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Date: 20000120

Dossier: 97-3514-IT-G

ENTRE :

HOWARD ROWE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Prononcés oralement à l'audience le 5 mai 1999 à Edmonton (Alberta)

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] L'appel en l'instance porte sur les années d'imposition 1993, 1994 et 1995. Dans chacune de ces années, l'appelant a déclaré des pertes découlant d'une activité commerciale qui, soutient-il, était une entreprise. Il a déduit les pertes en question dans le calcul de son revenu. Dans les nouvelles cotisations qui sont visées par l'appel, le ministre du Revenu national a fait valoir que l'activité commerciale n'était pas une entreprise pour le motif qu'il n'y avait aucune attente raisonnable de profit. La déduction des pertes en question a donc été refusée. Par conséquent, il s'agit principalement de savoir si l'appelant pouvait raisonnablement s'attendre à tirer un profit de l'activité commerciale. Il y a également un point accessoire. S'il y avait attente raisonnable de profit et qu'il faille déterminer le montant des bénéfices ou des pertes, y a-t-il lieu de répartir ce montant à parts égales entre l'appelant et son épouse?

[2] L'appelant et son épouse Merle ont témoigné. Trois ou quatre personnes liées à l'appelant ont témoigné également. Pour le compte de l'intimée, le premier vérificateur ainsi que l'agente des appels ont témoigné. On a donc bénéficié d'une abondance de témoignages oraux en l'espèce. De plus, plusieurs documents ont été produits en preuve devant la Cour.

[3] L'appelant travaille pour un journal d'Edmonton depuis 1978. Au cours des années 1980, lui et son épouse ont décidé d'arrondir leur revenu en prévision de leur retraite. Ils se sont donc mis à la recherche d'une activité pouvant à tout le moins laisser présager des profits importants en relativement peu de temps. L'appelant et son épouse se sont mariés en 1964. Au milieu des années 1980, ils étaient mariés depuis 20 ans et ils souhaitaient accroître leur sécurité financière en vue de leur retraite.

[4] L'appelant a un emploi sûr au journal d'Edmonton, mais son épouse a perdu son emploi en 1982 ou 1983. Elle a décidé, malgré le fait qu'elle était une technicienne de laboratoire hautement qualifiée, que le domaine de la vente offrait davantage de possibilités. Elle a donc travaillé dans la vente en vue d'accroître son revenu. Elle s'est essayée à la vente de voyages et elle a établi une clientèle, mais elle n'était pas satisfaite de ce travail et a décidé de se lancer dans un type de vente plus directe.

[5] Son témoignage et sa participation sont importants parce qu'elle était l'un des piliers de l'activité et parce qu'elle a été mentionnée par les autres témoins de l'appelant. Mme Goebel, Mme Savoury, Mme Fath et M. Jacques ont également été appelés pour le compte de l'appelant. Ils ont presque tous expliqué qu'ils avaient eu des contacts avec l'épouse de l'appelant relativement à l'activité commerciale en question. Par conséquent, la participation de l'épouse de l'appelant était importante et, selon le témoignage de l'appelant, ils travaillaient en équipe.

[6] Quelles qu'aient pu être les activités de l'appelant avant 1991, il ressort clairement du témoignage non contredit de ce dernier et de celui de son épouse que ce qu'ils ont entrepris en 1991 était une sorte de service de vente à paliers multiples dans le cadre de laquelle il fallait trouver un produit vendable puis recruter des gens pour vendre ce produit, à la suite de quoi le recruteur touchait une commission additionnelle. C'est une organisation appelée National Safety Associates, dont le produit était un filtre à eau, qui a attiré l'attention de l'appelant. Ce dernier estimait que le filtre à eau serait un bon produit qui fournirait de l'eau potable pure, ce qui allait de pair avec l'intérêt que suscitaient les questions environnementales et aussi le souci accru de respecter les normes de santé et de sécurité. L'appelant et son épouse ont donc acheté une quantité importante du produit en question vers 1991; ils ont recruté des gens pour le vendre et l'ont vendu pendant une certaine période.

