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Date: 19990114

Dossier: 96-650-UI

ENTRE :

ANNA BANCHERI,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Rosanna Bancheri 96-2405-UI les 27 et 28 avril 1998 à Toronto (Ontario) par l’honorable juge suppléant Michael H. Porter

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu à Toronto (Ontario) les 27 et 28 avril 1998. Par consentement des parties, il a été entendu sur preuve commune avec l'appel de Rosanna Bancheri (96-2405(UI)).

[2] L'appelante interjette appel contre le règlement d'une question par le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) en date du 11 octobre 1996 selon lequel l'emploi qu'elle a exercé pour 928199 Ontario Ltd., faisant des affaires sous le nom de Kingsway Paving & Interlock (la “ compagnie ”), du 4 avril au 2 septembre 1994 n'était pas un emploi assurable en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage (ci-après appelée la “ Loi ”). Les motifs du règlement étaient les suivants :

[TRADUCTION]

Vous n'exerciez pas un emploi en vertu d'un contrat de louage de services, car il n'y avait pas de relation employeur-employé entre 928199 Ontario Limited, faisant des affaires sous le nom de Kingsway Paving & Interlock, et vous-même. En outre, si vous aviez été considérée comme ayant exercé un emploi en vertu d'un contrat de louage de services, votre emploi aurait été exclu des emplois assurables parce que vous aviez un lien de dépendance avec 928199 Ontario Limited, faisant des affaires sous le nom de Kingsway Paving & Interlock, et que vous n'êtes pas réputée ne pas avoir eu de lien de dépendance avec elle.

[3] Les faits établis révèlent que l'appelante est la mère d'Angelo Bancheri et de Gabriele Bancheri qui, avec leur mère, détenaient à l'époque pertinente toutes les actions en circulation de la compagnie. Ainsi, en vertu de l'article 3 de la Loi et du paragraphe 251(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, en tant que personnes liées l'appelante et la compagnie sont, en droit, réputées avoir entre elles un lien de dépendance. Donc, l'emploi en cause est, sous réserve de l'exception énoncée au sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi, considéré comme un “ emploi exclu ”, c'est-à-dire que ce n'est pas un emploi qui, au moment de sa cessation, donne lieu au versement de prestations d'assurance-chômage. Le ministre a prétendument déterminé dans son règlement de la question que l'emploi en cause n'entre pas dans le cadre de l'exception, et l'appelante a interjeté appel de cette décision. Pour ce qui est de l'autre volet de l'appel, qui attaque la décision selon laquelle il ne s'agit pas en l'occurrence d'un contrat de louage de services, l'avocat du ministre ne le conteste pas. L'avocat concède en effet que dans la mesure où le travail a été accompli par l'appelante, il l'a été dans le cadre d'un contrat de louage de services. Ne reste donc que la question de savoir si le ministre a pris valablement sa décision en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi.

Le droit

[4] Dans le cadre du régime établi par la Loi, le Parlement a prévu que certains emplois sont assurables et donnent droit à des prestations s’ils cessent, et que d’autres emplois, qui sont “ exclus ”, ne donnent droit à aucune prestation s’ils cessent. Lorsque des personnes qui ont un lien de dépendance concluent une convention d’emploi, il s’agit d’un “ emploi exclu ”. Des conjoints, des parents et leurs enfants, des frères, et des sociétés contrôlées par ces personnes sont réputés avoir entre eux un lien de dépendance suivant le paragraphe 251(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui régit cette situation. Cette disposition législative a manifestement pour but d’éviter au régime d’avoir à payer une multitude de prestations fondées sur des conventions d’emploi factices ou fictives.

[5] La rigueur de cette disposition a toutefois été atténuée par le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi, lequel prévoit qu’un emploi dans un cas où l’employeur et l’employé sont des personnes liées est réputé être exercé sans lien de dépendance et peut donc être considéré comme un emploi assurable, s’il remplit toutes les autres conditions, c’est-à-dire, si le ministre est convaincu, compte tenu de toutes les circonstances (y compris les points qui sont mentionnés) qu’il est raisonnable de conclure qu’ils auraient conclu entre eux un contrat à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu (en fait)un lien de dépendance. Il pourrait être utile que je reformule la façon dont je comprends ce sous-alinéa. Pour les personnes qui sont liées, la Loi exclut tout droit à des prestations d’assurance, à moins qu’on ne puisse convaincre le ministre que la convention d’emploi est bel et bien la même qu’auraient conclue des personnes non liées, c'est-à-dire des personnes qui n’ont manifestement aucun lien de dépendance. Le Parlement a jugé que, s’il s’agit d’un contrat de travail à peu près semblable, il devrait en toute équité être inclus dans le régime. Toutefois, c’est le ministre qui décide. Sauf s’il est convaincu qu’il y a lieu de l’inclure, l’emploi reste exclu et l’employé n’a pas droit à des prestations.

