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Date: 19990611

Dossier: 97-3525-IT-I

ENTRE :

MICHAEL STEWART,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Sarchuk, C.C.I.

[1] Il s’agit d’appels interjetés par Michael Stewart à l’encontre de cotisations d’impôt établies à l’égard de ses années d’imposition 1994 et 1995. La question à trancher est de savoir si l'appelant peut utiliser dans le calcul de son crédit d’impôt non remboursable et de son impôt payable à l’égard des années en question le crédit d’impôt pour déficience mentale ou physique inutilisé qui lui a été transféré de son épouse aux termes de l’article 118.8 de la Loi de l'impôt sur le revenu(la “ Loi ”). Le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a refusé la déduction pour le motif que l’épouse de l'appelant ne souffrait pas d’une déficience mentale ou physique grave et prolongée qui limitait de façon marquée sa capacité d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne au sens du paragraphe 118.4(1) de la Loi, et que, par conséquent, elle ne pouvait pas réclamer un crédit d’impôt en vertu du paragraphe 118.3(1) de la Loi.

[2] Le paragraphe 118.3(1) de la Loi prescrit :

118.3(1) Le produit de la multiplication de 4 118 $ par le taux de base pour l’année est déductible dans le calcul de l’impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d’imposition, si les conditions suivantes sont réunies :

a) le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée;

a.1) les effets de la déficience sont tels que la capacité du particulier d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée;

a.2) un médecin en titre ou, s’il s’agit d’une déficience visuelle, un médecin en titre ou un optométriste atteste, sur formulaire prescrit, que le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée dont les effets sont tels que sa capacité d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée;

b) le particulier présente au ministre l’attestation visée à l’alinéa a.2 pour une année d’imposition;

c) aucun montant représentant soit une rémunération versée à un préposé aux soins du particulier, soit des frais de séjour du particulier dans une maison de santé ou de repos, n’est inclus par le particulier ou par une autre personne dans le calcul d’une déduction en application de l’article 118.2 pour l’année (autrement que par application de l’alinéa 118.2(2)b.1)).

[3] Le paragraphe 118.4(1) définit la nature d’une déficience de la manière suivante :

118.4(1) Pour l’application du paragraphe 6(16), des articles 118.2 et 118.3 et du présent paragraphe :

a) une déficience est prolongée si elle dure au moins 12 mois d’affilée ou s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’elle dure au moins 12 mois d’affilée;

b) la capacité d’un particulier d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée seulement si, même avec des soins thérapeutiques et l’aide des appareils et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours aveugle ou incapable d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif;

c) sont des activités courantes de la vie quotidienne pour un particulier :

(i) la perception, la réflexion et la mémoire,

(ii) le fait de s’alimenter et de s’habiller,

(iii) le fait de parler de façon à se faire comprendre, dans un endroit calme, par une personne de sa connaissance,

(iv) le fait d’entendre de façon à comprendre, dans un endroit calme, une personne de sa connaissance,

(v) les fonctions d’évacuation intestinale ou vésicale,

(vi) le fait de marcher;

d) il est entendu qu’aucune autre activité, y compris le travail, les travaux ménagers et les activités sociales ou récréatives, n’est considérée comme une activité courante de la vie quotidienne.

[4] L’appelant, son épouse, Maryann Bernadette Stewart (“ Maryann ”) et son médecin de famille actuel, le Dr Noor Mohammed Khan, ont témoigné lors de l’audition des présents appels.

