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Date: 19990209

Dossier: 98-413-IT-I

ENTRE :

MARTIN VON NEUDEGG,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Teskey, C.C.I.

[1] Dans son avis d’appel dans lequel il a interjeté appel contre sa nouvelle cotisation d’impôt sur le revenu pour 1995, l’appelant a choisi la procédure informelle.

La question en litige

[2] La seule question litigieuse dont la Cour est saisie consiste à savoir si la somme de 18 000 $ que l’appelant a versée à son ex-conjointe (la « conjointe » ) en 1995 peut être déduite de son revenu conformément à l’article 60 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi » ).

[3] Le paragraphe 60.1(3) prévoit ce qui suit :

60.1(3) Pour l’application du présent article et de l’article 60, lorsqu’une ordonnance ou un jugement d’un tribunal compétent ou un accord écrit, établi à un moment d’une année d’imposition, prévoit que tout montant payé avant ce moment et au cours de l’année ou de l’année d’imposition précédente est considéré comme payé et reçu au titre de l’ordonnance, du jugement ou de l’accord, le montant est réputé payé à ce titre.

Les faits

[4] Le 6 mars 1995, l’appelant et son ex-conjointe se sont séparés.

[5] L’appelant et sa conjointe ont tous deux choisi de tenter de résoudre leurs différends par le biais de la procédure de médiation.

[6] Le 27 mars 1995, Mme Nancy A. Flatters, médiatrice, a rédigé un rapport provisoire de médiation (pièce A-1) que ni l’appelant ni sa conjointe n’ont signé. Les mots « sous toutes réserves » figurent sur la première page. Le deuxième paragraphe est rédigé comme suit :

[TRADUCTION]

Les questions litigieuses entre les parties telles que les définit la procédure de médiation étaient l’éducation des enfants et la pension alimentaire à la conjointe jusqu’au 30 avril 1995 inclusivement. L’avant-projet proposait de résoudre ces questions comme suit :

Les deux derniers paragraphes sous la rubrique « Reconnaissance » sont rédigés comme suit :

[TRADUCTION]

Ce rapport de médiation ne doit pas être considéré comme étant un document juridique et exécutoire mais seulement l’avant-projet de travail du règlement envisagé. Il reflète aussi une « Norme d’équité » que les parties ont appliquée pour faire en sorte que l’intérêt de Stéphanie soit servi dans l’intérim.

Les parties comprennent qu’il leur est possible, et qu’elles y ont été incitées par la médiatrice, de rechercher l’assistance et les conseils impartiaux d’un avocat relativement à l’avant-projet de règlement envisagé tel que l’expose le présent rapport de médiation.

[7] En février 1996, la conjointe a déposé une requête en divorce auprès de la Cour du banc de la Reine de l’Alberta et un affidavit en date du 2 février 1996 (pièce A-2). Voici ce que dit le paragraphe numéro 16 :

[TRADUCTION]

Mon mari m’a versé volontairement la somme mensuelle de 1 500 $ depuis le mois d’avril 1995. Il a continué de fournir la couverture médicale et dentaire prévue par le régime familial de soins médicaux auquel il participe à son travail, pour autant que je sache. Il m’a acheté des lunettes (475 $), il a acheté des étrennes de Noël à Stéphanie et Alexandre et il m’a donné environ 3 000 $ peu après notre séparation.

[8] Le 3 avril 1996, l’appelant et sa conjointe ont poursuivi la procédure de médiation et signé un Accord de médiation (pièce A-5). En voici les paragraphes pertinents :

[TRADUCTION]

5.1a) les discussions et les communications écrites dans le cadre de la procédure de médiation sont effectuées « sous toutes réserves » et sont « confidentielles » , les parties comprenant par cela qu’aucune déclaration ni communication faite au cours du processus de médiation ne peut être admissible dans aucune instance judiciaire;

et

[. . . ]

5.1c) les parties conviennent que la médiatrice ne peut être contrainte à témoigner dans une instance judiciaire et que le fruit de son travail, y compris les notes et les rapports qu’elle a rédigés à la demande des parties, ne peut être produit dans aucune instance judiciaire.

[. . . ]

6.1c) Les parties sont responsables, au premier chef, de régler le différend qui les oppose. La médiatrice ne doit à aucun moment contraindre les parties à conclure une entente, ni leur demander de signer aucune note.

