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Date: 20000828

Dossiers: 98-2485-IT-I; 98-2486-IT-I

ENTRE :

PAUL KOLMATYCKI, ANN GOIN KOLMATYCKI,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Motifs du jugement

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] Les appels de Paul Kolmatycki c. La Reine (dossier de la Cour no 98-2485) et d’Ann Goin Kolmatycki (dossier de la Cour no 98-2486) ont été entendus ensemble sur preuve commune. Les appelants sont mari et femme. Au début de l'audience, les parties ont convenu que le résultat de l'appel de l'épouse suivra l'issue de l'appel du mari. Seul Paul Kolmatycki a témoigné. Je l'appellerai donc “ l'appelant ”, même si son épouse est aussi une appelante, et, au besoin, j'appellerai celle-ci “ son épouse ”. Les années d'imposition visées par l'appel sont les années 1992, 1993 et 1994 et les deux appelants ont choisi la procédure informelle.

[2] En l'espèce, il s'agit principalement de déterminer si certaines pertes subies par l'appelant et son épouse dans le cadre de diverses activités sont déductibles dans le calcul de leur revenu de toutes provenances au cours de chacune des années visées par l'appel. Selon la preuve, il y avait cinq activités distinctes que, par souci de commodité, je désignerai comme suit :

1. le restaurant Bancroft

2. le 2A, rue Nina

3. le 580, rue Christie

4. le Westview Heights Limited Partnership (Ontario)

5. le Harbourtowne Limited Partnership (Floride)

Il y a aussi une sixième question à trancher concernant la déduction de l'intérêt payé sur l'argent emprunté. Je me pencherai sur cette question après avoir examiné les cinq activités énumérées ci-dessus.

1. Le restaurant Bancroft

[3] L'appelant est un enseignant à la retraite qui réside à Toronto, mais, au cours des années visées par l'appel, il enseignait à temps plein au Danforth Technical School ou au Malvern Collegiate. En 1979, l'appelant a acheté une propriété dans la région de Bancroft en Ontario, à environ cinq milles au sud de l'intersection des routes 28 et 121. La propriété, située sur un chemin privé, se trouve à quelque mille pieds de la route 28 et elle n'est pas visible de la route. L'appelant a versé 70 000 $ pour acquérir la propriété en 1979 en faisant un versement initial de 20 000 $, et le vendeur a consenti un prêt hypothécaire de 50 000 $ à 10,5 p. cent. Au cours des années 1980 à 1983, l'appelant a rénové la propriété pour en faire un restaurant. Il a présenté des demandes en vue d'obtenir les permis de zonage et d'alcool appropriés. Il a suivi des cours au George Brown College sur le service dans les bars, la gestion de cuisine de petits établissements et le contrôle de la qualité et de la quantité des aliments. Le restaurant a ouvert ses portes le 14 juin 1983 sous le nom de “ Kaye's Country Place ”.

[4] Le restaurant était une activité saisonnière en ce sens que sa clientèle se limitait à celle des estivants. Après 1983, le restaurant ouvrait la fin de semaine du 24 mai et fermait à l'Action de grâce, au début d'octobre. Après avoir subi des pertes au cours des premières années d'exploitation, l'appelant a modifié la politique en 1988 pour n'exploiter le restaurant que pendant les mois de juillet et août, le nombre de clients n'étant pas suffisamment élevé pour justifier l'ouverture du restaurant du 24 mai jusqu'à la fin de juin puis de la fête du Travail jusqu'à l'Action de grâce. En 1995, on a mis fin au service du déjeuner; le restaurant n'ouvre plus que pour le repas du soir les mois de juillet et août. L'appelant a dit du restaurant qu'il s'agissait non pas d'un établissement de restauration rapide, mais plutôt d'un établissement familial de style plus relevé.

[5] Kaye's Country Place a perdu de l'argent au cours de ses 14 premières années d'activité, soit de 1983 à 1996 inclusivement. Le restaurant a réalisé un léger bénéfice de 365 $ en 1997, mais il a subi une perte de 946 $ en 1998. Le montant des pertes subies au cours des années 1983 à 1988 n'a pas été produit en preuve, mais la pièce A-5 renferme les états des résultats de Kaye's Country Place qui ont chaque année, de 1989 à 1998, été annexés aux déclarations de revenu de l'appelant. J'ai tiré de la pièce A-5 les montants les plus importants se rapportant aux années 1989 à 1996 et j'ai inscrit ces montants dans l'annexe “ A ” jointe aux présents motifs de jugement. L'annexe “ A ” montre que, pour les trois années visées par l'appel (1992, 1993, 1994) et les trois années antérieures, le restaurant a subi des pertes totalisant 47 641 $, soit une perte annuelle moyenne de 7 940 $. Au cours de cette même période de six ans, les recettes annuelles brutes du restaurant se sont élevées à 14 070 $. En moyenne, pour les années 1989 à 1994, le total des frais d'exploitation et du coût des ventes représentait environ 156,5 p. cent des recettes brutes.