[5] Le 13 mars 1987, Maryann était passagère dans une automobile qui a été impliquée dans un accident de la route. Elle a subi diverses blessures, dont les plus importantes étaient une fracture ouverte du poignet droit et une fracture temporo-mandibulaire. Maryann a subi une première opération au poignet et, plusieurs jours plus tard, une réduction à peau fermée de la fracture de la mâchoire. Sa mâchoire a alors été immobilisée avec des fils métalliques. Le 5 mai 1988, elle a subi “ une dilatation du nerf médian et du nerf cubital dans un bras ”. La fracture de la mâchoire a continué à lui causer de grandes difficultés, et, au mois d’août 1988, elle a subi une chirurgie arthroscopique aux deux articulations temporo-mandibulaires, (c’est-à-dire aux articulations de la mâchoire). La douleur n’a pas diminué, et, pour employer les termes de l'appelant, au mois d’août 1989 “ elle a subi une condylectomie au cours de laquelle le chirurgien a enlevé l’articulation droite de la mâchoire qui lui entrait dans la tête et a installé des implants en plastique dans les deux articulations de la mâchoire pour créer un espace entre la mâchoire et la facette glénoïde ”. L’état de son épouse ne s’est pas amélioré, et elle a subi une autre opération en octobre 1992 au cours de laquelle on lui a enlevé une côte “ que l’on a façonnée pour en faire une articulation de la mâchoire et que l’on a greffée à la mâchoire ” en “ la fixant avec des vis et une plaque de titane couvrant le côté droit de la mâchoire de l’oreille au menton ”. Cette opération, semble-t-il, a peu ou pas réduit son inconfort et, le 28 novembre 1996, un spécialiste a enlevé la plaque.

[6] L'appelant a déclaré dans le cadre de son témoignage que Maryann souffre d’une maladie dégénérative ainsi que d’arthrose à la mâchoire. Il a fait valoir qu’un certain nombre de complications médicales, notamment la dépression causée par un déséquilibre chimique, les douleurs myo-fasciales, la douleur chronique causée par les ennuis avec l’articulation temporo-mandibulaire, l’insomnie, le syndrome de stress post-traumatique et la fibromyalgie affectent sa vie quotidienne. Selon l'appelant, une myriade de médecins avaient posé les diagnostics susmentionnés, à un moment ou un autre avant les années d’imposition en l’espèce, et, dans certains cas, après. Il a dit qu’il ne se passe pas une journée où elle n'est pas affectée par l’une ou l’autre des difficultés suivantes : ses glandes vont enfler, elle aura des ennuis avec ses sinus ou de la difficulté à avaler, elle aura des étourdissements, elle va suer ou éprouvera de sérieuses raideurs et douleurs au dos. Sa préhension est faible et elle échappe les objets, elle a des maux de dents inexplicables, elle est sensible au froid, à la chaleur, à l’humidité et aux variations de pression atmosphérique, sa vision est trouble et elle souffre d’acouphène. Elle a des crises de panique, est parfois confuse, son côlon et sa vessie sont irritables et elle a des sautes d’humeur. Elle a de la difficulté à s’exprimer et sa mémoire à court terme est altérée. Elle devient confuse et désorientée. En ce qui concerne les divers ennuis susmentionnés, l'appelant soutient qu’ils sont tous liés à la douleur constante dont elle souffre et que les symptômes sont “en définitive, des conséquences de la douleur et de la médication ”.

[7] Il me semble nécessaire de mentionner que la preuve sur les antécédents médicaux de Maryann provient presque exclusivement de l'appelant. Il n’a aucune expérience en médecine ou dans les domaines connexes mais il semble avoir bien compris en général la nature des troubles médicaux qui affectent son épouse et il se sent à l’aise avec la terminologie médicale. L'appelant avait apparemment en sa possession d’autres rapports d’examen médical que celui rédigé par le Dr Khan et d’autres documents, mais il n’en a produit aucun en preuve. De fait, il m’a donné l’impression qu’il ne voulait pas citer les autres médecins à témoigner et il ne l’a fait dans le cas du Dr Khan que parce que la Cour l’a demandé. Bien que je ne sois pas prêt à rejeter carrément la preuve de l'appelant, je dois tenir compte de ce fait quand je détermine le poids à accorder à son témoignage.

