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Date: 20001122

Dossier: 98-2463-GST-G

ENTRE :

SIRA ENTERPRISES LTD., personne morale, dûment constituée en vertu des lois du Nouveau-Brunswick,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Margeson, C.C.I.

[1] Par voie d’avis de cotisation no 01FE0000013 en date du 5 septembre 1997, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a établi à l’égard de l’appelante une cotisation de taxe de 49 913,36 $ relativement à des déclarations de taxe sur les produits et services (“ TPS ”) pour la période allant du 1er juillet au 31 décembre 1995. L’appelante a interjeté appel devant notre cour.

[2] Au début du procès, les parties ont produit un exposé conjoint des faits, qui se lit comme suit :

[TRADUCTION]

EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS

L’appelante, Sira Enterprises Ltd., et l’intimée, Sa Majesté la Reine, par l’entremise de son avocat, conviennent des faits suivants, étant toutefois entendu :

que ces faits ne sont admis qu’aux fins de la présente espèce;

que les parties pourront présenter des éléments de preuve supplémentaires non contraires à ces faits.

Sira Enterprises Ltd. (ci-après appelée “ Sira ”) est une société immatriculée, conformément aux lois du Nouveau-Brunswick, dont l’établissement principal est situé à l’adresse suivante : 465, rue L’Avant Garde, Dieppe, comté de Westmorland (Nouveau-Brunswick).

Sira est propriétaire des immeubles d’habitation suivants :

un immeuble de 16 appartements qui est situé au 35, promenade Fairlane, Moncton (Nouveau-Brunswick), dont la construction a été achevée le 1er août 1995 ou vers cette date et qui a été occupé pour la première fois le 1er août 1995 ou vers cette date;

un immeuble de 24 appartements situé au 150, chemin Mapleton, Moncton (Nouveau-Brunswick), dont la construction a été achevée le 1er septembre 1995 ou vers cette date et qui a été occupé pour la première fois le 1er septembre 1995 ou vers cette date;

un immeuble de 24 appartements situé au 170, chemin Mapleton, Moncton (Nouveau-Brunswick), dont la construction a été achevée le 1er octobre 1995 ou vers cette date et qui a été occupé pour la première fois le 1er octobre 1995 ou vers cette date;

un immeuble de 24 appartements situé au 180, chemin Mapleton, Moncton (Nouveau-Brunswick), dont la construction a été achevée le 1er novembre 1995 ou vers cette date et qui a été occupé pour la première fois le 1er novembre 1995 ou vers cette date;

un immeuble de 24 appartements situé au 200, chemin Mapleton, Moncton (Nouveau-Brunswick), dont la construction a été achevée le 1er décembre 1995 ou vers cette date et qui a été occupé pour la première fois le 1er décembre 1995 ou vers cette date;

un immeuble de 24 appartements situé au 190, chemin Mapleton, Moncton (Nouveau-Brunswick), dont la construction a été achevée le 15 décembre 1995 ou vers cette date et qui a été occupé pour la première fois le 15 décembre 1995 ou vers cette date.

Conformément aux dispositions de la Loi sur la taxe d’accise, Sira a déclaré la fourniture desdits immeubles d’habitation, soit une fourniture réputée faite à soi-même qui devait en vertu de la loi être déclarée au receveur général au plus tard le 31 janvier 1996.

Sira a utilisé une valeur de 36 757 $ par appartement aux fins du calcul de la TPS.

Au cours de l’année 1996, un vérificateur de Revenu Canada est allé au bureau d’affaires de Sira pour discuter de l’évaluation des immeubles d’habitation déterminée par Sira, aux fins du calcul de la taxe sur les produits et services (TPS), et les registres relatifs aux frais engagés pour la construction des immeubles d’habitation ont alors été mis à la disposition du vérificateur.

Le 5 septembre 1997, un avis de cotisation portant le numéro 01FE0000013 a été délivré à Sira, en vertu de la Loi sur la taxe d’accise, au titre du compte de TPS no 135169696, pour la période allant du 1er juillet au 31 décembre 1995.

Au cours de l’année 1997, Sira a bel et bien rencontré un évaluateur immobilier de Revenu Canada à l’emplacement des immeubles d’habitation pour discuter de la nature des dépenses et des revenus alors générés par les immeubles d’habitation.

Le 5 septembre 1997, Revenu Canada a délivré un avis de (nouvelle) cotisation fixant à 49 913,36 $ le montant de la TPS impayée, sur la base d’un état des rajustements de vérification fourni à Sira par Revenu Canada le 18 août 1997.

Le montant de 49 913,36 $ représentait un calcul de TPS fondé sur une évaluation des appartements des immeubles d’habitation indiquant une valeur de 42 000 $ par appartement.

Le 22 septembre 1997, Sira a présenté à Revenu Canada un avis d’opposition à la (nouvelle) cotisation.

Le 18 août 1998, la division des appels de Revenu Canada a rejeté l’avis d’opposition de Sira et a ratifié la (nouvelle) cotisation de 49 913,36 $ en date du 5 septembre 1997.

Le 23 décembre 1997, Sira a, sauf recours, payé à Revenu Canada la somme de 49 913,36 $, plus les intérêts courus, soit un montant total de 50 288,19 $.

FAIT le 25e jour de septembre 2000.

En outre, les parties ont produit des éléments de preuve de vive voix et ont déposé des rapports d’expert conformément aux Règles de la Cour canadienne de l’impôt (les “ Règles ”).

[3] L’appelante a présenté comme témoin en l’espèce M. Aris Vautour, qui était propriétaire exploitant et président de Sira Enterprises Limited (“ Sira ”).

[4] M. Vautour a d’abord fait des études secondaires au Nouveau-Brunswick, puis, en 1971, il a obtenu un baccalauréat en commerce (administration). Il a travaillé comme vérificateur de l’impôt pour Revenu Canada pendant deux ans et demi. En outre, il a été agent de prêts pour la BEI et a ensuite été comptable pour une société de construction et un fournisseur de matériaux de construction, dans les années 1970. Après cela, il s’est lancé dans le domaine de la construction avec A.V. Construction Ltd. (“ A.V. ”), qui se spécialisait dans la construction d’immeubles d’habitation et qui s’est ensuite spécialisée dans la construction d’immeubles commerciaux. Sira, constituée en 1992, oeuvrait dans la construction de logements par l’intermédiaire d’une autre société, A.V. M. Vautour était président et actionnaire principal de Sira. Cette société est maintenant propriétaire de 65 logements.

