Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19990607

Dossier: 98-276-GST-I

ENTRE :

STANLEY J. TESSMER LAW CORPORATION,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement modifiés

Le juge McArthur, C.C.I.

[1] La personne morale appelante exploite un cabinet d’avocats. Les services juridiques sont fournis par Stanley J. Tessmer ( « Me Tessmer » ), un avocat de la défense dans des causes criminelles, qui n’accepte de représenter que les personnes inculpées de crimes tels que la conduite d’un véhicule avec facultés affaiblies ou la culture de la marijuana. La question à trancher en l’espèce est de savoir si la personne morale appelante est tenue de verser la taxe sur les produits et les services (TPS) à l’égard des honoraires qu’elle demande pour ses services juridiques. Me Tessmer a témoigné dans le cadre de son appel et il a prétendu qu’il est inconstitutionnel de demander aux clients de l’appelante de payer la TPS.

[2] L’appelante reçoit 5 000 $, TPS en sus, pour défendre un client accusé de conduite d’un véhicule avec facultés affaiblies et 10 000 $, TPS en sus, pour défendre un client accusé d’avoir cultivé de la marijuana. Le ministre du Revenu national a établi une cotisation à l’égard de l’appelante pour la somme de 2 923,37 $ en TPS plus l’intérêt et les pénalités pour la période allant du 1er janvier 1997 au 31 mars 1997. L’appelante avait perçu la TPS durant cette période mais ne l’avait pas versée au ministre afin d’être en mesure de présenter le présent appel. La somme en question a maintenant été versée.

Position de l’appelante

[3] L’alinéa 10 b) de la Charte canadienne des droits et des libertés (la « Charte » ) accorde à tout prévenu ou détenu le droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat. Dans l’arrêt Regina v. Leclaire and Ross,[1] la Cour suprême du Canada a interprété le mot « avocat » comme signifiant pour le prévenu ou le détenu « l’avocat de son choix » . Me Tessmer a fait valoir que si un client désire être représenté par l’appelante et est en mesure de verser 5 000 $ ou 10 000 $ pour les honoraires mais non les 350 $ ou 700 $ additionnels pour la TPS, alors il y a violation de son droit de choisir l’avocat de son choix, droit que lui garantit l’al. 10 b) de la Charte.

Position de l’intimée

[4] Pour qu’une personne puisse invoquer un des droits garantis par la Charte, il faut qu’il s’agisse d’un droit dont elle jouit elle-même, comme l’a conclu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Le procureur général du Québec c. Irwin Toy Limited.[2] L’appelante ne peut pas attaquer la constitutionnalité de la loi relative à la TPS parce qu’elle viole les droits d’une autre personne. Ce sont les clients de l’appelante qui doivent payer la TPS et non l’appelante. Deuxièmement, l’al. 10 b) accorde à tout prévenu ou détenu le droit d’être informé de son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat. Dans l’arrêt John Carten Personal Law Corp. v. British Columbia (Attorney General),[3] la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a statué que la taxe sur les services juridiques prévue dans la British Columbia Social Services Tax Amendment Act, 1992, ne pouvait être déclarée inconstitutionnelle à moins que l’appelante ne démontre que le prévenu ou le détenu ne pouvaient avoir recours à l’assistance d’un avocat ou qu’ils étaient empêchés de le faire en raison de la taxe de 7 p. 100. L’appelante devait établir qu’ « un droit qui aurait pu être exercé n’eut été la taxe ne pouvait l’être en raison de cette taxe » .[4]

La loi

[5] L’alinéa 10 b) de la Charte canadienne des droits et des libertés est ainsi libellé :

10 Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention :

[...]

b) d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit ; [...]

Analyse

[6] Il ne fait aucun doute que les clients de l’appelante et, de fait, toute personne mise en état d’arrestation ou placée en détention a le droit d’être informée de son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat. Dans son argumentation, l’appelante fait surtout valoir que l’al. 10 b) donne au prévenu ou au détenu le privilège d’avoir recours à l’avocat de son choix sans que ses ressources financières n’entrent en ligne de compte. À mon avis, une telle interprétation élargirait trop le champ d’application de l’al. 10 b). Les systèmes d’aide juridique établis en Colombie-Britannique et dans les autres provinces fournissent les services d’avocats à tous ceux qui ont été mis en état d’arrestation ou placés en détention. Sûrement, l’objectif visé par l’al. 10 b) est de veiller à ce que tous les prévenus et tous les détenus soient informés de leur droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat et des mesures prises par les divers régimes d’aide juridique pour faire en sorte qu’ils puissent obtenir des services juridiques abordables.