[7] Un reportage diffusé au réseau anglais de la SRC au cours duquel le journaliste d'enquête a fait la critique des filtres à eau a nui à l'entreprise. Par suite de ce reportage, il a été plus difficile de vendre le produit. Je crois l'appelant lorsqu'il dit que le reportage a réellement fait baisser les ventes. Cependant, lui et son épouse sont restés dans le domaine da la vente à paliers multiples et ont essayé des produits appelés Third Dimension, Alberta Shopping Network, JewelWay et WorldNet. Le Alberta Shopping Network essayait de vendre des coupons prépayés en vue de l'achat de produits. JewelWay vendait des bijoux et WorldNet offrait une sorte de carte d'appels interurbains qui permettait à son détenteur, qui avait payé un montant à l'avance, d'effectuer un certain nombre d'appels interurbains à un taux très réduit.

[8] Bien que l'on ait mentionné ces différentes activités, elles étaient toutes fusionnées et il n'existait pas d'état des résultats distinct pour chacune d'entre elles. Elles étaient toutes groupées dans les états financiers joints aux déclarations de revenus, de sorte qu'elles constituaient une seule activité de vente à paliers multiples courante exercée par l'appelant et apparemment par son épouse. C'était tout à fait différent de la personne qui exploite une boutique de fleurs et une quincaillerie et qui tient des états financiers distincts parce que les entreprises sont très différentes. La même personne pourrait être propriétaire de la quincaillerie et de la boutique de fleurs, ce qui ne l'empêcherait pas de tenir des livres comptables distincts. Ce n'est pas ce qu'a fait l'appelant concernant ses différentes activités.

[9] L'activité semblait être une activité de vente à paliers multiples et, bien que le produit pût changer selon sa qualité marchande, les recettes et les dépenses ont été combinés dans l'état des résultats de l'entreprise joints aux déclarations de revenus de l'appelant. Pour une raison ou une autre, chacune de ces activités s'est heurtée à des difficultés. Ainsi que je l'ai mentionné, l'entreprise de filtres à eau a subi les contrecoups d'un reportage négatif et peut-être injustifié au réseau anglais de la SRC. L'une des autres entreprises, je crois qu'il s'agit du Alberta Shopping Network, a dû fermer ses portes sur les ordres d'un organe du gouvernement provincial. L'appelant a perdu ses illusions quant aux produits de JewelWay; en effet, son épouse a acheté une montre en or qui a perdu sa dorure au bout de quatre mois et qui s'est ensuite mise à noircir. De plus, il y a eu des problèmes avec un autre produit. La personne qui vendait celui-ci aux États-Unis a appelé l'entreprise canadienne et déclaré qu'elle ne ferait plus affaires au Canada. Elle a mis un terme aux activités de l'entreprise canadienne au moment où l'appelant entretenait de grands espoirs.

[10] Quoi qu'il en soit, pour chaque année, l'appelant a déclaré des pertes. Pour les années 1991 et 1992, les pertes ont été réparties à parts égales entre lui et son épouse. Cette dernière a déclaré la moitié des pertes en 1991 et en 1992. J'examinerai maintenant les pertes qui ont été subies dans les années visées par l'appel (1993, 1994 et 1995). Il s'agit de déterminer si, compte tenu de l'activité elle-même et de toutes les circonstances, il y avait une attente raisonnable de profit. Cette question a donné lieu à une abondance de règles de droit et à une jurisprudence volumineuse. Avant d'étudier le droit, j'aimerais mettre en évidence les montants respectifs car, à mon avis, ils ont une grande importance en l'espèce.

[11] Les pièces R-1 à R-5 sont des extraits des déclarations de revenus de l'appelant pour les années 1991 à 1995. Dans chaque cas, il s'agit de l'état des résultats d'une entreprise ou d'une profession, qui est semblable à l'état des résultats joint à la déclaration de l'appelant. Je résumerai ces pièces ainsi :

Année Ventes brutes Ventes nettes Dépenses Pertes/Bénéfice*

1991 2 788 $ (288 $) 5 114 $ (5 402 $)

1992 6 406 (3 558) 8 347 (11 905)

1993 1 401 (98) 17 476 (17 574)

1994 1 019 1 020 5 404 (4 384)

1995 360 360 9 425 (9 065)

* Avant les frais d'automobile

En 1991 et 1992, les pertes ont été réparties entre l'appelant et son épouse. Je n'ai devant moi que la déclaration de l'appelant; en 1991, le montant de 2 701 $ lui a été attribué. Outre cette perte, l'appelant a déduit des frais d'automobile de 1 686 $, ce qui a donné lieu à des pertes nettes totales de 4 387 $. Pour 1992, les pertes nettes attribuées à l'appelant s'élevaient à 5 952 $. En outre, il a déduit sa part des frais d'automobile de 1 566 $, ce qui a donné des pertes nettes de 7 518 $. Par conséquent, dans les deux années qui ont précédé les années visées par l'appel, l'appelant a déduit des pertes de 4 387 $ et de 7 518 $ respectivement.