[5] En 1995, Sira a commencé à construire les immeubles d’habitation qui sont mentionnés dans l’exposé conjoint des faits et qui font l’objet du présent appel. Ces immeubles ont été construits par A.V. pour Sira. Au cours de l’année en question, c’est le seul travail qui a été accompli par A.V.

[6] M. Vautour a dit qu’il avait une certaine expérience en matière d’autocotisation aux fins de la TPS. En 1990, il avait réalisé un projet qui était exonéré de l’application de la TPS. Il avait demandé un remboursement pour chaque trimestre, et des représentants de Revenu Canada lui avaient rendu visite au sujet de l’autocotisation à laquelle il avait procédé. Ces autocotisations se rapportaient à des projets réalisés à Newcastle et à Dieppe (Nouveau-Brunswick). Elles avaient posé des problèmes. Concernant l’immeuble de Dieppe, une nouvelle cotisation avait été établie à l’égard de M. Vautour. Ce dernier avait fait opposition à cette nouvelle cotisation, qui était ensuite passée à l’étape de l’appel, puis les parties étaient parvenues à un compromis.

[7] Pour ce qui est des projets en cause dans la présente espèce, M. Vautour avait aussi procédé à des autocotisations fondées essentiellement sur les mêmes chiffres qu’il avait utilisés à des fins d’évaluation à l’égard des immeubles précédents, parce que les coûts étaient essentiellement les mêmes. Il a dit : [TRADUCTION] “ Mes frais étaient semblables dans les deux cas, et ces chiffres ne me faisaient aucunement problème. Je m’occupe toujours de coûts. J’ai des registres complets. ” À de telles fins, il avait conclu que le coût unitaire était de 36 525 $, auquel il avait ajouté 2 573 $ de TPS par unité, ce qui donnait au total 39 098 $, à des fins de capitalisation.

[8] On a renvoyé ce témoin à la pièce A-1, admise par consentement, et notamment à la partie A de l’onglet 2, qui contenait une feuille de travail indiquant les immobilisations acquises par Sira, lesquelles totalisaient 5 317 264,51 $, au cours de l’année 1995. Dans la partie B de cette pièce, M. Vautour faisait état des immobilisations acquises par Sira au cours de l’année se terminant le 31 décembre 1995, selon une répartition par catégories comme le revêtement de sol, l’aménagement paysager, les appareils et le terrain. Dans la partie C de cette pièce, il indiquait ce que le terrain avait coûté à Sira au 31 décembre 1995 pour le projet du chemin Mapleton (le projet “ Mapleton ”), soit un montant total de 525 000 $. Sur ce montant, 67 p. 100 étaient attribués au projet Mapleton et 33 p. 100 à des logements individuels et à des duplex. Ces derniers immeubles n’ont rien à voir avec la présente espèce.

[9] Ce témoin a dit qu’il avait à l’égard de ces immeubles des documents justificatifs contenus dans plusieurs boîtes. Il avait accompli le travail relatif aux registres et avait examiné les registres avec ses comptables. Il connaissait bien les coûts, ainsi que tous les documents correspondant aux montants mentionnés. Il a dit : [TRADUCTION] “ Ce sont les coûts exacts. Tout a été inclus. Il s’agit des sommaires définitifs des documents contenus dans les boîtes. Les coûts sont exacts. ”

[10] Il avait utilisé des chiffres relatifs au projet précédent dans l’autocotisation pour le projet Mapleton. Encore là, il a dit que les chiffres précédents étaient semblables aux chiffres relatifs à ses coûts pour le projet en cause. Il avait utilisé une valeur de 36 757 $ par unité aux fins du calcul de la TPS, quoique cela ait été un peu plus élevé que le montant déterminé à partir des frais effectivement engagés à l’égard du projet Mapleton.

[11] Au cours du contre-interrogatoire, il a dit qu’il avait fait faire des évaluations immobilières concernant ces projets et que, toutefois, il ne les avait pas fournies à Revenu Canada. On l’a renvoyé à la pièce R-1, admise par consentement, du recueil de documents de l’intimée, et notamment à l’onglet 17, soit une note qui avait été envoyée à Revenu Canada au sujet de ce projet. La note était datée du 23 juillet 1998. Dans ce document, M. Vautour disait que, une fois achevée, la propriété lui avait coûté 36 536 $ par unité. Il faisait remarquer que la méthode des ventes comparables utilisée pour calculer la valeur était inexacte parce que la vente n’avait pas eu lieu à l’époque de l’achèvement de l’immeuble. Les immeubles étaient exploités depuis un certain nombre d’années lorsque la vente a eu lieu. M. Vautour mettait également en question le taux de capitalisation de 10,5 p. 100 utilisé par le ministère et demandait pourquoi le taux de capitalisation n’aurait pas dû être plus élevé. Il ignorait où il avait obtenu le montant de 36 536 $ par unité. Le montant de 36 757 $ était le premier que M. Vautour avait présenté à Revenu Canada, lorsque la cotisation était considérée, et ce montant était basé sur le projet Mapleton. Il y avait une différence de 221 $, ce qui représentait pour l’ensemble du projet une différence d’environ 30 000 $ comprenant à peu près 2 100 $ de TPS.

[12] On a renvoyé M. Vautour à la pièce R-2, soit le jugement Young v. City of Moncton, rapporté dans 66 L.C.R., à la page 247. Le montant présenté à Revenu Canada par M. Vautour a été présenté environ trois semaines avant l’audition de l’affaire. À la page 251 de ce jugement, il est dit que M. Vautour a admis qu’il avait utilisé le montant de 39 097 $ par unité comme coût du projet Mapleton. Le juge du procès faisait remarquer que la valeur unitaire selon la méthode du coût était beaucoup plus élevée que le coût unitaire effectif pour la partie appelante. M. Vautour a admis que cela différait du montant de 36 757 $ par unité, mais il a dit que Revenu Canada n’était pas d’accord sur ce montant.

[13] On l’a renvoyé à la page 6 de l’onglet 1 de la pièce R-1, soit des notes afférentes aux états financiers (non vérifiés) de Sira au 31 décembre 1995. Il connaissait bien les montants hypothécaires et le montant de 634 249 $. Cela représentait environ 85 p. 100 de financement pour le projet. M. Vautour a dit que les 15 p. 100 restants étaient de l’autofinancement. Les 85 p. 100 se rapprochaient de son coût effectif. La Société canadienne d’hypothèques et de logement avait, d’après lui, effectué ses propres évaluations.