[6] L’article 61 de la Loi porte sur les appels au ministre et sur le règlement de questions par celui-ci. On lit au paragraphe 61(6) que :

[...] le ministre doit, avec toute la diligence voulue [...] régler la question soulevée par la demande [...]

[7] Le ministre est donc tenu de régler la question. La Loi l’exige. Si le ministre n’est pas convaincu, l’emploi reste exclu et l’employé n’a pas droit aux prestations. Si toutefois il est convaincu, sans plus de cérémonie et sans prise d’aucune mesure par le ministre (sauf la communication de la décision), l’employé a droit à des prestations, pourvu qu’il remplisse les autres exigences. Il ne s’agit pas d’un pouvoir discrétionnaire au sens que, si le ministre est convaincu, il peut alors juger que l’emploi est assurable. Il doit “ régler la question ” et, selon ce qu’il décide, aux termes de la Loi l’emploi est réputé soit comporter un lien de dépendance, soit ne pas en comporter. En ce sens, le ministre n’a pas à proprement parler de pouvoir discrétionnaire à exercer car, en prenant sa décision, il doit agir de façon quasi judiciaire et il n’a pas le droit de faire le choix qui lui plaît. Il ressort des décisions de la Cour d’appel fédérale sur cette question que le même critère s’applique à une multitude d’autres fonctionnaires qui prennent des décisions quasi judiciaires dans de nombreux domaines différents. Voir Tignish Auto Parts Inc. v. M.N.R., 185 N.R. 73, Ferme Émile Richard et Fils Inc. v. M.N.R., 178 N.R. 361, Attorney General of Canada v. Jencan Ltd. (1997), 215 N.R. 352 et Her Majesty the Queen v. Bayside Drive-In Ltd. (1997), 218 N.R. 150.

[8] Le rôle de ce tribunal est alors, en cas d’appel, de réviser la décision du ministre et de décider s’il l’a prise légalement, c'est-à-dire conformément à la Loi et aux principes de la justice naturelle. Dans l’affaire Her Majesty the Queen v. Bayside et al. (précitée), la Cour d’appel fédérale a relevé certains points à considérer par le présent tribunal lorsqu’il entend de tels appels : (i) le ministre a-t-il agi de mauvaise foi ou en s’appuyant sur un objectif ou un motif inapproprié? (ii) le ministre a-t-il omis de tenir compte de toutes les circonstances pertinentes comme il est expressément tenu de le faire aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii)? ou (iii) le ministre a-t-il tenu compte d’un facteur non pertinent?

[9] La Cour d’appel fédérale a ensuite ajouté :

Ce n’est que si le ministre a commis une ou plusieurs de ces trois erreurs susceptibles de contrôle que l’on peut dire qu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une façon contraire à la loi, et [...] que le juge de la Cour de l’impôt serait justifié de faire sa propre évaluation de la prépondérance des probabilités quant à savoir si les intimés auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s’il n’y avait pas eu entre eux de lien de dépendance.