[12] En ce qui concerne les trois années qui sont visées par l'appel, aucune répartition n'a été faite entre l'appelant et son épouse. Les pertes ont été déclarées en totalité par l'appelant. En 1993, il a déclaré des pertes de 17 574 $ en plus d'ajouter des frais d'automobile de 10 318 $, ce qui a donné lieu à des pertes totales de 27 892 $. En 1994, les pertes déclarées s'élevaient à 4 384 $ et les frais d'automobile, à 7 464 $, ce qui a donné lieu à des pertes nettes de 11 848 $. Enfin, en 1995, les pertes étaient de 9 065 $, plus les frais d'automobile de 5 710 $, ce qui a donné des pertes totales de 14 775 $. Dans les trois années qui sont visées par l'appel, les pertes nettes, compte tenu des frais d'automobile, étaient les suivantes :

1993 - 27 892 $

1994 - 11 848 $

1995 - 14 775 $

[13] On a demandé au vérificateur de Revenu Canada pourquoi il avait refusé la déduction des pertes dans les années visées par l'appel alors qu'il les avait admises pour les années 1991 et 1992. Il a déclaré qu'il considérait les années 1991 et 1992 comme des années de démarrage de l'entreprise et que les pertes étaient une déduction raisonnable, mais il a affirmé que, dans les années visées par l'appel, les recettes avaient diminué continuellement. Il a dit des recettes tirées en 1993 qu'elles étaient peu importantes et qu'elles chutaient. Je crois qu'il s'agit d'une remarque juste parce que, dans les années visées par l'appel, les recettes brutes sont passées de 1 401 $ à 1 019 $, puis à 360 $.

[14] À mon avis, les appels en l'instance ne peuvent être admis pour le motif qu'il n'y avait aucune attente raisonnable de profit. Sur le plan des faits, le total des pertes nettes, soit 54 515 $, est impressionnant si on le compare à celui des ventes brutes, soit 2 780 $. Sur le plan du droit, les décisions publiées appuient la thèse selon laquelle, dans les circonstances du présent appel, il n'y avait aucune attente raisonnable de profit. Avant d'examiner le droit, j'entends faire des remarques sur les montants respectifs. En 1993, les recettes s'élevaient à 1 400 $ et les dépenses totales, y compris les frais d'automobile, à 28 000 $ environ. Dix pour cent de ce montant équivaut à 2 800 $, dont la moitié est 1 400 $. En 1993, les recettes équivalaient seulement à cinq pour cent des dépenses. En d'autres termes, il aurait fallu que les recettes soient 20 fois plus élevées pour être égales aux dépenses et ce, uniquement pour permettre à l'appelant d'atteindre le seuil de rentabilité, dans la mesure où l'on accepte les dépenses telles qu'il les a calculées.

[15] Si l'on effectue une comparaison semblable pour l'année 1994, les recettes étaient de 1 000 $ et les dépenses totales, y compris les frais d'automobile, de 12 800 $ environ. Les dépenses sont à peu près 12 fois plus élevées que les recettes; c'est donc dire que celles-ci devraient être 12 fois plus élevées pour équivaloir aux dépenses, et ce, seulement pour permettre à l'appelant d'atteindre le seuil de rentabilité. Pour ce qui est de l'année 1995, la situation est encore pire car les recettes n'étaient que de 360 $. Les dépenses, y compris les frais d'automobile, dépassaient 15 000 $. Le dixième de 15 000 $ est 1 500 $, et 360 $ représentent à peu près le cinquième de 10 p. 100. Par conséquent, les recettes n'équivalent qu'à 2,5 p. 100 environ des dépenses. Un tel écart entre les recettes et les dépenses dans une activité est impossible à combler.

