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Date : 20000315

Dossiers : 97-1789-IT-I; 97-1790-IT-I; 97-1833-IT-I; 97-2450-IT-I

ENTRE :

PATRICIA ANN GRANT, GEORGE GRANT, BRIAN S. MARKELL,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

Intimée.

Motifs du jugement

Le juge en chef adjoint Bowman, C.C.I.

[1] Les appels sont à l'encontre de cotisations établies à l'égard de Patricia Ann Grant et de son époux George Grant pour les années d'imposition 1991 et 1992 et à l'égard de Brian S. Markell pour les années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994. Ils ont été entendus ensemble.

[2] Dans le cas de M. et Mme Grant, les appels portent sur des pertes dont ils ont demandé la déduction relativement à des participations détenues dans la société en commandite Queen Street, qui était propriétaire d'un immeuble d'habitation à Kingston (Ontario).

[3] M. Markell était lui aussi un commanditaire de la société en commandite Queen Street et il demande essentiellement la même chose que M. et Mme Grant. Il détenait aussi des unités d'une société en commandite appelée Gallery 2000, qui était propriétaire d'un petit centre commercial à Pembroke. Les chiffres ne sont pas contestés. Les pertes dont M. Markell demande la déduction sont la conséquence d'une réduction de la valeur des biens détenus par la société en commandite Queen Street ou la copropriété Studio 2000. La nature de sa participation dans Wellington Retirement Centre Inc. est un peu moins claire; à cet égard, il demande une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise (“ PDPE ”).

[4] Le contexte est le suivant. Les Grant et M. Markell se sont intéressés aux projets immobiliers en cause ici par l'intermédiaire de Gary Simpson, un conseiller financier. M. Simpson avait travaillé pendant de nombreuses années pour le Groupe Investors. En 1984, il a quitté cette compagnie et s'est joint à Glenn Lucas, qui avait de l'expérience dans l'immobilier. En très peu de temps, ils ont acheté trois propriétés résidentielles à Vanier et les ont vendues avec bénéfice en l'espace de quelques mois. M. Simpson a considéré le profit comme un revenu. Les achats étaient lourdement financés. Au cours des brèves périodes pendant lesquelles ils les ont détenues, les propriétés étaient louées.

[5] Le projet suivant concernait le Conacher, un immeuble d'habitation de 24 unités situé à Kingston. En 1984, 24 investisseurs ont payé 600 000 $ pour en faire l'acquisition; ils l'ont revendu avec un bénéfice de 400 000 $ en 1987. L'achat a été financé par une société en commandite. M. Simpson a considéré sa part du bénéfice comme un gain en capital. Les commanditaires semblent avoir traité les bénéfices réalisés par la société en commandite avec une remarquable fluidité dans le cadre des différents projets immobiliers. J'aurais cru que les bénéfices d'exploitation réalisés par une société et attribués aux commanditaires seraient traités comme la part du revenu de ceux-ci et que les gains et pertes en capital attribués aux commanditaires seraient traités de manière semblable. Les acheteurs ayant omis d'effectuer les paiements hypothécaires, la société en commandite a saisi l'immeuble en réalisation de sa garantie hypothécaire. En 1991, elle a ramené la valeur comptable de l'immeuble à 825 000 $ et déduit une perte autre qu'une perte en capital.

[6] Ces syndicats immobiliers ont été établis par l'intermédiaire de Real Property Investments and Management Ltd. (“ RPIM ”), une compagnie appartenant à MM. Lucas et Simpson. Ils procédaient de la façon suivante. RPIM achetait l'immeuble “ en fiducie ” puis le vendait avec bénéfice à une société en commandite. L'expression “ en fiducie ” est quelque peu dénuée de sens puisqu'on n'a jamais pu dire avec certitude en faveur de qui l'immeuble en cause était acheté “ en fiducie ”. Une part du bénéfice réalisé par suite de la vente était versée à M. Simpson, qui la traitait comme une commission. Je n'ai pas à examiner la façon plutôt intéressante et inhabituelle dont ces bénéfices ont été comptabilisés et ont abouti entre les mains des actionnaires. L'important c'est que, dans le cadre des 19 autres syndicats immobiliers qui ont fait suite au projet Conacher, que les investisseurs fassent ou non de l'argent, MM. Simpson et Lucas voyaient généralement à ce qu'eux-mêmes ou RPIM tirent leur épingle du jeu au plan financier. Dans presque tous les projets, le bien était acheté par RPIM et vendu avec bénéfice à une société de personnes ou à une copropriété.

