Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19981103

Dossier: 97-757-UI; 97-759-UI; 97-760-UI; 97-761-UI; 97-763-UI; 97-764-UI

ENTRE :

E & S TRESSES LTD.,

appelante,

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

LORI BRUCE,

intervenante,

ET

ENTRE :

LORI BRUCE,

appelante,

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

E & S TRESSES LTD.,

intervenante,

ET

ENTRE :

CHERYL LIVINGSTONE,

appelante,

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

E & S TRESSES LTD.,

intervenante,

ET

ENTRE :

ANGIE DESAUTELS,

appelante,

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

E & S TRESSES LTD.,

intervenante,

ET

ENTRE :

GAILENE FISCHER,

appelante,

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

E & S TRESSES LTD.,

intervenante,

ET

ENTRE :

YVONNE CUNNINGHAM,

appelante,

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

E & S TRESSES LTD.,

intervenante.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] Les appels en l'instance ont été entendus sur preuve commune du consentement des parties à Edmonton (Alberta), le 15 juin 1998.

[2] M. Rupert Engen (ci-après appelé « M. Engen » ) a témoigné pour le compte de E & S Tresses Ltd., la « compagnie » . Bien que chacune des appelantes et des intervenantes, toutes des coiffeuses (collectivement appelées les « intervenantes » ), ait été présente en cour à l'audition des appels, Mme Lori Bruce a été désignée pour témoigner pour leur compte et il a été convenu que son témoignage serait représentatif de la situation de chacune.

[3] La compagnie et les intervenantes ont toutes interjeté appel du règlement par lequel, le 3 février 1997, le ministre du Revenu national (le « ministre » ), par l'intermédiaire du directeur de la division des appels à Edmonton, a déterminé que, du 1er janvier 1995 au 31 mai 1996, les intervenantes occupaient un emploi dont les fonctions se rattachaient à un salon de coiffure dont aucune d'elles n'était propriétaire. Le ministre a ainsi décidé que, bien que chacune d'elles soit coiffeuse autonome, leur emploi était inclus dans les « emplois assurables » . On a dit de la décision qu'elle était fondée sur les alinéas 3(1)a) et 4(1)c) de la Loi sur l'assurance-chômage (la « Loi » ) et sur l'alinéa 12d) du Règlement sur l'assurance-chômage ( « l'alinéa 12d) du Règlement » ). Une décision identique a été envoyée à chaque appelante.

[4] La question en litige dans les présentes affaires est de savoir si les modalités de travail convenues entre chacune des intervenantes prises individuellement et la compagnie donnaient lieu à un « emploi assurable » au sens de la Loi. La compagnie et les intervenantes maintiennent toutes qu'elles avaient simplement conclu un bail et non pas des modalités de travail et que, par conséquent, les cotisations dont le montant avait été déterminé par le ministre ne s'appliquaient pas. Elles maintiennent également que les modalités en question ne sont pas visées par les dispositions législatives parce que chacune des intervenantes avait sa propre entreprise, dont elle était propriétaire. L'affaire tourne donc autour de la question de savoir si l'alinéa 12d) du Règlement s'applique à leur situation.

Le droit

[5] L'alinéa 3(1)a) de la Loi est libellé dans les termes suivants :

3(1) Un emploi assurable est un emploi non compris dans les emplois exclus et qui est, selon le cas :

un emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, en vertu d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[...]

[6] Il est clair que, de façon générale, cet alinéa de la Loi inclut dans le régime d'assurance-chômage (maintenant l'assurance-emploi) établi par le législateur les contrats de louage de services, c'est-à-dire les relations employeur-employé dans le sens ordinaire de ces termes, et non les contrats d'entreprise, c'est-à-dire les contrats conclus avec des entrepreneurs autonomes, ainsi que ces situations ont été définies par les tribunaux (voir Wiebe Door Services c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553). Manifestement, l'objectif général de la Loi est d'exclure les personnes qui exploitent une entreprise pour elles-mêmes ou les personnes qui sont étroitement liées à elles et employées par elles.

