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Date: 19991004

Dossier: 97-1569-IT-G; 98-1054-IT-G

ENTRE :

ARNOLD MURRAY NUSSEY et GEORGE ALFRED NUSSEY, EXÉCUTEURS TESTAMENTAIRES D’ARNOLD WILLIAM NUSSEY,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge O'Connor, C.C.I.

[1] Les présents appels ont été entendus sur preuve commune à Windsor (Ontario), le 12 avril 1999 conformément à la procédure générale. Les avocats des parties ont produit un exposé conjoint des faits partiel, qui, sous réserve des corrections et des remarques entre parenthèses, est ainsi rédigé :

[TRADUCTION]

Nature de la procédure

Les appelants interjettent appel à l’encontre des avis de cotisation datés du 2 mars 1995 et du 23 mars 1995 établis pour l'année d'imposition 1991. Les avis ne portent pas de numéro de série.

Exposé des faits

2. Arnold William Nussey est décédé le 1er jour d’avril 1991. Le 11e jour de septembre 1991, des lettres d’homologation ont été délivrées à ses représentants successoraux, et Arnold Murray Nussey et George Alfred Nussey ont été nommés exécuteurs testamentaires.

3. Le ministre du Revenu national a établi une cotisation à l’égard de la succession d’Arnold William Nussey pour le motif qu’elle avait reçu aux termes du paragraphe 15(1) de Loi de l’impôt sur le revenu un avantage imposable de 900 000 $.

4. Avant son décès, Arnold William Nussey était propriétaire de 100 000 actions de catégorie 1 de l’entreprise Nussey Transport Limited achetées de ses fils, Arnold Murray Nussey et George Alfred Nussey, le 1er mars 1991, à leur juste valeur marchande de 900 000 $.

5. Arnold William Nussey a payé la juste valeur marchande des actions en souscrivant à l’ordre de chacun de ses fils un billet à ordre de 450 000 $.

6. Les actions achetées étaient assujetties aux clauses d’une convention unanime des actionnaires, et ce fait était noté sur les certificats d’actions dans les termes suivants :

Les actions figurant dans le présent certificat sont assujetties à toutes les modalités d’une Convention des actionnaires conclue le 1er jour d’octobre 1998 (sic) et elles ne sont transférables que conformément aux modalités de cette convention. (Remarque : dans les certificats il est fait mention de 1998. Il s’agit d’une erreur évidente, et il aurait plutôt dû être question de 1988. Cette modification n’a aucune répercussion sur l’issue des présents appels).

Les modalités de la convention des actionnaires conclue entre les actionnaires de Nussey Transport Limited, prévoyaient que l’entreprise était réputée avoir racheté, “ le jour précédant immédiatement ” le décès de l’actionnaire, les actions de catégorie 1 détenues par ce dernier. La clause est ainsi libellée :

(c)Malgré toute autre stipulation contraire aux présentes, l’entreprise est réputée avoir racheté, le jour précédant immédiatement le décès ou l’incapacité de l’actionnaire, toutes les actions de catégorie 1 détenues par ce dernier. À cette fin, un tel rachat a lieu le jour précédant immédiatement le décès ou l’incapacité de l’actionnaire sans que celui-ci ou l’entreprise aient à prendre d’autres mesures. Si le prix des actions n’est pas encore payé intégralement, l’entreprise, à la demande d’anciens détenteurs d’actions de catégorie 1 ou de leurs représentants successoraux, leur remet le billet sans intérêt souscrit à son ordre pour le plein montant du prix d’achat des actions comme preuve de son obligation aux termes de tout rachat effectué conformément à la présente convention.

8. À la date de son décès, Arnold William Nussey n’avait pas payé les sommes qu’il devait en vertu des billets à ordre susmentionnés.

9. Par conséquent, pour indiquer qu’il y avait eu rachat d’actions, une première écriture de journal a été reportée dans les livres de la compagnie pour créditer le compte d’Arnold William Nussey (la compagnie lui achetait les actions pour la somme de 900 000 $) et, le même jour et au même moment, une deuxième écriture de journal a été faite pour débiter le compte d’Arnold William Nussey (de la somme de 900 000 $) et (créditer) les comptes de prêts d’Arnold Murray Nussey et de George Alfred Nussey et indiquer que les deux billets à ordre de 450 000 $ chacun avait été payés. ( Les écritures de journal ont été passées le 15 août 1991.)

10. Les appelants ont déposé leur avis d’opposition le 29 mai 1995. Le ministre a donné son avis de ratification le 27 février 1997.