[. . . ]

et

6.1g) À la conclusion heureuse de la procédure de médiation, la médiatrice doit adresser des exemplaires du protocole d’entente aux avocats respectifs des parties afin de leur permettre de fournir des avis juridiques impartiaux.

[. . . ]

Si les parties se font représenter par des avocats, tout accord conclu par ces derniers liera les parties et les clauses de l’accord seront « opposables » aux parties.

[9] Le 13 mai 1996, le comptable de la conjointe a adressé une lettre à Revenu Canada, dont le premier paragraphe est libellé comme suit :

[TRADUCTION]

Immédiatement après le dépôt de la déclaration ci-haut, il a été noté que la contribuable a reçu de son ex-mari Martin Von Neudegg la somme de 18 000 $ en guise de pension alimentaire et d’allocation d’entretien à l’égard de Stephanie et Alexander. Nous comprenons que ces paiements ont été faits conformément à un accord de séparation. Conséquemment, veuillez inclure 18 000 $ dans le revenu à la ligne 128 de la déclaration de revenu personnelle de Mme Von Neudegg pour 1995.

[10] Le 24 mai 1996, Revenu Canada a établi une nouvelle cotisation à l’égard du revenu de l’appelant pour 1995 en refusant la déduction de 18 000 $ de son revenu.

[11] Le 19 juillet 1996, le médiateur, M. Victor T. Tousignant (le « médiateur » ) a préparé un document intitulé « Protocole d’entente » , qu’il a adressé à l’appelant, à sa conjointe et à leurs avocats respectifs. Il a été déposé sous la cote A-4. Les six premières pages de la pièce A-4 sont une photocopie du protocole signé. Toutefois, les six dernières pages de la pièce A-4 semblent être un avant-projet des six premières pages. Malheureusement, cela n’a pas été souligné à la Cour lorsque le document a été déposé comme pièce et l’appelant n’a pas été contre-interrogé à son sujet. Cela peut mener à toutes sortes d’hypothèses.

[12] Cette pièce indique que l’appelant et sa conjointe ont conclu un accord. Ce protocole n’est signé ni par l’appelant ni par sa conjointe et il a aussi été adressé aux avocats des deux parties.

[13] Le 5 décembre 1996, l’appelant et sa conjointe ont signé un Accord de règlement conjugal (pièce A-6) qui traite des aliments versés à l’égard des enfants à partir du premier janvier 1996.

[14] Les 9 et 10 avril, l’appelant et sa conjointe ont signé un autre document intitulé « Accord d’entretien des enfants » (pièce A-7). Sous la rubrique Entretien des enfants, on trouve les deux paragraphes suivants :

[TRADUCTION]

Les parties aux présentes conviennent et reconnaissent que conformément à l’Accord de médiation en date du 27 mars 1995, l’époux a versé à l’épouse pour l’entretien de leurs enfants la somme mensuelle de 1 500 $, à compter du premier mars 1995 et par la suite le premier jour de chaque mois jusqu’au premier décembre 1995 inclusivement, soit un paiement total de 15 000 $ de la part de l’époux à son épouse pour l’entretien de leurs enfants.

L’épouse déclarera en qualité de revenu les aliments qu’elle a reçus de son époux, lequel aura droit à la déduction fiscale correspondante, à compter du premier mars 1995 jusqu’au 31 décembre 1995.

L’époux convient qu’il paiera pour le compte de son épouse, lorsqu’elle aura calculé les impôts qu’elle doit payer sur les aliments mensuels de 1 500 $ qui lui sont versés, les impôts en question en déclarant les aliments en qualité de revenu. L’époux doit payer directement à Revenu Canada l’impôt sur le revenu en question dû par l’épouse, et il l’indemnisera et la dégagera de toute responsabilité à l’égard de tous autres intérêts ou obligations à l’endroit de Revenu Canada pour non-paiement des impôts dûs sur la somme en question.

Dans l’éventualité où l’épouse devrait déposer de nouveau sa déclaration de revenu pour 1995 de façon à y inclure le revenu qui y est cité, l’époux devra verser au comptable de son épouse le coût de préparation de la déclaration de revenu déposée de nouveau pour 1995.

La position de l’appelant

[15] L’appelant soutient que les mots « accord écrit » au paragraphe 60.1(3) de la Loi sont ambigus. Je rejette immédiatement cette prétention, les deux mots « accord écrit » n’ayant rien d’ambigu.