[14] Au cours du réinterrogatoire principal, il a dit que, dans l’affaire Young, précitée, il n’avait pas été un témoin de son avocat actuel et qu’on lui avait demandé quels étaient ses coûts effectifs.

[15] Pierre Cormier est comptable agréé depuis 1982. Les parties ont convenu qu’il était qualifié comme témoin expert autorisé à présenter une preuve sous forme d’opinion dans le domaine de la comptabilité. Il est le comptable de Sira depuis cette année. Il n’a accompli aucun travail pour Sira dans les années 1990. En ce qui a trait au cas présent, on a retenu les services de M. Cormier pour qu’il contrôle la validité de l’information de Sira concernant le projet Mapleton, soit la construction de 136 appartements. Il a fait à cet égard un rapport, qui est daté du 3 avril 2000.

[16] On a renvoyé M. Cormier à l’onglet 1 de la pièce A-1, soit une copie de ce rapport. Pour établir ce rapport, M. Cormier avait examiné les registres de Sira et d’A.V. Il avait vérifié le système de paiement de factures ainsi que les journaux relatifs aux décaissements pour 1995, l’accent étant mis sur le projet Mapleton. Se fondant sur des échantillons prélevés au hasard, il avait vérifié des paiements que Sira et A.V. avaient effectués. Il avait trouvé que leurs registres étaient en excellent état.

[17] Sa mission consistait à déterminer la validité de l’information figurant dans les états financiers quant au coût précis. Le travail qu’il a fait était semblable au travail qu’il accomplirait dans le cadre d’une vérification.

[18] Au sujet de l’échantillonnage au hasard, il a dit qu’il avait examiné 27 p. 100 des factures et documents originaux des deux sociétés. Il n’avait relevé aucune erreur. Ainsi, il avait trouvé que l’information relative au coût figurant dans les livres des deux sociétés était concise et exacte. Il a confirmé que sa tâche avait été simplifiée du fait qu’A.V. n’avait travaillé que pour Sira cette année-là.

[19] En ce qui a trait à l’attribution de coûts provenant d’A.V., tous ces coûts avaient été portés sur le compte de Sira. Tous les coûts attribués par Sira à des frais de construction étaient appropriés. M. Cormier n’avait attribué aucun coût de financement après le début de la location relative à ce projet et il a dit que cette méthode était appropriée. Tous les coûts qui devaient être attribués avaient été attribués par Sira.

[20] M. Cormier a conclu que les coûts de construction relatifs au projet Mapleton avaient été correctement comptabilisés et qu’ils s’élevaient en tout à 4 967 336 $, avant TPS. Avec la construction des 136 logements faisant partie du projet, cela représentait un coût de 36 525 $ par unité. M. Cormier savait que Sira avait procédé à une autocotisation indiquant un montant de 36 757 $ par unité aux fins du calcul de la TPS. Ce montant était supérieur aux coûts comptables.

[21] Aux fins de l’autocotisation, les coûts n’auraient pas été beaucoup plus élevés si l’entrepreneur n’avait pas été une personne liée. Cette opinion se fondait sur l’examen d’états financiers d’A.V. pour une période de six ans au cours de laquelle la société agissait comme entrepreneur en bâtiments pour des parties non liées.

[22] Durant cette période, A.V. a enregistré un bénéfice d’exploitation annuel moyen de 24 315 $. Pour la même période, la moyenne annuelle de l’ensemble des frais de construction et des frais indirects engagés par la société a été de 1 639 485 $. Le profit annuel moyen de 24 315 $ représentait une marge bénéficiaire de 1,48 p. 100 par rapport aux frais engagés. La société aurait pu demander 65 236 $ de plus (4 407 899 $ multipliés par 1,48 p. 100). Si l’on considérait qu’A.V. aurait pu demander à Sira 65 236 $ de plus et que la valeur selon l’autocotisation dépassait de 31 635 $ le total des coûts de construction, comme l’indique ce qui précède, Sira aurait pu augmenter d’un montant supplémentaire de 33 601 $ la valeur selon l’autocotisation (65 236 $ moins 31 635 $). Cette augmentation représentait 2 352 $ de TPS, soit un montant insignifiant pour un projet de construction d’un coût de près de 5 000 000 $.

[23] En conclusion, M. Cormier estimait que la valeur selon l’autocotisation de Sira n’était pas beaucoup moins élevée que le montant qu’un entrepreneur indépendant aurait demandé pour construire les mêmes immeubles. Il a conclu que le coût unitaire de 36 525 $ était exact. Si l’on prend en compte la marge bénéficiaire relative à des sociétés non liées, le montant serait de 37 005 $.

[24] Au cours du contre-interrogatoire, M. Vautour a dit qu’il avait retenu les services de M. Cormier vers la fin de mars 2000, juste avant l’interrogatoire préalable. M. Cormier a consacré à ce projet environ 15 à 20 heures. Il y avait à peu près une boîte de registres. Avant que M. Cormier commence son travail, le montant de 36 525 $ par unité ne lui avait pas été communiqué. M. Cormier a déterminé que les coûts figurant dans les états financiers étaient précis et exacts.

[25] Il a bel et bien tenu compte de frais de gestion. Ceux-ci incluaient le salaire de M. Vautour pour cette année-là. M. Cormier n’avait pas vu d’évaluations de ces immeubles et n’avait pas examiné les montants hypothécaires.

[26] On a renvoyé M. Cormier à l’onglet 1 de la pièce R-1, plus particulièrement à la page 6 des notes afférentes aux états financiers, et il a reconnu que, s’il avait utilisé ces chiffres et calculs, le coût unitaire aurait été de 45 659 $. Il a admis que c’était une grosse différence. Toutefois, le montant hypothécaire n’avait aucune incidence sur le calcul de coûts.

[27] L’intimée a appelé Roger Evans Beckwith, qui était agent immobilier principal à l’Agence des douanes et du revenu du Canada. Il a, par consentement, été reconnu comme spécialiste de l’évaluation immobilière autorisé à présenter une preuve d’expert à cet égard.

[28] On l’a renvoyé à la pièce R-3, qui était son curriculum vitae. Il avait été reconnu comme expert à d’autres occasions. Il a fait des milliers d’évaluations, dont une pour le projet considéré en l’espèce, qu’il appelait les projets Fairlane et Mapleton.

[29] Il y avait trois façons différentes d’évaluer un projet comme celui qui est considéré en l’espèce : 1) la technique du coût, 2) la technique du revenu et 3) la technique de la parité, soit une méthode basée sur le marché.

