Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19981002

Dossier: 98-643-UI

ENTRE :

SUZANNE DUBÉ,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs de l'ordonnance

Le juge suppléant Prévost, C.C.I.

[1] La Cour est saisie à Matane (Québec), le 18 septembre 1998, d'une requête amendée en rejet d'appel au motif que celui-ci est prescrit et sans objet puisqu'il n'a pas été déposé dans le délai de 90 jours prévu au paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996 ch. 23.

[2] L'affidavit de l'agent des appels, Jacques Brosseau, en date du 28 août 1998 se lit ainsi :

« Je soussigné, Jacques Brosseau, ayant un bureau au ministère du Revenu national, au 305 boul. René-Lévesque ouest à Montréal, affirme solennellement ce qui suit :

1. Je suis un agent des appels au ministère du Revenu national et après avoir examiné le présent dossier de l'appelante auprès de ce ministère, j'ai une connaissance personnelle des faits ci-après mentionnés :

a) Par lettre en date du 23 mars 1998, l'intimé informa l'appelante de sa décision sur l'assurabilité de son emploi chez Enseignes R.B. Inc. du 6 juin 1994 au 26 août 1994, du 24 avril 1995 au 21 juillet 1995, du 26 février 1996 au 24 mai 1996 et du 12 août 1996 au 21 mars 1997; copie de la décision du ministre est jointe à la présente déclaration sous serment sous la cote R-1;

b) l'appelante a déposé un avis d'appel au greffe de la Cour canadienne de l'impôt le 23 juin 1998, à l'encontre de la notification du ministre datée du 23 mars 1998, tel qu'il appert du dossier de cette Cour;

c) tous les faits allégués dans le présent affidavit sont vrais. »

La preuve de l'appelante

Selon Suzanne Dubé

[3] Elle a reçu une lettre datée du 28 août 1997 (pièce A-1) du Directeur des services fiscaux à Revenu Canada l'informant que son emploi chez Enseignes R.B. Inc. n'était pas assurable pour les périodes y indiquées.

[4] Elle a ensuite reçu une autre lettre datée du 23 mars 1998 (pièce A-2) du Directeur adjoint des appels à Revenu Canada déterminant également que cet emploi n'était pas assurable.

[5] Dans cette deuxième lettre reçue le 25 mars 1998, il était mentionné qu'en cas de désaccord elle pouvait interjeter appel à cette Cour dans les 90 jours de la date de cette lettre.

[6] Elle a fait lire la lettre de détermination (pièce A-2) à son conjoint, René Bouchard, qui est allé voir et consulter Me Serge Houde le 26 mars 1998 sur le sujet.

[7] Le 6 avril 1998, ce procureur lui a envoyé une lettre (pièce A-3) avec une convention d'honoraires et de mandat professionnel lui demandant de la signer et de lui envoyer une avance sur honoraires de 300 $.

[8] Elle ne voulait pas laisser tomber l'affaire, elle voulait aller en appel et elle se fiait à son conjoint pour la suite des démarches à faire.

Selon René Bouchard

[9] Il a bien lu la lettre de détermination (pièce A-2), il a pris l'avis de son procureur qui lui a dit qu'il y avait des chances de gagner et il a été décidé d'aller en appel.

[10] Il a été bien occupé, son procureur lui a demandé dans les derniers jours si sa conjointe voulait aller en appel et il lui a répondu par l'affirmative en lui envoyant le dépôt de 300 $ aux alentours de la date d'expiration : il ne s'agit pas de mauvaise volonté de sa part.

Les plaidoiries

[11] La procureure de l'intimé cite l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Claude Lamarre et al. et M.R.N. (A-682-97) où l'honorable juge Marceau écrit pour celle-ci :

« Il ne fait pas de doute, depuis la décision de cette Cour dans Vaillancourt, que le délai de 90 jours prévu à ce paragraphe 70(1) de la Loi sur l'assurance-chômage pour en appeler d'une décision du ministre est un délai de rigueur que la Cour canadienne de l'impôt n'a pas le pouvoir d'étendre.

