Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date : 19991007

Dossier : 98-1729-IT-I

ENTRE :

KENNETH R. TRAINOR,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge O'Connor, C.C.I.

[1] Le présent appel a été entendu à Moncton (Nouveau-Brunswick) le 22 septembre 1999.

Les faits

[2] Les faits principaux sont les suivants. À la suite de son transfert d'Ottawa (Ontario) à Sussex (Nouveau-Brunswick) en 1994, l'appelant, agent de la G.R.C., s'est vu rembourser par son employeur ses frais de déménagement, y compris les frais de repas et de logement pour une période de 23 jours. Comme il ne pouvait occuper sur-le-champ son domicile à Sussex, il a dû engager, pendant encore 11 jours suivant les 23 jours susmentionnés, des frais de repas et de logement supplémentaires de 1 626,01 $, qui ne lui ont pas été remboursés. L'appelant a déduit ces dépenses dans sa déclaration de revenu de 1994. La déduction a toutefois été refusée par le ministre du Revenu national (le “ministre”), et on a exigé qu'il paye un supplément d'impôt de 709,02 $. Il a payé en manifestant son opposition et sous réserve de son droit d'en appeler.

[4] L'appelant soutient que, malgré le remboursement par son employeur de ses frais de repas et de logement pour une période de 23 jours, il n'a pas bénéficié d'un remboursement des frais de repas et de logement engagés durant 11 jours, et qu'il a droit à la déduction prévue à l'alinéa 62(3)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Selon l'intimée, les 1 626,01 $ de dépenses supplémentaires déduits par l'appelant ne sont pas déductibles parce que le total des frais de repas et de logement engagés, y compris les sommes remboursées et celles non remboursées, ont été engagés pendant une période qui dépassait les 15 jours prévus à l'alinéa 62(3)c). L'intimée soutient que la période de 15 jours commence au moment où un contribuable déménage de son ancienne résidence et court consécutivement par la suite.

Analyse et décision

[5] L'article 62, dans ses dispositions pertinentes, est ainsi formulé :

(1) Lorsqu'un contribuable a, à un moment donné, commencé :

a) à exploiter une entreprise ou à être employé dans un lieu au Canada (appelé son “ nouveau lieu de travail ” au présent paragraphe);

[...]

et a, de ce fait, déménagé d'une résidence située au Canada où, avant le déménagement, il résidait habituellement (appelée son “ ancienne résidence ” au présent article) pour venir occuper une autre résidence située au Canada où, après le déménagement, il a résidé habituellement (appelée sa “ nouvelle résidence ” au présent article), [...] il peut déduire, dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition au cours de laquelle il a déménagé de son ancienne résidence pour venir occuper sa nouvelle résidence, ou pour l'année d'imposition suivante, les sommes qu'il a payées au titre des frais de déménagement engagés pour déménager de son ancienne résidence pour venir occuper sa nouvelle résidence, dans la mesure où, à la fois :

c) les sommes n'ont pas été payées en son nom par son employeur;

d) les sommes n'étaient pas déductibles, en vertu du présent article, dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année d'imposition précédente;

e) les sommes ne seraient pas, sans le présent article, déductibles dans le calcul du revenu du contribuable;

f) le total de ces sommes ne dépasse :

[...]

g) tout remboursement ou toute allocation qu'il a reçus relativement à ces frais sont inclus dans le calcul de son revenu.

[...]

(3) Pour l'application du paragraphe (1), sont comprises dans les frais de déménagement toutes dépenses engagées au titre :

a) des frais de déplacement (y compris les dépenses raisonnables pour repas et logement) engagés pour le déménagement du contribuable et des membres de sa maisonnée qui se transportent de l'ancienne résidence à la nouvelle résidence;

[...]

c) des frais de repas et de logement, près de l'ancienne résidence ou de la nouvelle résidence, engagés par le contribuable et les membres de sa maisonnée pendant une période maximale de 15 jours;

[...]