[30] Tous les rapports avaient été établis par ce témoin. Il avait rencontré M. Vautour et avait inspecté un appartement. M. Vautour lui avait dit que tous les appartements étaient identiques. Ce témoin s’était fondé sur l’ensemble des appartements pour déterminer la valeur marchande qui est indiquée dans son rapport. Le rapport d’évaluation du 35, promenade Fairlane, incluait une définition de ce qu’est la valeur marchande. Cette notion est définie comme suit dans l’édition de 1995 de l’ouvrage intitulé Uniform Standards of Professional Appraisal Practice :

[TRADUCTION]

Prix le plus probable qu’un bien rapporterait sur un marché libre compétitif dans toutes les conditions requises pour une vente équitable, l’acheteur et le vendeur agissant tous deux d’une manière prudente et bien informée, et en supposant qu’aucun stimulant indu n’influe sur le prix. Cette définition suppose la conclusion d’une vente à une date spécifiée et le transfert du titre, par le vendeur à l’acheteur, dans les conditions suivantes :

l’acheteur et le vendeur sont habituellement motivés;

les deux parties sont bien informées ou bien conseillées et agissent à leur avis au mieux de leurs intérêts;

il est prévu que le bien sera laissé sur le marché pendant une période raisonnable;

le paiement est effectué comptant, en dollars canadiens, ou par voie d’arrangements financiers comparables;

le prix représente la contrepartie normale du bien vendu, sans que n’interviennent des modalités de financement spéciales ou novatrices ou des concessions en matière de vente accordées par une personne liée à la vente.

[31] Ce témoin a donné les dates auxquelles il avait effectué les évaluations des divers appartements en question. Ces logements se trouvent dans le secteur nord-ouest de la région de Moncton. De là, on peut facilement accéder au réseau routier intra-urbain ainsi qu’à la transcanadienne. Ce témoin a dit que l’emplacement est bon et que ces logements sont situés dans le secteur de Moncton qui connaît la croissance la plus rapide. Il a utilisé la technique du revenu et la technique de la parité. Il n’a nullement utilisé la technique du coût. Il a dit : [TRADUCTION] “ Habituellement, pour un immeuble de rapport, je m’intéresse davantage au flux de revenu qu’aux coûts. ” Il a pris en compte le revenu locatif brut réalisable, multiplié par le nombre de logements, et en a déduit un montant pour loyers irrécouvrables et frais d’exploitation pour une année typique. Il est alors parvenu à un revenu net.

[32] Il a examiné le marché pour ce qui est du taux de capitalisation et a examiné des biens comparables sur le marché ainsi que des ventes pour arriver à ces chiffres. Il a eu de l’information de M. Vautour au sujet des revenus et des dépenses. Il a recensé des ventes d’immeubles d’appartements neufs dans la région et a obtenu des chiffres relatifs au revenu brut pour déterminer son multiplicateur. Il a recensé et analysé trois autres ventes pour ses calculs finaux.

[33] Il a accordé beaucoup de poids à la technique de la parité. Celle-ci différait de la technique du revenu pour ce qui est des résultats. En ce qui a trait au 35, promenade Fairlane, la technique du revenu a donné une valeur plus élevée.

[34] On a renvoyé ce témoin à la technique du coût permettant de calculer la valeur, et il a dit que cette méthode comportait un certain nombre de défauts, par exemple le décalage dans le temps et peut-être des retards dans la construction pouvant ne pas être reflétés dans les loyers disponibles. Il avait examiné le plan de situation de même que deux des prêts hypothécaires. Ses valeurs étaient plus élevées par unité que les valeurs hypothécaires.

[35] En ce qui a trait à l’évaluation du bien situé au 35, promenade Fairlane, les taxes ne correspondaient pas à un immeuble en place. Les taxes foncières relatives à l’immeuble ont été estimées après examen des évaluations foncières et des taxes perçues pour 1996 et 1997, de manière à ne pas prendre en compte des évaluations foncières partielles et des prélèvements de taxe moins élevés que ce qui serait normalement le cas.

[36] Les taux avaient été estimés après discussion avec les fonctionnaires de Moncton. Il est toutefois à noter que les taux relatifs aux services d’aqueduc et d’égout sont basés sur la consommation. Le taux relatif à ces services a été établi à partir des meilleures données disponibles. Certaines dépenses et certains revenus ont été confirmés par M. Vautour. Ce témoin a obtenu confirmation de certaines autres dépenses auprès de la ville de Moncton.

[37] Il a fait référence aux trois ventes qu’il avait utilisées comme ventes comparables et qui sont mentionnées à l’annexe D de son rapport d’évaluation. Le bien situé au 431, chemin Gauvin comportait au sous-sol des appartements devant rapporter un loyer inférieur. Le bien situé au 24, rue Prince contenait aussi de tels appartements, qui étaient plus difficiles à louer. Le bien situé au 487, Champlain, à Dieppe, n’avait aucun échangeur d’air, ce qui était un facteur.

[38] Ce témoin a admis que les biens comparables étaient à une certaine distance des biens considérés en l’espèce, mais il lui fallait se baser sur des immeubles neufs rapportant un revenu semblable.

[39] Sa conclusion était que la valeur des logements des immeubles d’habitation était de 42 000 $ par unité.

[40] En ce qui a trait aux appartements situés au 150, chemin Mapleton, il avait utilisé la technique de la parité et s’était basé sur les mêmes biens comparables. Chaque logement avait une valeur de 42 000 $, soit la même valeur que dans le cas des logements situés au 35, promenade Fairlane.

[41] Pour ce qui est de l’immeuble situé au 170, chemin Mapleton, ce témoin avait utilisé la technique du revenu, comme l’indique la page 20, ainsi que la technique de la parité, comme l’indique la page 21, et il avait conclu que la valeur appropriée était de 42 000 $ par unité.

[42] En ce qui concerne les logements situés au 190 et au 200, chemin Mapleton, ces immeubles étaient très proches des immeubles considérés en l’espèce. La technique de la parité était la meilleure, et la valeur avait été fixée à 42 000 $ par unité. Ce témoin n’avait pas pris en compte la valeur nette pour le propriétaire en examinant les montants hypothécaires.