[7] Voici une liste des transactions en question ainsi qu'une brève description de chacune :

Rue Regent : Cet immeuble d'habitation était situé à Kingston. RPIM l'a vendu avec bénéfice à une société de personnes, qui l'a revendu avec bénéfice dans les deux années qui ont suivi. M. Simpson croit que les autres associés ont traité le bénéfice comme un gain en capital, mais RPIM, qui détenait une unité dans la société, a traité sa part du bénéfice comme un revenu. J'arrive difficilement à voir comment cela pourrait être approprié. La décision de considérer un bénéfice ou un gain comme un revenu ou un gain en capital appartient à la société, non pas aux associés.

The Winchester : Dans ce cas, on a procédé de la même façon que pour le projet de la rue Regent. RPIM a vendu la propriété avec bénéfice à une société qui l'a revendue avec bénéfice dans les trois années suivantes, et tous les associés, sauf RPIM, ont traité leur part du bénéfice comme un gain en capital.

The Academy : Il s'agit dans ce cas-ci d'un immeuble d'habitation situé à Bath. Comme dans les autres cas, RPIM l'a vendu avec bénéfice à une société de personnes. Ce projet n'ayant pas obtenu de succès, le Trust National, qui était le créancier hypothécaire, a repris l'immeuble et l'a vendu. Les investisseurs ont subi une perte.

Neepawa Townhouse Project : Il s'agit ici d'unités locatives. Elles ont été vendues aux termes d'un pouvoir de vente et les investisseurs ont perdu de l'argent.

Rue Queen : Il s'agit d'un des projets en cause en l'espèce. M. Markell et les Grant ont investi dans cette société en commandite. Le bien était un immeuble d'habitation situé à Kingston. RPIM (ou peut-être le commandité, 652706 Ontario Ltd.) l'a acheté “ en fiducie ” et l'a vendu à la société en commandite. M. Simpson devait recevoir sa part du bénéfice une fois l'immeuble vendu avec bénéfice par la société, ce qui ne s'est jamais produit.

Le projet a échoué. L'immeuble a été loué à des étudiants d’université. En 1991, la société en a réduit la valeur comptable dans ses livres et a traité cette réduction comme une réduction de la valeur du bien figurant dans l'inventaire. La perte résultant de cette réduction de valeur a été traitée comme une perte de revenu et elle a été répartie entre les commanditaires.

En 1992, le créancier hypothécaire de premier rang a saisi l'immeuble en réalisation de sa garantie hypothécaire et l'a vendu. La même année, les Grant ont déduit une perte d'entreprise que le ministre du Revenu national a refusée et traitée comme une perte en capital.

Je reviendrai sur cette transaction plus loin.

Gallery 2000 : M. Markell a pris part à ce projet également. Il s'agissait d'une copropriété et non d'une société de personnes. Le bien en question était un centre commercial situé à Pembroke. À l'instar d'un grand nombre des projets auxquels ont pris part M. Simpson, M. Lucas et RPIM, celui-ci a échoué et, en 1992, une réduction de valeur a été effectuée et traitée comme une moins-value des stocks. M. Markell et peut-être aussi les autres investisseurs ont déduit leur part de la perte dans le calcul de leur revenu.

Harbour Place : Il s'agit d'un immeuble commercial de Kingston. Il a été acquis par une société en commandite dont RPIM détenait une ou plusieurs unités. Une offre d'achat a été faite à l'égard de l'immeuble en question, mais, certains des commanditaires s'opposant à la vente, l'offre a été rejetée, bien que le groupe de M. Lucas, M. Simpson et RPIM voulût l'accepter. À la fin, l'immeuble a été vendu à perte aux termes d'un pouvoir de vente.

