Le montant de cette commission est tel qu'il pourrait être recouvré en-deçà d'un an ou deux par la corporation privée grâce à un réinvestissement de l'IMRTD remboursé. L'augmentation de 50 p. 100 de l'IMRDT de corporations le 1er janvier 1987 rend ce type d'opération plus attrayant qu'auparavant. En raison du coût fixe lié au plan, il faut un IMRTD d'au moins 150 000 $ à 200 000 $.

Une brève description de l'essentiel du plan figure en annexe.

Le bureau de Vancouver facturera à notre client les services de C & L qui seront fournis, et nous entendons partager la commission à raison de 70 p. 100 pour le bureau assurant la mise en rapport et de 30 p. 100 pour le bureau de Vancouver.

Veuillez me téléphoner si vous avez des clients qui pourraient être intéressés à une telle opération, et je vous ferai parvenir un relieur à feuilles mobiles. Nous demanderons à toute personne (y compris les avocats des clients) ne faisant pas partie du cabinet de signer des accords de non-divulgation et nous vous demanderions de contacter le bureau de Vancouver avant de discuter du plan avec des parties particulières. Nous chercherons en outre à centraliser la distribution de documents de manière à préserver la valeur de ce plan.

“ BRS ”

BRS : de

c.c. : Bill Camden

David Steele

PLAN IMRTD

EXEMPLE — POUR RECOUVRER 500 000 $ D'IMRTD




PRÊT = 1 450 000 $




ACTIONS PRIVILÉGIÉES


CAPITAL VERSÉ = 1 $

PRIX DE RACHAT = 1 500 001 $

PRIX D'ACHAT = 1 450 000 $

ÉTAPES :

1. Une filiale est constituée pour chaque opération.

2. L'actionnaire prête à la filiale un montant de 1 450 000 $ payable à vue et garanti par les actions privilégiées de la corporation privée (voir 3 ci-dessous).

3. La filiale utilise le produit du prêt pour souscrire 1 450 000 $ d'actions privilégiées de la corporation privée. Les actions privilégiées sont des actions sans droit de vote rachetables au gré de la corporation privée. Le capital versé est de 1 $; le prix de rachat est de 1 500 001 $. [...]

4. Lorsque les actions privilégiées sont rachetées, il y a un dividende réputé de 1 500 000 $ pour la corporation privée, ce qui donne lieu au remboursement d'impôt suivant : 1 500 000 $ / 3 = 500 000 $. Le coût net pour la corporation privée est le suivant : 1 500 001 $ - 1 450 000 $ = 50 001 $.

5. La filiale recevra le dividende réputé de 1 500 000 $ en franchise d'impôt. Elle aura obtenu un avis juridique indépendant à cet effet — le cabinet Coopers & Lybrand n'exprimera aucune opinion, car nous sommes les artisans du plan et avons des chances de gagner des commissions importantes.

6. L'émission d'actions privilégiées à prix de rachat élevé mais à capital versé faible peut causer une certaine difficulté pour les corporations constituées en vertu de la loi fédérale ou de celle de certaines provinces. Une solution pourrait consister en une continuation en Colombie-Britannique. D'autres solutions existent sans aucun doute. Ce problème devra être exploré province par province.

[...]

4. Le flux de dividendes — soit des dividendes qui passent des compagnies IMRTD aux filiales des corporations publiques, puis aux corporations publiques, soit Pinetree Software Canada Ltd. (“ Pinetree ”) et Eastern Mines Ltd., et à AH Three Holdings Ltd. (“ AH Three ”) et à AG Fourteen Holdings Ltd. (“ AG Fourteen ”) et qui passent ensuite de ces deux dernières compagnies à leurs actionnaires, soit des associés de Coopers ou des fonds de placement d'associés ou des membres de la famille d'associés ou des fiducies familiales (collectivement appelés “ associés de Coopers ”) — est indiqué dans le tableau suivant, qui, sauf corrections et clarifications mineures, est basé sur l'annexe I des réponses à l'avis d'appel. Bien que les deux appels considérés en l'espèce se rapportent seulement aux montants payés à M. Peter Speer et à Mme Bushell, le tableau, ainsi que les dividendes payés, selon les détails figurant ci-dessous, couvre tous les montants payés à des associés de Coopers. Cette approche a été adoptée par l'intimée parce que de nombreux autres associés de Coopers ont été l'objet de cotisations de la même manière que M. Peter Speer et Mme Bushell.

Compagnies

IMRTD




170 000 $    226 859 $ 123 352 $ 1 308 578 $

Filiales de

corporations

publiques




62 500 $ 62 500 $ 141 500 $ 147 500 $

340 000 $ 574 289 $ 80 000 $

   314 289 $




   Aucun rapport direct avec

ces appels

15 630 $ 242 265 $ 90 979 $ 86 857 $ 194 508 $

70 335 $ 60 022 $ 74 508 $

58 584 $




Associés non en fiscalité de Vancouver de Coopers Associés en fiscalité de Vancouver de Coopers

5. Les dividendes effectivement payés à M. Peter J. Speer, à l'épouse de M. Craig G. Bushell et à d'autres associés de Coopers sont indiqués ci-dessous et se fondent sur l'annexe III des réponses à l'avis d'appel.