[6] L'appelant a fourni quelques explications concernant les pertes. Le restaurant était une nouvelle entreprise lorsqu'il a ouvert ses portes en 1983. Il n'était pas visible de la route 28. La mine Madawaska, à Bancroft, a fermé quelques années après l'ouverture du restaurant. Il y a eu une récession générale en 1991. En 1983, il n'y avait qu'un seul autre restaurant dans la région, mais il y en a maintenant huit autres. Qui plus est, récemment, en 1998, Bell Canada a oublié d'inscrire le numéro de téléphone du restaurant dans l’annuaire des téléphones. En 1995, l'appelant est devenu membre de l'Association canadienne des restaurateurs et des services alimentaires, ce qui lui a permis, comme commerçant, d'obtenir un meilleur rabais sur l'utilisation de la carte de crédit “ Visa ” par les clients.

[7] L'avocate de l'intimée a affirmé que Revenu Canada avait permis à l'appelant et à son épouse de déduire leurs parts respectives des pertes subies par le restaurant au cours de la période de neuf ans, soit de 1983 à 1991, mais que, pour les années 1992, 1993 et 1994, il n'y avait pas d'attente raisonnable de profit. L'appelant a fait valoir que le restaurant n’offrait plus que le repas du soir, et ce, pendant une période de deux mois; l'emprunt hypothécaire a été remboursé; son épouse et lui n'avaient pas besoin du restaurant, dont ils ne tiraient aucun avantage personnel; et le faible profit réalisé en 1997 ainsi que les pertes moindres subies en 1995, 1996 et 1998 indiquaient bien qu'il était possible de réaliser un profit.

[8] Le principe fondamental régissant l'attente raisonnable de profit est énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480 (77 DTC 5213). Le juge Dickson (tel était alors son titre) a déclaré, aux pages 485 et 486 (DTC : à la page 5215) :

Il y a d'abord eu controverse, mais il est maintenant admis que pour avoir une “ source ” de revenu, le contribuable doit avoir en vue un profit ou une expectative raisonnable de profit. L'expression source de revenu équivaut donc au terme entreprise : [...]

[...] À mon avis, on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit. On doit alors tenir compte des critères suivants : l'état des profits et pertes pour les années antérieures, la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s'engager, la capacité de l'entreprise (en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de la location à l'égard du coût en capital). Cette liste n'est évidemment pas exhaustive. [...]

J'infère de l'utilisation des termes “ la capacité de l'entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l'allocation du coût en capital ”, que la Cour suprême du Canada s'attendait à ce qu'une entreprise particulière ait des dépenses et des frais raisonnables. En ce qui concerne les présents appels, l'appelant et son épouse ne se sont versé aucun salaire pour exploiter le restaurant même s'ils assuraient à l'entreprise un service personnel auquel il est possible de rattacher un prix. Le versement de salaires aurait entraîné une augmentation des pertes déclarées et rendu plus improbable l'attente de profit. Je conclus qu'après avoir subi des pertes continues pendant neuf ans (de 1983 à 1991), le restaurant n'avait aucune attente raisonnable de profit en 1992, 1993 et 1994, même si les pertes déclarées les années subséquentes (au cours desquels les propriétaires ne se sont versé aucun salaire) étaient bien moindres.

[9] Dans les arrêts Tonn c. Canada, [1996] 2 C.F. 73 (93 DTC 6001), et Mastri c. Canada, [1998] 1 C.F. 66 (97 DTC 5420), la Cour d'appel fédérale a procédé à un examen minutieux de la décision rendue par la Cour suprême dans l'arrêt Moldowan. Suivant mon interprétation de l'arrêt Mastri, un contribuable peut ne pas réussir à prouver qu'il avait une attente raisonnable de profit relativement à une entreprise particulière, même s'il n'a tiré aucun avantage personnel de cette entreprise. Je me reporte à la déclaration suivante du juge Robertson, à la page 75 (DTC : à la page 5423) :

Dans l'arrêt Tonn, la Cour a clairement jugé que le contribuable qui cherchait à déduire des pertes locatives de ses autres sources de revenus n'avait obtenu aucun avantage personnel. Néanmoins, la Cour a continué à examiner la question relative au caractère déductible des pertes en appliquant les facteurs énoncés dans l'arrêt Moldowan lorsqu'elle a examiné s'il y avait une attente raisonnable de profit.