Rosemont Seniors Residence : Il s'agit d'une résidence pour retraités qui a été construite par le groupe RPIM et un promoteur, qui détenaient des participations dans une société en commandite formée à cette fin.

Comme bien d'autres projets, celui-ci a échoué; une faillite s'en est suivie et les investisseurs ont perdu de l'argent.

The Kingston Daycare : Il s'agit d'un immeuble commercial de Kingston. Il a été acheté par RPIM “ en fiducie ” et vendu à une société en commandite. Contrairement à la plupart des autres projets, l'immeuble a été vendu avec bénéfice deux ans plus tard.

Faisant partie des détenteurs d'unités, RPIM a traité sa part du bénéfice comme un revenu; les autres investisseurs ont traité leur part comme un gain en capital. Ainsi qu'il a été noté pour ce qui est du projet de la rue Regent, la différence de traitement entre les associés est injustifiée, mais elle n'est pas pertinente dans les présents appels.

Wellington Retirement Centre : Des terrains ont été groupés à l'intersection des rues Somerset et Wellington.

Comme d'habitude, le terrain a été acheté par RPIM “ en fiducie ” et vendu avec bénéfice à la copropriété. L'un des investisseurs était M. Markell, qui a déduit une perte à titre de PDPE. Je reviendrai sur ce projet plus loin car il est en cause dans les appels qui nous occupent.

Rue Cooper : Il s'agit d'un modeste projet immobilier commercial que MM. Simpson et Lucas et d'autres investisseurs ont conservé pendant un an ou à peu près et ont ensuite vendu avec bénéfice.

Loughborough Shores : Il s'agit d'un lotissement situé près de Kingston que MM. Lucas et Simpson et d'autres investisseurs ont tenté de promouvoir et de vendre, mais sans succès; ils ont perdu de l'argent.

Petawawa Beach Estates : Il s'agit d'un lotissement de 28 acres dont MM. Lucas et Simpson ainsi que d'autres investisseurs ont fait la promotion et qu'ils ont vendu, pour faire changement, avec bénéfice.

Hincks Plaza : Il s'agit d'un petit centre commercial situé à Pembroke. RPIM l'a acheté “ en fiducie ” et l'a revendu avec bénéfice à une copropriété dont elle détenait environ le tiers des unités. Une faible perte a été subie lors de sa vente.

Shangri-La Campground, Lodge & Marina : On a procédé de la manière habituelle : RPIM a acheté le bien puis l'a revendu avec bénéfice à des investisseurs. Il n'a pas encore été aménagé ni vendu.

Cobourg Plaza : MM. Lucas et Simpson ont acheté la propriété, une parcelle de terrain de deux acres, et ont essayé de l'aménager de façon à y construire un petit centre commercial. Ils ont fait de l'argent lorsqu'ils ont attiré des investisseurs, mais ils ont finalement perdu cette propriété aux mains du créancier hypothécaire de premier rang.

Elmsmere Seniors Residence : On a procédé de la manière habituelle : RPIM a acheté l'immeuble et l'a revendu avec bénéfice — un bénéfice substantiel — à une société en commandite. M. Simpson a vendu sa participation en 1993.

Wellington Business Centre : Ce projet a été perdu aux mains du créancier hypothécaire de premier rang.

Collins Court Plaza : Il s'agit d'un petit centre commercial situé à Napanee. Lorsque RPIM l'a vendu à une société en commandite, les investisseurs ont fait de l'argent, mais ils ont perdu l'immeuble aux mains d'un créancier hypothécaire.

[8] J'ai énuméré cette liste de projets, dont la plupart se sont révélés désastreux pour les investisseurs, car cela permet d'établir sans l'ombre d'un doute que MM. Lucas et Simpson et leur compagnie étaient des spéculateurs immobiliers. Ils procédaient en général selon la méthode de l'achat-revente. Peu soucieux du sort des malheureux investisseurs à qui ils vendaient un projet, ils faisaient habituellement en sorte d'empocher d'abord leurs bénéfices.

[9] À partir de cette conclusion assez évidente, j'arrive à la véritable question en litige : les biens en cause dans les projets auxquels ils ont pris part étaient-ils des biens figurant dans l'inventaire détenus dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise, ou des biens détenus dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial?