[8] L'appelant fait valoir que les déficiences de Maryann : “ étaient et sont tellement graves que toutes ses activités de base, excusez-moi, toutes ses activités courantes de la vie quotidiennes sont affectées. ” Plus particulièrement, elle est incapable de marcher, quelle que soit la distance, sans éprouver de la douleur et, la plupart du temps, s’appuyer sur une canne. Elle ne sort de la maison que pour se rendre au bureau du médecin et a alors nécessairement besoin de l’aide de son mari. Elle ne peut pas s’occuper du ménage, des courses ou de la cuisine. L'appelant se charge de la plupart de ces tâches ainsi que de toutes les autres obligations domestiques, comme s'occuper de leur fille. Il a déclaré que Maryann a de la difficulté à parler “ en raison de ses ennuis à la mâchoire qui lui causent des douleurs sérieuses, elle devient anxieuse, l’anxiété lui cause de la douleur, et ainsi de suite ” et il soutient qu’elle est incapable de comprendre complètement ce qui se passe avec les “ questions familiales ” et qu’il doit également s’en occuper.

[9] Dans son témoignage, Maryann a décrit d’une façon générale les difficultés qu’elle a éprouvées pendant la période commençant avant les années d'imposition en l’espèce et se poursuivant jusqu’à aujourd’hui. Elle a déclaré :

[TRADUCTION]

“ [...] et ces ennuis m’ont toujours empêchée de mener une vie normale et je ressens maintenant la douleur dans toutes les parties de mon corps ” et “ d’une journée à l’autre, je ne sais pas comment je vais me sentir et je ne sais pas comment je peux travailler parce que comment vais-je savoir que je suis malade, que je vais être malade, quand je peux marcher quand je ne peux pas marcher ou quand ma tête enfle.

Tout ce que je sais, c’est que les difficultés ont commencé il y a de nombreuses années, en 1993, et qu’elles se sont beaucoup aggravées depuis 1993 ”.

Elle a mentionné que la douleur est parfois insupportable et a indiqué qu’elle était tellement atroce à un moment donné que le médecin de la clinique antidouleur lui a prescrit de la morphine. Elle a déclaré dans son témoignage que la douleur l’empêche par exemple de jouer avec son enfant, de vaquer aux tâches domestiques normales, etc. Elle déteste le fait de ne pouvoir sortir du tout de la maison en hiver parce que le froid exacerbe ses malaises. Elle a l’impression de monopoliser l’attention des autres et se plaint d’avoir perdu son autonomie. Elle se dit incapable de magasiner seule parce qu’elle craint les chutes et déclare être confuse parce qu’elle ne sait pas si elle va se rétablir.

[10] Le témoignage de Maryann ne nous aide pas vraiment à comprendre quel était son état durant les années d'imposition en l’espèce. Je ne pense pas qu’elle ait délibérément cherché à cacher la vérité, mais il ressort de son témoignage qu’elle a évidemment de la difficulté à organiser sa pensée. Elle a déclaré que la douleur s’intensifiait d’année en année, mais, quand on lui demande s’il lui fallait de l’aide pour “ se déplacer dans la maison ” durant ces années, elle répond : “ Je ne pense pas. Je ne sais pas ”. Elle a mentionné qu’elle ne pouvait pas “ se souvenir des années 1994 et 1995 ” à part du fait que “ ma fibromyalgie avait probablement commencé à m’affecter en 1993 et que mon état s’était détérioré par la suite. Je suis incapable de me concentrer sur 1994 et 1995, et tout ce dont je me souviens c’est que mon état a empiré à partir de 1993. Mais les détails, je les ai oubliés. ”