DIVIDENDES PAYÉS

23 décembre 1987 La compagnie AG Fourteen Holdings Ltd. a déclaré les dividendes imposables suivants :

Actions ordinaires de catégorie A 60 000 $ C. L. Friesen, en fiducie

Actions ordinaires de catégorie B 80 700 $ Rodney B. Johnston

Actions ordinaires de catégorie C 26 904 $ Yolande A. Proctor

Actions ordinaires de catégorie C 26 904 $ S. C. Sinclair, en fiducie

Total 194 508 $

23 décembre 1987 La compagnie AH Three Holdings a déclaré les dividendes imposables suivants :

Actions ordinaires de catégorie A 15 630 $ Judith Bowles

Actions ordinaires de catégorie D 15 630 $ Fiducie familiale W. J. Dawson

Actions ordinaires de catégorie E 15 630 $ June F. Fairchild

Actions ordinaires de catégorie G 7 815 $ Hazel Halliday

Actions ordinaires de catégorie H 7 815 $ Catriona Halliday

Actions ordinaires de catégorie I 7 815 $ Maureen Fane

Actions ordinaires de catégorie K 15 630 $ Pauline Kay

Actions ordinaires de catégorie L 15 630 $ Doreen A. Lilley

Actions ordinaires de catégorie M 15 630 $ Fiducie familiale M. A. Linsley

Actions ordinaires de catégorie P 15 630 $ Janet Paterson

Actions ordinaires de catégorie R 15 630 $ M. G. Larsen

Actions ordinaires de catégorie S 15 630 $ Donna M. Shultz

Actions ordinaires de catégorie T 15 630 $ K. Powroznik, en fiducie

Actions ordinaires de catégorie V 7 815 $ Robert E. Sinclair

Actions ordinaires de catégorie W 7 815 $ Susan M. Sinclair

Actions ordinaires de catégorie X 15 630 $ P. J. Speer

Actions ordinaires de catégorie Y 15 630 $ L. Marie Stanley

Actions ordinaires de catégorie Z 15 630 $ Doris Wanless

Total 242 265 $

13 janvier 1988 La compagnie AG Fourteen Holdings Ltd. a déclaré les dividendes imposables suivants :

Actions ordinaires de catégorie A 20 700 $ C. L. Friesen, en fiducie

Actions ordinaires de catégorie C 26 904 $ Yolande Proctor

Actions ordinaires de catégorie D 26 904 $ S. C. Sinclair, en fiducie

Total 74 508 $

13 janvier 1988 La compagnie AH Three Holdings a déclaré les dividendes suivants :

Actions ordinaires de catégorie C 15 630 $ Liz Byrd

Actions ordinaires de catégorie I 7 815 $ Maureen Fane

Actions ordinaires de catégorie N 15 630 $ Épouse de C. G. Bushell

Actions ordinaires de catégorie O 15 630 $ 300169 B.C. Ltd.

Actions ordinaires de catégorie U 15 630 $ D. R. Eddy, en fiducie

Total 70 335 $

31 mars 1988 La compagnie AG Fourteen Holdings a déclaré les dividendes imposables suivants :

Actions ordinaires de catégorie A 1 200 $ C. L. Friesen, en fiducie

Actions ordinaires de catégorie B 1 200 $ Rodney B. Johnston

Actions ordinaires de catégorie C 28 092 $ Yolande A. Proctor

Actions ordinaires de catégorie D 28 092 $ S. C. Sinclair, en fiducie

Total 58 584 $

6. Ladite note du 27 mars 1987 dit que le coût pour les compagnies IMRTD représente 10 p. 100 du remboursement d'impôt (ce pourcentage de 10 p. 100 devant être divisé moitié-moitié entre les filiales des corporations publiques et Coopers). La note parle aussi d'un partage des commissions entre le bureau de mise en rapport de Coopers et le bureau de Vancouver, soit 70 p. 100 pour le bureau de mise en rapport et 30 p. 100 pour le bureau de Vancouver. En outre, la lettre de Coopers à la Pinetree en date du 4 mai 1987 (onglet 5 de la pièce R-1), dont la Pinetree a convenu, dit qu'une commission devait être payée à Coopers.

7. Du 22 avril au 26 mai 1987, le cabinet Coopers a écrit à des compagnies IMRTD pour leur décrire le rôle de Coopers, pour leur demander que l'opération soit effectuée confidentiellement et pour les aviser que les commissions gagnées par Coopers seraient prises en charge par les corporations publiques ou leurs filiales — voir les onglets 25 à 29 de la pièce R-1.

8. Les compagnies IMRTD ont été avisées que le cabinet Coopers recevrait des commissions des filiales des corporations publiques, lesdites filiales étant AH Six Holdings Ltd. (“ AH Six ”), Quinstar Developments Ltd. (“ Quinstar ”) et AG Nineteen Holdings Ltd. (“ AG Nineteen ”). Ces filiales ont été constituées en avril et mai 1987 et étaient contrôlées par les corporations publiques.

9. Les montants reçus par les filiales correspondaient aux montants devant être demandés comme commissions selon la note du 27 mars 1987. Par exemple, comme le dit l'alinéa 4bb) des réponses à l'avis d'appel :

[TRADUCTION]

bb) Le 16 juin 1987, la compagnie AH6 a conclu une opération IMRTD comportant l'achat d'actions privilégiées pour 7 330 000 $, lesquelles actions ont été rachetées immédiatement après par la compagnie émettrice G. R. Dawson Holdings Ltd. pour 7 500 000 $, soit un gain net de 170 000 $ pour AH6 (après frais juridiques).