J'accepte le témoignage de l'appelant selon lequel son épouse et lui n'ont tiré aucun avantage personnel du restaurant. Cela ne change toutefois rien à ma conclusion selon laquelle le restaurant n'avait pas d'attente raisonnable de profit au cours des années visées par l'appel.

2. Le 2A, rue Nina

[10] En 1985, l'appelant a acheté un duplex, situé au 2, rue Nina à Toronto, qu'il a payé 202 000 $. Le titre de la propriété a été inscrit uniquement à son nom. Il a fait un versement initial de 50 000 $ et le vendeur a consenti un prêt hypothécaire de 152 000 $. C'était un véritable duplex en ce sens que le rez-de-chaussée et le deuxième étage constituaient chacun un logement autonome. Il n'y avait ni installation ni aire communes. L'appelant et son épouse habitaient le logement du bas (l'unité 2B) tandis que le logement du haut (l'unité 2A) était loué. Chaque logement avait son propre compteur électrique, mais il n'y avait qu'un système de chauffage.

[11] En 1986, l'appelant a consenti une nouvelle hypothèque de 175 000 $ sur le 2, rue Nina, ce qui lui a permis de verser un montant de 25 000 $ pour rembourser le prêt hypothécaire relatif au restaurant Bancroft. En 1989, le locataire du dessus est parti et l'appelant a fait paraître des annonces en vue de louer l'unité, pour lequel il demandait 1 200 $ par mois. Il n'a pas réussi à trouver preneur à ce prix et a finalement loué l'unité 2A pour 860 $ par mois à une mère et à sa fille. En 1992, le prêt hypothécaire avait été ramené à 163 800 $, mais le taux d'intérêt était d'environ 10 p. cent. En 1994, l'appelant a vendu la propriété située au 2, rue Nina pour 360 000 $ et a réalisé un gain en capital.

[12] Il n'y a aucune preuve que l'appelant a tiré un profit de la location du 2A, rue Nina. La pièce R-3 renferme les états des entreprises de location relatifs au 2A, rue Nina, qui ont chaque année, de 1988 à 1994, été annexés aux déclarations de revenu de l'appelant. J'ai tiré de la pièce R-3 les montants que je juge les plus importants et je les ai inscrits dans l'annexe “ B ” jointe aux présents motifs de jugement. L'annexe “ B ” fait état d'une série ininterrompue de pertes de 1988 à 1994. Les états de chacune des années indiquent que l'appelant attribuait 50 p. cent des dépenses à l'unité du bas, qu'il occupait avec son épouse, et 50 p. cent à l'unité du haut (2A), qu'il louait.

[13] Au bas de l'annexe “ B ”, j'ai inscrit le montant des intérêts hypothécaires et des impôts fonciers attribués à l'unité 2A, que j'ai tirés de la “ répartition des dépenses ”. Pour chacune des années, le total des intérêts hypothécaires et des impôts fonciers dépasse facilement le montant total du loyer perçu pour l'unité 2A. Si l'appelant a attribué à l'unité 2A un montant raisonnable au titre de l'intérêt hypothécaire et des impôts fonciers et s'il obtenait des locataires avec lesquels il n'avait pas de lien de dépendance le loyer maximal possible, il a établi qu'il ne pouvait pas tirer de profit de la location de l'unité 2A parce que le total de l'intérêt hypothécaire et des impôts fonciers était supérieur au loyer perçu avant même de tenir compte des autres dépenses. Si l'appelant attribuait l'intérêt hypothécaire et les impôts fonciers dans une égale proportion à l'unité 2B (le logement du rez-de-chaussée qu'il occupait avec son épouse à titre de résidence personnelle) et à l'unité 2A (le logement du deuxième étage qu'il louait), c'était probablement parce que la surface habitable aux deux étages était à peu près le même. Je ne suis pas convaincu qu'il est raisonnable d'attribuer l'intérêt hypothécaire et les impôts fonciers dans une égale proportion, compte tenu du fait que l'appelant possédait la totalité du terrain et de l'immeuble contenant le duplex situé au 2, rue Nina.

[14] Compte tenu de la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Mohammad c. Canada, [1998] 1 C.F. 165 (97 DTC 5503), et compte tenu de l'absence de preuve relativement à l’égalité de la superficie des deux unités d'habitation situées au 2, rue Nina, et étant donné aussi l'absence de renseignements sur la question de savoir si l'immeuble avait un sous-sol ou un grenier, je ne compte pas substituer ma répartition de l'intérêt hypothécaire et des impôts fonciers à celle de l'appelant. J'accepterai plutôt la répartition de l'appelant et conclurai qu'en ce qui concerne les années 1992, 1993 et 1994, il n'avait aucune attente raisonnable de profit relativement au 2A, rue Nina.

