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Date: 19981127

Dossier: 97-3592-IT-I

ENTRE :

LUBOMIR POLIACIK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] L’appelant est un avocat qui a été admis au Barreau de l’Ontario en 1983. De 1983 à 1994, il a exercé sa profession à Toronto en société de personnes avec K.J. Torrens. Cette société de personnes a été dissoute en 1994. En 1993, l’appelant avait fait la connaissance de Paul Crum-Ewing, un avocat qui exerçait sa profession à North York, une localité de la banlieue nord de Toronto. En 1994, l’appelant établit une association d’affaires avec Paul Crum-Ewing. J’emploie les mots “ association d’affaires ” parce que la principale question en l’espèce est de déterminer si l’appelant et Paul Crum-Ewing étaient des associés en 1995.

[2] L’appelant a indiqué dans son avis d’appel qu’il a réclamé un crédit de taxe sur les produits et services (“ TPS ”) de 2 496, 38 $ quand il a produit sa déclaration de revenus pour 1995. Selon la réponse à l’avis d’appel de l’intimée et la déclaration de revenus de l’appelant pour 1995, produite sous la cote R-1, l’appelant a réclamé un crédit de TPS de 2 532,97 $. L’écart entre les deux sommes est minime et non pertinent puisqu’il s’agit de déterminer s’il existait, en l’espèce, une société de personnes. Bien qu’il s’agisse, en l’espèce, d’un appel contre une cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, la loi pertinente est la partie de la Loi sur la taxe d’accise qui traite de la TPS. En vertu du paragraphe 253(1), le ministre rembourse la TPS si certaines conditions sont réunies, et le paragraphe 253(5) édicte que certaines parties de la Loi de l’impôt sur le revenu relatives aux oppositions et aux appels s’appliquent aux cotisations établies relativement aux remboursements de TPS. Le ministre a rejeté la demande de remboursement de TPS de l’appelant pour le motif qu’il n’était pas l’employé d’un inscrit ou membre d’une société de personnes qui était un inscrit. L’appelant a choisi la procédure informelle.

[3] L’appelant (un avocat) et l’avocate de l’intimée ont convenu dans leurs observations que la partie pertinente du paragraphe 253(1) qui s’applique à l’année d’imposition 1995 est ainsi rédigée :

253(1) [...], le ministre rembourse un particulier – associé d’une société de personnes, laquelle est un inscrit, ou salarié d’un inscrit autre qu’une institution financière désignée - pour chaque année civile relativement à un bien ou à un service, si les conditions suivantes sont réunies :

un instrument de musique, un véhicule à moteur , un aéronef ou un autre bien ou service est considéré comme ayant été acquis, importé ou transféré dans une province participante par le particulier, ou serait ainsi considéré si ne n’était le paragraphe 272.1(1);

[...]

La seule question à résoudre en l’espèce est de déterminer si l’appelant était en 1995 “ associé d’une société de personnes, laquelle est un inscrit ” au sens du paragraphe 253(1).

[4] Lorsque l’appelant et Me Crum-Ewing ont décidé d’exercer leur profession ensemble ils ont conclu un accord écrit daté du 31 mars 1994, produit sous la cote A-1. Ce document n’est pas sans intérêt parce que l’appelant et Me Crum-Ewing n’y sont jamais désignés comme “ associés ”. L’accord ne contient que quelques paragraphes, mais j’en reproduis ci-dessous les parties que je considère les plus pertinentes :

[TRADUCTION]

ATTENDU que les parties aux présentes se sont entendues pour pratiquer le droit ensemble sous la raison sociale de CRUM-EWING/POLIACIK.

EN CONSIDÉRATION DE CE QUI PRÉCÈDE :

1. CRUM-EWING et POLIACIK sont considérés comme exerçant des pratiques indépendantes – CRUM-EWING s’occupant des affaires non-contentieuses et POLIACIK des affaires contentieuses.

2. Tous les honoraires facturés par CRUM-EWING sont considérés comme des honoraires de CRUM-EWING et tous les honoraires facturés par POLIACIK sont considérés comme des honoraires de POLIACIK.

3. CRUM-EWING accepte d’être l’unique responsable des dépenses d’exploitation du bureau, notamment des services de comptabilité.

4. Les parties conviennent de maintenir des comptes bancaires conjoints, un compte général et un compte en fidéicommis au nom de CRUM-EWING/POLIACIK.

5. CRUM-EWING est le seul signataire autorisé relativement au compte en fidéicommis. Les deux parties sont les signataires autorisés relativement au compte général mais Poliacik ne peut signer que les chèques se rapportant aux déboursés faits pour le compte de clients.

6. Les honoraires sont partagés chaque année de la façon suivante :

(a) La première tranche de 100 000 $ d’honoraires reçus par rapport aux honoraires facturés par Poliacik : 50 % Poliacik, 50 % Crum-Ewing.

(b) La tranche suivante de 25 000 $ d’honoraires reçus par rapport aux honoraires facturés par Poliacik : 60 % Poliacik, 40 % Crum-Ewing.