[43] Au cours du contre-interrogatoire, il a admis qu’il n’avait aucunement utilisé la technique du coût, mais il a bel et bien admis que la valeur diminue à mesure qu’augmente le taux de capitalisation. Au sujet de la technique du revenu, il a dit : [TRADUCTION] “ On examine les taux de capitalisation relatifs à des biens identiques. ” Il a admis qu’il avait utilisé les mêmes biens pour obtenir les taux de capitalisation auxquels il est parvenu avec la technique fondée sur les ventes comparables. Il avait estimé les revenus bruts et les dépenses brutes. S’il avait commis une erreur au sujet des revenus bruts ou des dépenses brutes, cela aurait influé sur le taux de capitalisation. Il n’avait apporté aucun rajustement au titre de l’emplacement. Il a admis qu’il faisait l’évaluation pour son employeur.

[44] On l’a renvoyé à l’onglet 3 de la pièce A-1, soit l’énoncé de politique de Revenu Canada no P-165 concernant la juste valeur marchande aux fins de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, et il a admis que ce document dit qu’aucune méthode ne doit être catégoriquement exclue. Toutefois, il n’avait pas utilisé la technique du coût, malgré le fait qu’il s’agissait d’immeubles neufs. Il a admis que le principe de substitution était inhérent à toutes les techniques. La dépréciation ne serait pas un facteur dans la technique du coût en l’occurrence, car il n’y avait aucune détérioration physique, les immeubles étant neufs, et la date pertinente coïncidait avec la fin de la période de construction.

[45] Ce témoin n’était pas au courant de l'affaire Timber Lodge Ltd. c. Sa Majesté la Reine, C.C.I., no 94-397(GST)I, 20 octobre 1994 ([1994] G.S.T.C. 73).

[46] Il avait utilisé des taux d’inoccupation estimatifs pour tous les biens comparables. Il avait estimé les loyers, mais il avait bel et bien certains renseignements précis, car il avait joué un rôle dans des évaluations faites antérieurement à l’égard de certains des biens. Il reconnaissait que la TPS devait être exclue du calcul, mais il a admis qu’il n’avait pas tenu compte du fait que la TPS pouvait être déjà incluse dans le cas de biens comparables.

[47] Il a admis que, même dans le cas de la technique fondée sur les ventes comparables, la TPS pouvait être incorporée, tout comme dans le cas de la technique du revenu. On l’a renvoyé à l’onglet 4 de la pièce A-1 concernant les dispositions 1-4(i) et (ii) de l’ouvrage intitulé Uniform Standards of Professional Appraisal Practice, qui indiquaient que, aux fins d’une évaluation immobilière, un évaluateur devait examiner les coûts. Il a admis que tel était le cas, mais il a dit qu’en l’espèce il s’agissait d’un immeuble de rapport et que les autres techniques étaient donc plus applicables.

[48] On lui a expressément demandé s’il s’était écarté des principes généraux et s’il était nécessaire de donner les raisons pour lesquelles on ne tenait pas compte d’une méthode. Il a dit que cela était nécessaire. En réponse à une question ultérieure de la Cour à cet égard, il a affirmé que le fait qu’il avait conclu que les autres techniques étaient meilleures était une raison suffisante.

[49] Il a admis qu’il n’avait effectué aucun calcul basé sur la suppression de la TPS. Personne ne lui avait dit de s’abstenir d’utiliser la technique du coût. Il a admis qu’il faut tenir compte de la nature de l’affectation.

[50] Au cours du réinterrogatoire principal, il a dit qu’il avait inclus la question de l’emplacement dans son évaluation finale, mais il n’a pas précisé comment. Après le réinterrogatoire principal, en réponse à une question de la Cour, il a déclaré qu’il avait conclu que la technique du revenu et la technique fondée sur les ventes comparables étaient les meilleures et il a dit qu’il n’avait pas utilisé la technique du coût. Il a également indiqué que les ventes comparables qu’il avait utilisées étaient vraiment comparables.

[51] En réponse à une question de l’avocat de l’appelante, il a dit qu’il avait beaucoup insisté sur l’immeuble du chemin Gauvin et qu’il y avait une école à proximité; toutefois, il y avait également une école près du projet Mapleton. Il ne savait pas de quels types d’écoles il s’agissait.

Argumentation présentée pour l’appelante

[52] Dans son argumentation, l’avocat de l’appelante a fait référence au jugement Timber Lodge, précité, et notamment au paragraphe 7, où le juge Taylor, de la C.C.I., mettait en question le fait que les deux rapports ne tenaient pas compte de la technique du coût. Le juge Taylor disait :

Le fait est que dans le cas de ces deux immeubles, la construction était terminée à la date même où l'évaluation était requise. Bien sûr, il serait peu ou pas utile de restructurer un montant afin d'obtenir des “ coûts de remplacement ou de reproduction ”, et cela ne serait d'aucune utilité. Toutefois, le fait d'éliminer, d'ignorer ou de dénigrer l'utilité, pour les besoins d'une évaluation, du coût réel total qui s'était accumulé au cours de la construction et qui avait atteint son point culminant ce jour-là fait que je suis profondément en désaccord avec le résultat obtenu. Dans les centaines de rapports et d'opinions d'évaluateurs qui m'ont été soumis au fil des ans, je ne me souviens d'aucun dont la date pertinente coïncidait exactement avec la fin de la construction, et les calculs de coûts totaux qui en résultaient. À mon avis, en l'absence de toute différence directe et incontestable dans le montant du coût, celui-ci devrait aussi servir de valeur et, en fait, de juste valeur marchande.

L’avocat a également fait référence à l’affaire Charleswood Legion Non-Profit Housing Inc. c. Canada, [1998] A.C.I. No 503 (Q.L.), dans laquelle le juge Archambault, de la C.C.I., concluait au paragraphe 46, à la page 9 :

Je pense que les deux experts n'auraient pas dû laisser de côté la méthode du coût. Dans des circonstances comme celles en l'espèce, la juste valeur marchande devrait être très proche du coût payé par les appelantes parce que les deux immeubles étaient tout à fait neufs à la date d'évaluation pertinente. C'est la méthode qu'a suivie mon collègue le juge Taylor dans Timber Lodge Limited v. The Queen, [1994] G.S.T.C. 73.

[53] L’avocat a soutenu que la technique du coût était la méthode appropriée qu’il fallait utiliser dans le cas présent et que le ministre en avait totalement fait fi. L’évaluateur n’avait pas utilisé d’immeubles neufs comme biens comparables. Il y a toujours des différences entre des immeubles, et il faut apporter des ajustements en conséquence. Ils n’ont pas été faits dans ce cas-ci.