[10] Si les biens détenus par la société en commandite Queen Street et la copropriété Studio 2000 figurent dans l'inventaire des propriétaires, la réduction de leur valeur est justifiée. Le montant de la réduction n'est pas contesté. En fait, les biens ont subi une diminution de valeur importante et ont été vendus subséquemment à un prix inférieur à la valeur réduite.

[11] La diminution de la valeur des biens s'est produite en 1992, avant la modification de l'article 10, qui était destinée à obvier à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire J. Friesen c. La Reine, [1995] 3 R.C.S. 103 ([1995] 2 C.T.C. 369). La Cour suprême du Canada y a conclu à la majorité que le terrain détenu dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial était un bien figurant dans l'inventaire au sens de l'article 10 et pouvait être évalué au moindre de son coût et de sa valeur marchande. Si la valeur du terrain diminuait par rapport au coût original de celui-ci, le contribuable pouvait en réduire la valeur comptable et déclarer une perte d'entreprise pour l'année en question, même si le terrain n'avait pas été vendu dans l'année. Le paragraphe 10(1.01) de la Loi de l'impôt sur le revenu a été adopté subséquemment pour éviter ce résultat, mais, dans les années en cause, si le bien figurait dans l'inventaire, le principe énoncé dans l'arrêt Friesen s'appliquait.

[12] S'agissait-il de biens figurant dans l'inventaire? En l'espèce, les témoignages oraux et la preuve documentaire semblent contradictoires. Je me pencherai d'abord sur les témoignages oraux. Il revient à la société en cause de déterminer si le bien dont elle est propriétaire est un bien en immobilisation ou s'il répond à la définition de bien figurant dans l'inventaire. Une société n'est pas une personne morale, bien que l'article 96 requière que son revenu ou ses pertes soient calculés “ comme si ” elle était une personne distincte. Pour déterminer si on détient un bien en vue de tirer un revenu ou en tant qu'immobilisation, il faut appliquer les critères habituels à la société. Il ne m'est pas nécessaire d'alourdir les présents motifs en faisant une autre pénible énumération des critères habituels. Nous les connaissons tous. Ils sont bien résumés dans l'affaire Happy Valley Farms Ltd. c. La Reine, C.F. 1re inst., no T-6632-82, 16 juillet 1986 (86 DTC 6421), et dans l'affaire M.N.R. v. Taylor, 56 DTC 1125. Les critères énoncés dans l'affaire Taylor ont été approuvés dans l'affaire Irrigation Industries Ltd. v. M.N.R., 62 DTC 1131. La notion d'“ intention secondaire ” a été analysée dans l'affaire Racine, Demers and Nolin v. M.N.R., 65 DTC 5098. Dans l'arrêt Regal Heights Limited v. M.N.R., [1960] C.T.C. 384, la Cour suprême du Canada avait prévu l'apparition de cette notion.

[13] Comment, donc, applique-t-on les principes bien connus énoncés dans ces affaires à une société de personnes ou à une copropriété alors que les investisseurs individuels peuvent très bien avoir des attentes et des intentions très variées? Un copropriétaire ou un associé peut espérer réaliser un bénéfice rapidement alors qu'un autre peut avoir en tête un placement à long terme.

[14] Il faut d'abord examiner la nature et la structure de la société elle-même. Dans une société en commandite, le commandité contrôle les opérations. Le commanditaire joue un rôle passif, mais, si la société exploite une entreprise, il en fait autant : La Reine c. Robinson et al., [1998] 2 C.F. 569 (98 DTC 6065); Grocott c. La Reine, C.C.I., no 95-1936(IT)I, 26 septembre 1995 (96 DTC 1025).