Appliquant ces chiffres à l'étape 4 du plan IMRTD indiqué à la page 6 des présents motifs, le dividende réputé pour la corporation privée est de 7 500 000 $, et le remboursement d'impôt est le suivant : 7 500 000 $ / 3 = 2 500 000 $. Le coût net pour la corporation privée est le suivant : 7 500 000 $ - 7 330 000 $ = 170 000 $.

10. Toutes les actions des compagnies AH Three et AG Fourteen (les “ compagnies Coopers ”) étaient détenues par des associés de Coopers. Les sommes versées par les compagnies AH Six, Quinstar et AG Nineteen aux compagnies Coopers correspondaient exactement, à toutes fins, aux sommes payées aux filiales des corporations publiques. En d'autres termes, la prime ou le “ coût ” de 10 p. 100 mentionné précédemment a été partagé moitié-moitié entre les compagnies Coopers et les filiales. Aucune des compagnies de la chaîne n'a versé de commissions à Coopers à l'égard du plan IMRTD. Les avantages évidents du plan tiennent au fait que le revenu en dividendes est imposé à un taux moindre que le revenu de commissions et, dans certains cas, des associés de Coopers réalisaient des fractionnements de revenus.

11. Le montant payé par la compagnie AH Three à M. Peter Speer a été pris en compte dans la détermination de la part de M. Peter Speer dans les profits provenant de Coopers. Le montant payé par la compagnie AH Three à Mme Bushell a été pris en compte dans la détermination de la part de M. Craig Bushell dans les profits provenant de Coopers. M. Peter Speer et M. Craig Bushell ont tous les deux été tenus de faire à Coopers un apport en capital de 10 p. 100 à l'égard des dividendes payés.

12. Les relations juridiques ne sont pas en cause. En d'autres termes, les compagnies mentionnées à l'annexe I avaient été valablement constituées, et les résolutions d'administrateurs requises pour la déclaration de dividendes avaient été adoptées et étaient techniquement exactes. M. Peter Speer ainsi que Mme Bushell (par l'intermédiaire d'une fiducie familiale dont elle était la seule bénéficiaire) ont tous les deux acquis des actions des compagnies Coopers à un coût de 100 $ dans chaque cas.

13. Ni l'un ni l'autre des appelants n'était dirigeant ou administrateur de l'une quelconque des compagnies, mais d'autres associés de Coopers étaient administrateurs des compagnies Coopers.

14. Lorsque le plan IMRTD a été présenté aux associés, plusieurs d'entre eux ont soulevé des objections quant au fait que le cabinet Coopers avait une participation sous forme de commissions, pour le motif que cela débordait le cadre de l'entreprise de Coopers et pourrait poser des problèmes d'assurance responsabilité civile, outre qu'il était bien possible que ce ne soit pas conforme aux règles de l'institut des comptables agréés de la Colombie-Britannique contre les honoraires conditionnels. Ainsi, le cabinet Coopers n'a reçu aucune commission, mais, par l'intermédiaire des compagnies Coopers, des associés de Coopers ont reçu des dividendes. Il est indubitable que, à un moment donné, on envisageait que des commissions soient payées à Coopers, mais la preuve présentée par M. Peter Walton pour les compagnies IMRTD et par M. Michael Iannacone pour les compagnies AG Nineteen et Quinstar indiquait qu'il n'y avait aucun accord concernant les commissions et qu'aucun avis professionnel n'avait été donné par Coopers. Les compagnies en cause avaient reçu des avis de spécialistes autres que le cabinet Coopers.

Arguments des appelants

[6] L'avocat des appelants soutient que, comme les dividendes en cause ont été indiqués dans les déclarations de revenu de M. Speer et de Mme Bushell pour 1987 et 1988 respectivement et que ces dividendes ont été imposés comme tels et n'ont pas fait l'objet d'une nouvelle cotisation, le ministre ne peut subséquemment décider d'imposer les mêmes sommes comme revenus de commissions. L'avocat des appelants dit que, si le ministre peut parvenir à faire cela, de l'impôt aura été payé deux fois à l'égard des mêmes montants.

[7] L'avocat des appelants soutient également que, comme les dividendes ont été payés en 1987 et en 1988, les mêmes sommes ne peuvent être imposées pour 1989. De plus, la nouvelle cotisation effective pour 1993 est frappée de prescription, c'est-à-dire qu'elle a été établie trop tard. En outre, aucun des associés de Victoria de Coopers qui étaient actionnaires de la Nordic Investments Ltd. ou des associés d'Edmonton qui étaient actionnaires de C & L Edmonton Limited ou dont les conjoints ou les fiducies familiales détenaient des actions de C & L Edmonton Limited n'a été l'objet d'une nouvelle cotisation. L'avocat des appelants ajoute que, fait encore plus important, aucune des corporations ayant émis les dividendes reçus par AH Three ou AG Fourteen n'a été l'objet d'une nouvelle cotisation. Il argue également que le ministre ne peut soulever la question du “ trompe-l'oeil ” et, même s'il le peut, il n'y a eu aucun trompe-l'oeil. Il ajoute que le fondement de la cotisation est le paragraphe 56(2) de la Loi, en ce que le ministre a conclu que les appelants avaient donné des instructions ou donné leur accord pour qu'un paiement soit fait par AH Six, Quinstar et AG Nineteen aux compagnies Coopers, soit un paiement qui, autrement, aurait été fait sous forme de commissions aux appelants et à d'autres associés de Coopers; l'avocat des appelants soutient que cette thèse est intenable parce que les appelants étaient légalement incapables de donner des instructions ou de donner leur accord pour que des dividendes soient émis par AH Six, Quinstar ou AG Nineteen.