[54] Dans la technique du revenu, l’évaluateur du ministre a utilisé les mêmes montants que dans le cas de la technique fondée sur les ventes comparables, et il y a une faiblesse inhérente à cela. Quand on utilise la méthode du coût, on a un prix réel. Il n’y a aucune incertitude. L’avocat a posé la question de savoir qui évaluerait un immeuble à un prix supérieur au coût de construction.

[55] L’avocat a soutenu que l’évaluateur du ministre n’avait pas dit pourquoi il avait exclu la technique du coût, malgré le fait que tous les coûts avaient été contrôlés sur la base d’une vérification. Le droit applicable indique clairement que la technique du coût devrait être utilisée et que le fondement en est clair. Le ministre a commis une erreur en utilisant la technique qu’il avait choisie, alors que les coûts étaient disponibles. Le comptable et le contribuable ont adopté une technique équitable, car ils ont fait des ajustements.

[56] Le ministre a mal compris le droit applicable, ainsi que les faits. Il n’a pas exclu la TPS des calculs. Le paragraphe 123(1) indique ce qu’est la juste valeur marchande. L’article 154 indique ce qui est exclu, et la TPS est exclue. Il semble que le ministre ait inclus la TPS, de sorte qu’une proportion de 7 p. 100 devrait être déduite du montant déterminé par le ministre.

[57] Dans l'affaire Marall Homes Ltd. c. Sa Majesté la Reine, C.C.I., no 95-2097(GST)I, 23 novembre 1995 ([1995] G.S.T.C. 70), au paragraphe 15, le juge Bell avait déduit la TPS et avait opté pour la technique du coût comme méthode appropriée. Il était arrivé à son évaluation en réduisant de trois quarts le calcul du ministre et en augmentant d’un quart le calcul de l’appelante. Cependant, cette affaire peut être distinguée de la présente espèce, car il ne s’agissait pas d’un simple bien locatif, et il y avait d’autres complications.

[58] Dans l'affaire Laprairie (M.) c. Sa Majesté la Reine, C.C.I., no 95-575(GST)I, 19 décembre 1995 ([1995] G.S.T.C. 74), le juge McArthur, de la C.C.I., mentionnait le jugement Timber Lodge, précité, mais il concluait que la partie appelante ne s’était pas acquittée de la charge qui lui incombait de démontrer que la valeur marchande était inférieure au coût effectif. Dans cette affaire, la Cour a conclu que l’évaluation appropriée de la maison était basée sur la technique de la parité; en outre, le savant juge du procès a conclu qu’un tribunal acceptera le prix payé ou le prix du marché comme juste valeur marchande, sauf si la preuve démontre que la juste valeur marchande diffère du prix payé.

[59] Quoi qu’il en soit, la technique du coût devrait être acceptée en l’espèce, tout comme elle l’a été dans l’affaire Timber Lodge, précitée.

[60] L’évaluation appropriée devrait être de 36 525 $ par unité ou, si la Cour devait décider de prendre en compte le facteur du profit, de 37 005 $ par unité.

Argumentation présentée pour l’intimée

[61] L’avocat de l’intimée a fait référence à l’article 193 et aux règles relatives à la fourniture à soi-même et a soutenu que la juste valeur marchande était la valeur déterminée à l’époque où le logement avait pour la première fois été utilisé. Il a également fait référence au paragraphe 123(1). Il a souligné que la Cour devait conclure ce que la juste valeur marchande était. La juste valeur marchande en l’espèce n’est pas bien différente de ce que l’évaluateur a utilisé.

[62] L’avocat a soutenu que le paragraphe 191(3) tient compte de ce qui se passe sur le marché et non de ce que coûte la construction du logement. Dans l’affaire Marall Homes, précitée, au paragraphe 16, le juge Bell disait que l’évaluateur aurait dû examiner les facteurs en cause en arrivant à sa conclusion basée sur la technique du revenu, car cela aurait été plus pertinent par rapport à la situation. Dans la présente espèce, il y avait un revenu de location à prendre en considération. N’importe quel acheteur aurait tenu compte du revenu tiré du bien.

[63] M. Vautour n’avait pas présenté les évaluations qu’il avait faites des immeubles, et aucun renseignement au sujet de ces évaluations n’avait été communiqué. La technique utilisée par le ministre est raisonnable et détaillée.

[64] En ce qui a trait à la TPS, elle était exclue de tous les calculs du ministre, et le montant présenté par le ministre comme juste valeur marchande représente l’évaluation exacte. L’appel devrait être rejeté avec dépens.

[65] L’avocat de l’appelante a répliqué que les immeubles en question sont des immeubles neufs. Le coût de construction doit être pris en compte.

[66] Il a répété que la TPS avait été indirectement incluse dans les chiffres utilisés par le ministre dans le cadre de la technique fondée sur les ventes comparables et de la technique du revenu, car la TPS était déjà incluse dans le cas de ces immeubles. La juste valeur marchande doit correspondre au moins élevé des deux éléments suivants : le coût et la valeur marchande, celle-ci représentant le montant pour lequel l’immeuble pourrait raisonnablement se vendre. Le législateur doit assurément avoir eu à l’esprit le coût de construction d’immeubles lorsqu’il a établi les règles relatives au calcul de la TPS. Sinon, cela n’a aucun sens.

[67] L’avocat de l’appelante a soutenu que l’appel devrait être accueilli avec dépens.

Analyse et décision

[68] En l’espèce, des éléments de preuve ont été présentés quant à la valeur de prêts hypothécaires impayés à l’égard des immeubles en question. La preuve indique que les immeubles peuvent avoir été hypothéqués dans une proportion représentant 85 p. 100 de leur valeur et qu’une proportion de 15 p. 100 de la valeur avait été fournie par la société appelante, d’une manière ou d’une autre. Toutefois, cette information a très peu de valeur pour la Cour sans plus de détails sur le véritable fondement des prêts hypothécaires. La Cour conclut que cette information ne l’aide pas dans sa tâche consistant à essayer de déterminer la juste valeur marchande des immeubles en question aux fins de l’établissement de la TPS à l’égard de ces immeubles. La Cour ne peut donc accorder beaucoup de poids à cette information.

[69] La preuve indique également que la société appelante avait à un moment donné obtenu des évaluations de ces immeubles et qu’elles n’ont pas été fournies au ministre. Encore là, la Cour ne peut accorder beaucoup de poids à cette information, car elle ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant à combien s’élevaient ces évaluations, à quelles fins elles avaient été obtenues ou à quel moment elles avaient été obtenues. Je présume que, si l’intimée avait été intéressée par de telles évaluations, elle aurait pu obtenir l’information par voie d’interrogatoire préalable et aurait pu requérir la production des évaluations si celles-ci étaient en fait pertinentes. Cela n’a pas été fait, et aucun autre renseignement à cet égard n’a été communiqué à la Cour durant le procès, si ce n’est l’information selon laquelle l’appelante avait demandé et obtenu des évaluations à un moment donné.