[10] On m'a fait valoir que les faits énoncés sur lesquels s’est fondé le ministre étaient dans bien des cas erronés ou avaient été mal interprétés. Encore une fois, ce que je ne dois pas oublier, à l’examen de ces arguments, c’est qu’il n’appartient pas à ce tribunal de substituer son opinion concernant la preuve à celle du ministre. Toutefois, si la façon dont ce dernier en est arrivé à la décision était illégale à la lumière des jugements mentionnés ci-dessus, je pourrais ne pas tenir compte des parties concernées des faits énoncés et je devrais alors me demander s’il se dégage des faits qui restent des motifs justifiant les décisions. Si ces motifs sont en soi suffisants pour que le ministre prenne une décision, même si le tribunal pourrait ne pas l’agréer, la décision doit être maintenue. Si par ailleurs, d’un point de vue objectif et raisonnable, il ne reste plus rien sur lequel le ministre pourrait légalement fonder une telle décision, celle-ci peut alors être infirmée, et le tribunal peut examiner la preuve qui lui a été présentée en appel et rendre sa propre décision. Bref, si le ministre dispose de suffisamment de faits pour prendre sa décision, c’est à lui qu’il appartient de régler la question et, s’il “ n’est pas convaincu ”, il n’appartient pas au présent tribunal de substituer à celle du ministre sa propre opinion au sujet de ces faits et de dire que le ministre aurait dû être convaincu. De même, si le ministre était convaincu, il n’appartient pas au présent tribunal de substituer à celle du ministre sa propre opinion selon laquelle il n’aurait pas dû être convaincu (scénario peu probable de toute façon). C’est seulement si la décision est prise d’une manière inappropriée et qu’elle est déraisonnable d’un point de vue objectif, compte tenu des faits qui ont été légitimement présentés au ministre, que le tribunal peut intervenir.

[11] Je puis m’appuyer à ce sujet sur un certain nombre de décisions de diverses cours d’appel canadiennes et de la Cour suprême du Canada dans des affaires connexes concernant diverses procédures relevant du Code criminel, décisions qui ont été examinées par la suite par les tribunaux et qui sont à mon avis analogues à la présente espèce. La norme de contrôle en ce qui concerne la validité d’un mandat de perquisition a été établie par le juge Cory (alors juge d’appel) dans l’affaire Times Square Book Store, Re (1985), 21 C.C.C. (3d) 503 (C.A.), où il a dit qu’il n’appartient pas au juge qui fait le contrôle d’examiner ou considérer de novo l’autorisation relative à un mandat de perquisition et que ledit juge ne saurait substituer sa propre opinion à celle du juge qui a accordé le mandat. Il s’agit plutôt, au stade du contrôle, de déterminer d’abord s’il existait ou non une preuve sur la foi de laquelle un juge de paix, agissant judiciairement, pouvait conclure qu’un mandat de perquisition devait être délivré.

[12] La Cour d’appel de l’Ontario a repris et développé ce point de vue dans l’affaire R. v. Church of Scientology of Toronto and Zaharia (1987), 31 C.C.C. (3d) 449 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée. En suggérant que le tribunal faisant le contrôle examine “ l’ensemble des circonstances ”, la Cour d’appel a affirmé à la page 492 :

[TRADUCTION]

Manifestement, s’il n’y a pas de preuve sur laquelle appuyer une telle conviction (c’est-à-dire qu’une infraction criminelle a été commise), on ne peut dire que dans ces circonstances le juge de paix doit être convaincu. Il y aura cependant des cas où une telle preuve (établissant des motifs raisonnables) existera bel et bien et où le juge de paix pourrait être convaincu, mais où il ne le sera pas et n’exercera pas sa discrétion en délivrant un mandat de perquisition. Dans de telles circonstances, le juge qui fait le contrôle ne doit pas dire que le juge de paix aurait dû être convaincu et qu’il aurait dû délivrer le mandat. De même, si le juge de paix dit dans de telles circonstances qu’il est convaincu, et s’il délivre le mandat, le juge qui fait le contrôle ne doit pas dire que le juge de paix n’aurait pas dû être ainsi convaincu.

[13] La Cour suprême du Canada a entériné ce point de vue dans R. c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421. Le défunt juge Sopinka, traitant de la question de la révision de la délivrance d’une autorisation d’écoute électronique, a affirmé :

Bien que le juge qui exerce ce pouvoir relativement nouveau ne soit pas tenu de se conformer au critère de l’arrêt Wilson, il ne devrait pas réviser l’autorisation de novo. La façon appropriée est établie dans les motifs du juge Martin en l’espèce. Il affirme [...]

[TRADUCTION] Si le juge du procès conclut, d’après les documents dont disposait le juge ayant accordé l’autorisation, qu’il n’existait aucun élément susceptible de le convaincre que les conditions préalables pour accorder l’autorisation existaient, il me semble alors que le juge du procès doit conclure que la fouille, la perquisition ou la saisie contrevient à l’art. 8 de la Charte.