[16] L'appelant et son épouse ont tous deux témoigné. Je les crois lorsqu'ils disent qu'ils souhaitaient réellement faire beaucoup d'argent en peu de temps. Je n'ai aucune difficulté à conclure qu'ils sont dignes de foi, et je les crois lorsqu'ils disent que c'était leur but. À mon avis cependant, ils ont été obnubilés par ce but car ils paraissent avoir été bernés par ce que j'appellerais des promoteurs de services de vente à paliers multiples. Presque toutes les entreprises dans lesquelles il se sont lancés se sont soldées par un échec pour une raison qui échappait à leur contrôle parce que quelqu'un d'autre avait vu quelque chose de suspect dans ce qu'ils faisaient. J'ignore si le reportage diffusé au réseau anglais de la SRC était justifié ou non, mais, d'après le témoignage non contredit de l'appelant, il a réellement compromis leurs chances de vendre le filtre à eau. J'ignore si le gouvernement provincial a eu tort ou raison d'ordonner la fermeture du Alberta Shopping Network, mais c'est ce qu'il a fait. L'épouse de l'appelant a témoigné qu'elle-même avait perdu confiance dans le produit de JewelWay lorsque l'article qu'elle avait acheté s'était révélé de piètre qualité, l'or étant disparu et l'article en question ayant noirci.

[17] L'épouse de l'appelant a déclaré qu'il ne s'agissait pas de stratagèmes malhonnêtes. À mon avis, c'est ce qu'elle croit honnêtement mais, à les entendre, elle et l'appelant, raconter leur histoire, certaines des activités en cause ressemblaient à des stratagèmes malhonnêtes. Ce que je dis, c'est que l'appelant et son épouse ont été obnubilés par la perspective de faire rapidement un profit et que, de ce fait, ils ont peut-être manqué de prudence en n'examinant pas attentivement le produit qu'ils allaient vendre et les gens qui en faisaient la promotion.

[18] Habituellement, dans des affaires comme celle-ci, les tribunaux citent d'abord l'arrêt de la Cour suprême du Canada Moldowan v. The Queen, 77 DTC 5213, où le juge en chef Dickson a dit ceci à la page 5215 :

[...] il est maintenant admis que pour avoir une “source” de revenu, le contribuable doit avoir en vue un profit ou une expectative raisonnable de profit. L'expression source de revenu équivaut donc au terme entreprise [...]

Ce sont là les termes sur lesquels les tribunaux qui ont dû se prononcer par la suite se sont fondés pour dire que, s'il n'y a aucune attente raisonnable de profit, il n'y a pas d'entreprise. S'il n'y a pas d'entreprise, le contribuable a pu exercer une activité quelconque, mais il ne s'agit pas d'une entreprise. Le juge en chef Dickson a dit ceci également :

À mon avis, on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit.

Je fais une pause ici parce que, à un certain moment au cours de son témoignage, l'épouse de l'appelant a affirmé qu'elle voulait sincèrement faire un profit. Je lui ai demandé si elle croyait que quelqu'un dans la salle doutait qu'elle voulait sincèrement réaliser un profit. La question de savoir si l'appelant seul ou l'appelant et son épouse voulaient réaliser un profit n'est pas subjective. Je crois que le désir profond était là. Il s'agit d'un critère objectif et non d'une norme que j'ai créée. C'est la Cour suprême qui s'est exprimée dans les termes suivants :

À mon avis, on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit.

Le premier critère mentionné est l'état des profits et des pertes dans les années antérieures. Les états des recettes et des dépenses qui couvrent une période de cinq ans parlent d'eux-mêmes. Ils montrent que l'état des profits et des pertes n'était pas fameux. Les recettes elles-mêmes, dans les cinq années en cause, sont passées de 2 700 $ à 6 400 $, puis ont chuté à 1 400 $, à 1 000 $ et enfin à 300 $.