[8] L'avocat des appelants renvoie à l'arrêt de la Cour suprême du Canada Neuman c. M.R.N., non publié, dossier 25565, en date du 21 mai 1998, qui a établi définitivement que le paragraphe 56(2) ne peut s'appliquer à des dividendes parce que, les dividendes provenant de bénéfices non répartis d'une corporation, si des dividendes ne sont pas émis, les fonds restent dans la corporation, et les actionnaires n'ont aucunement le droit d'exiger le paiement du dividende.

[9] L'avocat des appelants ajoute qu'il n'y a aucune preuve claire de l'existence d'un accord concernant le paiement de commissions à Coopers et que la lettre à la Pinetree en date du 4 mai 1987 traite d'une commission mais pas d'un montant particulier ni de l'une quelconque des modalités liées au paiement de cette commission.

Arguments de l'intimée

[10] La meilleure façon de résumer les arguments de l'intimée est de citer des extraits des pages 7 et suivantes de l'argumentation écrite de l'avocat de l'intimée :

[TRADUCTION]

1. L'intimée soutient que l'affaire soumise à la Cour est un cas simple de recette présumée tombant sous le coup du paragraphe 56(2). Dans l'affaire Murphy v. R., [1980] C.T.C. 386, le juge Cattanach, de la section de première instance de la Cour fédérale, a énoncé comme suit l'objet du paragraphe 56(2) (onglet 3, par. 38) :

Le paragraphe 56(2) a pour but d'imputer au contribuable un revenu qui a été, sur ses instructions, attribué à quelqu'un d'autre. Il vise les cas où le contribuable cherche à éviter de recevoir ce qui serait, entre ses mains, un revenu en s'arrangeant pour transférer ce montant au profit de quelqu'un d'autre ou à son propre profit. À part procurer une satisfaction morale, l'opération permet au contribuable de réduire son impôt sur le revenu.

2. Lorsqu'un contribuable avait droit à une somme qui serait imposable entre ses mains et qu'il fait en sorte que cette somme soit reçue par quelqu'un d'autre, on applique le paragraphe 56(2) de manière que la somme soit réincorporée dans le revenu de ce contribuable. Voir les jugements Sims c. M.R.N. (onglet 7), McClain Industries of Canada c. R. (onglet 8) et George D. Adams c. M.R.N. (onglet 9).

3. Le cabinet Coopers avait droit à des commissions du fait de l'élaboration du plan IMRTD et du travail y afférent. Il était en droit de recevoir ces commissions des corporations publiques. Au lieu de se faire payer ces commissions, il a, comme créancier des corporations publiques, donné pour instructions aux corporations publiques de verser les commissions aux compagnies AH3 et AG14. Les corporations publiques ont alors fait en sorte que les filiales qu'elles contrôlaient paient aux compagnies AH3 et AG14 les sommes dues à Coopers. Les sommes ont ensuite été transmises comme dividendes à l'associé ou à un membre de la famille. Concrètement, ce qui était des honoraires était converti en revenus en dividendes entre les mains de l'associé ou en revenus en dividendes entre les mains d'un membre de la famille qui vraisemblablement ne serait pas imposé ou serait imposé à un taux moindre que l'associé.

4. Les passages pertinents du paragraphe 56(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu se lisent comme suit :

Tout paiement ou transfert de biens fait, suivant les instructions ou avec l'accord d'un contribuable, à toute autre personne au profit du contribuable ou à titre d'avantage que le contribuable désirait voir accorder à l'autre personne [...] doit être inclus dans le calcul du revenu du contribuable dans la mesure où il le serait si ce paiement ou transfert avait été fait au contribuable.

5. Il ressort du libellé du paragraphe 56(2) que quatre éléments doivent être présents pour qu'une somme soit imposable en vertu de ce paragraphe :

a) il faut qu'un paiement ou transfert de biens ait été fait à une personne autre que le contribuable qui est l'objet d'une nouvelle cotisation;

b) le paiement ou transfert doit être fait suivant les instructions ou avec l'accord du contribuable qui est l'objet d'une nouvelle cotisation;

c) le paiement ou transfert doit être fait au profit du contribuable qui est l'objet d'une nouvelle cotisation ou à titre d'avantage que le contribuable qui est l'objet d'une nouvelle cotisation désirait voir accorder à une autre personne;

d) le paiement ou transfert aurait été inclus dans le revenu du contribuable qui est l'objet d'une nouvelle cotisation si ce paiement ou transfert avait été fait au contribuable.

George A. Murphy v. Her Majesty the Queen, 80 DTC 6314 (C.F., 1re inst.)

Melville Neuman c. Sa Majesté la Reine,non publié, op. cit.

