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Date: 19990408

Dossier: 97-2633-IT-G

ENTRE :

LERRIC INVESTMENTS CORP.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] Il s'agit d'appels interjetés à l'encontre de cotisations pour les années d'imposition de 1990, 1991 et 1992 de l'appelante. La seule question en litige est de savoir si l'entreprise de l'appelante était une « entreprise de placement désignée » au sens de l'alinéa 125(7)e) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Si elle l'était, elle était exclue de la définition d' « entreprise exploitée activement » figurant à l'alinéa 125(7)a) et elle n'avait pas droit à la déduction accordée aux petites entreprises prévue au paragraphe 125(1).

[2] L'alinéa 125(7)e) se lisait comme suit:

e) « entreprise de placement désignée » exploitée par une corporation dans une année d'imposition désigne une entreprise (autre qu'une entreprise exploitée par une caisse de crédit ou une entreprise de location de biens autres que des biens immobiliers) dont le but principal est de tirer un revenu de biens (notamment des intérêts, des dividendes, des loyers ou des redevances), à moins

(i) que la corporation n'emploie dans l'entreprise tout au long de l'année plus de cinq employés à plein temps, ou

(ii) que, au cours de l'exploitation active de l'entreprise, toute autre corporation qui lui est associée ne lui fournisse, dans l'année, des services de gestion ou d'administration, des services d'ordre financier, des services d'entretien ou d'autres services semblables, et que l'on puisse raisonnablement s'attendre à ce que la corporation aurait besoin de plus de cinq employés à plein temps si ces services n'étaient pas fournis;

[3] Il est admis que le but principal de l'entreprise de l'appelante était de tirer un revenu de biens sous la forme de loyers. Il s'agit uniquement de déterminer si l'appelante employait tout au long de chacune des trois années en question plus de cinq employés à plein temps.

[4] L'appelante détenait des participations dans huit complexes résidentiels, dont elle était propriétaire avec d'autres copropriétaires ou co-entrepreneurs. Elle n'exploitait aucune de ces entreprises à titre d'associé d'une société de personnes.

[5] Le tableau suivant indique le nombre d'employés à plein temps qui étaient employés à chacun des complexes par les coentreprises dans lesquelles l'appelante détenait une participation; il indique aussi le pourcentage de participation détenu par l'appelante :

Coentreprise

Nombre d'employés

à plein temps

Pourcentage de participation

Sheridan Twins

4

16,67

The Diplomat Apartments

2

20,00

Humber Park Apartments

2

15,00

Lyon Manor

1

25,00

839, Roselawn

1

50,00

Ivory Towers

1

17,50

Hyland Park Apartments

1

15,00

Rhona Towers

3

20,00

[6] Ce tableau s'applique à 1990. Pour 1991 et 1992, les pourcentages restent les mêmes, sauf que le complexe Humber Park Apartments avait trois employés en 1991 et quatre en 1992.

[7] Si l'on applique le pourcentage de participation détenu dans chaque complexe au nombre d'employés à chaque complexe, il en résulte une attribution théorique, à la société Lerric, d'une partie d'employé à plein temps.

[8] Pour 1990, le calcul fait par l'appelante se présente comme suit :

Coentreprise

Nombre d'employés à plein temps

Pourcentage de participation

Nombre attribué à Lerric

Sheridan Twins

4

16,67

0,67

The Diplomat Apartments

2

20,00

0,40

Humber Park Apartments

2

15,00

0,30

Lyon Manor

1

25,00

0,25

839, Roselawn

1

50,00

0,50

Ivory Towers

1

17,50

0,18

Hyland Park Apartments

1

15,00

0,15

Rhona Towers

3

20,00

0,60

Lerric

2

100,00

2,00

Nombre total d'employés à plein temps

5,05

[9] Pour 1991 et 1992, la proportion change légèrement, car le complexe Humber Park Apartments avait trois employés en 1991 et quatre en 1992. Ainsi, le nombre attribué à Lerric à l'égard de Humber Park pour ces deux années était de 0,45 et de 0,60 respectivement, soit une attribution totale passant à 5,20 et à 5,35.