[19] L'arrêt de la Cour suprême Moldowan a été appliqué avec modération par la Cour d'appel fédérale dans les arrêts Tonn v. The Queen, 96 DTC 6001, et The Attorney General of Canada v. Mastri, 97 DTC 5420. Dans l'arrêt Tonn, la Cour d'appel fédérale a admis l'appel du contribuable après qu'il eut été rejeté par notre cour. Les faits dans l'affaire Tonn sont importants. À la fin des années 1980, M. Tonn et un certain nombre d'associés avaient acheté un immeuble d'habitation dans la banlieue est de Toronto. À ce moment-là, le marché immobilier du Grand Toronto et du sud de l'Ontario était en plein essor. Juste après qu'ils ont acheté l'immeuble, le marché s'est effondré. Ils ont eu de la difficulté à louer l'immeuble. Le profit qu'ils croyaient pouvoir réaliser au moyen de ce placement immobilier s'est transformé en une perte qu'ils ont déduite dans le calcul de leur revenu. Le ministre a refusé cette déduction pour les trois premières années, et ce sont ces années qui étaient visées par l'appel.

[20] Notre cour a rejeté les appels de M. Tonn et de ses associés pour le motif qu'il n'y avait aucune attente raisonnable de profit. Les contribuables ont interjeté appel à la Cour d'appel fédérale, qui a indiqué que l'arrêt Moldowan de la Cour suprême ne devait pas être appliqué à la légère lorsque la seule question en litige concernait l'appréciation commerciale du contribuable, et que Revenu Canada ne devait pas substituer sa propre appréciation commerciale à celle des contribuables. La Cour d'appel fédérale a admis les appels dans l'arrêt Tonn, affirmant que c'était uniquement une décision commerciale qui s'était révélée désastreuse pour des raisons échappant au contrôle de M. Tonn et de ses associés.

[21] Il importe de faire remarquer que, dans l'affaire Tonn, Revenu Canada n'a admis aucune période de démarrage. Les trois années visées par l'appel dans l'affaire Tonn étaient les trois premières années au cours desquelles les contribuables avaient été propriétaires de l'immeuble d'habitation. L'arrêt Tonn a remis en question ce que j'appellerais l'application générale de l'arrêt Moldowan. Certains juges de notre cour ont conclu que l'arrêt Moldowan ne s'appliquait pratiquement plus, et un certain nombre d'appels ont été admis sur la question de l'attente raisonnable de profit.

[22] Dans l'arrêt Mastri, la Cour d'appel fédérale a eu la possibilité d'analyser ce qu'elle avait dit dans l'arrêt Tonn. Le juge Robertson s'est exprimé ainsi à la page 5423 :

Le renvoi au critère de l'arrêt Moldowan étant appliqué “ avec modération ” n'est pas destiné à devenir une règle de droit, mais à être une ligne directrice fondée sur le bon sens pour les juges de la Cour de l'impôt. En d'autres termes, l'expression “ avec modération ” visait à expliquer que dans certains cas, par exemple, où il n'y a aucun élément personnel, le juge devrait appliquer le critère de l'attente raisonnable de profit de façon moins assidue qu'il ne l'aurait fait en présence d'un tel facteur. C'est dans ce sens que la Cour dans l'arrêt Tonn a fait une mise en garde en ce qui concerne l'appréciation rétrospective des décisions commerciales des contribuables.

D'après ce que je comprends de l'arrêt Mastri, le critère formulé dans l'arrêt Moldowan doit être utilisé moins assidûment lorsqu'il n'y a aucun élément personnel. Je suis convaincu qu'il n'y avait aucun élément personnel dans les activités commerciales de l'appelant et de son épouse, ce qui ne signifie pas pour autant que le critère énoncé dans l'arrêt Moldowan ne s'applique pas.

[23] La question de savoir si les attentes de profit d'un contribuable sont raisonnables ou non dans les circonstances est une question de fait dans chaque cas. Dans l'appel en l'instance, compte tenu des résultats obtenus par l'appelant dans les années 1991 et 1992 et ceux obtenus dans les trois années suivantes, qui sont visées par l'appel, je conclus qu'il n'y avait aucune attente raisonnable de profit. Les ventes brutes annuelles dans les trois années visées par l'appel n'ont en moyenne pas atteint 1 000 $. Les dépenses totales étaient 12, 20 ou 40 fois plus élevées que les recettes.

