Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20000124

Dossier: 98-2804-IT-I

ENTRE :

MICHAEL BELL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge suppléant MacLatchy, C.C.I.

[1] Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a établi les cotisations de l'appelant au titre de pertes demandées pour l'entreprise que ce dernier possédait et exploitait pendant les années d'imposition 1994, 1995 et 1996.

[2] Le ministre a établi les cotisations de l'appelant pour les années 1994, 1995 et 1996 et lui a posté des avis de cotisation les 11 mai 1995, 9 mai 1996 et 18 novembre 1997 respectivement.

[3] Le ministre a établi de nouvelles cotisations pour les années d'imposition 1994 et 1995 et lui a posté, le 14 octobre 1997, des avis de nouvelles cotisations. Il a établi une nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1996 et lui a posté, le 22 décembre 1997, un avis de nouvelle cotisation. Ce faisant, le ministre n'a pas accepté la déduction pour pertes d'entreprise.

[4] Pendant les années d'imposition 1992 à 1997, l'appelant a travaillé à temps plein pour Polyser Rubber Corporation et Boyer Rubber Inc. Alors qu'il était à l'emploi de ces sociétés, il a décidé de démarrer à son domicile une entreprise de fabrication de bâtons de golf. Fervent golfeur depuis des années, il était reconnu pour ses talents chez lui et dans son milieu de travail. Il a discuté de son projet d'entreprise avec des amis et des connaissances qui l'ont encouragé à persévérer. On lui avait clairement laissé entendre que nombre de ses collègues et amateurs de golf prendraient une retraite anticipée et que ce sport connaissait une vague de popularité. L'appelant estimait que ses compétences et ses connaissances en matière de golf ainsi que son expérience dans ce sport et l'équipement nécessaire le plaçaient dans une position unique pour lancer une entreprise de montage de bâtons de golf selon les besoins de clients précis.

[5] Pour parfaire ses compétences, l'appelant a suivi un cours au Golfworks Teaching – Learning Center de Newark, en Ohio, aux États-Unis. Ce cours touchait à tous les aspects de la fabrication de bâtons personnalisés pour des clients dont l'appelant évaluerait au préalable les compétences et les besoins. L'appelant et un autre particulier de la région étaient les seuls exploitants d'une telle entreprise. Au moyen d'un équipement minimal, l'appelant a installé son atelier dans son sous-sol d'où il concevait et fabriquait des bâtons de golf pour ses clients au tiers du prix que demandaient les professionnels du golf aux divers terrains de golf de la zone desservie par son entreprise. L'appelant a fait connaître son entreprise en laissant de la publicité dans les boîtes à lettres ou par le bouche à oreille, dans les terrains de golf de la région. Il évaluait les besoins de ses futurs clients en espérant qu'ils retiendraient ses services pour la fabrication de leurs bâtons de golf.

[6] L'appelant a demandé conseil à son comptable et à des relations d'affaire pour mettre sur pied son entreprise et il a constaté que le temps et l'argent investis mettraient du temps à rapporter. Pendant la première année, en 1992, et pendant la deuxième année, en 1993, l'entreprise a subi des pertes de 10 023 $ et 11 799 $ respectivement. Il a déduit ces pertes de son revenu pour ces années et le ministre les a acceptées. Pour les années 1994, 1995 et 1996, ses pertes se sont élevées à 11 885,84 $, 7 584,98 $ et 3 315,52 respectivement, mais le ministre ne les a pas acceptées. Ces dernières sont en litige.

[7] Le ministre a soutenu que l'appelant n'exploitait pas une entreprise en vue de réaliser des bénéfices ou dans l'attente raisonnable d'un profit et que les dépenses n'étaient pas engagées dans le but de tirer un revenu de l'entreprise. Subsidiairement, il a soutenu que les dépenses d'entreprise n'étaient pas raisonnables dans les circonstances.

[8] Le juge Dickson, tel était alors son titre, a formulé le critère suivant dans l'arrêt Moldowan de 1977 (Moldowan v. The Queen, 77 DTC 5213) :

Il y a d'abord eu controverse, mais il est maintenant admis que pour avoir une « source » de revenu, le contribuable doit avoir en vue un profit ou une expectative raisonnable de profit. L'expression source de revenu équivaut donc au terme entreprise [...].

L'expression « expectative (ou attente) raisonnable de profit » est devenue le critère pour déterminer la déductibilité des dépenses d'entreprise, lesquelles seraient autrement considérées comme des frais personnels et de subsistance. Chaque cas dépendra des faits qui lui sont propres et qui seront présentés à la Cour; mais l'entreprise devra aussi être motivée par un espoir de rentabilité qui soit objectivement raisonnable. L'intention du contribuable doit également être raisonnable dans les circonstances. Le juge Bowman a dénoncé en termes clairs l'évaluation rétrospective : « Cet examen survient [...] des années après le début des activités et la décision est fondée en grande partie sur une évaluation rétrospective. » Ce genre d'examen peut être potentiellement vicié.

[9] De plus, comme l'a décrit le juge Linden dans l'affaire Tonn et al. v. The Queen, 96 DTC 6001 :

Si l'examen de la bonne foi du contribuable est nettement justifié dans certains cas, le régime fiscal ne devrait pas décourager ou pénaliser les contribuables qui ont pris des décisions honnêtes, mais erronées. Le régime d'imposition n'est pas fondé sur l'examen du sens des affaires de façon à accorder les déductions aux contribuables perspicaces et à les refuser à ceux qui ont manqué de jugement. L'imposition repose plutôt sur la situation économique du contribuable telle qu'elle est, et non telle qu'elle devrait être, sous réserve des commentaires figurant plus loin.