[10] Outre les employés travaillant aux divers complexes, deux employés travaillaient à plein temps pour l'appelante.

[11] L'appelante invoque le paragraphe 16 du bulletin d'interprétation IT-73R5. L'avocate de l'intimée dit qu'il faut également lire le paragraphe 15. Je reproduis les deux paragraphes :

15. La phrase « la société [...] emploie dans l'entreprise tout au long de l'année (d'imposition) plus de cinq employés à plein temps » signifie que l'employeur a au moins six employés qui font une pleine journée de travail (ou un poste de travail complet) tous les jours ouvrables de l'année d'imposition, exception faite des absences normales que sont les congés de maladie et les congés annuels. Les employés qui travaillent à temps partiel ne peuvent pas compter comme des employés à plein temps. Le plus souvent, l'employé à temps partiel travaille à des heures irrégulières ou durant des périodes intermittentes particulières, ou les deux, pendant un jour, une semaine, un mois ou une année, et ses services ne sont pas nécessaires pour la période (jour, semaine, mois ou année) de travail normale. Si des postes deviennent vacants en raison de cessations d'emploi qui réduisent temporairement l'effectif à moins de six employés à plein temps, cela n'empêche normalement pas la société de remplir la condition exigée, pourvu qu'elle prenne immédiatement des mesures pour rétablir son effectif normal et qu'elle ne tarde pas indûment à combler les vacances.

16. Par exemple, lorsque deux sociétés exploitent une entreprise à titre d'associés à parts égales d'une société de personnes qui emploie plus de cinq employés à plein temps, on considère, pour l'application de l'alinéa a) de la définition d' « entreprise de placement déterminée » donnée au paragraphe 125(7), que chaque associé emploie plus de cinq employés à plein temps. Par contre, lorsque les sociétés exploitent l'entreprise dans le cadre d'une coentreprise ou d'une autre forme de copropriété, le nombre total d'employés à plein temps qui travaillent pour l'entreprise doit être réparti entre les différents copropriétaires de celle-ci au prorata de leurs pourcentages respectifs de participation à l'entreprise.

[12] Un bulletin d'interprétation n'est évidemment pas une règle de droit, mais, en cas de doute, les usages administratifs peuvent être d'une certaine utilité (Harel v. D.M.R. of the Province of Quebec, 77 DTC 5438, aux pages 5441-5442).

[13] L'appelante soutient que, du fait qu'elle exploite l'entreprise avec les autres copropriétaires dans le cadre d'une coentreprise ou autre forme de copropriété, le nombre total d'employés travaillant pour ceux-ci doit être réparti au prorata du pourcentage de participation qu'elle détient dans chaque complexe. Il en résulte le calcul présenté précédemment.

[14] L'intimée invoque la décision rendue par le juge Muldoon, de la section de première instance de la Cour fédérale, dans l'affaire R. v. Hughes & Co. Holdings Ltd., [1994] 2 C.T.C. 170. Dans cette affaire-là, il s'agissait de savoir si la société exploitait une entreprise de placement désignée ou si elle était exclue de la définition de cette expression parce qu'elle employait plus de cinq employés à plein temps. La société avait en fait quatre employés à plein temps et plusieurs employés à temps partiel. Pour déterminer si la société avait plus de cinq employés à plein temps, il fallait répondre à la question de savoir si l'on pouvait ajouter au nombre total d'employés à plein temps le nombre d'employés à temps partiel (c.-à-d. 4+½+½+½+½ = 6). Le juge Muldoon a répondu que non. Je suis d'accord. Il semble évident que, lorsqu'il faut déterminer le nombre total d'employés à plein temps, le nombre d'employés à temps partiel ne peut être pris en compte.