Le juge qui siège en révision ne substitue pas son opinion à celle du juge qui a accordé l’autorisation. Si, compte tenu du dossier dont disposait le juge qui a accordé l’autorisation et complété lors de la révision, le juge siégeant en révision, conclut que le juge qui a accordé l’autorisation pouvait le faire, il ne devrait pas intervenir. Dans ce processus, la fraude, la non-divulgation, la déclaration trompeuse et les nouveaux éléments de preuve sont tous des aspects pertinents, mais au lieu d’être nécessaires à la révision leur seul effet est d’aider à décider s’il existe encore un fondement quelconque à la décision du juge qui a accordé l’autorisation.

[14] Cette approche semble avoir été adoptée par à peu près toutes les cours d’appel au pays. (Voir R. v. Jackson (1983), 9 C.C.C. (3d) 125 (C.A. C.-B.); R. v. Conrad et al. (1989), 99 A.R. 197; 79 Alta. L.R. (2d) 307; 51 C.C.C. (3d) 311 (C.A.); Hudon v. R. (1989), 74 Sask. R. 204 (C.A.); R. v. Turcotte (1988), 60 Sask. R. 289; 39 C.C.C. (3d) 193 (C.A.); R. v. Borowski (1990), 66 Man. R. (2d) 49; 57 C.C.C. (3d) 87 (C.A.); Bâtiments Fafard Inc. et autres c. Canada et autres (1991), 41 QAC 254 (C.A.); Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général) et autres (1991), 104 R.N.-B. (2e) 1; 261 A.P.R. 1; 55 C.C.C. (3d) 133 (C.A.); R. v. Carroll and Barker (1989), 88 N.S.R. (2d) 165; 225 A.P.R. 165; 47 C.C.C. (3d) 263 (C.A.); R. v. MacFarlane (K.R.) (1993), 100 Nfld. & P.E.I.R. 302; 318 A.P.R. 302; 76 C.C.C. (3d) 54 (C.A. Î.-P.-É.). Il me semble s’agir d’une approche qui s’applique très bien au contrôle de la décision du ministre, laquelle est une décision quasi judiciaire.

Analyse de la décision du ministre

[15] Je vais maintenant examiner en détail la manière dont l'appelante, par l'intermédiaire de son représentant, conteste la décision du ministre. Tout d'abord, le représentant de l'appelante affirme que les règles de justice naturelle n'ont pas été respectées en ce que l'appelante ne savait pas quels faits avaient été présentés au ministre à l'époque où la décision a été rendue et qu'elle n'a donc pas pu apporter quoi que ce soit à cette décision. Évidemment, la procédure suivie dans ce genre d'appels est plutôt étrange. À cet égard, le juge Bowman a dit dans l'affaire Persaud v. M.N.R., [1998] A.C.I. no 11 :

Étrangement, l'appelant est pour la première fois informé de la teneur de ce qu'on appelle les hypothèses lorsque le procureur général dépose une réponse à l'avis d'appel. Si je comprends bien, elles ne sont en général pas communiquées à l'appelant avant que le règlement soit rendu, et l'appelant (à cette étape il est un requérant) n'a pas la possibilité de les réfuter ou d'indiquer pourquoi le règlement qui lui est défavorable ne devrait pas être rendu. Au risque d'affirmer l'évidence même, cette omission constitue manifestement une atteinte fondamentale à l'un des préceptes les plus fondamentaux de la justice naturelle. Puisque nous savons de source sûre que pour arriver à la conclusion qu'il est convaincu ou qu'il n'est pas convaincu, le ministre doit exercer son pouvoir discrétionnaire, il est essentiel que le principe voulant que l'autre partie soit entendue soit respecté. En outre, l'omission de donner les motifs au moment où le pouvoir discrétionnaire est exercé est en soi une violation d'une autre règle cardinale de justice naturelle.

[16] Toutefois, dans la situation dont il s'agit en l'espèce, nous avons peut-être une meilleure idée du déroulement du processus que ce n'est habituellement le cas, car les fonctionnaires ayant pris part à l'enquête, à l'examen et à la prise de la décision ont été appelés comme témoins. C'était peut-être un événement rare. Quoi qu'il en soit, ils se sont présentés, ont expliqué ce qu'ils avaient fait et pourquoi, et ont produit leurs rapports écrits. Tous ces renseignements n'ont été mis à la disposition de l'appelante ou de son représentant que peu avant l'audition de cet appel, lorsqu'ils ont demandé et obtenu une ordonnance de la Cour obligeant le ministre à les leur communiquer. Avant cela, tout ce qu'ils avaient, c'était la réponse à l'avis d'appel, laquelle, là encore, ils n'ont reçue qu'après avoir interjeté appel.