[7] Par contre, l'alinéa 4(1)c) de la Loi prévoit certaines exceptions à cet objectif général. En voici le libellé :

4. (1)

[...]

c) tout emploi qui n'est pas un emploi aux termes d'un contrat de louage de services, s'il paraît évident à la Commission que les modalités des services rendus et la nature du travail exécuté par les personnes exerçant cet emploi sont analogues aux modalités des services rendus et à la nature du travail exécuté par les personnes exerçant un emploi aux termes d'un contrat de louage de services;

[8] Dans l'exercice du pouvoir qui lui est conféré par le législateur, la Commission a pris l'alinéa 12d) du Règlement, lequel est libellé dans les termes suivants :

12.

[...]

d) l'emploi exercé par une personne dont les fonctions se rattachent à un salon de coiffure ou à un tel établissement et qui

fournit des services qu'offre normalement un tel établissement, et

n'est pas le propriétaire d'un tel établissement;

[9] À première vue, on pourrait considérer que l'utilisation du terme « emploi » implique encore l'existence d'une relation employeur-employé au lieu d'une relation avec un entrepreneur autonome. Cependant, les décisions de la Cour suprême du Canada et celles de la Cour d'appel fédérale indiquent clairement que ce n'est pas le cas. Ces décisions lient évidemment la Cour canadienne de l'impôt.

[10] Dans l'arrêt Attorney General of Canada v. Skyline Cabs (1982) Ltd., 5 W.W.R. 16, le juge MacGuigan, s'exprimant pour la Cour d'appel fédérale, a dit ce qui suit :

L'applicabilité de l'alinéa 12e) du Règlement était la seule question soumise à la Cour de l'impôt; à la lumière des décisions rendues par la Cour suprême du Canada dans l'affaire La Reine c. Scheer Ltd., [1974] R.C.S. 1046 et dans l'affaire Martin Service Station c. Ministre du Revenu national, [1977] 2 R.C.S. 996, j'estime qu'il faut considérer comme une règle incontestable la proposition voulant que le mot « emploi » figurant dans ce paragraphe ne doive pas recevoir le sens étroit de contrat de service mais le sens large d'[TRADUCTION] « activité » ou d' « occupation » . Dans l'affaire Martin, prémentionnée, le juge Beetz, après avoir fait ressortir que l'économie générale de la Loi vise des personnes liées par un contrat de service, a interprété la Loi tout autrement aux pages 1004 et 1005 en ce qui regardait l'occupation visée :

Toutefois, pour éviter de verser des cotisations conformément à la législation [les Lois sur l'assurance-chômage de 1955 et 1971], il est possible que certaines personnes décident de donner à leur relation contractuelle une forme autre que le contrat de service; les dispositions contestées, en ce qu'elles permettent à la Commission d'assurance-chômage d'assujettir ces personnes, appartiennent à la catégorie des dispositions relatives à l'exécution des lois et sont de toute évidence intra vires. Cependant, même en écartant toute intention de se soustraire aux lois, si les conditions qui prévalent sont telles que ceux qui sont embauchés par contrat pour exécuter un travail donné sont réduits au chômage, il est de plus probable que ces mêmes conditions privent de travail ceux qui accomplissent le même genre de tâche, mais à leur compte. C'est principalement dans le but de protéger ces derniers du risque de manquer de travail et d'être contraints à l'inactivité que la portée de la législation a été élargie. Qu'ils travaillent à leur propre compte ou en vertu d'un contrat de service, les conducteurs de taxi et d'autobus par exemple sont exposés au risque de manquer de travail. À mon avis, c'est là un risque assurable, du moins dans le cadre d'une assurance publique obligatoire qui n'a pas été conçue pour être appliquée selon de rigoureux principes actuariels, pourvu qu'elle respecte en gros la nature d'un système d'assurance, y compris la protection contre le risque et un régime de cotisations.