La tranche suivante de 25 000 $ d’honoraires reçus par rapport aux honoraires facturés par Poliacik : 80 % Poliacik, 20 % Crum-Ewing.

La tranche suivante de 25 000 $ d’honoraires reçus par rapport aux honoraires facturés par Poliacik : 90 % Poliacik, 10 % Crum-Ewing.

Toute somme d’honoraires reçus par rapport aux honoraires facturés par Poliacik et qui excède 175 000 $ : 90 % Poliacik, 10 % Crum-Ewing.

7. ... Poliacik paie ses cotisations au Régime de pensions du Canada, l’impôt-santé des employeurs pour les travailleurs indépendants, son impôt sur le revenu et tous les autres impôts ou taxes applicables. Il paie également sa cotisation au Barreau et ses primes d’assurance de la responsabilité civile professionnelle.

9. Poliacik a le droit de recevoir dix (10) pour cent des honoraires que Crum-Ewing reçoit des clients que Poliacik aura mis en relation avec Crum-Ewing.

10. Les parties conviennent que la part de Poliacik des dépenses d’exploitation annuelles du cabinet est de 62 500 $ pour la première année complète d’exploitation et que cette somme est indexée à mesure que les dépenses d’exploitation du cabinet augmentent. Il est en outre convenu que Poliacik n’a pas le droit de recevoir sa part des honoraires perçus par Crum-Ewing jusqu'à ce que 50 % des honoraires reçus par Poliacik et la part de Poliacik des honoraires perçus par Crum-Ewing's totalisent 62 500 $.

11. Poliacik reconnaît qu’il y a compensation entre les déboursés engagés relativement aux dossiers de litige qui s’avèrent irrécouvrables et sa part des honoraires facturés et reçus.

[5] Lors de l’audience, en novembre 1998, l’appelant pratiquait encore le droit avec Me Crum-Ewing, mais il déclare que certaines modalités de l’accord, produit sous la cote A-1, avaient en fait été modifiées même si aucunes modifications comme telles n’avaient été apportées à l’accord lui-même. Par exemple, l’appelant et Me Crum-Ewing sont tous les deux signataires autorisés relativement au compte général et au compte en fidéicommis. L’automobile et le téléphone cellulaire de l’appelant ne sont plus considérés comme des “ dépenses d’exploitation du cabinet ” mais des dépenses que l’appelant paye lui-même tout comme sa cotisation au Barreau du Haut-Canada tel que stipulé au paragraphe 7 de l’accord. Me Crum-Ewing, ou sa société familiale, est le propriétaire de l’immeuble où le cabinet occupe des locaux. L’appelant ne verse aucune somme précise à titre de loyer pour l’occupation de l’immeuble, mais le loyer versé par l’appelant et Me Crum-Ewing pour les locaux est une “ dépense d’exploitation du cabinet ” au sens du paragraphe 3 de l’accord.

[6] L’appelant a produit sous la cote A-2 divers comptes envoyés à des clients en juin 1995. Chaque compte est imprimé sur du papier à en-tête sur lequel figurent les noms “ Crum-Ewing/Poliacik ”, l’adresse et les numéros de téléphone et de télécopieur du cabinet. L’appelant a prétendu que lui et Me Crum-Ewing étaient associés en 1995 pour les raisons suivantes : ils exerçaient leur profession sous le nom commun de “ Crum-Ewing/Poliacik ”, ils avaient des comptes bancaires communs, un compte général et un compte en fidéicommis et ils étaient tous les deux les signataires autorisés relativement à ces comptes, le nom commun figure sur tous les comptes envoyés aux clients, ils partageaient tous ses honoraires (les honoraires de l’appelant), ils partageaient les dépenses de bureau, comme la masse salariale et les fournitures et ils s’occupaient tous les deux de la promotion de leur entreprise en commun. Je suis prêt à accepter tous les arguments susmentionnés, sauf celui qui porte sur la question de savoir s’ils partageaient les dépenses de bureau. À mon avis, les paragraphes 3, 6 et 10 de l’accord produit sous la cote A-1 illustrent que Me Crum-Ewing était responsable de toutes les dépenses d’exploitation du cabinet et que l’appelant devait lui rembourser 62 500 $ au titre de sa part des dépenses d’exploitation du cabinet pendant la première année complète de leur pratique commune. Selon le paragraphe 10, l’appelant n’avait droit à aucun pourcentage des honoraires reçus par Me Crum-Ewing (même pas dans la mesure restreinte stipulée au paragraphe 9) jusqu’à ce que Me Crum-Ewing ait pu d’abord récupérer la somme de 62 500 $ à même les honoraires reçus par l’appelant.