[7] Dans l’affaire Panacui v. Legal Aid Society (Alta.),[5] le juge McDonald a examiné la question de savoir s’il est permis à un prévenu d’employer les fonds de l’État pour retenir les services de l’avocat de son choix au lieu d’être représenté par celui que l’État avait sélectionné pour lui. Il a conclu aux pp. 143 et 144 que le droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat garantit au prévenu qu’il pourra obtenir des conseils professionnels durant les procédures préparatoires à l’instruction, le procès lui-même et tout le processus d’appel. Il a ajouté qu’il n’était pas essentiel que les prévenus aient la liberté de choisir leur avocat pour répondre aux exigences de l’al. 10 b). Le juge McDonald s’est exprimé de la façon suivante :

[TRADUCTION]

L’homme riche accusé d’une infraction peut probablement retenir les services d’un avocat de la défense qui demande des honoraires élevés, mais cela ne lui garantit pas qu’il sera représenté par le meilleur avocat. En effectuant sa sélection parmi les avocats dont les services sont dispendieux, l’homme riche s’expose à commettre une erreur de jugement s’il se fie à des informations ou des conseils erronés. Le système ne lui offre aucune garantie qu’il choisira le meilleur avocat. Il peut penser que c’est ce qu’il a fait, mais il n’y a pas de manière d’en être certain. Le système lui garantit seulement qu’il pourra obtenir des conseils professionnels et avoir recours à l’assistance d’un avocat pour les fins mentionnées ci-dessus pendant les procédures préparatoires à l’instruction, le procès et jusqu’à la fin du processus d’appel. Son droit d’obtenir les services d’un avocat est un droit objectif; qu’il soit ou non satisfait des services de l’avocat est une question subjective qui n’a aucune importance pour le système judiciaire. La question à savoir si l’avocat sélectionné sera en fait aussi efficace que l’homme riche l’espère et le pense, en supposant qu’il y ait une manière objective de mesurer le rendement, n’a pas non plus d’importance pour le système judiciaire. [Les caractères gras sont de moi.]

Je souscris à ce raisonnement et je le fais mien. L’argument voulant que le droit d’un prévenu d’avoir recours à l’assistance de l’avocat de son choix soit garanti par la constitution ne trouve aucun appui dans l’al. 10b).

[8] Dans l’arrêt R. c. Prosper,[6]la Cour suprême du Canada a statué qu’un prévenu ou un détenu a le droit d’être informé qu’il a le droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat sans délai. Dans son jugement unanime, la Cour conclut ce qui suit à la p. 278 :

L’alinéa 10 b) de la Charte n’impose pas aux gouvernements une obligation constitutionnelle positive de faire en sorte qu'il soit possible d'obtenir sans délai des services d'avocats de garde, ni ne donne aux personnes détenues un droit garanti à des conseils juridiques préliminaires gratuits, sur demande.

La Cour a examiné l’utilité évidente et le coût de la prestation des services gratuits d’un avocat de garde. Il ne s’agit pas d’une obligation constitutionnelle. Il y a une garantie constitutionnelle que le prévenu ou le détenu sera informé de son droit d’obtenir des conseils juridiques, par l’entremise de l’aide juridique si nécessaire. La Constitution ne protège pas le droit de sélectionner l’avocat de son choix.

[9] Dans l’arrêt Regina. v. Leclair and Ross,[7]cité tant par l’avocat de l’appelante que celui de l’intimée, la Cour suprême du Canada a conclu qu’un prévenu ou un détenu peut téléphoner à l’avocat de son choix. La Cour n’a pas conclu, cependant que l’État doit payer pour l’avocat sélectionné. Quand il est dit que le prévenu ou le détenu peut retenir les services de l’avocat de son choix, cela signifie seulement qu’il peut choisir un avocat de l’aide juridique, l’avocat de garde ou son propre avocat. En l’espèce, l’appelante soulève un argument de nature financière. L’avocat de l’appelante fait valoir que l’imposition de la TPS de 7 p. 100 peut empêcher les clients qui peuvent payer ses honoraires de 5 000 $ ou de 10 000 $ mais non la taxe additionnelle de 7 p. 100 d’être représentés par Me Tessmer. Cela irait à l’encontre du bon sens que de conclure que l’al. 10 b) garantit à tous les prévenus, quelles que soient leurs ressources financières, le droit d’avoir recours à l’assistance de l’avocat dont les honoraires sont les plus élevés. Cette proposition ne trouve aucun appui dans l’arrêt Regina. v. Leclair and Ross. Bien que le privilège d’avoir recours à l’assistance d’un avocat existe, c’est tout autre chose que d’affirmer que chaque personne, qu’elle puisse ou non payer les honoraires d’un avocat, a le droit de se faire représenter par l’avocat de son choix.[8]