Aux termes de l'alinéa 62(1)d), tous les remboursements et toutes les allocations reçus par le contribuable au titre des frais de déménagement doivent être inclus dans le calcul de son revenu. De toute évidence, la somme remboursée à l'appelant par l'employeur n'a pas été indiquée dans la déclaration de l'appelant pour 1994. Autrement dit, il n'a ni demandé la déduction des dépenses remboursées ni inclus la même somme à titre de remboursement ou d'allocation dans le calcul de son revenu. Le résultat est le même que si les dépenses remboursées étaient déduites et en même temps incluses dans le revenu. Il n'y a aucune augmentation du revenu. L'appelant ne cherche à déduire que la somme qu'il a payée de se poche, à savoir 1 626,01 $.

[6] Bien que certains frais de repas et de logement aient été remboursés à l'appelant, ce dernier a tout de même eu à supporter lui-même des frais relatifs aux repas et au logement, qui ne lui ont pas été remboursés. Ceux-ci sembleraient donc représenter des frais de repas et de logement engagés par le contribuable (pendant 11 jours), c'est-à-dire qu'il s'agissait de frais engagés par lui qui se rapportaient à une période inférieure à 15 jours. Et je ne vois rien dans l'alinéa 62(3)c) qui permettrait de conclure que l'appelant ne peut pas se prévaloir de la déduction du fait que son employeur lui a remboursé les frais engagés pour une période autre que les 11 jours en question. Je ne vois rien non plus qui amène nécessairement à conclure que seuls les 15 premiers jours sont pris en compte. Si tel était le cas, le résultat serait curieux : le contribuable obtiendrait la déduction s'il supportait personnellement les frais pour les 11 premiers jours, mais ne l'obtiendrait pas si les frais se rapportaient à une période au-delà des 15 premiers jours.

[7] L'article 62, à mon avis, devrait faire l'objet d'une interprétation libérale. Pour des raisons de politique gouvernementale, cet article permet à un contribuable de déduire certaines dépenses qui seraient autrement considérées comme des frais personnels ou de subsistance. Cette politique vise à favoriser la mobilité de la main-d'oeuvre et puisque l'article n'est pas, à mon avis, tout à fait clair en ce qui concerne la question en litige, une interprétation libérale suivant l'approche téléologique devrait être adoptée.

[8] De plus, comme l'article 62 n'est pas très clair sur la question soulevée, le contribuable devrait, en cas de doute relativement à son interprétation, bénéficier de la présomption résiduelle en sa faveur. Comme l'a souligné la Cour suprême dans l'arrêt Corporation Notre-Dame de Bon-Secours v. Communauté Urbaine de Québec et al, 95 DTC 5017, à la page 5023 :

Les principes dégagés dans les pages précédentes [...] peuvent se résumer ainsi :

— L'interprétation des lois fiscales devrait obéir aux règles ordinaires d'interprétation;

— Qu'une disposition législative reçoive une interprétation stricte ou libérale sera déterminé par le but qui la sous-tend, qu'on aura identifié à la lumière du contexte de la loi, de l'objet de celle-ci et de l'intention du législateur; c'est l'approche téléologique;

— Que l'approche téléologique favorise le contribuable ou le fisc dépendra uniquement de la disposition législative en cause et non de l'existence de présomptions préétablies;

— Primauté devrait être accordée au fond sur la forme dans la mesure où cela est compatible avec le texte et l'objet de la loi;

— Seul un doute raisonnable et non dissipé par les règles ordinaires d'interprétation sera résolu par le recours à la présomption résiduelle en faveur du contribuable.

[9] Pour tous les motifs énoncés plus haut, l'appel est admis et l'affaire est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte

du fait que l'appelant a droit à la déduction de 1 626,01 $ qu'il demande pour l'année d'imposition 1994..

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour d'octobre 1999.

“ T.P. O'Connor ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 26e jour de juillet 2000.

Erich Klein, réviseur

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