[15] Pour déterminer si la société, considérée comme une personne distincte fictive, prend part à un projet comportant un risque de caractère commercial, il faut examiner ce que la société fait réellement et déterminer quels sont les motifs et les intentions des personnes qui, dans les faits, dirigent celle-ci. Je n'entends pas nécessairement par là les personnes qui détiennent le plus grand nombre de voix ou la plus grande participation dans la société. Je veux parler plutôt des associés qui occupent une position dominante dans la société et qui en sont l'âme dirigeante et les instigateurs. Dans certains cas, il peut être difficile de répondre à la question, mais, dans la présente affaire, je n'ai aucune difficulté à y répondre : de toute évidence, c'étaient MM. Lucas et Simpson et leur compagnie RPIM. Ce sont eux qui, dans les faits, prenaient les décisions relatives aux sociétés en cause. M. Lucas et RPIM, dans laquelle M. Simpson détenait une participation, étaient les promoteurs. La situation n'est pas différente de celle qui existait dans l'affaire M.N.R. v. Lane, 64 DTC 5049, où, aux pages 5054 et 5055, le juge Noël déclarait ceci :

D'après cela, il semble que les adhérents qui ne participaient pas activement à la vie du syndicat étaient très contents d'abandonner la conduite des activités de ce dernier au comité exécutif qui avait carte blanche pour gérer les affaires du syndicat de la façon qu'il jugeait la meilleure; cela permettait à cette catégorie d'adhérents d'être, en l'espèce, dans la même situation que les membres actifs du syndicat. En fait, s'il s'agissait d'opérations d'affaires, tout profit en résultant pour tout membre du syndicat était imposable.

[16] M. Markell et M. et Mme Grant étaient parfaitement heureux de laisser les décisions à MM. Lucas et Simpson qui, ainsi qu'il a été mentionné précédemment, étaient de toute évidence des spéculateurs immobiliers qui imposaient leurs intentions et leurs façons de fonctionner dans tous les projets auxquels ils prenaient part.

[17] Quant à ce qui se produisait dans les faits, MM. Lucas et Simpson et RPIM achetaient un bien immobilier et le revendaient à une société de personnes comme la société en commandite Queen Street, ou à une copropriété comme Gallery 2000, dans l'intention d'en tirer rapidement un bénéfice. Dans la plupart des projets, cependant, en raison du déclin du marché immobilier survenu à la fin des années 1980 et au début des années 1990, ils n'ont pu revendre les biens en cause avec bénéfice. Il ressort des faits que, peu importe ce qui était écrit dans la documentation promotionnelle ou dans les prospectus, l'intention de MM. Simpson et Lucas était de faire en sorte que ces sociétés ou copropriétés vendent les biens en cause avec bénéfice le plus rapidement possible.

[18] On retrouve nombre d'indices d'une intention spéculative tout au long des différentes transactions :

Il n'existait aucune structure de gestion en mesure de gérer les projets immobiliers du type de ceux que le groupe Simpson, Lucas et RPIM exploitait en consortium.

Les sociétés grevaient les biens en cause de lourdes hypothèques et, dans plusieurs cas, les investisseurs devaient aussi emprunter de l'argent pour financer l'acquisition d'unités.

MM. Lucas et Simpson, qui étaient manifestement des spéculateurs, ainsi que RPIM, avaient généralement une participation dans les projets, soit à titre de copropriétaires, soit à titre de commanditaires. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il est peu probable qu'ils aient voulu conserver les biens en cause à titre de placements à long terme.

[19] Les déclarations d'intention sont rarement très fiables, et elles le sont encore moins lorsqu'elles sont faites par des participants minoritaires ayant un rôle passif dans un projet. De plus, ces déclarations n'indiquent pas nécessairement l'intention de la société dans son ensemble. On ne peut cependant les écarter complètement, et les déclarations de Mme Grant et de M. Markell traduisent une intention de spéculation. Mme Grant est infirmière et M. Markell était policier; il est maintenant à la retraite. Je les ai observés, et il est clair à mon avis qu'ils sont des investisseurs peu avertis qui ignorent la différence entre des gains en capital et des bénéfices d'exploitation ou entre une participation dans une société et la propriété directe d'un bien immobilier. Mme Grant a investi dans quatre des projets en cause — Wellington, rue Queen, Harbour Place et Elmsmere. Elle a témoigné qu'elle s'attendait à ce que tous ces projets se soldent par une vente avec bénéfice.

[20] M. Markell a investi dans les projets Neepawa, rue Queen, Gallery 2000 et Wellington. Il s'attendait à récupérer l'argent qu'il avait perdu à la bourse.