[70] Donc, la Cour n’accorde guère de poids à l’information présentée à ce sujet et conclut que cette information ne l’aide nullement à déterminer la juste valeur marchande de ces immeubles aux fins de la TPS.

[71] La Cour considère que sa tâche consiste à déterminer quelle était la juste valeur marchande des immeubles en question lorsqu’ils ont pour la première fois été prêts à être occupés. Pour l’essentiel, les dispositions relatives à la TPS exigent le paiement d’une taxe sur la fourniture de produits et de services. Les produits et services considérés en l’espèce sont les produits et services fournis au cours de la construction des immeubles en question. La Cour doit déterminer la juste valeur marchande des immeubles aux fins de la TPS. Elle ne s’intéresse pas à leur juste valeur marchande aux fins d’une vente et, en fait, de nombreux facteurs pourraient devoir être examinés si la Cour devait déterminer la juste valeur marchande aux fins d’une vente, ce qui peut ne pas être pertinent aux fins de la TPS.

[72] En l’espèce, il est évident qu’il n’y avait aucune circonstance spéciale à prendre en compte pour déterminer la juste valeur marchande aux fins de la TPS. Conformément aux éléments de preuve présentés par les deux parties et conformément à la jurisprudence sur cette question, il y a trois techniques généralement reconnues pour déterminer la juste valeur marchande : 1) la technique du coût, 2) la technique du revenu et 3) la technique de la parité, fondée sur le marché.

[73] Dans certains cas, il peut être possible de conclure que telle ou telle méthode est la meilleure, selon les circonstances. En l’espèce, l’appelante dit que la technique du coût est la meilleure méthode à utiliser et que c’est celle qu’elle a employée en concluant que la juste valeur marchande de chacun des logements en question lorsque ceux-ci ont été prêts à être occupés était de 36 536 $, soit le montant correspondant à l’autocotisation de l’appelante. Pour sa part, l’intimée soutient que les meilleures techniques à utiliser dans le cas présent sont la technique du revenu et la technique de la parité. Ces deux méthodes ont été utilisées par l’intimée, qui a exclu la méthode du coût.

[74] Comme l’a fait remarquer le juge Taylor, de la C.C.I., dans l’affaire Timber Lodge, précitée, chacune des méthodes comporte des défauts. Dans cette affaire, le juge Taylor a conclu :

Les deux séries de rapports étaient complètes et détaillées et établies avec compétence, et l'approche utilisée pour établir les rapports portant sur les immeubles situés aux nos 144 et 148 du chemin Maypoint était quasi identique dans les deux cas. Les auteurs des deux séries de rapports ont, à toutes fins pratiques, mis de côté la méthode dite du coût, et se sont appuyés principalement sur les deux autres méthodes susmentionnées. Voici ce que l'on peut lire, tout d'abord, dans le rapport “ Stillwell ” au sujet de l'immeuble situé au no 144 du chemin Maypoint :

[TRADUCTION]


L'évaluateur a employé au fil des ans comme outils de base ces trois méthodes de détermination de la valeur. Les trois méthodes sont liées jusqu'à un certain point, et chacune intègre des facteurs que l'on trouve sur le marché.

Pourtant, dans ces cas-là tout comme dans le cas présent, la méthode du coût a été complètement écartée.

[75] Dans l’affaire Timber Lodge, précitée, le juge Taylor avait du mal à comprendre pourquoi les deux rapports faisaient fi de la méthode du coût et il ne comprenait pas les raisons avancées à cet égard. Dans cette affaire tout comme dans la présente espèce, la construction était terminée à la date même à laquelle l’évaluation était requise. Le juge Taylor a dit :

[...] Bien sûr, il serait peu ou pas utile de restructurer un montant afin d'obtenir des “ coûts de remplacement ou de reproduction ”, et cela ne serait d'aucune utilité. Toutefois, le fait d'éliminer, d'ignorer ou de dénigrer l'utilité, pour les besoins d'une évaluation, du coût réel total qui s'était accumulé au cours de la construction et qui avait atteint son point culminant ce jour-là fait que je suis profondément en désaccord avec le résultat obtenu.

[...] À mon avis, en l'absence de toute différence directe et incontestable dans le montant du coût, celui-ci devrait aussi servir de valeur et, en fait, de juste valeur marchande.

[76] Dans la présente espèce, on a expressément demandé à l’évaluateur de l’intimée pourquoi il avait omis de prendre en compte la méthode du coût en déterminant quelle était la juste valeur marchande à l’époque où les immeubles étaient prêts à être occupés. La seule tentative d’explication a été qu’il avait déjà conclu que la technique du revenu et la technique fondée sur les ventes comparables étaient les meilleures méthodes et qu’il n’avait pas pris en compte la technique du coût. Il a bel et bien dit que les ventes comparables utilisées étaient vraiment comparables, mais la preuve indiquait bel et bien que des facteurs différaient quand on examinait les immeubles qui sont considérés en l’espèce et les biens comparables qui avaient été utilisés. De l’avis de la Cour, ce n’était pas une raison suffisante pour faire carrément fi de la méthode du coût.

[77] Quand on tient compte comme il se doit de l’énoncé de politique du ministère sur la façon de déterminer la juste valeur marchande, comme l’indique l’onglet 3 de la pièce A-1, il est clair que cet énoncé de politique indique qu’aucune méthode ne doit être écartée. En l’espèce, la méthode du coût a en fait été écartée.

[78] Comme l’indique l’onglet 4 de la pièce A-1, l’ouvrage intitulé Uniform Standards of Professional Appraisal Practice dit qu’en général il faut tenir compte de la méthode du coût. La réponse de l’évaluateur de l’intimée sur ce point a été qu’en l’espèce il s’agissait d’un immeuble de rapport et que les autres méthodes étaient donc plus applicables. Encore là, la Cour trouve difficile d’y voir une raison valable de faire fi de la méthode du coût, et il lui faut conclure qu’il doit y avoir une autre raison pour laquelle la méthode du coût n’a pas été prise en compte, bien qu’aucune autre raison n’ait été donnée par l’évaluateur.