[11] Dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada La Reine c. Scheer, précité, le juge Spence, qui a rendu le jugement unanime de la Cour, s'est dit d'avis que le terme « emploi » , par exemple à l'alinéa 12d) du Règlement, a deux sens : soit un contrat de louage de services, soit l'occupation, le commerce ou le métier exercé par la personne concernée. Il s'est exprimé dans les termes suivants aux pages 1052 et 1053 :

[...] que la signification du terme « emploi » doit être recherchée par l'examen méthodique de la loi et l'intention du législateur lorsqu'il a eu recours au langage employé déterminé compte tenu du contexte dans lequel il est utilisé [...]

Je suis donc d'avis que, au moins depuis 1946 jusqu'à ce jour, le Parlement, dans sa législation concernant l'assurance-chômage, a toujours utilisé le terme « emploi » pour désigner un commerce, un métier ou une occupation et non pas seulement un rapport de commettant à préposé.

[12] Dans l'arrêt Sheridan v. M.N.R., 57 N.R. 69 (C.A.F.), à la page 74, le juge Heald a déclaré ceci :

L'alinéa 4(1)c) ne s'applique qu'aux personnes occupant des emplois autrement qu'en vertu d'un contrat de louage de services (y compris les travailleurs autonomes) dans les circonstances où elles accomplissent un travail dont la nature et les modalités sont semblables au travail des personnes occupant un emploi en vertu d'un contrat de service.

[13] Il faut se rappeler, dans le cadre de l'audition des appels en l'instance, qu'il y a deux aspects au régime d'assurance-chômage (maintenant l' « assurance-emploi » ) créé par le législateur. Il y a d'une part les gens, et ils sont nombreux, qui souhaitent être couverts par le régime afin de bénéficier d'un filet de sécurité financière auquel se fier s'ils traversent des périodes difficiles pendant lesquelles ils n'ont pas d'emploi. Le ministre conteste parfois leur droit de demander des prestations lorsqu'il estime que leur emploi est exclu du champ d'application du régime établi. D'autre part, il y a ceux qui souhaitent arranger leurs affaires de façon à être autonomes et qui ne souhaitent ni payer des cotisations ni recevoir des prestations. Toutefois, pour diverses raisons, ces derniers sont parfois inclus par la loi dans le régime et ne peuvent s'y soustraire. Dans une certaine mesure, on vise peut-être ainsi à protéger les personnes qui pourraient autrement être contraintes d'accepter certaines modalités d'emploi simplement pour que les employeurs n'aient pas à verser de cotisations, ce qui pourrait très bien exposer les personnes en question à un risque financier si elles perdaient leur emploi. Cet objectif s'inscrit dans le cadre d'une politique d'intérêt public du gouvernement qui vise à éviter que ceux qui devraient avoir la possibilité de bénéficier du régime en soient arbitrairement exclus au moyen de modalités d'emploi complexes. Néanmoins, peu importe les raisons, la Cour est tenue d'appliquer la loi telle qu'elle est rédigée et telle qu'elle a été interprétée par les tribunaux d'appel, et non pas simplement de la façon dont une partie, de son propre point de vue peut-être plus étroit, pourrait souhaiter la voir s'appliquer, aussi sensée cette application puisse-t-elle paraître à ses yeux dans les circonstances qui lui sont propres.

[14] En résumé, donc, si des travailleurs sont des employés au sens strict du terme, ils sont de façon générale soumis au régime, à certaines exceptions près. S'ils ne sont pas des employés au sens strict du terme, ils ne sont généralement pas visés par le régime, à moins qu'ils relèvent de l'une des catégories supplémentaires d'activités commerciales énoncées dans le Règlement.

[15] Si je peux me permettre de reprendre les termes de l'alinéa 12d) du Règlement un moment, il est clair que si les intervenantes :

exercent une activité commerciale dont les fonctions se rattachent à un salon de coiffure,

fournissent des services qu'offre normalement un tel établissement, et

ne sont pas les propriétaires d'un tel établissement,

leur travail est assujetti au régime à titre d' « emploi assurable » . Je ferai remarquer qu'il doit être satisfait aux trois critères.