3. Le 580, rue Christie

[15] L'immeuble situé au 580, rue Christie à Toronto, était un immeuble d'appartements exploité soit comme une entreprise coopérative, soit à la manière d'une entreprise coopérative. L'appelant et son épouse se sont intéressés aux unités en copropriété en 1986, dans lesquelles ils envisageaient d’investir. Ils croyaient généralement à l'époque que les unités seraient soustraites au contrôle des loyers parce qu'il s'agissait d'une entreprise coopérative. L'appelant a acheté deux unités et son épouse en a acheté deux autres. L'appelant voulait créer un seul logement avec les deux unités achetées, mais il ne pouvait pas prendre libre possession des deux unités en même temps. Au moment de l'achat, l'une des unités était vacante, et l'autre était occupée. L'unité vacante lui a coûté 39 000 $ et celle qui était occupée, 36 900 $. Il a financé l'achat de l'appartement occupé de la façon décrite ci-après :

Versement initial 9 767 $

Prise en charge de

l'hypothèque de premier rang 12 666 $

Nouvelle hypothèque de deuxième rang 14 467 $

Prix d'achat 36 900 $

[16] L'appelant a par la suite découvert que les deux unités qu'il avait achetées étaient assujetties au contrôle des loyers en application de la loi de l'Ontario. Pour les années 1987 et 1988, le loyer mensuel de chaque unité était de 411,41 $ et 451,34 $, respectivement. En 1988, l'appelant a vendu l'une de ses unités et a réalisé un gain en capital. En 1989-1990, les gestionnaires de l'immeuble situé au 580, rue Christie ont éprouvé des problèmes financiers et Price Waterhouse (“ PW ”) a pris en main la gestion de l'immeuble pour le compte des copropriétaires. En 1990, PW a trouvé un nouveau créancier hypothécaire disposé à accepter une hypothèque de premier rang de 37 000 $ sur chaque unité. L'appelant a décidé de refinancer l'unité qui lui restait en consentant une nouvelle hypothèque de premier rang de 37 000 $, mais il a constaté que les honoraires versés à PW et aux avocats faisaient contrepoids aux versements effectués au cours des années 1986 à 1990 au titre du remboursement des prêts hypothécaires déjà contractés.

[17] La dernière unité de l'appelant a commencé à générer un léger profit en 1994. L'appelant a soutenu qu'il aurait réalisé un profit avant cela n'eût été le contrôle des loyers imposé par l'Ontario et les honoraires de gestion de PW. J'accepte cet argument. La pièce R-5 est une série d'états financiers indiquant les profits et pertes de l'appelant relativement à l'appartement no 1208 situé au 580, rue Christie pour les années 1988 à 1998. Les profits et pertes se présentent comme suit pour les années 1988 à 1996 :

1988 perte 715 $

1989 perte 2 010

1990 perte 4 123

1991 perte 3 218

1992 perte 3 312

1993 perte 979

1994 profit 199

1995 néant -0-

1996 profit 58

[18] Le versement initial de l'appelant représentait environ 25 p. cent du coût de l'unité en 1986. Ses dépenses de financement étaient raisonnables. Il croyait véritablement que les unités n'étaient pas assujetties au contrôle des loyers. Par ailleurs, il n’aurait pas pu prévoir que PW allait prendre en main la gestion de l'immeuble pour des raisons financières. À mon avis, l'appelant a toujours eu une attente raisonnable de profit pendant la période où il a été propriétaire de l'appartement no 1208. Je l'autorise donc à déduire des pertes de 3 312 $ en 1992 et de 979 $ en 1993.

4. Le Westview Heights Limited Partnership (Ontario)

[19] En 1989, l'appelant a investi dans une société en commandite qui construisait un immeuble d'habitation en copropriété appelé le “ Westview Heights ” à Kitchener (Ontario). L'appelant a acheté l'unité 1605, définie comme une unité “ C ”, pour 138 400 $ et il l’a financée de la façon décrite ci-après :