[15] L'avocate de l'intimée se fonde sur un membre de phrase figurant dans les motifs du juge Muldoon, soit : « Étant donné que le sous-alinéa 125(7)e)(i) ne porte nullement sur les employés à temps partiel et encore moins sur une partie d'employé [...] » . Le passage que j'ai indiqué en italiques représente une opinion incidente. Je ne pense pas que la décision du juge Muldoon ait quelque application ici. En l'espèce, toutes les personnes employées par les coentreprises sont des employés à plein temps. Il s'agit de savoir si l'on peut attribuer à l'appelante des parties d'employés de manière à arriver à un total dépassant cinq. L'avocate de l'intimée soutient que « plus de cinq » signifie au moins six. D'un simple point de vue mathématique, ce n'est pas exact. Cinq virgule deux, c'est plus que cinq.

[16] Nous ne traitons toutefois pas d'abstractions mathématiques. Nous traitons d'une loi en vertu de laquelle une entreprise dans laquelle la société emploie plus de cinq employés à plein temps n'est pas considérée comme une entreprise de placement désignée. Il faut une certaine activité pour qu'une société ait besoin de plus de cinq employés à plein temps et qu'elle ait effectivement plus de cinq employés à plein temps. En l'espèce, nous avons essentiellement un investisseur détenant une participation minoritaire (sauf pour ce qui est du Roselawn, dans lequel sa participation est de 50 p. 100) dans huit complexes à l'égard desquels il partage les frais salariaux avec d'autres investisseurs. Le fait d'additionner des parties d'employés travaillant aux divers complexes dans lesquels l'appelante détient une participation de manière à arriver à un chiffre qui n'est supérieur à cinq que d'une fraction me semble irréaliste et non conforme à ce que j'estime être l'exclusion visée au sous-alinéa 125(7)e)(i), soit l'exclusion d'une société dont l'entreprise est suffisamment active pour avoir plus de cinq employés.

[17] La question ne peut faire l'objet d'une réponse toute faite et, quelle que puisse être la réaction que commande le bon sens, une analyse raisonnée est nécessaire. Dans l'analyse du problème, différentes approches peuvent être considérées.

[18] La première approche consiste à déterminer si la distinction faite au paragraphe 16 du bulletin d'interprétation IT-73R5 entre une société de personnes et une coentreprise est exacte. Si les sociétés A et B sont des associés d'une société de personnes et que cette dernière est propriétaire d'un immeuble résidentiel et emploie six employés à plein temps, le bulletin d'interprétation IT-73R5 dit que chaque associé est considéré comme employant six employés à plein temps. S'il s'agit de deux co-entrepreneurs, le bulletin d'interprétation IT-73R5 considère que chacun n'emploie que trois employés à plein temps. Il est quelque peu difficile de rationaliser cette distinction. Le fondement juridique de cette distinction est probablement, à tort ou à raison, qu'il existe une relation de mandat dans le cas d'associés mais généralement pas dans le cas de co-entrepreneurs. Cela n'est toutefois pas une réponse. Lorsque deux co-entrepreneurs ou copropriétaires embauchent une personne à plein temps pour un complexe, cette personne est un employé des deux, nonobstant l'absence d'une relation de mandat. Il est inexact de dire qu'une moitié de l'employé est employée par un des deux copropriétaires ou co-entrepreneurs et qu'une moitié est employée par l'autre.

[19] Cette analyse mènerait par contre à la conclusion étonnante que, si par exemple dix co-entrepreneurs détenaient des participations égales dans un complexe ayant six employés à plein temps, les dix co-entrepreneurs seraient considérés comme employant tous six employés à plein temps.

[20] Une analyse différente basée sur le paragraphe 16 du bulletin d'interprétation IT-73R5 ferait que chaque co-entrepreneur serait considéré comme ayant 0,6 employé à plein temps, mais, s'il s'agissait plutôt d'associés, ces derniers seraient considérés comme employant tous six employés à plein temps.