[24] Il y a un élément de bon sens ici, et je renvoie à un passage des motifs de mon collègue le juge Bonner dans l'affaire Mason v. M.N.R., 84 DTC 1001, où il a dit à la page 1002, concernant le critère de l'arrêt Moldowan :

Le seul optimisme subjectif, fût-il sincère, ne peut satisfaire à ce critère.

Il veut parler du critère de l'attente raisonnable de profit. Et, dans une décision que j'ai moi-même rendue dans l'affaire Maloney v. M.N.R., 89 DTC 314, à la page 315, j'ai fait la remarque suivante :

Les éléments subjectifs de la bonne foi, des espoirs commerciaux et des aspirations d'un contribuable ne confèrent pas à son entreprise une expectative raisonnable de profit si cette entreprise ne satisfait pas aux critères objectifs d'une entreprise prudente dans des circonstances analogues.

Je reviens sur le terme “ prudent ”. L'appelant et son épouse étaient sincères. Ils désiraient réaliser un profit, mais je crois que la recherche d'un moyen rapide de devenir riche les a envoûtés au point où ils ont manqué de prudence lorsqu'est venu le temps de déterminer s'il était raisonnable de se lancer dans ces entreprises. Pour ces motifs, je conclus qu'il n'y avait aucune attente raisonnable de profit dans les trois années visées par les appels. Les appels sont rejetés.

[25] J'aimerais faire un autre commentaire. Lorsque l'agente des appels a témoigné et qu'elle a été contre-interrogée par l'appelant, elle a passé en revue les dépenses de manière plus détaillée que le premier vérificateur et elle a analysé certaines des dépenses dont elle avait refusé la déduction parce qu'aucune pièce justificative n'avait été fournie à l'appui de celles-ci et parce qu'elle n'avait pu obtenir d'explication satisfaisante. Dans un sens, cependant, l'appelant se trouvait devant un dilemme car, en refusant la déduction de certaines dépenses parce qu'elles étaient de nature personnelle, l'agente des appels lui rendait service. En effet, en rejetant certaines dépenses, l'agente des appels comblait en partie l'écart entre les recettes et les dépenses, rendant ainsi plus vraisemblable la possibilité qu'il y ait eu attente raisonnable de profit.

[26] L'agente des appels a passé en revue l'analyse effectuée pour chaque année et, même après qu'elle eut exclu les dépenses qui, selon elle, ne devaient pas entrer dans le calcul de la perte, il restait des pertes importantes qui, à son avis, étaient confirmées par des dépenses, ce que, en tant que vérificatrice ou agente des appels, elle était disposée à accepter. Contester le refus de certaines dépenses revient à dire que les pertes devraient en réalité être plus élevées, de sorte que la réalisation d'un profit devient un objectif encore plus difficile à atteindre. Par ailleurs, si on s'abstient de contester le refus de certaines dépenses, on s'empêche de remettre en question le fait que la tenue de livres semble insatisfaisante.

[27] À cet égard, j'ai été étonné de constater qu'une dépense de 3 500 $, dont la déduction a été refusée, avait en fait été payée en argent comptant. Les gens qui se lancent dans des entreprises commerciales en Amérique du Nord doivent se conformer à ce que j'appellerais des procédures commerciales reconnues. De façon générale, dans les entreprises légitimes, les dépenses qui tournent autour de 3 500 $ ne sont pas payées en argent comptant. Il doit y avoir (si elles sont véritablement payées en argent comptant) une preuve importante pour appuyer le paiement, comme un reçu, ou la personne qui a reçu le paiement en argent doit venir en cour affirmer sous serment qu'elle était effectivement présente et qu'elle a reçu en mains propres le montant de 3500 $ en argent comptant; ou encore, il doit y avoir des relevés bancaires montrant que, à un date donnée, le montant de 3500 $ a été retiré d'un compte donné, et qu'il est par conséquent possible d'inférer que ce montant d'argent a été remis à une autre personne.

[28] Au cours du contre-interrogatoire de l'agente des appels, le fondement de ses décisions d'exclure des dépenses après analyse n'a pas, à mon avis, été attaqué. Son témoignage était juste, détaillé et complet. Elle avait effectué une analyse exhaustive des trois années d'imposition qui lui avaient été soumises. Les appels sont rejetés, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de janvier 2000.

“ M. A. Mogan ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour d'août 2000.

Benoît Charron, réviseur

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