[16] D'après le Dictionary of Canadian Law (Duketow and Nurse, Thomson Professional Publishing 1991), le terme establishment ( « établissement » ) signifie :

[TRADUCTION]

« place d'affaires » ou « endroit où une entreprise ou une partie de celle-ci est exploitée » .

D'après le Oxford English Dictionary, le terme signifie, entre autres choses, « institution ou entreprise; son local ou son personnel » .

[17] Je suis enclin à penser, pour ce qui est du Règlement, que le terme désigne les locaux où l'entreprise est exploitée davantage que l'entreprise elle-même ou le personnel. Si je dis cela, c'est parce que le sous-alinéa d)(i) mentionne les services qu'offre normalement un tel établissement (en anglais, « services that are normally provided therein » ). Si les rédacteurs du Règlement avaient souhaité désigner l'entreprise elle-même, ils auraient utilisé en anglais le terme « thereby » ou « by it » et non « therein » , qui évoque l'idée de quelque chose qui se trouve à l'intérieur d'un objet physique. En outre, le terme « therein » ne peut guère s'appliquer au personnel.

Les faits

[18] Il est évident que la compagnie et les intervenantes ont tenté d'établir une relation d'entrepreneurs autonomes. À mon avis, sans passer en revue les nombreux critères établis en droit, elles ont clairement réussi à le faire. Le ministre a effectivement concédé dans ses règlements que chacune d'elles était autonome.

[19] Il est également clair que chacune des intervenantes occupait un emploi (lire : « activité commerciale » ) dont les fonctions se rattachaient à un salon de coiffure (l'alinéa a) ci-dessus), et que toutes fournissaient des services qu'offre normalement un tel établissement (alinéa b) ci-dessus).

[20] Pour décider si toutes les intervenantes ou l'une ou l'autre d'entre elles étaient « propriétaires d'un tel établissement » , c'est-à-dire le salon de coiffure, il est nécessaire d'examiner les liens qui les liaient à la compagnie et de déterminer s'il y avait un ou plusieurs « salons de coiffure » . Les relations entre les parties étaient régies par un contrat que chacune avait signé, et dont une copie a été déposée sous la cote R-1. Cependant, il est peut-être utile de revoir d'abord un peu les faits tels qu'ils ont été relatés à la Cour dans le cadre des témoignages.

[21] Les actions de la compagnie appelante étaient détenues à 50 p. 100 par M. Rupert Engen et à 50 p. 100 par Francesco's Hair Design Ltd. Les actionnaires de cette dernière compagnie étaient MM. Pat Spadafora et Frank Spadafora. La compagnie était propriétaire de l'immeuble où les activités de coiffure avaient lieu. Au cours des années antérieures à 1990, la compagnie avait exploité un salon de coiffure tout en offrant des services d'esthétique, de maquillage et de manucure, et elle faisait affaires sous le nom de « Mary's Place » . Au fil des ans, certaines des personnes qui offraient ces services sont parties. En 1990, un certain nombre de coiffeuses ont parlé à M. Engen et à M. Spadafora de la possibilité de louer les locaux et de partager les frais des aires communes; la majorité d'entre elles sont les intervenantes en l'espèce. Certaines d'entre elles ont quitté depuis, tandis que Mme Angie Desautels est arrivée par la suite. Chacune avait l'intention de mettre sur pied sa propre entreprise sous un même toit. MM. Engen et Spadafora ne voulaient pas s'occuper de l'embauche du personnel. Par conséquent, ils ont décidé collectivement, c'est-à-dire les intervenantes, MM. Engen et Spadafora, de louer l'immeuble à la compagnie et d'exploiter chacun sa propre entreprise distincte.

[22] C'est ce qu'ils ont fait. Des contrats comme celui qui a été produit sous la cote R-1 ont été rédigés. On a remplacé l'ancienne enseigne par une nouvelle arborant le nom de « Francesco's Tresses Hair » . L'immeuble était une maison convertie et c'est ce nom qui était inscrit sur la nouvelle banne dressée devant l'immeuble. Sous la banne, une affiche avait été érigée et indiquait « E & S Tresses and Associates » . Sur cette affiche figuraient les noms de toutes les parties. Chaque partie, y compris MM. Engen et Spadafora, a obtenu son permis d'exploitation d'un commerce. Chacune a signé avec E & S Tresses Ltd. un contrat appelé « contrat en matière de services et de frais » . Il semble qu'on ait signé ce contrat et qu'on en ait renégocié les modalités chaque année.