6. Dans le cas qui nous occupe, les sommes payées par les filiales aux compagnies AH3 et AG14, selon l'annexe I de la réponse à l'avis d'appel, étaient des paiements ou transferts de biens faits à une personne autre que les appelants. Ces paiements ont été faits au profit des appelants (en ce sens que les paiements réduisaient l'impôt sur le revenu des appelants) et à titre d'avantages pour des personnes liées aux appelants (en ce sens que les sommes ont été redirigées vers des compagnies dont les membres de leur famille étaient actionnaires). Ces sommes auraient été incluses dans le revenu des appelants si elles avaient été reçues par eux comme sommes représentant leur part du revenu de la société de personnes Coopers.

7. Outre les quatre critères susmentionnés, un autre critère a été ajouté par la Cour suprême du Canada dans les arrêts McClurg et Neuman, à savoir que le contribuable faisant l'objet d'une nouvelle cotisation avait droit aux paiements en cause ou y aurait par ailleurs été admissible.

8. Comme nous l'avons dit, l'intimée soutient dans la présente espèce que les sommes payées par les filiales aux compagnies AH3 et AG14 étaient des commissions dues à Coopers pour l'élaboration du plan IMRTD et le travail y afférent et que les appelants, comme associés de Coopers, avaient droit à ces commissions, qui, avec leur accord, ont été redirigées vers des compagnies dont les appelants ou les membres de leur famille étaient actionnaires.

9. S'il devait être conclu que les sommes payées par les filiales aux compagnies AH3 et AG14 étaient en fait des dividendes, l'intimée concède que les appels devraient être admis, car les appelants n'auraient alors aucun droit préexistant à ces dividendes puisqu'ils n'étaient pas actionnaires des filiales. Comme on l'a déterminé dans l'arrêt Neuman, le paragraphe 56(2) ne s'appliquerait pas parce que les dividendes, s'ils n'avaient pas été payés, seraient conservés comme bénéfices par la compagnie.

10. Les deux questions sont donc de savoir si le cabinet Coopers & Lybrand avait droit à des commissions en raison du plan IMRTD et si les montants payés aux compagnies AH3 et AG14 par les filiales étaient en fait des commissions et non des dividendes.

11. L'intimée soutient que la lettre en date du 4 mai 1987 de Coopers à Pinetree (onglet 5 de la pièce R-1) établit clairement l'existence d'un accord visant le paiement de commissions, car cette lettre était signée par un administrateur de Pinetree comme ayant été “ acceptée et convenue ”. Cette lettre, à elle seule, établirait un droit à une commission pour Coopers. La preuve suivante étaye également l'existence d'un droit à une commission :

a) la note interbureaux de Coopers en date du 27 mars 1987, distribuée à l'échelle nationale et visant à informer les divers bureaux de Coopers du plan IMRTD et à se mettre en rapport avec des compagnies IMRTD, fait plusieurs fois état de commissions :

i) elle parle d'une commission de 10 p. 100 à demander;

ii) elle propose un partage de cette commission entre le bureau de mise en rapport et le bureau de Vancouver de Coopers;

iii) elle parle d'“ importantes commissions ” pouvant être gagnées par Coopers, de sorte que le cabinet Coopers ne peut donner un avis aux filiales quant à savoir si la réception du dividende provenant des compagnies IMRTD sera libre d'impôt;

iv) elle avise les bureaux assurant la mise en rapport du contenu de toutes lettres d'engagement disant qu'“ il est très important que le bureau de mise en rapport avise par écrit ses clients que le cabinet Coopers & Lybrand recevra des commissions de la corporation publique ou de la filiale ”;

v) elle dit que les “ commissions ” ne seront absolument pas remboursées si le plan IMRTD ne fonctionne pas.

b) une lettre [onglet 10 de la pièce R-1] de Coopers à Randy Zien, avocat du cabinet Ladner Downs et conseiller juridique de l'une des compagnies IMRTD, disait que le cabinet “ Coopers & Lybrand agit au nom de son client, Pinetree Software Canada Ltd., et recevra une commission pour les services fournis au nom de son client ”;

c) des lettres de Coopers aux compagnies IMRTD disent que “ les commissions gagnées par Coopers & Lybrand seront prises en charge par notre client dans cette opération, l'acheteur des actions privilégiées remboursables ”;

d) comme le cabinet Coopers a élaboré ce plan, il serait raisonnable qu'il cherche à obtenir une compensation financière pour l'utilisation du plan. M. Majeau lui-même a parlé d'un droit de propriété à l'égard du plan IMRTD.

12. Dans l'ensemble, l'intimée soutient que les documents indiquent que le cabinet Coopers a clairement droit à des commissions pour l'élaboration et la facilitation du plan IMRTD.