[7] Pour les raisons ci-dessous, je conclus que l’appelant et Me Crum-Ewing n’ont jamais été associés en 1995. En tant qu’avocats, ils ont prudemment évité de se désigner comme des associés dans l’accord produit sous la cote A-1. Quand j’ai demandé à l’appelant pourquoi ils n’avaient pas indiqué qu’ils étaient “ associés ” dans l’accord, il a répondu qu’ils s’étaient rencontrés pour la première fois en 1993 et qu’ils ne se connaissaient pas suffisamment lors de la conclusion de l’accord en mars 1994 pour accepter les risques inhérents à une société de personnes. Pour moi, il s’agit là d’une indication qu’ils n’avaient pas l’intention, en mars 1994, de devenir associés. L’intention est un des facteurs importants qu’un tribunal prend en considération lorsqu’il s’agit de déterminer s’il existe une société de personnes à défaut d’une stipulation expresse. Il se peut que leur association d’affaires soit devenue une société de personnes en 1998, mais je ne prête attention qu’à 1995 et à la preuve. Rien dans la preuve ne démontre que les parties (l’appelant et Me Crum-Ewing) se comportaient concrètement à la fin de 1995 d’une manière suffisamment différente de celle prévue dans les modalités de l’accord produit sous la cote A-1 pour justifier le tribunal de conclure que l’appelant et Me Crum-Ewing avaient modifié leur intention initiale de ne pas être des associés.

[8] L’article 2 de la Loi sur les sociétés en nom collectif de l’Ontario est ainsi rédigé :

La société en nom collectif est la relation qui existe entre des personnes qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice.

L’appelant et Me Crum-Ewing partageaient un certain local; il collaboraient dans la pratique du droit et, sous certaines réserves, ils partageaient certains des honoraires facturés et reçus, mais ce degré de partage et de collaboration ne signifie pas nécessairement qu’en 1995 ils exploitaient une entreprise en commun en vue de réaliser un profit. La déclaration de revenus de l’appelant pour 1995 ne contient pas d’état de résultats démontrant qu’il exploitait une entreprise avec un associé. L’appelant n’a inscrit aucune somme à la ligne 122 (Revenus nets de société de personnes) de sa déclaration. L’appelant a déclaré lors de son témoignage ou de son argumentation qu’il n’avait pas annexé le formulaire relatif aux sociétés de personnes de Revenu Canada parce qu’il n’avait pas droit à un pourcentage fixe des profits. Selon moi, il n’avait droit à aucun pourcentage des profits mais plutôt à : (i) un pourcentage variable des honoraires qu’il avait facturés et perçus (dans le paragraphe 6 de l’accord, produit sous la cote A-1, les parties emploient le mot “ reçus ” ) et, (ii) si les honoraires qu’il avait facturés et perçus atteignaient un certain montant, dix (10) pour cent des honoraires que Me Crum-Ewing percevait des clients que l’appelant avait mis en relation avec lui.

[9] Les recettes et les dépenses sont les composantes du profit. Il y a une différence importante entre le fait de partager les recettes (les honoraires) et le fait de partager le profit. L’appelant partageait tous ses honoraires avec Me Crum-Ewing. À l’inverse, Me Crum-Ewing ne partageait pas tous ses honoraires avec l’appelant. Il ne contribuait pas non plus aux dépenses du bureau. La personne qui reçoit une part des honoraires mais qui ne contribue pas aux dépenses finit généralement par réaliser un revenu net, mais la personne qui paye toutes les dépenses pourrait subir une perte. Dans une société de personnes, il me semble, il est essentiel que chaque associé ait autant que les autres l’occasion de réaliser un profit ou coure autant que les autres le risque de subir une perte même si les profits ou les pertes ne sont pas partagés également entre les associés. Rien dans la preuve ne démontre que l’appelant et Me Crum-Ewing avaient autant l’un que l’autre l’occasion de réaliser un profit ou de subir une perte en 1995. L’accord produit sous la cote A-1 est à l’effet contraire.

[10] Aucune preuve ne démontre que l’appelant et Me Crum-Ewing se sont désignés comme associés dans les rapports remis au Barreau du Haut-Canada en 1995. Le fait que les parties aient stipulé au paragraphe 7 de l’accord, produit sous la cote A-1, que l’appelant devait payer sa cotisation au Barreau et ses primes d’assurance de la responsabilité civile professionnelle constitue une indication qu’ils n’étaient pas des associés. L’appelant n’a pas versé d’apport en capital lorsqu’il a commencé à exercer sa profession avec Me Crum-Ewing.

[11] En établissant les cotisations en l’espèce, le ministre a supposé que l’appelant n’était pas associé d’une société de personnes, laquelle était un inscrit. L’appelant est loin d’avoir prouvé qu’il était un associé de Me Crum-Ewing en 1995. Même si l’appelant avait établi l’existence d’une société de personnes, il semble que le numéro d’inscription aux fins de la TPS (R116015645) qui figure sur tous les comptes du cabinet, produits sous la cote A-2, n’avait été inscrit que par Me Crum-Ewing. Cependant, je ne suis pas certain si l’exigence que la société de personnes soit un inscrit est obligatoire ou indicative dans le cas où un des associés est un inscrit et que le numéro d’inscription de cet associé figure sur tous les comptes envoyés par le cabinet. Puisque je conclus que l’appelant et Me Crum-Ewing n’ont jamais été des associés en 1995, je laisse cette question en suspens. L’appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de novembre 1998.

“ M.A. Mogan ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour de juin 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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