Hypothèque de premier rang 98 000 $ à 12 7/8 p. cent par année

Hypothèque de deuxième rang 15 000 $ à 10 p. cent par année

Prêt de Equity Trust 25 400 $ à 10 p. cent par année

Coût 138 400 $

Les unités de Westview Heights ont été mises en vente par Yorkton Securities. La pièce R-8 est une projection des flux de trésorerie concernant Westview Heights pour les années 1988 à 1995; il y est indiqué que, grâce à un mécanisme élargi de crédit, le propriétaire d'une unité C n'aura aucun paiement à effectuer avant l'année 1992 relativement à son unité. La pièce R-6 est une série d'états des résultats d'exploitation se rapportant à l'unité 1605, Westview Heights, pour les années 1988 à 1998. D'après la pièce R-6, les pertes attribuées à l'unité 1605 pour les années 1988 à 1998 étaient les suivantes :

1988 4 190 $

1989 2 528 $

1990 9 475 $

1991 13 396 $

1992 15 831 $

1993 9 419 $

1994 11 462 $

1995 7 901 $

1996 4 369 $

1997 2 032 $

1998 1 865 $

[20] Le total des pertes pour les années 1988 à 1994 s'élevait à 66 301 $, ce qui représente une perte annuelle moyenne d'environ 9 400 $. En 1992 ou 1993, en raison d'un manquement aux termes de l'acte hypothécaire de premier rang relatif au Westview Heights, l'immeuble a été mis sous séquestre. L'appelant a acheté l'unité 1605 du premier créancier hypothécaire pour un montant de 97 638 $ au lieu d'abandonner son placement. Il a signé une entente de pool locatif aux termes de laquelle la société de prêts hypothécaires devait louer les unités à leur juste valeur marchande. À la fin de 1993, on a demandé à chaque propriétaire de verser un montant de 2 000 $ afin de constituer une réserve pour effectuer certaines réparations d'urgence et payer certaines dettes antérieures. Au cours de son témoignage, l'appelant a déclaré qu'au mois de janvier 2000, les unités étaient toutes louées et que l'avenir semblait prometteur.

[21] Selon la pièce R-6 (états des résultats d'exploitation de Westview Heights), l'appelant n'a perçu aucun loyer au cours des années 1988 à 1991; il n'a perçu qu'un loyer de 1 779 $ en 1992; il n'en a perçu aucun en 1993; en 1994, il a perçu un loyer de 2 661 $. Je remarque qu'en 1994, ses pertes déclarées s'élevaient à 11 462 $, de sorte que les dépenses relatives au Westview Heights devaient être cette année-là d'environ 14 123 $ (14 123 $ moins 2 661 $ égalent 11 462 $). Je n'hésite nullement à conclure que les pertes relatives au Westview Heights ne sont pas déductibles dans les années visées par l'appel, puisqu'il n'y avait pas d'attente raisonnable de profit relativement à cette source au cours des années en cause.

5. Le Harbourtowne Limited Partnership (Floride)

[22] En 1989, l'appelant a acheté une unité condominiale (l'unité 604) par le truchement d'une société en commandite appelée Harbourtowne Condominiums à Dunedin, Floride. Il s'agissait d'un nouvel immeuble situé juste au nord de Tampa en Floride, à environ un mille de la côte du golfe du Mexique. L'appelant a dit du placement qu'il s'agissait uniquement d'un projet commercial. Dans son esprit, c'était une propriété commerciale. Il n'est jamais demeuré dans l'unité condominiale Harbourtowne, et aucun membre de sa famille n'a utilisé l'unité à quelque fin que ce soit. Il a payé l'unité 64 900 $ (en dollars US) en 1989 et a financé l'achat au moyen d'une hypothèque de premier rang de 34 400 $ (en dollars US) et d'un prêt de Canada Trust à Toronto.

[23] Le commandité du projet Harbourtowne devait en assurer la gestion moyennant des honoraires de 5 p. cent. Le revenu de location et le flux de trésorerie étaient garantis pendant les cinq premières années. Le taux d'occupation des unités disponibles devait se situer à 95 p. cent. L'investissement n'a guère été profitable. Les recettes prévues ne se sont pas concrétisées. En 1994, la valeur des immeubles a chuté de façon importante dans la région de Dunedin en Floride. Tous les membres de la société en commandite ont été touchés, vu qu'ils avaient accepté de mettre en commun les loyers des 264 unités. En 1997, les propriétaires ont retenu les services d'un expert-conseil pour vendre l'immeuble. En 1998, l'appelant a envisagé de se retirer de l'entente de pool locatif, étant donné que le pool ne cessait de perdre de la valeur à cause (i) des propriétaires qui manquaient à leurs engagements hypothécaires et abandonnaient leur investissement; et (ii) des propriétaires qui emménageaient dans leur propre unité pour essayer de protéger leur investissement. L'appelant n'a pris ni l'une ni l'autre de ces mesures. Il y a eu des changements d'équipe de direction en 1997 et en 1998, et l'appelant a mis son unité en vente.