[21] Il est clair que ces deux investisseurs, au moins, souhaitaient réaliser rapidement un bénéfice et non effectuer un placement à long terme. Ce qui revêt cependant le plus d'importance, c'est que l'objectif principal qui sous-tendait tous ces projets était la réalisation d'un bénéfice rapide par la revente.

[22] J'ai mentionné précédemment que les témoignages oraux ne concordaient pas avec la preuve documentaire. Plus particulièrement, le prospectus concernant le projet de la rue Queen contient un certain nombre de déclarations, dont voici des exemples :

[TRADUCTION]

Seuls les investisseurs en mesure d'effectuer un placement à long terme devraient songer à investir.

[...]

La société de personnes a été formée le 15 août 1986 en vue d'acquérir, de détenir et de gérer un immeuble [...] situé à Kingston (Ontario).

[23] À la page 10, on peut lire ce qui suit :

[TRADUCTION]

Objectifs et concept de la société de personnes

La présente offre vise à donner à ceux qui investissent dans des unités de la société l'occasion de tirer un revenu en espèces de l'immeuble détenu et géré par la société. En outre, dans la première année d'exploitation de l'immeuble, les investisseurs devraient pouvoir déduire de leur revenu personnel, peu importe sa source, toute perte de la société qui est attribuable, aux fins de l'impôt sur le revenu, à certains frais de services initiaux reliés au financement de l'immeuble. Voir “ Conséquences fiscales au Canada ”.

[24] À la page 21, on mentionne le “ gain en capital ” prévu si l'immeuble est vendu en 1990. Une partie importante du prospectus porte sur les conséquences fiscales qui reposent sur la réalisation d'un gain en capital au moment de la vente de l'immeuble.

[25] Je ne reproduirai aucune autre mention générale figurant dans le prospectus. Nous avons tous vu cela des dizaines de fois dans les prospectus de syndicats immobiliers : un libellé destiné à protéger les promoteurs (et, on le présume, leurs avocats), à museler les organismes de réglementation du commerce des valeurs mobilières, à confondre le fisc, à ne rien dire de compréhensible aux investisseurs ¾ pour les empêcher d'intenter des actions en justice ¾ et à faire en sorte que les gains en capital importants et les montants déductibles aux fins de l'impôt promis de vive voix par les promoteurs soient enfouis sous plusieurs couches de verbiage et d'hypothèses non étayées. Je n'ai guère de doute que, si les projets s'étaient soldés par des ventes avec bénéfice, ces mêmes investisseurs auraient invoqué les termes du prospectus pour soutenir que le bénéfice en question était un gain en capital. Néanmoins, je dois me pencher sur les faits à l'existence desquels j'ai conclu, et non sur les hypothèses qui auraient peut-être pu être avancées à l'appui d'une conclusion différente dans des circonstances différentes.

[26] Il est très clair que les appelants dans les affaires qui nous intéressent n'ont pas lu le prospectus. Je doute qu'ils l'eussent compris s'ils l'avaient lu. Les prospectus de ce genre sont censément rédigés à l'intention des investisseurs, dans le but de les protéger et de les renseigner. Cet objectif, s'il existe, est secondaire. L'objectif principal est la protection des promoteurs.

[27] À mon avis, les prospectus ne nous aident aucunement à déterminer si la propriété de la rue Queen a été détenue comme bien figurant dans l'inventaire ou à titre d'immobilisation. Pas plus que les états financiers, selon lesquels l'immeuble était une “ immobilisation ”. Ces documents ne reflètent simplement pas la réalité.

[28] Je conclus en fait que les propriétés en cause dans les projets de la rue Queen et Studio 2000 dont il est question en l'espèce étaient détenues dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial et que, conformément à l'arrêt Friesen, la société ou les copropriétaires, selon le cas, avaient le droit de faire correspondre la valeur de ces propriétés à leur valeur marchande, ce qui donnait donc lieu à une perte au titre de l'inventaire.