13. L'intimée soutient que la preuve indique non seulement qu'une commission a été gagnée par Coopers, mais également que les sommes payées aux compagnies AG14 et AH3 correspondaient en fait au paiement des commissions dues à Coopers et qu'il ne s'agissait pas de dividendes :

a) le seul avantage financier tiré du plan par qui que ce soit au cabinet Coopers tient aux sommes qui sont passées d'abord des filiales aux compagnies AG14 et AH3, puis des compagnies AH3 et AG14 aux associés et aux membres de la famille des associés de Coopers. Si le cabinet Coopers avait droit à une commission, et comme aucune commission n'a été payée directement à Coopers, il serait raisonnable de présumer que les sommes qui sont passées des compagnies AG14 et AH3 représentaient le paiement des commissions dues à Coopers;

b) la note du 27 mars de Coopers qui a été distribuée à l'échelle nationale proposait d'exploiter le plan IMRTD en demandant une commission égale à 10 p. 100 des remboursements de dividendes. Telle était la proposition en mars. Il s'est révélé que les sommes reçues des compagnies IMRTD par les filiales et devant être distribuées entre les corporations publiques et les compagnies Coopers étaient conformes à la commission de 10 p. 100 devant être payée;

c) les sommes versées à la Coopers & Lybrand Edmonton Ltd. et à la Nordic Investments Ltd., qui représentent des fonds de placement des associés d'Edmonton et de Victoria de Coopers respectivement, correspondaient exactement au projet de répartition des commissions entre les bureaux de mise en rapport et le bureau de Vancouver exposé dans la note nationale de Coopers en date du 27 mars 1987;

d) les sommes versées aux corporations publiques et à la LD134 correspondaient exactement aux sommes versées aux compagnies Coopers;

e) comme pour ce qui est de la part des appelants dans le revenu de société de personnes pour l'année, l'appelant était tenu de faire un apport en capital de 10 p. 100 concernant les sommes reçues de la compagnie AH3. Donc, du moins aux fins de cette retenue, les sommes provenant de la compagnie AH3 ont été traitées comme s'il s'agissait d'un revenu de société de personnes des appelants.

14. Comme un dividende est reçu en vertu de la propriété d'actions du capital-actions d'une corporation et non en contrepartie de quoi que ce soit d'autre (voir l'arrêt Neuman, onglet 2, par. 57), les sommes reçues des filiales par AG14 et AH3 ne présentaient pas les caractéristiques d'un dividende et étaient essentiellement des sommes correspondant au paiement des commissions dues à Coopers pour l'élaboration du plan IMRTD.

15. Il est bien établi en droit que, concernant un paiement, le fond prime la forme. Des tribunaux ont déjà conclu à l'égard de paiements d'une corporation prétendument faits à titre de dividendes qu'il ne s'agissait pas essentiellement de dividendes. Voir les jugements Charles A. Guenette c. M.R.N. (onglet 4), Katherine Irene German c. M.R.N. (onglet 5) et United Color and Chemicals Ltd. c. M.R.N. (onglet 6).

16. En résumé, l'intimée soutient que la preuve indique que, contrairement à la thèse des appelants, le projet consistant pour Coopers à demander une commission selon la note du 27 mars 1987 a été réalisé, et des commissions ont été gagnées par Coopers pour l'élaboration du plan IMRTD. De plus, la preuve indique que les sommes payées aux compagnies AG14 et AH3 correspondaient au paiement des commissions gagnées par Coopers et étaient donc essentiellement non pas des dividendes mais plutôt des honoraires gagnés par Coopers. Le fait que ces commissions aient été redirigées vers AG14 et AH3 représente nettement une situation que le paragraphe 56(2) est destiné à régir.

Analyse et décision

[11] À mon avis, il n'y a eu aucune opération trompe-l'oeil. Les compagnies avaient été valablement constituées, et les déclarations de dividendes ont été faites valablement. Des actions des compagnies AH Three et AG Fourteen ont été valablement acquises. On n'a aucunement cherché à dissimuler la véritable nature des relations entre les compagnies et leurs actionnaires ou la véritable nature des dividendes payés. Ayant conclu qu'il n'y avait eu aucune opération trompe-l'oeil, je ne traiterai pas de la question de savoir s'il y avait prescription empêchant le ministre de soulever cette question.

[12] Dans l'arrêt Neuman, la Cour suprême du Canada a indiqué clairement que le paragraphe 56(2) ne s'applique pas à des dividendes. De l'aveu général, il y a un rapport étroit entre le montant des dividendes et le montant des commissions qui pourraient par ailleurs avoir été demandées. Toutefois, les associés de Coopers étaient libres de se prévaloir des dispositions de la Loi et de structurer les opérations de manière que soient payés des dividendes et non des commissions. En outre, il n'y a eu aucun accord exprès en matière de commissions. Des dividendes ont été valablement déclarés et payés, et le ministre a déjà imposé les sommes en question comme dividendes pour 1987 dans le cas de M. Speer et pour 1988 dans le cas de Mme Bushell. Les passages suivants de l'arrêt Neuman de la Cour suprême sont pertinents :

[34] Comme l'historique judiciaire du présent pourvoi le révèle, l'interprétation de l'arrêt majoritaire McClurg de notre Cour est au coeur de la présente affaire. Dans McClurg, notre Cour a statué que le par. 56(2) ne s'applique pas, en général, aux revenus de dividendes. Dans cet arrêt, le juge en chef Dickson a toutefois affirmé, dans une opinion incidente, que le par. 56(2) peut s'appliquer lorsque le revenu de dividendes est distribué, au moyen de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, à un actionnaire ayant un lieu de dépendance qui n'a fourni aucun apport légitime à la société (à la p. 1054). La Cour d'appel fédérale s'est sentie liée par l'exception potentielle énoncée dans l'opinion incidente du juge en chef Dickson, parce que les faits de la présente affaire et ceux de McClurg étaient similaires, avec cette seule différence importante que Ruby Neuman, contrairement à Wilma McClurg, n'avait fourni aucun apport à la société.