[11] Le Dr Khan est omnipraticien et le médecin de famille de Maryann depuis 1994. Il l’a vue la première fois le 25 mars puis le 30 mars. Le Dr Khan décrit Maryann comme une personne qui souffrait alors de graves douleurs et marchait lentement. Durant l’examen, elle était tout en pleurs, anxieuse, se plaignait du fait que la douleur était insupportable et que personne ne l’aidait. Elle a mentionné qu’il lui était difficile de marcher, de s’asseoir et qu’elle croyait que ses ennuis étaient en grande partie liés à l’accident de voiture survenu en 1987. Au cours de l’examen, le Dr Khan a aussi appris qu’un psychiatre avait prescrit un antidépresseur à Maryann deux ou trois années auparavant. D’après la dose prescrite à l’époque, le Dr Khan a été en mesure de déterminer que Maryann était alors “ passablement dépressive ”. Compte tenu des antécédents de Maryann, le Dr Khan lui a suggéré de consulter le Dr J.G. Frain, un rhumatologue. Le Dr Frain a effectué son examen, fourni un rapport au Dr Khan et prescrit un anti-inflammatoire pour Maryann.[1] Comme l’anti-inflammatoire ne parvenait pas à réduire la douleur de Maryann, le Dr Khan l’a envoyée au Dr Cruickshank à la clinique antidouleur du Health Sciences Centre. Le Dr Cruickshank a prescrit un analgésique et fourni un bref rapport au Dr Khan.[2]

[12] Le Dr Frain se spécialise en médecine interne et en rhumatologie. Dans le rapport qu’il a remis au Dr Khan, il fait état de ce qui suit :

[TRADUCTION]

...Elle présente une combinaison intéressante de signes, de symptômes et d’antécédents qui me portent à poser un diagnostic combiné. La douleur qu’elle ressent à la mâchoire et au visage est sans doute due en grande partie à l’ancien traumatisme, et les nombreuses interventions chirurgicales peuvent probablement contribuer à certains des symptômes secondaires de fibromyalgie musculaire. Quoi qu’il en soit, elle présente des signes secondaires de difficultés inflammatoires et certains tests de laboratoire ne sont pas totalement normaux. J’espère que la prochaine opération à la mâchoire et à la tête sera la dernière, et que certains des autres inconvénients disparaîtront. L’arthrite inflammatoire que j’ai remarquée pourrait être traitée avec des agents non stéroïdes. Pour le moment, j’ai suggéré à la patiente de prendre du Tolectin DS t.i.d., bien que le Ketoprofen qu’elle prenait auparavant semble avoir eu de modestes résultats positifs. J’ai pensé que vous pourriez continuer le traitement.

Depuis les quelques derniers mois, ses pieds et ses mains lui causent de la douleur et enflent, et c’est le seul changement à survenir récemment dans son état. On lui avait prescrit de l’Arthrotec pour une partie de la douleur au visage juste avant que ses pieds et ses mains commencent à lui causer de la douleur et à enfler, et elle était portée à imputer l’apparition de ces nouveaux ennuis à ce médicament. Je crois qu’il s’agit d’une coïncidence puisque je n’ai observé aucune autre réaction négative particulière au médicament. À tout événement, le médicament n’a pas empêché l’apparition de l’enflure aux doigts. Les pieds, les genoux, et les chevilles ont également enflé légèrement. Ces ennuis n’ont fait qu’aggraver la détresse qui l’affecte depuis quelque temps. Il y a sept ans, elle a été victime d’un accident de la route et subi de multiples blessures, notamment une fracture de la mâchoire. Malgré une série d’opérations, la mâchoire n’a pas encore repris sa position naturelle et elle lui cause toujours des douleurs. Lors de l’examen, une autre opération était prévue qui pourrait réussir à améliorer son état. Elle a aussi subi une blessure à l’avant-bras droit. La blessure est maintenant guérie, mais elle ressent encore un peu de douleur dans l’avant-bras. La pronation et la supination sont limitées jusqu’à un certain point. En ce moment, elle ressent constamment une douleur, qui s’intensifie la nuit, dans la 4e et la 5e articulation métacarpo-phalangienne droite ainsi que dans la 2e et la 3e articulation interphalangienne et une douleur moins intense dans les doigts de la main gauche. Elle ressentait de la douleur dans les genoux et les chevilles qui étaient peut-être légèrement enflés.