[79] L’évaluateur de l’intimée a reconnu au cours du contre-interrogatoire que la dépréciation ne serait pas un facteur dans la technique du coût en l’espèce, car il n’y avait aucune détérioration physique, et la date pertinente coïncidait avec la fin de la période de construction. Encore là, l’évaluateur était d’accord sur l’assertion de l’avocat de l’appelante selon laquelle, pour tous les biens comparables, il avait utilisé un taux d’inoccupation estimatif et avait estimé les taux locatifs, bien qu’il ait dit qu’il avait certains renseignements précis au sujet de ces loyers, ayant joué un rôle dans des évaluations antérieures, mais aucun de ces renseignements n’a été présenté à la Cour.

[80] Encore là, l’évaluateur était disposé à admettre qu’il devait exclure la TPS en effectuant ses calculs quant à la valeur et il a dit en fait qu’il l’avait exclue. Toutefois, il est devenu bien évident après le contre-interrogatoire que, concernant les biens comparables, la TPS pouvait être déjà incluse dans ces valeurs, et l’évaluateur reconnaissait qu’il ne l’avait pas supprimée. Enfin, il était disposé à admettre que, même dans le cas de la méthode fondée sur les ventes comparables qu’il avait utilisée, la TPS pouvait être incorporée, tout comme dans le cas de la méthode du revenu.

[81] Au cours du réinterrogatoire principal, l’évaluateur de l’intimée a dit qu’il avait inclus la question de l’emplacement dans son évaluation finale, mais aucune preuve n’a été présentée sur la question de savoir ce que cela signifiait exactement et la question de savoir quelle information il avait pris en compte à cet égard. La Cour ne peut donc que conclure qu’il en a simplement tenu compte d’une manière générale — inconnue — en parvenant à la conclusion à laquelle il est arrivé. Il a présenté de l’information générale au sujet du caractère comparable des emplacements, en ce sens que dans les deux cas il pouvait y avoir des écoles à proximité et que de façon générale les emplacements étaient comparables, mais il n’a pas donné plus de renseignements sur la nature exacte des deux emplacements et sur le fait que ceux-ci étaient effectivement comparables. La Cour est laissée dans le doute jusqu’à un certain point en ce qui concerne la question de savoir si les biens comparables étaient effectivement comparables.

[82] C’est, bien sûr, une faiblesse de la méthode fondée sur les ventes comparables, car il est évidemment impossible de trouver des ventes vraiment comparables, et en l’espèce l’évaluateur de l’intimée a bel et bien admis qu’il lui avait fallu parcourir une certaine distance par rapport à l’emplacement des immeubles en cause pour trouver d’autres immeubles qu’il considérait comme comparables.

[83] Dans l’affaire Charleswood, précitée, le juge Archambault a conclu que la juste valeur marchande devait être proche du coût réel payé par les appelantes parce que les deux immeubles étaient tout à fait neufs à la date d’évaluation. Dans cette affaire, il a conclu que la juste valeur marchande ne devait pas dépasser le coût des immeubles et ne devait pas être inférieure au montant des prêts hypothécaires utilisés pour financer les acquisitions.

[84] Dans cette affaire, il disait, au paragraphe 46, à la page 9 :

Je pense que les deux experts n'auraient pas dû laisser de côté la méthode du coût. Dans des circonstances comme celles en l'espèce, la juste valeur marchande devrait être très proche du coût payé par les appelantes parce que les deux immeubles étaient tout à fait neufs à la date d'évaluation pertinente. C'est la méthode qu'a suivie mon collègue le juge Taylor dans Timber Lodge Limited v. The Queen, [1994] G.S.T.C. 73.

Il était disposé à concéder qu’il pouvait y avoir des circonstances spéciales :

[...] dans lesquelles une partie des frais de construction d'un immeuble peuvent ne pas être pris en compte dans sa juste valeur marchande. Par exemple, s'il y avait eu des dépassements de coût et d'autres éléments improductifs pendant la construction, le coût d'un tel immeuble pourrait être au-dessus de sa juste valeur marchande. Il peut y avoir d'autres cas où le coût d'un immeuble est inférieur à sa juste valeur marchande parce que le terrain a été acquis pour 1 $, comme c'est le cas de Charleswood, ou parce que le propriétaire participe à la construction de l'immeuble et ne facture pas son temps. Pour prendre un exemple extrême, si le coût d'un immeuble ne comprend que les matériaux et non la main-d’oeuvre, il est manifeste que la valeur devrait être supérieure au coût de l'immeuble. Rien n'indique en l'espèce qu'il existe de telles circonstances spéciales, sauf pour le dépassement de coût de 30 000 $. Étant donné qu'une fraction de ce dépassement de coût a été prise en charge par le constructeur et que ce montant représente une petite fraction du coût total, il n'aurait pas eu beaucoup d'incidence sur l'établissement de la valeur finale.

[85] Dans la présente espèce, la Cour estime qu’une seule circonstance lui ferait conclure que la juste valeur marchande devrait différer des frais engagés pour construire les immeubles, et cette circonstance se trouve dans le témoignage de Pierre Cormier, le comptable agréé qui a fait l’évaluation pour l’appelante. Son témoignage n’a pas été contesté à cet égard. Il a dit qu’il avait examiné les livres d’A.V. pour six années antérieures et qu’il avait conclu que, si Sira avait traité avec A.V. sans lien de dépendance, 65 236 $ de plus auraient pu être demandés. Cela incluait le montant supplémentaire imputé par l’appelante dans son autocotisation. D’après les calculs de M. Cormier et compte tenu du facteur de la marge bénéficiaire supplémentaire, la valeur de chaque logement aurait pu atteindre 37 005 $.

[86] Après avoir examiné toute la preuve, ainsi que les arguments des avocats et les témoignages d’experts, la Cour est convaincue qu’en l’espèce la méthode du coût aurait été la meilleure pour calculer la juste valeur marchande des immeubles en cause aux fins de la partie IX de la Loi. Sur la foi de la preuve d’expert présentée par l’évaluateur de l’appelante et vu la crédibilité que la Cour accorde au témoignage de M. Vautour quant à l’exactitude des registres de la société, ce qui a été confirmé par l’évaluateur, la Cour est convaincue que la juste valeur marchande aux fins de la partie IX de la Loi était de 37 005 $ par unité.

[87] Dans les circonstances, l’appel est accueilli et la question est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation selon ces conclusions.

[88] L’appelante aura droit à ses frais, qui seront taxés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de novembre 2000.

“ T. E. Margeson ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 28e jour de mars 2001.

Isabelle Chénard, réviseure

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