[23] Le contrat en question a été signé le 1er janvier 1995. Selon le premier énoncé, il faut le signaler, la société (E & S Tresses Ltd.) était « un salon de coiffure faisant affaires dans la ville d'Edmonton » . La compagnie convenait de fournir « l'espace et les chaises nécessaires » , sans que cet espace ne soit précisé. Elle convenait également de fournir de nombreux services administratifs et de soutien, comme les services d'une réceptionniste, d'un gérant et d'un shampouineur, une aide technique, des services d'entretien, le téléphone et les services publics, des services de réparations et d'entretien du matériel, et de payer les frais d'utilisation de cartes de crédit, les taxes professionnelles et foncières, les primes d'assurance-responsabilité et l'enseigne.

[24] Il était clair que chacun avait la responsabilité d'effectuer lui-même les déductions prévues par la loi et de prendre en charge ses dépenses ainsi que les honoraires de comptable ou d'avocat et les frais de publicité et de formation.

[25] Le contrat prévoyait que les parties à celui-ci étaient des entrepreneurs autonomes qui pouvaient fixer leurs heures de travail. Tous les montants facturés aux clients en contrepartie des services fournis devaient être remis directement à chacune des personnes concernées et non à la compagnie. Chacune des parties au contrat devait verser 1 575,90 $ par mois à la compagnie. Si elles étaient malades ou enceintes, elles devaient payer la totalité des frais le premier mois au cours duquel elles étaient absentes et 60 p. 100 des frais les mois suivants. On pouvait mettre fin à l'entente sur préavis de 30 jours, et la T.P.S. était ajoutée aux frais en question. Telle était, en bref, la nature des ententes.

[26] En pratique, toutes les personnes ont convenu d'effectuer des rénovations et d'aménager à leur choix la superficie qui leur était attribuée. Chacune fonctionnait de façon indépendante, conservait ses propres recettes et fixait ses propres rendez-vous avec l'aide de la réceptionniste. E & S Tresses Ltd. fournissait les services de gestion et de soutien pour lesquels elle engageait des employés à plein temps, mais elle n'engageait aucune coiffeuse. Chacune commandait ses produits capillaires par l'intermédiaire de Francesco's Tresses. Elles commandaient leurs cartes professionnelles de la même façon. Celles-ci étaient toutes identiques, à part les noms. Les coiffeuses tenaient des réunions et décidaient de la façon de mener l'entreprise conjointement. En leur absence, la superficie dont elles disposaient n'était utilisée par personne d'autre. Elles ont indiqué qu'elles étaient libres de sous-louer leur superficie si elles le souhaitaient, bien qu'aucune d'elles ne l'ait fait.

[27] On accédait aux locaux par des entrées communes, et la salle d'attente était commune également. La superficie attribuée à chaque coiffeuse n'était pas séparée de celle des autres par des murs ou des portes, bien qu'elles occupaient trois étages. Les frais qu'elles payaient à la compagnie étaient calculés de la façon suivante :

7 % pour les salaires

9 % pour les services publics

6 % pour l'entretien

8 % pour les cartes de crédit (les montants étaient payés par chèque tous les jours)

50 % pour les produits

20 % pour la location des locaux

[28] Elles considéraient l'entreprise de gestion commune comme une sorte de coopérative. La compagnie s'occupait cependant du compte bancaire pour le compte de ce groupe de personnes. Il m'a semblé que, bien qu'elles exploitaient clairement des entreprises indépendantes, les intervenantes avaient une sorte d'entreprise commune pour la gestion des aspects communs de leurs entreprises, qu'elles confiaient à la compagnie.