Malgré un certain inconfort, son cou était passablement mobile dans les régions musculo-squelettiques, et je n’ai remarqué aucune distorsion. Son dos était essentiellement normal. Rien à signaler au niveau des épaules et des coudes. L’amplitude de la pronation-supination dans l’avant-bras droit est peut-être à la moitié ou au deux tiers de la normale. Les poignets et plusieurs articulations des doigts étaient légèrement sensibles et enflés. L’amplitude et la force étaient passablement bien conservées. Les hanches et les genoux étaient essentiellement normaux. Les pieds et les chevilles étaient à peine enflés et sensibles. Comme on le remarque généralement chez les personnes soufrant de fibromyalgie, elle avait quelques points névralgiques à divers endroits dans le dos.

[13] Le Dr Frain a conclu que :

[TRADUCTION]

...elle présente des signes minimes d’un début de polyarthrite, les tests de laboratoire sont plutôt équivoques, mais elle a un taux de sédimentation de 30 et des anticorps antinucléaires de faible titre et probablement des anticorps anti-ADN. Rien n’indique que les organes vitaux sont affectés et cet aspect pourrait être traité avec des agents non stéroïdes. Ils ont l’avantage d’être potentiellement utiles pour soulager la douleur qu’elle ressent encore à la suite de l’ancien traumatisme et, en ce qui concerne les éléments fibromyalgiques surajoutés, des agents tricycliques, que l’on considère ordinairement comme des antidépresseurs, pourraient également se révéler utiles.

[14] Dans son rapport envoyé au Dr Khan, le Dr Cruickshank de la clinique antidouleur fournit peu de renseignements sur la condition de Maryann, sauf qu’il mentionne qu’elle a de la difficulté à dormir et qu’ “ un court test psychologique permettrait peut-être de diagnostiquer d’autres malaises ”.

[15] Dans le Certificat pour le crédit pour personnes handicapées daté du 13 mars 1996,[3] le Dr Khan a mentionné que les activités de la vie courante de Maryann, particulièrement le fait de marcher et ses fonctions mentales, étaient limitées d’une façon marquée. Il a ajouté que, s’il lui était nécessaire de marcher, elle serait capable de le faire en s’appuyant sur une canne et que s’il lui était nécessaire de penser, de percevoir ou de se souvenir, elle pourrait y parvenir en prenant des médicaments ou en suivant une thérapie. Le 18 décembre 1996, le Dr Khan a rempli deux Questionnaires pour le crédit pour personnes handicapées. Dans le premier, il donne son opinion sur les fonctions cognitives de Maryann. Il a mentionné qu’elle souffrait de dépression et qu’elle ne pouvait vivre de façon autonome, mais qu’il ne lui fallait pas une supervision constante pour ses soins personnels. Il a ajouté qu’elle devait prendre des médicaments pour une dépression mais que son état n’était pas contrôlé par le traitement et que “ la médication avait peu d’effet sur elle ”.[4] Le second questionnaire portait sur sa capacité à marcher. Le Dr Khan a noté qu’elle était obligée de garder le lit “ la plupart du temps ” mais qu’elle pouvait marcher en prenant des périodes de repos, bien que, selon lui, il lui fallait, à certaines périodes, consacrer un temps excessif à cette activité courante.[5]

[16] Le Dr Khan a déclaré que Maryann se présentait à son bureau toutes les deux semaines ou presque. Lors de ces visites, elle se plaignait constamment de la douleur, et il a pu remarquer qu’il lui était difficile d’entrer dans le bureau, qu’il lui fallait de l’aide pour atteindre la table d’examen et même pour se lever du fauteuil. Il a aussi remarqué qu’“ elle se tient la mâchoire la plupart du temps ”. En octobre 1996, le Dr Khan a demandé à Maryann de consulter le Dr Hanson, un psychiatre, à propos de ses symptômes dépressifs. Le bref rapport remis au Dr Khan nous éclaire peu sur l’état de Maryann durant les années d'imposition en l’espèce et n’aide pas la Cour à déterminer l’étendue de la déficience de Maryann aux fins de l’application des articles pertinents.