[29] En ce qui concerne la Wellington Retirement Centre Inc., les faits sont plus compliqués, pour ne pas dire embrouillés. Le projet a d'abord pris la forme, semble-t-il, d'un groupement parcellaire à Ottawa, les investisseurs ayant l'intention d'y construire une résidence pour personnes âgées. L'intention initiale était de vendre le terrain à des copropriétaires. Par suite, apparemment, d'un changement de politique de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario, on a dû convertir le projet en société en commandite. Cependant, un nombre insuffisant d'unités ayant été vendues, la société en commandite n'a jamais existé et n'a donc jamais acquis le terrain.

[30] M. Markell a déduit à titre de PDPE la perte subie au titre des avances faites dans le cadre du projet. Une PDPE est une perte subie par un contribuable relativement à un prêt consenti à une société privée sous contrôle canadien (“ SPCC ”) ou à la souscription d'actions d'une société exploitant une petite entreprise (c'est-à-dire une SPCC qui exploite une entreprise activement).

[31] Dans l'avis d'appel, il réclame la déduction d'une PDPE.

[32] Je n'ai pu constater l'existence d'aucun prêt consenti à une compagnie du genre de celles décrites dans la définition de perte d'entreprise énoncée à l'alinéa 39(1)c). M. Markell a manifestement investi de l'argent dans le projet, mais on ne sait pas de quelle manière il l'a fait. De toute évidence, il n'a pas consenti un prêt à l'une quelconque des personnes morales qui semblaient exister ni souscrit des actions de l'une d'elles. La Wellington Retirement Centre (1990) Inc. figurait parmi les sociétés qui ont été mentionnées. Rien n'indique que M. Markell lui a consenti un prêt et, quoi qu'il en soit, la preuve semble montrer clairement que la Wellington Retirement Centre (1990) Inc. était inactive et qu'elle n'exploitait pas activement une entreprise — une condition essentielle pour être considérée comme une société exploitant une petite entreprise.

[33] L'avocat des appelants m'a invité à modifier le fondement de la déduction effectuée par M. Markell et à conclure qu'il s'agit d'une réduction de valeur du bien figurant dans l'inventaire ou simplement d'une perte subie lors de la disposition d'un bien figurant dans l'inventaire.

[34] Il est un peu tard, après que toute la preuve a été produite, pour modifier radicalement le fondement sur lequel la demande de déduction est faite. Même si j'étais disposé à acquiescer à la demande de l'avocat, je ne crois pas que cela changerait quoi que ce soit à l'issue de l'affaire. On ne peut dire avec certitude si M. Markell a à quelque moment que ce soit acquis une participation dans le terrain. La société en commandite n'en a certainement pas acquis; en réalité, la société en commandite n'a jamais existé. Je ne vois aucune raison de modifier la décision du ministre de traiter la perte découlant du projet Wellington comme une perte en capital.

[35] En conséquence, les appels de George et Patricia Grant portant sur les années 1991 et 1992 sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations compte tenu de ce qui suit :

George Grant a le droit de déduire dans le calcul de son revenu des pertes d'entreprise de 8 067 $ en 1991 et de 9 067 $ en 1992, soit sa part de la perte subie par la société Queen Street du fait de la réduction, en 1991, de la valeur du bien en cause figurant dans l'inventaire, et sa part de la perte subie lors de la disposition du bien en 1992.

Patricia Grant a le droit de déduire dans le calcul de son revenu des pertes d'entreprise de 8 067 $ en 1991 et de 19 532 $ en 1992 pour le même motif que celui pour lequel George Grant peut le faire, et également relativement au montant de 8 670,68 $ qu'elle a été tenue de payer à 358426 Ontario Ltd.

[36] Les appels de Brian Markell relatifs aux années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994 sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations au motif que M. Markell avait le droit de déduire une perte de 18 571 $, c'est-à-dire sa part de la perte subie par la société de personnes concernée dans le projet de la rue Queen du fait de la réduction de la valeur du bien en cause, et de 12 814 $, c'est-à-dire sa part de la perte découlant de la réduction de la valeur du bien en cause dans le projet Gallery 2000, et de rajuster en conséquence les reports de pertes sur les années ultérieures.

[37] Les appelants ont droit à leurs frais sur le fondement d'un mémoire d'honoraires d'avocat.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mars 2000.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.A.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 13e jour d'octobre 2000.

Philippe Ducharme, réviseur

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