[21] Je trouve les deux résultats quelque peu absurdes. La règle reconnue est que, entre deux interprétations possibles dont l'une conduit à une absurdité, et l'autre pas, il faut choisir cette dernière (Victoria v. The Bishop of Vancouver, [1921] 2 A.C. 384). Ici, toutefois, nous avons deux résultats également absurdes. (Voir, de façon générale, ce que dit Ruth Sullivan au chapitre 3 de la troisième édition de Driedger on the Construction of Statutes.)

[22] L'approche que j'ai toujours trouvé utile est celle que le juge Cartwright (tel était alors son titre) a énoncée dans l'affaire Highway Sawmills Ltd. v. M.N.R., 66 DTC 5116, à la page 5120 :

[TRADUCTION]

La réponse à la question de savoir ce que constitue l'impôt payable dans des circonstances données dépend évidemment du libellé de la législation prévoyant l'impôt à payer. Lorsque le sens du libellé est difficile à établir, il peut être utile de déterminer entre deux interprétations alléguées laquelle des deux donne lieu à un résultat conforme à ce qui semble être l'objet de la législation.

Voir également : Re Rizzo & Rizzo Shoes Ltd., 221 N.R. 241, p. 257, par. 23.

[23] Quel est donc l'objet de la loi? Il semble que le concept d'entreprise de placement désignée ait été une réaction à certaines décisions des tribunaux assimilant à une entreprise exploitée activement presque toute entreprise commerciale d'une société, si peu activement qu'elle ait été exploitée et même lorsqu'elle était exploitée à contrat par des entrepreneurs indépendants, qui n'étaient pas des employés (voir, par exemple : The Queen v. Cadboro Bay Holdings Ltd.,77 DTC 5115 (C.F., 1re inst.); The Queen v. Rockmore Investments Ltd., 76 DTC 6157; E.S.G. Holdings Limited v. The Queen, 76 DTC 6158; The Queen v. M.R.T. Investments Ltd., 76 DTC 6158).

[24] Il en est résulté l'introduction du concept d'entreprise de placement désignée, dont le but était d'établir qu' « activement » signifiait vraiment activement et qu'il importait que les tribunaux tiennent bien compte de ce terme de la Loi. Cette nouvelle disposition législative avait donc pour objet de veiller à ce que l'entreprise d'une société investissant dans des biens locatifs ne soit pas considérée comme exploitée « activement » sans que l'activité de cette entreprise justifie l'emploi de plus de cinq employés à plein temps.

[25] Est-ce qu'une société détenant diverses participations dans un certain nombre de complexes a un tel niveau d'activité? Réalistement, je pense que l'appelante employait deux employés à plein temps et partageait les frais relatifs à quinze autres.

[26] Le paragraphe 16 du bulletin d'interprétation n'est pas nécessairement inexact dans toutes les circonstances. Il représente une tentative pratique pour traiter du problème de copropriété et il avantage sans aucun doute le contribuable en général. Il ne correspond toutefois qu'à un usage administratif, et on ne peut en étendre les lignes directrices au-delà des limites de la réalité. Attribuer des fractions d'employés (0,15 à 0,67) à un co-entrepreneur ou copropriétaire m'apparaît comme débordant le cadre de la réalité, et je serais étonné que l'auteur du bulletin, qui qu'il soit, ait envisagé la situation qui nous intéresse ici.

[27] Chaque cas dépend des faits qui lui sont propres, et je ne pense pas que l'intention ait été que des sociétés de placement immobilier investissant dans le cadre d'une coentreprise ou autre forme de copropriété soient toujours exclues du sous-alinéa 125(7)e)(i). Toutefois, il faut tirer la ligne là où le bon sens le dicte.

[28] Les appels sont rejetés, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour d'avril 1999.

« D. G. H. Bowman »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 25e jour de janvier 2000.

Benoît Charron, réviseur

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