[10] Comme je l’ai statué ci-dessus, l’al. 10 b) de la Charte protège le droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat. Il n’est plus question de la même chose quand on traite du droit d’être représenté par l’avocat de son choix sans avoir à payer la TPS, qui en elle-même représente un fardeau additionnel pour le contribuable. La Charte ne dispense pas les prévenus qui se procurent des services juridiques de payer la TPS. Les honoraires de l’appelante, comme l’admet Me Tessmer, sont élevés en comparaison avec ceux demandés par les autres avocats. L’État n’a pas l’obligation constitutionnelle de subventionner le paiement des honoraires des avocats de la défense quelles que soient les ressources financières des prévenus. D’une part, Me Tessmer n’est pas prêt à réduire les honoraires de l’appelante pour accommoder ses client mais, d’autre part, il prétend que l’État devrait être privé de la TPS. La manière dont l’appelante interprète l’al. 10 b) va à l’encontre du bon sens et aboutit à une absurdité.

[11] Les deux avocats ont cité l’arrêt John Carten Personal Law Corp.[9] devant la présente Cour. Dans cette affaire, l’appelante prétendait que la taxe sur les services juridiques allait à l’encontre des droits garantis par l’al. 10 b) de la Charte. S’exprimant au nom de la majorité, le juge Lambert a conclu au par. 13 :

[TRADUCTION]

Un bon nombre de raisons font que le coût des services juridiques ou le manque de fonds peuvent restreindre, ou empêcher une personne d’exercer ses droits d’accès aux tribunaux ou à d’autres services juridiques. Ce qu’il faudrait pour que toute la présente Loi ou son application dans un cas particulier soit déclarée inconstitutionnelle, ce serait la preuve que des personnes ou une classe de personnes en général ou une personne en particulier qui auraient été en mesure d’exercer les droits légaux en litige si la taxe n’avait pas été imposée n’ont pu l’exercer en raison de la taxe. Le simple fait de démontrer que la taxe empêchait ou décourageait les personnes d’exercer le droit protégé par la loi ne suffirait pas pour appuyer l’argument que la Loi est inconstitutionnelle en principe ou dans son application. Ce qu’il faudrait, ce serait la preuve que le droit a été violé ou que la personne a été empêchée de l’exercer en raison de l’existence ou de l’application de la présente taxe. En d’autres mots, fournir la preuve qu’un droit qui aurait pu être exercé n’eut été la taxe ne pouvait l’être en raison de cette taxe....

En l’espèce, l’appelante n’a présenté aucun élément de preuve démontrant que des personnes ont été empêchées d’exercer leur droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat.

[12] Finalement, l’intimée a prétendu que l’appelante ne peut pas attaquer la constitutionalité de la loi pour le motif qu’elle viole les droits garantis par la Charte mais dont une autre personne jouit. En l’espèce, l’appelante ne prétend pas que les droits qui lui sont garantis par l’al. 10 b) ont été violés. Bien qu’il ne soit pas nécessaire d’examiner cet argument, je suis d’accord avec la position de l’intimé voulant qu’une personne ne peut contester la validité d’une loi à moins qu’elle ne prétende que les droits dont elle jouit et qui sont garantis par la Charte ont été violés.[10]

[13] L’appel est rejeté, sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de juin 1999.

« C.H. McArthur »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 4e jour de février 2000.

Mario Lagacé, réviseur



[1]           [1989] 46 C.C.C. (3d.) p. 129.

[2]           [1989] 1 R.C.S. 927.

[3]           [1997] B.C.J. No. 2460 (Q.L.).

[4]           John Carten Personal Law Corp, précité, par. 13.

[5]           [1988] 80 A.R. p. 137 aux pp. 143 et 144.

[6]           [1994] 3 R.C.S. 236.

[7]           précité.

[8]           Panacui v. Legal Aid Society (Alta.), précité.

[9]           précité.

[10]          Le procureur général du Québec c. Irvin Toy Limited, précité.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.