[35] Une grande partie de mon analyse sera consacrée à l'examen des conclusions tirées dans McClurg. Mais avant de passer à cet arrêt, je tiens à faire quelques observations pour bien situer le présent débat dans son contexte. Premièrement, le par. 56(2) vise à empêcher l'évitement fiscal au moyen du fractionnement du revenu; il s'agit cependant d'une disposition particulière relative à l'évitement fiscal, et non d'une disposition générale interdisant le fractionnement du revenu. En fait, dans la LIR, [TRADUCTION] “aucun mécanisme général n'empêche le fractionnement du revenu” (V. Krishna et J. A. Van Duzer, “Corporate Share Capital Structures and Income Splitting: McClurg v. Canada” (1992-93), 21 Can. Bus. L.J. 335, à la p. 367). Le paragraphe 56(2) ne peut s'appliquer pour empêcher le fractionnement du revenu que lorsque les quatre conditions préalables à son application sont précisément remplies.

[36] Deuxièmement, la présente affaire concerne un revenu touché par Ruby Neuman au cours de l'année d'imposition 1982, à l'époque où la LIR ne comportait aucune ligne directrice particulière concernant les structures de société conçues pour fractionner un revenu et réduire au minimum l'imposition. Dans un article intitulé “Share Capital Structure of Closely-Held Private Corporations” (1996), 7 Can. Curr. Tax 7, à la p. 9, le professeur V. Krishna a fait le commentaire suivant au sujet du fractionnement du revenu dans le contexte d'une société:

[TRADUCTION] Sauf lorsqu'il est expressément restreint par la Loi de l'impôt sur le revenu (par exemple, par les règles d'attribution), le fractionnement du revenu comme tel n'est pas sanctionné. Ainsi, les structures de société qui facilitent le fractionnement du revenu de compagnies privées ne devraient pas être pénalisées en l'absence d'un texte et d'une intention clairs du législateur. [Je souligne.]

Le législateur a depuis conçu une mesure législative destinée à régir le fractionnement de revenu d'une société (art. 74.4 de la LIR, adopté en 1985), mais cette mesure législative ne s'applique pas au présent pourvoi.

[37] Troisièmement, le présent pourvoi se limite à l'interprétation et à l'application du par. 56(2) de la LIR; il ne se fonde pas sur la règle générale anti-évitement énoncée à l'art. 245 de la LIR (“RGAÉ”). La RGAÉ est entrée en vigueur le 13 septembre 1988 et elle ne s'applique qu'aux opérations conclues à cette date ou après cette date.

[38] Quatrièmement, l'intimée n'a pas fait valoir que l'appelant était impliqué dans un trompe-l'oeil ou une opération factice, une prise de position qui a été confirmée par l'avocat de l'intimée au cours de l'audition.

[39] Finalement, il importe de se rappeler que notre Cour a statué à l'unanimité dans l'arrêt Stubart, précité, à la p. 575, qu'une opération ne devait pas être écartée sur le plan fiscal parce qu'elle ne vise aucun but commercial distinct ou véritable (le juge Estey s'est exprimé en son propre nom et en celui des juges Beetz et McIntyre; le juge Wilson a écrit des motifs concordants auxquels le juge Ritchie a souscrit). Ainsi, les contribuables peuvent organiser leurs affaires d'une façon particulière dans le seul but de se prévaloir délibérément des mécanismes de réduction de l'impôt prévus dans la LIR. Le juge Estey a rejeté l'idée qu'en appliquant ce principe il faille établir une distinction entre les opérations effectuées avec lien de dépendance et celles effectuées sans lien de dépendance (aux pp. 570 à 572). Donc, selon Stubart, des arrangements où il y a lien de dépendance peuvent être pris dans le seul but de profiter des mécanismes de réduction de l'impôt.

[...]

[63] Finalement, l'exigence d'un apport légitime est en quelque sorte une tentative de susciter un examen des opérations en cause selon les règles du trompe-l'oeil ou de la facticité. La supposition que les opérations effectuées avec lien de dépendance se prêtent à la création de structures de société qui sont destinées exclusivement à éviter le paiement de l'impôt, et qu'elles devraient donc relever du par. 56(2), est implicite dans la distinction entre les opérations effectuées avec lien de dépendance et celles effectuées sans lien de dépendance. Cependant, comme nous l'avons vu, les contribuables ont le droit d'organiser leurs affaires dans le seul but de se trouver dans une situation favorable sur le plan fiscal et, pour appliquer ce principe, aucune distinction ne doit être établie entre les opérations effectuées sans lien de dépendance et celles effectuées avec lien de dépendance (voir Stubart, précité). La LIR comporte de nombreuses dispositions et règles anti-évitement particulières qui régissent le traitement des opérations effectuées avec lien de dépendance. Nous ne devrions pas nous empresser de rehausser la disposition en cause ici, alors qu'il est loisible au législateur d'être précis quant aux méfaits à éviter.