[17] Il a donc été soutenu que, avant que le ministre rende sa décision, on ne leur a communiqué guère d'informations dont ils auraient pu se servir pour contribuer utilement à la prise de cette décision et ils n'ont eu que des possibilités limitées de faire des observations au ministre. En l'espèce, toutefois, cette allégation sonne un peu faux, car l'appelante a été plutôt lente à répondre aux demandes de renseignements que lui avaient adressées des fonctionnaires de Revenu Canada. L'appelante en a appelé au ministre de la première décision, rendue le 17 août 1995, juste avant le 17 novembre 1995, date à laquelle la Division des appels de Revenu Canada lui a fait parvenir une lettre accusant officiellement réception de son appel. L'appelante était informée par cette lettre qu'elle pouvait, si elle le souhaitait, communiquer avec un représentant au numéro de téléphone indiqué, et que quelqu'un communiquerait avec elle dans peu de temps pour prendre des renseignements concernant son dossier. Le 20 décembre 1995, W. S. McCallum, au nom du chef des appels, lui a envoyé une lettre dans laquelle il lui donnait certains renseignements sur le processus et à laquelle il avait joint un questionnaire à remplir afin qu'ils aient “ tous les détails et les faits relatifs à l'emploi ”. Il lui demandait de répondre au plus tard le 23 janvier 1996. L'appelante n'a pas répondu. Le 24 janvier, une autre lettre lui a été envoyée, soulignant que la première lettre était demeurée sans réponse et demandant cette fois une réponse au plus tard le 7 février. L'appelante était informée par cette lettre qu'en l'absence d'une réponse à la date indiquée une décision serait rendue sur la foi des renseignements disponibles. Bien qu'elle n'ait pas répondu à cette lettre, le 9 février encore une autre lettre a été envoyée à l'appelante lui demandant d'envoyer les renseignements voulus au plus tard le 19 février. Cette lettre étant aussi restée sans réponse, la décision a été rendue le 11 mars. Un questionnaire rempli daté du 23 mars a été reçu le 11 avril 1996.

[18] J'ai du mal à conclure que l'appelante a été privée de ses droits en matière de justice naturelle, c'est-à-dire de faire des observations au ministre au sujet de la décision qu'il s'apprêtait à rendre, alors qu'il a fallu courir après elle simplement pour obtenir d'elle les renseignements dont elle disposait. Pour qu'une telle contestation soit admise par la Cour, il me semble qu'il faudrait à tout le moins que la partie appelante ait fait preuve d'une certaine diligence, ce qui n'est guère le cas en l'espèce. Donc, je ne pense pas qu'une telle contestation de la décision du ministre puisse être admise en l'espèce, ne serait-ce que pour cette seule raison. Il ne faut pas croire pour autant que la Cour appuie la procédure plutôt curieuse suivie par Revenu Canada, procédure dans laquelle les faits qui doivent être communiqués au ministre pour lui permettre de rendre sa décision ne sont pas communiqués à la partie appelante de manière qu'elle puisse présenter au ministre des observations sur ces faits. Toutefois, il convient probablement davantage que cette question soit examinée dans le cadre d'une affaire plus appropriée.

[19] Les faits sur lesquels on dit que le ministre s'est fondé pour parvenir à sa décision sont énoncés dans la réponse à l'avis d'appel, signée par l'avocat au nom du sous-procureur général du Canada. Ils sont évidemment énoncés aussi, de façon plus détaillée, dans le rapport au ministre rédigé et signé par William McCallum, qui fait partie de la pièce A-1 produite en l'espèce. Je ne vois pas de différence importante entre ces deux documents, si ce n'est que le rapport fait état d'un examen du compte T2 de la compagnie pour les années 1991 à 1994 et de ses revenus bruts pour 1991 à 1995 selon son dossier de TPS. Le rapport contient en outre un résumé du dossier T1 de l'appelante faisant état de son revenu pour les années 1987 à 1994. Bien qu'il s'agisse là de renseignements supplémentaires par rapport à l'information communiquée par l'avocat au nom du sous-procureur général dans la réponse à l'avis d'appel et que la Cour s'inquiète un peu de ce que la décision ait peut-être été fondée sur autre chose que l'information ainsi communiquée, je ne pense pas que, en l'espèce, les renseignements supplémentaires aient fait une différence. À part cela, il y avait dans le rapport plusieurs pages de renseignements qui se rapportaient simplement à la question de savoir s'il s'agissait d'un contrat de louage de services ou d'un contrat d'entreprise, soit un point que le ministre a maintenant concédé.