[24] La pièce R-9 contient les états des loyers de biens immeubles relativement à l'unité condominiale Harbourtowne pour les années 1989 à 1998 (à l'exclusion de l'année 1992), états qui ont été annexés aux déclarations de revenu de l'appelant pour ces mêmes années. J'ai extrait de la pièce R-9 les montants que je considère pertinents pour chacune des années (aucun renseignement n'a été fourni concernant l'année 1992), et j'ai inscrit ces montants dans l'annexe “ C ” jointe aux présents motifs de jugement. À l'annexe “ C ”, on constate que l'année 1994 est une année atypique, étant donné que c'est la seule année pour laquelle est indiqué un revenu d'intérêt (soit 12 000 $) et une augmentation correspondante des dépenses, qui se sont chiffrées à 27 060 $. On constate, à l'annexe “ C”, que le revenu de location demeure constant et que les dépenses sont toujours supérieures aux recettes, ce qui donne donc une série ininterrompue de pertes.

[25] L'appelant a soutenu qu'il avait investi de bonne foi dans Harbourtowne dans le but de réaliser des profits à long terme (comme c'était le cas de l'investissement dans Westview Heights), mais que le temps et les circonstances avaient joué contre lui. N'ayant tiré aucun avantage personnel de l'utilisation ou de l'occupation de l'appartement, il estime que les représentants de Revenu Canada ne devraient pas substituer leur jugement commercial au sien. L'appelant s'appuie sur la décision rendue dans l'affaire Allen c. Canada, C.C.I., no 97-3096, 12 août 1999 (99 DTC 968), dans laquelle mon collègue le juge Bowman dit, en parlant du ministre, qu'il “ fai[t] valoir la sempiternelle absence d'attente raisonnable de profit ”. Les faits de l'affaire Allen diffèrent des faits des présents appels. Le juge Bowman a déclaré ceci au premier paragraphe de ses motifs :

[...] Les appelants ont investi dans des unités d'une société en commandite exploitant une entreprise de location d'appartements. Il est admis que la société avait, en exploitant son entreprise, une attente raisonnable de profit. [...]

Dans les présents appels, il n'est pas admis que Harbourtowne (ou Westview Heights) exploitait une entreprise ayant une attente raisonnable de profit. En outre, dans l'affaire Allen, le ministre invoquait la doctrine de “ l'attente raisonnable de profit ” pour justifier le refus de la déduction des intérêts tandis que, dans les appels Kolmatycki, le ministre a refusé la déduction des pertes d'exploitation déclarées par l'appelant lui-même. En d'autres termes, le ministre soutient que Harbourtowne et Westview Heights n'étaient pas véritablement des entreprises, parce qu'aucune d'elles n'avait d'attente raisonnable de profit. La preuve contenue dans les déclarations de revenu de l'appelant portant sur un certain nombre d'années (pièces R-6 et R-9) appuie les arguments du ministre en ce qui concerne les deux entreprises.

[26] Il existe actuellement au Canada un courant qui consiste à encourager les particuliers ayant un revenu disponible à investir des fonds personnels dans une activité commerciale (qui n'est pas nécessairement une “ entreprise ” sur le plan fiscal), qu'elle soit profitable ou non, pourvu que le coût de l'investissement puisse être “ passé en pertes ” ou “ déduit ”. Le coût est habituellement qualifié de perte d'exploitation annuelle résultant de l'activité commerciale. Bien sûr, il est implicitement entendu que le montant ainsi “ passé en pertes ” ou “ déduit ” servira à réduire le revenu personnel et, par conséquent, l'impôt payable.

[27] La pièce R-8 est un exemple de ce courant. Elle se rapporte au Westview Heights et non pas au Harbourtowne, mais je l'utilise ici pour illustrer mes propos. Il s'agit de “ projections des flux de trésorerie ” pour les années 1988 à 1995. La pièce R-8 indique “ les paiements avant impôts ” et le “ flux de trésorerie après impôts ”. Les projections s'appuient sur l'hypothèse (peut-être injustifiée) que tout acheteur (investisseur) aura le droit de déduire, dans le calcul de son revenu, les pertes annuelles subies au cours des années 1988 à 1995, dont le total s'élève à 75 475 $ pour cette période de huit ans. Il est manifeste, à la lecture de la pièce R-8, que l'acheteur d'une unité “ C ” se souciait peu de réaliser des profits, du moins à court terme, vu que les projections font état de pertes annuelles moyennes de 9 400 $ pour les huit premières années. Je conclus que c'était uniquement le montant de l'impôt “ épargné ” lorsque les pertes étaient passées en pertes ou déduites qui rendait le projet attrayant pour un investisseur éventuel.