[10] Dans l'évaluation des circonstances de chaque cas, il importe de garder à l'esprit que l'entreprise n'est pas exploitée à perte dans le but de produire des remboursements d'impôt ou d'autres avantages fiscaux du genre. Cet aspect est précisé, d'ailleurs, dans l'affaire Tonn, précitée :

Les litiges dans lesquels le critère de « l'attente raisonnable de profit » est appliqué appartiennent à deux catégories. La première se compose des cas où l'activité reprochée se caractérise en grande partie par un élément personnel. Il s'agit de situations dans lesquelles le contribuable a investi de l'argent pour poursuivre une activité qui lui procure une satisfaction ou des avantages personnels, notamment sur le plan psychologique [...]. Même si ces activités peuvent parfois être poursuivies comme s'il s'agissait d'une entreprise, les tribunaux ont généralement décidé qu'elles visaient avant tout des fins personnelles. Le désir de réaliser un bénéfice dans ce genre de situation n'est rien de plus qu'un voeu pieux ou un rêve impraticable et ne constitue qu'une intention secondaire liée à l'activité. En réalité, le contribuable cherche à subventionner le coût de ces activités en déduisant de son revenu ce qui constitue effectivement une dépense personnelle.

[11] Si elle applique la jurisprudence précitée aux faits en l'espèce, la Cour est d'avis que l'appelant a démarré son entreprise de fabrication de bâtons de golf dans l'attente raisonnable d'un profit, d'un point de vue objectif. L'appelant a témoigné avec candeur et a étayé sa preuve au besoin. Il a admis sans contrainte que le golf était son passe-temps favori et il croyait sincèrement qu'il pourrait rentabiliser son entreprise en vue d'augmenter son revenu à l'avenir. Il espérait la faire prospérer au point de créer de l'emploi pour ses enfants plus tard. L'appelant n'avait aucune expérience dans le domaine et ne pouvait se replier que sur ce genre d'activité, tout de même prospère pour son unique concurrent dans la région et prenant rapidement de l'ampleur aux États-Unis.

[12] Pendant les années où il avait pratiqué le golf avec ferveur, l'appelant avait acquis une expérience unique de ce sport et de l'équipement nécessaire. Il a suivi une formation, à ses frais, pour parfaire ses connaissances dans le domaine et pour ensuite mettre sur pied un atelier. Il y a consacré d'innombrables heures pour tenter de lancer son affaire. Son temps libre y passait, temps libre qu'il aurait pu consacrer à la pratique d'un sport qu'il adorait de toute évidence. L'appelant a demandé conseil pour démarrer son entreprise et n'a pas soumis à l'impôt ses dépenses uniquement pour son plaisir personnel. L'affaire avait été planifiée.

[13] L'appelant a admis qu'il n'avait pas dressé de plan financier lorsqu'il a démarré son entreprise, ce qui a peut-être été l'une de ses principales erreurs. Ses dépenses ont continuellement été supérieures aux revenus provenant de ses ventes. On aurait dû éveiller son attention sur le défaut capital de son entreprise. La Cour conclut que l'appelant exploitait une entreprise commerciale. Il ressort clairement de la preuve que les intentions de ce dernier étaient sincères bien qu'il ait toutefois fait montre d'un manque de réalisme sur la façon de tirer profit des longues heures consacrées à son entreprise et des dépenses qu'il y a engagées. Il n'avait pas analysé le marché mais, compte tenu de ses ventes en 1993, il pouvait raisonnablement présumer que l'entreprise prospérerait rapidement. De nombreuses raisons ont expliqué la chute lamentable des ventes en 1994 dont plusieurs étaient indépendantes de la volonté de l'appelant.

[14] Après avoir connu une année désastreuse en 1994, l'appelant aurait dû mettre fin à son entreprise. Il y avait investi tous ses temps libres et de l'argent sans faire de profit. Encore une fois, l'évaluation rétrospective permet d'y voir tout à fait clair. L'appelant a plutôt préféré poursuivre son entreprise pendant deux autres années. Il a subi des pertes supplémentaires, qui n'ont toutefois pas été aussi extrêmes que celles des années précédentes, jusqu'à ce qu'il soit parfaitement clair que l'entreprise était un échec.

[15] Le ministre a accepté les pertes de 1992 et de 1993 et a accepté de considérer que l'appelant exploitait une entreprise. Il a cependant refusé de reconnaître l'existence de l'entreprise par la suite. La Cour conclut que le ministre, dans les circonstances, aurait dû examiner plus à fond le dossier de l'appelant avant de décider de ne pas accepter la déductibilité de ses dépenses supplémentaires.

[16] L'appel est admis en tenant compte du fait que l'appelant devrait faire l'objet de nouvelles cotisations pour les années 1995 et 1996. En conséquence, l'affaire est renvoyée au ministre pour nouvelles cotisations afin qu'il soit donné suite au présent jugement.

Signé à Toronto (Ontario), le 24 janvier 2000.

« W. E. MacLatchy »

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 24e jour de juillet 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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