[20] Je n'entends pas exposer tous les faits énoncés dans la réponse, car je peux simplement affirmer que l'appelante les a admis pour la majeure partie, comme l'a fait son fils Gabriele, qui a témoigné pour le compte de la compagnie. L'appelante a contesté l'affirmation du ministre selon laquelle elle n'avait pas fourni des services à la compagnie à temps plein. Les deux témoins ont déclaré que l'appelante accompagnait l'équipe tous les jours et que, le matin, pendant que le gros travail était effectué, elle livrait dans le voisinage les dépliants publicitaires de la compagnie. On a dit que l'après-midi elle supervisait l'équipe et que, à l'aide d'un balai, elle faisait pénétrer du sable entre les briques qui venaient d'être posées. Bien qu'elle ait très bien pu accompagner fréquemment l'équipe et livrer des dépliants publicitaires, je doute fortement que l'appelante ait supervisé l'équipe ou qu'elle ait, de façon soutenue, balayé ou effectué d'autres travaux non spécialisés sur les chantiers. J'ai pu comprendre, d'après son témoignage, qu'elle accompagnait l'équipe plutôt pour le plaisir. Elle a cependant admis dans une large mesure les faits énoncés dans la réponse.

[21] Je ne vois rien dans les faits ou dans la preuve qui permette d'affirmer que la décision a été rendue de mauvaise foi ou qu'elle se fondait sur un objectif ou un motif inapproprié. Je ne vois rien qui permette d'affirmer que des facteurs non pertinents ont été pris en considération ou qu'on n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes. En fait, l'enquêteur a fait plus que le strict minimum en essayant d'obtenir des renseignements de l'appelante. De plus, il me semble que toutes les questions dont le ministre était censé tenir compte en ce qui concerne les circonstances de l'emploi ont bien été prises en considération, y compris la rétribution versée, les modalités d'emploi, ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli.

[22] La preuve révèle en particulier que les chèques remis à l'appelante n'ont pas été déposés régulièrement. L'appelante a déclaré qu'elle allait à la banque encaisser ses chèques tous les samedis. Cependant, il ressort clairement des livres que des chèques dont les numéros étaient consécutifs ont été déposés à ces mêmes dates irrégulières. En outre, un chèque d'un montant important, représentant trois semaines de paie, a été déposé le 1er octobre 1993, une semaine avant la fin déclarée de l'emploi. Cela me semble ne pas cadrer du tout avec le genre de relation qui existerait normalement entre des personnes n'ayant pas de lien de dépendance entre elles. Cela n'a pas été fait à titre d'avance ou de quelque chose de cette nature, comme on pourrait le faire dans le cas d'un employé ordinaire. J'ai également remarqué que les heures censément travaillées par l'appelante n'avaient été inscrites nulle part. Cette dernière touchait un montant déterminé pour chaque période de paie, peu importe le nombre d'heures qu'elle a travaillées ou la nature du travail qu'elle a effectivement accompli. En outre, bien qu'il soit loisible aux gens d'organiser leurs affaires comme ils l'entendent, ce n'est peut-être pas seulement une coïncidence que le nombre exact de semaines nécessaires pour présenter une demande de prestations d'assurance-chômage a été accumulé et que personne n'a été engagé avant ou après pour remplacer l'appelante.

Conclusion

[23] À mon avis, le ministre avait, d'un point de vue objectif et raisonnable, suffisamment de raisons d'arriver à la conclusion que les parties n'auraient pas conclu un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu entre elles un lien de dépendance. Compte tenu de l'ensemble de la preuve qui m'a été présentée, l'appelante n'est pas parvenue à mon avis à démontrer qu'il y avait une erreur donnant lieu à contrôle dans la décision du ministre. Par conséquent, la décision du ministre est confirmée et l'appel est rejeté.

Signé à Calgary (Alberta) ce 14e jour de janvier 1999.

“ Michael H. Porter ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 24e jour de février 1999.

Erich Klein, réviseur

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