[28] La Cour d'appel fédérale a fait allusion à ce courant dans l'arrêt Mohammad c. Canada, [1998] 1 C.F. 165 (97 DTC 5503), lorsque le juge Robertson a déclaré à la page 174 (DTC : à la page 5506) :

L'absence de bénéfice immédiat ne semble pas avoir dissuadé les contribuables de s'engager sur le marché locatif pour au moins deux raisons. Premièrement, le gain qu'ils espéraient réaliser au moment de la vente de la propriété pouvait être perçu comme une compensation pour les pertes découlant du paiement des intérêts, d'autant plus si le bénéfice est imposé comme gain en capital. [...] Deuxièmement, l'impact des frais d'intérêts peut être diminué si la perte locative peut être déduite d'autres sources de revenu, par exemple d'un revenu d'emploi, aux termes de l'alinéa 3d) de la Loi. Ces réalités fiscales permettent d'expliquer pourquoi les particuliers évitent de se constituer en société quand ils décident de devenir propriétaires d'immeubles locatifs. [...] Ainsi donc, il peut être prudent de différer la constitution d'une société jusqu'à ce que l'immeuble locatif génère un bénéfice. [...]

Le particulier ayant un revenu disponible qui a acheté un bien locatif, lequel subit des pertes d'exploitation pendant plusieurs années, aura de la difficulté à prouver qu'il avait une attente raisonnable de profit si le bien est un nouvel immeuble et si le promoteur avait en réalité prévu ces pertes ou promis des rendements financiers qui ne satisfont pas au critère du bon sens. Si on permet à ce particulier de porter ces pertes en déduction d'autres sources de revenu (autrement dit de déduire ces pertes), soit en général son revenu d'emploi, jusqu'à ce que la propriété soit vendue, c'est l'ensemble des contribuables canadiens qui aura aidé à financer la possession de la propriété jusqu'à sa vente éventuelle. À mon avis, en ce qui concerne tous les contribuables canadiens, il vaut mieux, par souci d'équité, non pas porter ces pertes en déduction d'autres sources de revenu, mais les inscrire à l'actif et les inclure dans le coût initial du bien locatif afin que le montant du profit réalisé ou de la perte subie au moment de la vente reflète plus fidèlement la réalité.

[29] Pour en revenir aux propos tenus par le juge Bowman dans l'arrêt Allen, il peut arriver que l'avocat du ministre du Revenu national invoque rituellement l'“ attente raisonnable de profit ”, mais ces termes ont été adoptés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Moldowan et ils ont été analysés en profondeur par la Cour d'appel fédérale dans les arrêts Tonn et Mastri. Je ne vois aucune raison de ne pas considérer les termes “ attente raisonnable de profit ” comme la norme à appliquer pour déterminer si une activité commerciale particulière est une entreprise (autrement dit une source de revenu) à des fins fiscales. Au paragraphe 21 ci-dessus, j'ai conclu sans hésitation que Westview Heights n'avait aucune attente raisonnable de profit au cours des années visées par l'appel. En ce qui concerne l'annexe “ C ”, je conclus également que l'unité condominiale Harbourtowne n'avait aucune attente raisonnable de profit au cours des années visées par l'appel.

6. L'intérêt payé sur l'argent emprunté

[30] Les avis de cotisation relatifs aux années visées par l'appel n'ont pas été produits en preuve. Selon les actes de procédure (paragraphe 3 et alinéa 6p) de la réponse), Revenu Canada a refusé la déduction, dans le calcul du revenu, des montants suivants, qu'il a qualifiés de frais d'intérêts :

1992 8 527 $

1993 3 870 (appelant)

3 870 (épouse de l'appelant)

Le ministre a tenu pour acquis que ces montants se rapportaient à la moitié du duplex situé au 2, rue Nina (unité 2B) et occupé par l'appelant et son épouse à titre de résidence principale. La pièce R-3 (états des entreprises de location se rapportant au 2A, rue Nina) semble appuyer l'hypothèse du ministre, étant donné que, pour l'année 1993, le montant total des frais d'intérêts relatifs à l'emprunt hypothécaire s'élevait à 15 479 $ et que la moitié de ce montant (7 739,50 $) a été déduite et imputée à l'appartement locatif 2A, tandis que l'autre moitié a été acceptée à titre de frais personnels et a, semble-t-il, été imputée à l'appelant et à son épouse (à raison de 3 870 $ chacun). L'appelant n'a produit aucune preuve du contraire et, si son épouse et lui ont bel et bien réparti l'autre moitié de façon à déduire chacun 3 870 $, je conclurais alors que la déduction de ces montants n'était pas permise parce qu'il s'agissait de frais personnels. Le même raisonnement s'appliquerait au montant de 8 527 $ pour l'année 1992 puisqu'il représente près de la moitié de l'intérêt total (17 465 $) payé cette année-là sur l'emprunt hypothécaire contracté relativement au 2, rue Nina.