Il ne fait pas de doute, non plus, qu'en vertu de l'article 5 des Règles de procédure de la Cour canadienne de l'impôt à l'égard de l'assurance-chômage que le point de départ de ce délai de 90 jours est la date de la décision dans les cas, comme ici, où la décision fut communiquée à l'intéressé par la poste et qu'aucune preuve ne permet de penser qu'elle ne fut expédiée que plus tard. Les requérants tentent de soutenir que cette disposition des règles de pratique de la Cour canadienne de l'impôt, qui se rattache au pouvoir non-équivoque que lui a accordé le Parlement en 1993 au paragraphe 20(1) et à l'alinéa 20(1.1)h.1) de sa Loi habilitante, serait ultra vires parce que, en 1990 au moment de son adoption, elle ne respectait pas la Loi telle qu'elle existait à ce moment si le terme « communication » de l'article 70, alors utilisé seul, devait s'entendre de « prise de connaissance » . Mais, pour qu'une telle thèse soit soutenable, il faudrait non seulement tenir pour acquis que le caractère ultra vires d'une disposition ne doit pas s'analyser en fonction du droit existant au moment où l'attaque est portée, mais oublier le paragraphe 44g) de la Loi d'interprétation qui présume réadoption au moment de remplacement de la Loi habilitante. Et pour prétendre, finalement, que l'adoption d'une telle disposition enfreindrait quelque droit fondamental protégé par la Charte canadienne des droits et libertés, il faudrait penser qu'un droit d'appel est un droit naturel et absolu et non simplement un droit qui doit être expressément concédé et, partant, peut l'être conditionnellement.

Ajoutons, en dernière analyse, que nous ne croyons pas valable cet argument habilement avancé subsidiairement par le procureur au terme duquel si effet devait être donné à l'article 5, il devrait en être ainsi du paragraphe 26.1(1) des Règles de procédure de la Cour canadienne de l'impôt à l'égard de l'assurance-chômage relativement à la suspension de l'écoulement du terme pendant les vacances de Noël. Les termes mêmes de ce paragraphe 26.1(1) s'opposent à l'adoption d'une telle prétention puisqu'on parle là du délai établi par les règles et non de celui établi par la législation elle-même. C'est la Loi d'interprétation qui gouverne dans ce dernier cas. »

[12] Elle ajoute que dans le cadre de cet arrêt la requête en rejet d'appel devait être accueillie.

Selon le procureur de l'appelante

[13] Le paragraphe 103(2) de la Loi sur l'assurance-emploi se réfère à la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt.

[14] Les Règles de la Cour en matière d'assurance-emploi indiquent à l'article 3 que celles-ci doivent recevoir une interprétation libérale afin d'assurer le règlement équitable sur le fond de chaque appel de la façon la moins onéreuse et la plus expéditive.

[15] Le 21 juin 1998 était un dimanche et l'appel a été déposé le mardi 23 juin 1998 avec une journée de retard.

[16] L'article 27 des Règles de la Cour en matière d'assurance-emploi édicte que l'inobservation de celles-ci n'annule aucune procédure à moins que la Cour ne l'ordonne expressément.

[17] L'appelante ne demande pas de faveur mais plaide seulement un oubli de la part de son conjoint auquel elle s'est fiée.

[18] Il est vrai que l'arrêt Lamarre a un certain impact, mais le législateur lui-même n'a pas édicté que le délai de 90 jours était de rigueur.

[19] La Cour a un pouvoir « réparateur » et elle devrait l'exercer.