[17] Il semble ressortir du témoignage du Dr Khan que la déficience de Maryann est principalement reliée à la douleur causée par les malaises à la mâchoire et à ce que le Dr Khan a décrit comme la “ douleur fibromyalgique ”. Il a déclaré que la douleur fibromyalgique est en grande partie causée par traumatisme et parfois par tension et que le traitement consiste généralement d’anti-inflammatoires et d’anti-dépresseurs. Dans le cas de Maryann, la médication qui lui a été prescrite durant les années en question incluait à une certaine période de la morphine, ce qui, selon le Dr Khan, indique que son niveau d’inconfort était substantiellement élevé. Il a aussi fait remarquer que son état semblait se détériorer progressivement tant sur le plan de l’acuité de la douleur que celui de la dépression qui semblait devenir plus sérieuse. Le Dr Khan a noté que, si Maryann a une crise de douleur, elle est incapable de faire quoi que ce soit et quand elle est dans son bureau “ elle ne fait rien que pleurer et rester immobile dans un fauteuil ”.

[18] La question que je dois trancher n’est pas de savoir si l’épouse de l'appelant souffre des divers ennuis de santé que l’on m’a décrits. Il s’agit plutôt de déterminer si ces ennuis la rendent incapable au point qu’elle ne peut plus accomplir une activité courante de la vie quotidienne telle que cette expression est définie dans le paragraphe 118.4(1) de la Loi. Comme l’a dit le juge Bowman de la C.C.I. dans l'affaire Radage v. The Queen[6] :

L’intention du législateur semble être d’accorder un modeste allégement fiscal à ceux et celles qui entrent dans une catégorie relativement restreinte de personnes limitées de façon marquée par une déficience mentale ou physique. L’intention n’est pas d’accorder le crédit à quiconque a une déficience ni de dresser un obstacle impossible à surmonter pour presque toutes les personnes handicapées. On reconnaît manifestement que certaines personnes ayant une déficience ont besoin d’un tel allégement fiscal, et l’intention est que cette disposition profite à de telles personnes.

[...]

Pour donner effet à l’intention du législateur, qui est d’accorder à des personnes déficientes un certain allégement qui atténuera jusqu’à un certain point les difficultés accrues avec lesquelles leur déficience les oblige à composer, la disposition doit recevoir une interprétation humaine et compatissante.

[19] En l’espèce, il est évident que la dépression, la douleur découlant de ses blessures et les malaises connexes dus à la fibromyalgie constituaient les principaux ennuis de l’épouse de l'appelant. La longue énumération des multiples symptômes de son épouse et l’incapacité, pour ne pas dire la réticence, de l'appelant à traiter particulièrement des années d’imposition en l’espèce, ont, en fait, nuit à sa cause. Les témoignages des médecins qui ont traité Maryann pour sa dépression, sa douleur et sa fibromyalgie auraient été d’une aide substantielle à la Cour. Il aurait été particulièrement utile d’entendre les médecins sur la question de la dépression, qui, comme tout le monde le sait, peut être traitée avec divers degrés de succès. L'appelant n’ayant pas fourni toute la preuve disponible, la tâche de la Cour n’a pas été facile, mais le témoignage du Dr Khan et celui de Maryann étayent la conclusion selon laquelle elle était tout le temps ou presque tout le temps, même si elle suivait une thérapie ou prenait les médicaments prescrits, incapable d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne, soit dans son cas, la perception, la réflexion et la mémoire. Après avoir pesé le pour et le contre, j’ai conclu sans trop d’hésitation que le présent appel devait être admis.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de juin 1999.

A.A. Sarchuk ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 14e jour d'avril 2000.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               PièceA-4, rapport du Dr Frain daté du 18 mai 1994.

[2]               Pièce A-5, rapport du Dr Cruickshank daté du 2 mai 1994.

[3]               Pièce A-2.

[4]               Pièce A-1 – Questionnaire pour le crédit pour personnes handicapées.

[5]               Pièce A-3.

[6]               [1996] 3 C.T.C. 2510; confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l'affaire Johnston v. The Queen, 98 DTC 6169.

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