[31] Au cours des témoignages et de l'argumentation, il a été question d'autres montants d'intérêt, appelés “ frais financiers” à la ligne 221 des déclarations de revenu de l'appelant pour les années 1992 et 1993 (pièces R-4 et R-7, respectivement). D'après ces deux pièces, les frais financiers et les intérêts correspondants étaient les suivants :

Frais financiers Intérêts

1992 30 133 $ 27 787

1993 29 152 27 322

À l'annexe 5 des déclarations de revenu de l'appelant, l'intérêt déclaré pour chaque année a été décrit de la manière suivante : [TRADUCTION] “ Intérêt pour acquérir une participation dans une société en commandite ”. En dépit de cette description, l'avocate de l'intimée a affirmé dans son argumentation que les montants d'intérêt indiqués au paragraphe 30, ci-dessus (en ce qui concerne l'immeuble de la rue Nina), étaient compris dans l'intérêt indiqué dans le tableau figurant à ce paragraphe. On ne m'a pas donné suffisamment de précisions au sujet des différents montants empruntés par l'appelant et son épouse et de l'intérêt payable sur ces emprunts pour que je puisse déterminer quels montants d'intérêt sont en litige, si on excepte les montants indiqués au paragraphe 30, ci-dessus. Je rejetterais les appels relativement aux montants indiqués au paragraphe 30.

[32] Si un montant d'intérêt a été déduit relativement aux sommes empruntées par l'appelant pour acquérir une participation dans les sociétés en commandite Westview Heights et Harbourtowne (hormis l'intérêt déjà inclus dans le calcul des pertes résultant de ces sociétés en commandite), je refuserais la déduction de cet intérêt dans le calcul du revenu, puisque j'ai déjà déterminé qu'aucune des sociétés en commandite n'avait d'attente raisonnable de profit. Les actes de procédure n'indiquent toutefois pas qu'il y a litige concernant le refus de la déduction de frais d'intérêt autres que les montants indiqués au paragraphe 30, ci-dessus.

[33] En conséquence, je rejetterai l'appel de l'appelant pour l'année 1994, mais j'accueillerai ses appels pour les années 1992 et 1993 à la seule fin de permettre la déduction des pertes locatives se rapportant au 580, rue Christie. Les appels de l'épouse de l'appelant seront réglés de la même manière.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour d'août 2000.

“ M. A. Mogan ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 23e jour de février 2001.

Philippe Ducharme, réviseur

ANNEXE “ A ”

KAYE'S COUNTRY PLACE

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

Revenu brut

14 025 $

14 573 $

13 389 $

13 482 $

14 683 $

14 263 $

17 040 $

14 402 $

Bénéfice brut

3 790

1 926

2 266

5 634

3 662

2 085

7 822

6 878

Dépenses

16 216

13 363

10 997

8 622

9 584

8 222

8 137

7 341

Perte

12 426

11 437

8 731

2 988

5 922

6 137

315

463

ANNEXE “ B ”

2A, RUE NINA

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

(partiel)

Loyer total

8 046 $

8 580 $

9 054 $

10 282 $

10 693 $

10 050 $

3 500 $

Dépenses attribuées

14 318

13 301

13 494

13 951

14 689

16 037

5 921

Perte

6 272

4 721

4 440

3 669

3 996

5 987

2 421

*Intérêt

hypothécaire

9 930

8 825

8 631

8 436

8 732

7 739

2 850

*Impôts

fonciers

2 317

2 591

2 794

2 954

3 179

3 448

1 651

*Part des dépenses
attribuées

ANNEXE “ C ”

UNITÉ CONDOMINIALE HARBOURTOWNE

DUNEDIN, FLORIDE – UNITÉ 604

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

Loyer

-0-

5 873 $

5 769 $

Aucune preuve

6 497 $

7 542 $

7 639 $

7 238 $

Revenu d'intérêt

-0-

-0-

-0-

-0-

12 000

-0-

-0-

Dépenses

4 143

9 740

9 804

9 939

27 060

10 001

10 350

Perte

4 143

3 867

4 035

3 442

7 518

2 362

3 112

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