[2] À l’audience, l'avocat des appelants a déposé la pièce A-1 intitulée Dossier de documents des appelants contenant les principaux documents pertinents aux présents appels et qui sont résumés dans la table des matières de la façon suivante :

TABLE DES MATIÈRES

Copie notariée des lettres d’homologation de la succession

d’Arnold William Nussey datée du 18 septembre 1991; 1

Convention des actionnaires datée du 1er octobre 1988; 2

Copie des statuts de fusion de Nussey Transport

Limited datés du 30 septembre 1988; 3

Résolution du conseil d’administration de Nussey Transport

Limited datée du 1er avril 1991; 4

Convention d’achat d’actions conclue entre Arnold William Nussey

et Arnold Murray Nussey datée du 1er mars 1991; 5

Billet souscrit par Arnold William Nussey à l’ordre de

Arnold Murray Nussey daté du 1er mars 1991; 6

Convention d’achat d’actions conclue entre

Arnold William Nussey et George Alfred Nussey

datée du 1er mars 1991 7

Billet souscrit par Arnold William Nussey à l’ordre de

George Alfred Nussey daté du 1er mars 1991; 8

Copie des écritures de journal de Nussey Transport Limited 9

Certificats d’action de catégorie 1 10

[3] Après l’audition des présents appels, les parties ont accepté de préparer des représentations écrites, et elles ont été reçues. Le dernier document, la réponse des appelants, a été déposé le 17 mai 1999.

[4] Edward Herbert est celui qui a fourni le plus important témoignage à l’audience. Les paragraphes 12 à 15 des représentations écrites initiales des appelants résument bien son témoignage de la façon suivante :

[TRADUCTION]

12. Edward Herbert a déclaré qu’il est comptable depuis 32 ans et le comptable de la famille Nussey depuis 1978. M. Herbert a déclaré que A.W. était un habile homme d’affaires qui connaissait certainement la planification fiscale et avait un intérêt pour la question.

13. M. Herbert a déclaré qu’il a pris part à l’opération financière effectuée à l’automne 1988 et qui a abouti à la signature de la convention des actionnaires datée du 1er octobre 1988. À sa connaissance, A.W. était au courant de l’opération. Selon M. Herbert, l’opération avait, à l’époque, essentiellement deux buts :

(i) il s’agissait, entre autres, d’un gel successoral en vertu duquel de nouvelles actions étaient émises aux membres de la 3e génération de la famille Nussey (les “ cousins ”);

A.W. et ses fils voulaient qu’il y ait rachat des actions au moment d’un décès pour conserver l’entreprise dans une branche de la famille et éviter aux frères et à leurs ayants droit d’avoir à traiter avec des conjointes ou des parents des conjointes.

14. M. Herbert a aussi déclaré qu’il a pris part dans l’opération effectuée en 1991 et au moyen de laquelle Arnold et George Nussey ont cristallisé leurs gains en capital en concluant avec leur père A.W. Nussey une convention d’achat d’actions pour leurs actions de catégorie 1. M. Herbert a déclaré qu’une vente des actions à un tiers n’était qu’une des façons dont George et Arnold Nussey pouvaient cristalliser leur gain en capital mais qu’il y avait au moins deux autres façons d’obtenir le même résultat.

15. M. Herbert a déclaré que, à la suite du décès de A.W. Nussey, le 1er avril 1991, il a effectué des écritures de journal dans les livres de la compagnie conformément à son interprétation des événements concernant le rachat réputé, le jour avant son décès, des actions de catégorie 1 de A.W. Nussey. M. Herbert a déclaré que les écritures de journal visaient seulement à faire ressortir l’opération et qu’elles n’auraient pas été reportées s’il n’y avait pas eu de rachat.

Questions en litige

[5] Il y a trois questions en litige :

(a) La société Nussey Transport Limited a-t-elle racheté les actions de feu A.W. Nussey en 1991 ?

(b) S’il n’y a pas eu de rachat d’actions, un avantage a-t-il été conféré à la succession de A.W. Nussey ?

(c) S’il y a eu rachat d’actions, la vente des actions conformément au rachat a-t-elle eu lieu le jour précédant le décès de A.W. Nussey ou après ?