[20] Dans l'ouvrage Loi et Règlements assurance-chômage annotés de Pierre-Yves Bourdeau et Claudine Roy (4e édition), Les Éditions Yvon Blais Inc., il est écrit (page 387) :

« Les articles 70(2) et 71(1) de la Loi confèrent des pouvoirs réparateurs étendus à la Cour canadienne de l'impôt. Ces pouvoirs permettent à la Cour... de régler tout litige de nature factuelle et d'infirmer, de confirmer ou de modifier le règlement de la question par le ministre.

P.G. du Canada c. Kaur, C.F. A-487-93, le 8 février 1994. »

[21] Le législateur n'a pas attaché les mains de la Cour.

[22] Dans ce même ouvrage, il est écrit à la même page :

« Cependant, l'appel devant la C.C.I., lorsqu'il s'agit de l'application du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi sur l'assurance-chômage n'est pas un appel au sens strict et s'apparente plutôt à une demande de contrôle judiciaire...

Ferme Émile Richard et Fils c. M.R.N., C.F. A-172-94, le 1er décembre 1994. »

[23] Le fait qu'il ne s'agit pas d'un appel au sens strict du mot permet à la Cour d'extensionner le délai malgré l'arrêt Lamarre.

Selon la procureure de l'intimé

[24] L'intention de l'appelante et de son conjoint importe peu et le délai d'appel est de rigueur.

[25] La présomption de la mise à la poste de la lettre de détermination le 23 mars 1998 n'a pas été renversée.

[26] C'est la date de l'expédition ou de mise à la poste et non la date de réception qui compte.

[27] L'arrêt Lamarre établit bien que l'appel est un droit statutaire et non un droit naturel et que le délai d'appel est de rigueur.

[28] Les arrêts Kaur et Richard peuvent recevoir application lorsque l'appel est logé à temps, mais ce n'est pas le cas en l'instance.

Le délibéré

[29] Il est évident que l'appel n'a pas été logé à temps mais avec un jour de retard.

[30] La lettre du Directeur des services fiscaux importe peu, c'est la lettre ministérielle de détermination qui compte. Cette dernière indiquait bien que l'appel pouvait être interjeté à cette Cour dans les 90 jours de sa date.

[31] L'appelante et/ou son conjoint ont été négligeants en ne s'occupant pas de leurs affaires à temps et ils doivent en subir les conséquences même s'il ne s'agit pas de mauvaise volonté de leur part.

[32] L'arrêt Lamarre est très clair et le délai d'appel est de rigueur.

[33] Aucune preuve ne permet de penser que la lettre de détermination n'a pas été expédiée à la date y indiquée.

[34] Il est vrai que les Règles de la Cour en matière d'assurance-emploi doivent recevoir une interprétation libérale, mais elles ne peuvent cependant pas aller à l'encontre de la Loi.

[35] Le fait que le 21 juin 1998 ait été un dimanche importe peu pour la conclusion ci-après.

[36] Un oubli peut s'expliquer mais non pas lorsque le délai d'appel est de rigueur et il l'est en l'instance.

[37] La Loi ne dit pas, il est vrai, que le délai d'appel est de rigueur, mais la jurisprudence de la Cour d'appel fédérale en a décidé ainsi et la Cour se doit de la suivre.

[38] Le pouvoir réparateur de la Cour peut exister en certaines circonstances, mais non pas lorsque le délai d'appel est expiré.

[39] L'appel devant cette Cour lorsque le lien de dépendance est invoqué n'en est peut-être pas un au sens strict du terme, mais il n'en demeure pas moins que son délai est quand même de rigueur.

[40] Il est évident que l'intention ne compte pas et que c'est l'appel à temps qui importe.

[41] C'est bien la date de l'expédition ou de mise à la poste qui compte.

[42] L'arrêt Lamarre établit bien que le droit d'appel n'est pas un droit naturel mais un droit statutaire.

[43] La requête en rejet d'appel doit donc être accueillie.

Signé à Laval (Québec), ce 2e jour d'octobre 1998.

« A. Prévost »

J.S.C.C.I.

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