[29] Si une ou plusieurs personnes partaient à l'expiration du délai de 30 jours suivant un préavis, elles emportaient avec elles leur clientèle, leur matériel et leurs fournitures, mais elles laissaient la superficie et les chaises. Les personnes qui restaient continuaient de fonctionner de la même façon. La personne qui s'en allait n'avait droit à aucun paiement de capital.

[30] Ce sont là les faits principaux tels que je les ai constatés.

Conclusion

[31] Il ne fait aucun doute que les intervenantes exploitaient leur propre entreprise. Elles ont clairement fait tout ce qu'elles pouvaient pour en faire la preuve et, pendant l'audition des appels en l'instance, c'est surtout ce qui les intéressait. À cet égard, elles ont réussi. J'ai également déduit des témoignages entendus qu'elles étaient des personnes extrêmement honnêtes, franches et dotées de principes, et qu'elles étaient quelque peu offensées par la façon dont les représentants de Revenu Canada les avaient traitées dans cette affaire. Cependant, là n'est pas la question dont la Cour est saisie.

[32] Dans les faits, les intervenantes exploitaient toutes leur propre entreprise sous un même toit et sous une bannière commune, et elles partageaient beaucoup d'éléments. Il s'agissait sans l'ombre d'un doute d'un arrangement commercial extrêmement efficace. Cependant, il n'y avait aucune division des locaux du genre de celle que l'on peut voir dans les centres commerciaux, où des entreprises distinctes sont clairement délimitées par des murs et des entrées, ou dans les bureaux pour membres de professions libérales situés dans des immeubles de bureaux, où chacun a ses propres locaux délimités et une entrée distincte. Dans la présente affaire, les intervenantes exploitaient toutes leur propre entreprise collectivement, de sorte qu'un observateur extérieur, voyant l'endroit, ne pouvait que venir à la conclusion qu'il n'y avait qu'un seul « établissement commercial » . Elles faisaient toutes partie à mon avis de cet établissement, le salon de coiffure. C'est évidemment ce que le contrat indiquait, que la compagnie était un salon de coiffure. Je ne peux y voir plusieurs « établissements » différents. Il y avait une communauté d'efforts suffisante à mon avis pour conclure qu'il s'agissait là d'un seul établissement. À mon avis, les personnes n'étaient pas propriétaires de cet établissement. Elles n'étaient pas propriétaires d'un local ni n'en louaient un. Si j'ai raison de dire qu'il s'agissait du lieu physique, alors de toute évidence ce lieu était la propriété de la compagnie et non celle des intervenantes. Ces dernières ont peut-être fait partie de l'établissement commercial dans la mesure où elles y contribuaient, mais, en fin de compte, les fonds appartenaient à la compagnie, qui devait leur fournir les services pour lesquels elles avaient conclu un contrat. Les intervenantes n'étaient propriétaires que de leur clientèle, de leur matériel et de leurs produits et, si l'une ou l'autre s'en allait, « l'établissement » demeurait.

[33] Je conclus donc ceci :

Les intervenantes étaient des travailleuses autonomes qui exploitaient leur propre entreprise.

Les intervenantes exerçaient une activité dont les fonctions se rattachaient à un salon de coiffure.

Les intervenantes fournissaient des services qu'offre normalement un tel établissement.

Les intervenantes n'étaient pas les propriétaires de cet établissement.

L'activité qu'elles exerçaient était un emploi assurable au sens de l'alinéa 12d) du Règlement.

[34] En l'occurrence, les appels sont rejetés et les règlements du ministre sont confirmés.

[35] En terminant, je prierais les représentants du ministre de traiter les intervenantes avec égard dans l'application de la présente décision. Ce sont des travailleuses honnêtes qui croyaient sincèrement que la façon dont elles avaient arrangé leurs activités commerciales les soustrayait au champ d'application du régime d'assurance-chômage. Elles étaient bien intentionnées, mais elles avaient tort. Cependant, elles ont mené leurs appels de manière respectueuse, et la Cour souhaite que ce respect soit mutuel.

Signé à Calgary (Alberta), ce 3e jour de novembre 1998.

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 23e jour de juin 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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