Analyse et décision

[6] À mon avis, après avoir examiné la preuve et les représentations écrites, je conclus qu’il a eu rachat des actions en 1991, mais qu’il n’a pas eu lieu le jour précédant immédiatement le décès de A.W. Nussey en ce qui concerne le ministre du Revenu national. Si je concluais que le ministre était obligé de respecter cette stipulation de la convention des actionnaires, cela aurait comme conséquence d’annuler l’effet du paragraphe 70(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Ce paragraphe prescrit que le contribuable décédé est réputé avoir disposé de tous ses biens (notamment ses actions) à leur juste valeur marchande et d’en avoir reçu du fait de leur disposition un produit égal à cette valeur entraînant ainsi la réalisation des gains en capital et des pertes entre ses mains. Les actionnaires ne peuvent pas par convention modifier les articles de la Loi qui s’appliquent dans leur cas. Il est vrai que, selon le libellé du paragraphe 70(5), la disposition est réputée avoir lieu “ immédiatement avant le décès ” mais le paragraphe ne s’applique que si et quand le contribuable décède. En outre, en vertu du paragraphe, la disposition n’est pas réputée avoir lieu “ le jour ” précédant immédiatement le décès.

[7] Dans Wood v. M.N.R., 88 DTC 1180, les statuts constitutifs d’une compagnie prévoyaient que “ Toute résolution signée par l’ensemble des membres de l’administration...sera consignée...dans les registres de la société, la date figurant dans le registre étant réputée être la date de son adoption. ” En 1983, le conseil avait adopté une résolution dans laquelle il déclarait qu’un dividende avait été payé le 1er janvier 1982. Par la suite, le dividende avait été affecté en compensation des sommes d’argent qu’un actionnaire devait à l’entreprise en 1982 par une entrée de journal datée du 31 décembre 1982 mais passée entre le 1er janvier 1983 et le 14 mars 1983. Revenu Canada avait refusé de reconnaître que le dividende avait été payé en 1982, et le contribuable avait interjeté appel. Le juge Bonner, de la C.C.I., a rejeté l’appel et dit :

Rien dans la loi [Corporations Act de l’Alberta] n’oblige des personnes autres que la société et ses membres à être liés par les articles des statuts de la société. Ces articles n’engagent pas l’intimé, qui y est étranger. Je juge inacceptable qu’une société et ses actionnaires puissent, dans des domaines qui remettent en cause les droits des tiers, réécrire l’histoire soit, en l'espèce, considérer comme réels des événements imaginaires. Le Parlement a le pouvoir d’imputer des événements. Les autres agents de la société ne l’ont pas. (Je souligne.)

Je conclus que les faits dans cette affaire ressemblent de très près à ceux dont il est question dans les présents appels.

[8] En outre, à mon avis, la décision appropriée en l'espèce se trouve au paragraphe 47) des représentations écrites de l'intimée. Ce paragraphe est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

47) Il est respectueusement soumis que, si le tribunal conclut qu’il y a eu rachat des actions en 1991 conformément à la convention des actionnaires, alors, aux fins de l’impôt, la disposition des actions ne peut avoir eu lieu qu’après le décès de A.W. Nussey. Dans un tel cas, il est soumis que l’appel no 98-1054(IT)G (l’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie à l’égard de la dernière déclaration de revenus de A.W. Nussey) devrait être rejeté et que l’appel no 97-1569(IT)G (l’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie à l’égard de la déclaration de revenu de la succession pour 1991) devrait être admis et que la cotisation devrait être déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation pour le motif que les actions ont été rachetées de la succession de A.W. Nussey en 1991 et que l’entreprise Nussey Transport Ltd. n’a pas par conséquent conféré un avantage à la succession au sens du paragraphe 15(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu en ce qui concerne le paiement effectué au moyen d’une écriture de journal [...]

[9] En conséquence, l’appel numéro 98-1054(IT)G est rejeté, l'appel numéro 97-1519(IT)G est admis et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation pour le motif que les actions ont été rachetées de la succession de A.W. Nussey en 1991 et que l’entreprise Nussey Transport Limited n’a pas par conséquent conféré un avantage à la succession au sens du paragraphe 15(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu en ce qui concerne le paiement effectué au moyen d’une écriture de journal.

[10] J’ai discuté de la question des frais avec les avocats des deux parties au cours d’une conférence téléphonique. J’ai décidé que les parties avaient obtenu des résultats mitigés, un appel a été décidé en faveur du ministre et l’autre en faveur de la succession, et que la question soulevée dans les deux appels était nouvelle. En conséquence, même si l'avocat de l'intimée avait offert de régler le litige essentiellement sur la base des représentations figurant dans le paragraphe 47) cité ci-dessus, j’ordonne que chaque partie paye ses frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour d’octobre 1999.

“T.P. O'Connor”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 14e jour de juin 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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