[16] L’appelant s’appuie sur la décision de mon collègue le juge Rip dans les motifs qu’il a rendus dans l’affaire Simpson v. Her Majesty the Queen [1996], A.C.I.. 361, où il a dit au paragraphe 53 :

Le critère permettant de déterminer si un accord officieux dans lequel les parties conviennent de rédiger un contrat en bonne et due forme est lui-même un contrat est énoncé dans l’arrêt Bawitko v. Kernels Popcorn (1991), 79 D.L.R. (4th) 97 (C.A. Ont.). À la page 104, le juge Robins de la Cour d’appel en énonce les différents volets :

[TRADUCTION]

Les parties doivent avoir eu l’intention d’être liées. C’est à l’égard de cette question que la mention « sous toutes réserves » peut être importante;

le contrat officieux ne doit être ni incertain, ni vague;

les modalités essentielles du contrat doivent être réglées.

[17] Cet argument est aussi rejeté. Le rapport provisoire de médiation n’est signé ni par l’appelant ni par sa conjointe, il est rédigé sous toutes réserves et il dit expressément qu’il « ne doit pas être considéré comme étant un document juridique et exécutoire » .

[18] La conjointe, dans son affidavit du 24 février 1996 (pièce A-2), a déposé que l’appelant a versé volontairement 1 500 $ chaque mois depuis avril 1995. L’appelant n’a pas cité sa conjointe comme témoin, bien qu’il aurait pu le faire. J’en conclus donc que son témoignage ne lui aurait pas été avantageux et qu’elle s’en serait tenue au libellé de son affidavit (pièce A-2).

[19] Le second Accord de médiation (pièce A-5) précise clairement que le processus de médiation se déroule « sous toutes réserves » et est « confidentiel » et que les communications figurant dans les rapports de médiation n’étaient « pas » admissibles dans aucune instance judiciaire.

[20] Le Protocole d’entente (pièce A-4) signé par le médiateur, M. Victor T. Tousignant, et daté le 19 juillet 1996, n’est pas non plus signé par les parties. Le mieux que l’on puisse dire de ce document, c’est qu’il démontre l’existence d’un quelconque accord « oral » .

[21] L’ « Accord de règlement conjugal » (pièce A-6) est signé par l’appelant et sa conjointe. C’est un accord écrit au sens du paragraphe pertinent. Il ne traite d’aucun versement que l’appelant a effectué à sa conjointe au cours de 1995. Il traite de la pension alimentaire versée pour l’entretien des deux enfants mineurs, au montant de 750 $ par enfant, à compter du premier janvier 1996. Il n’y est fait aucune mention des paiements faits en 1995 en guise d’aliments.

[22] L’appelant et sa conjointe ont conclu un autre accord appelé « Accord d’entretien des enfants » (pièce A-7), signé en avril 1997. Il prétend reconnaître les paiements faits en 1995 et ajoute qu’ils devraient être considérés comme étant un revenu entre les mains de la conjointe et qu’ils devraient faire l’objet d’une déduction pour le mari.

[23] La lettre du comptable de la conjointe (pièce A-8) indique le consentement de cette dernière à ce que la somme soit imposée entre ses mains. Cela n’aide pas l’affaire de l’appelant d’aucune façon.

[24] Je conclus que le premier accord écrit qui serait visé par le paragraphe 60.1(3) de la Loi est l’ « Accord de règlement conjugal » signé en décembre 1996 (pièce A-6), et il ne mentionne pas les versements effectués en 1995; par conséquent, il n’aide pas l’appelant, nonobstant son témoignage selon lequel il aurait tout aussi bien pu porter la date du premier mars 1995 ou celle du premier janvier 1996.

[25] Je conclus que le second accord écrit intitulé « Accord d’entretien des enfants » signé en avril 1997 (pièce A-7) constitue aussi un accord écrit. Cependant l’année d’imposition précédente au moment de sa signature est 1996. Par conséquent, cet accord n’aide pas l’appelant.

[26] L’avocate de l’intimée a renvoyé la Cour à de nombreuses décisions portant sur le paragraphe 60.1(3) de la Loi, qui disent toutes que pour qu’un accord soit visé par cette disposition, il doit être écrit et dûment signé et qu’il ne constitue pas un accord écrit tant qu’il n’a pas été signé. L’accord écrit peut se composer à la fois de documents signés par le contribuable et par sa conjointe.

[27] L’appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de février 1999.

« Gordon Teskey »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 3e jour de décembre 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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