[64] En résumé, il ne convient pas de prendre en considération les apports fournis à une société par un actionnaire, pour déterminer si le par. 56(2) s'applique. Les dividendes sont versés aux actionnaires à titre de rendement du capital qu'ils ont investi dans la société. Étant donné que la distribution du dividende ne dépend pas de l'importance de l'apport fourni par un actionnaire à la société, il serait illogique de faire de cet apport le critère d'assujettissement du revenu de dividendes au par. 56(2). Les mêmes principes s'appliquent tant dans le contexte des relations avec lien de dépendance qui existent souvent entre les petites sociétés à capital fermé et leurs actionnaires, que dans celui des relations sans lien de dépendance comme celles qui existent entre les sociétés ouvertes et leurs actionnaires.

[13] Les faits suivants — a) que des commissions ont été payées à Coopers sur la première opération, vers le début de 1987, b) que des lettres et notes parlent de commissions ou de coûts, c) que les partages dans une proportion de 50/50 et de 70/30 décrits précédemment ont été effectivement réalisés et d) que les dividendes payés à des associés de Coopers ont été pris en compte dans la division de bénéfices de société de personnes et dans la fixation d'apports en capital — indiquent assurément que les montants des dividendes étaient liés aux montants des commissions qui auraient pu par ailleurs avoir été demandées, mais, à mon avis, ce n'est pas suffisant pour transformer en commissions des dividendes valablement déclarés par des compagnies valablement constituées et organisées. Il est à noter que les dividendes déclarés par les compagnies IMRTD et par les filiales des corporations publiques ont été payés avant l'adoption du paragraphe 129(1.2), soit une disposition anti-évitement visant manifestement des opérations ayant le caractère en question. Ce paragraphe est analysé comme suit dans le bulletin d'interprétation IT-243R4 :

6. Le paragraphe 129(1.2) prévoit une règle anti-évitement dont l'application empêche la société de concevoir des mécanismes lui permettant d'obtenir un remboursement au titre de dividendes sans que l'actionnaire recevant le dividende n'acquitte l'impôt correspondant. Par exemple, une société privée ayant un IMRTD pourrait émettre, à une entité exonérée d'impôt ou à une autre société qui touche des dividendes ordinaires sur une base non imposable, des actions dont le prix de rachat est élevé mais le capital versé faible, puis demander un remboursement au titre des dividendes lors du rachat subséquent des actions. Le but du paragraphe 129(1.2) est de faire échec à ce genre de mécanisme en faisant en sorte que le dividende ne soit pas réputé être un dividende imposable et qu'un remboursement au titre de dividendes relativement à ce dividende soit refusé lorsque les circonstances suivantes existent:

le dividende est payé sur une action de la société;

le détenteur a acquis l'action (ou une action qui lui est substituée) lors d'une opération ou dans le cadre d'une série d'opérations;

l'un des principaux objets de l'opération ou de la série d'opérations était d'obtenir un remboursement au titre de dividendes.

Le paragraphe 129(1.2) s'applique aux dividendes versés après 16 h, heure avancée de l'Est, le 25 septembre 1987, à une personne qui est exempte d'impôt ou à une société autre qu'une société privée. Il s'applique également à tous les dividendes versés après le 27 novembre 1987 lorsque les circonstances mentionnées ci-dessus existent.

[14] Quant à la question de savoir si le ministre pouvait en 1993 établir une cotisation pour l'année d'imposition 1989, il est utile de citer l'extrait suivant des réponses à l'avis d'appel pour comprendre la thèse du ministre :

[TRADUCTION]

oo) si les commissions avaient été versées directement à l'appelant et aux associés au lieu d'être payées aux compagnies AH3 et AG14, puis, comme dividendes, aux autres personnes, les sommes auraient été imposables entre les mains de l'appelant et des associés comme revenus de la société de personnes en exploitation Coopers;

pp) la société de personnes en exploitation Coopers avait un exercice se terminant le 3 avril et était membre de la société de personnes Coopers dont l'exercice se terminait le 31 janvier;

qq) ainsi, le revenu relatif aux commissions gagnées au cours de l'exercice se terminant le 3 avril 1988 (commissions reçues sous forme de dividendes en mai et juin 1987) est un revenu pour la société de personnes Coopers pour l'exercice se terminant le 31 janvier 1989;

À mon avis, il est très exagéré de conclure que, à cause des différentes fins d'exercice de Coopers et de la société de personnes en exploitation Coopers, le ministre pouvait imposer pour 1993 des dividendes effectivement payés en 1987 et en 1988 et imposés pour 1987 et 1988. De plus, à mon avis, si l'on devait considérer d'une autre manière les dividendes (ce qui n'a pas lieu d'être selon moi), ce que Coopers a fait en réalité, c'est demander une contrepartie pour l'utilisation du plan, soit une contrepartie pour l'utilisation d'une propriété intellectuelle et non un revenu de commissions. Cette contrepartie a nettement été reçue en 1987 et en 1988 et ne peut être imposée pour 1993 comme revenu reçu en 1989.

[15] En ce qui a trait aux jugements faisant jurisprudence qui m'ont été cités par l'avocat de l'intimée, aucun ne me convainc d'arriver à des conclusions autres que celles qui sont énoncées précédemment.

[16] En conséquence, les appels sont admis, avec dépens, et les nouvelles cotisations en cause sont annulées.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de novembre 1998.

“ T. P. O'Connor ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 2e jour de juillet 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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