Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20000530

Dossier: 1999-3017-IT-I

ENTRE :

BRIAN M. HILLIER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, J.C.A.

[1] L'appelant interjette appel à l'encontre d'une cotisation établie à l'égard de son année d'imposition 1997. La seule question est de savoir si la déduction de 29 949 $ demandée par l'appelant est admissible à titre de frais médicaux aux termes du paragraphe 118.2(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu. La disposition précise en vertu de laquelle l'appelant a demandé la déduction du montant est l'alinéa 118.2(2)l.2), qui se lit comme suit :

l.2) pour les frais raisonnables afférents à des rénovations ou transformations apportées à l'habitation du particulier, de son conjoint ou d'une personne à charge visée à l'alinéa a) - ne jouissant pas d'un développement physique normal ou ayant un handicap moteur grave et prolongé - pour lui permettre d'avoir accès à son habitation, de s'y déplacer ou d'y accomplir les tâches de la vie quotidienne.

Voici le libellé de la version anglaise :

(l.2) for reasonable expenses relating to renovations or alterations to a dwelling of the patient who lacks normal physical development or has a severe and prolonged mobility impairment, to enable the patient to gain access to, or to be mobile or functional within, the dwelling.

[2] Les faits et le montant de la déduction ne sont pas contestés. L'appelant, un comptable agréé, a une fille, Lauren, maintenant âgée de huit ans, qui souffre d'un état médical sérieux connu sous le nom de trouble de développement profond. À l'âge de deux ans, elle a commencé à connaître des épisodes de grand malaise et se tordait de douleur sur le plancher. Elle a eu des troubles respiratoires. Elle était incapable de parler (et l'est encore). Elle ne pouvait pas se nourrir elle-même. Elle avait tendance à mordre les membres de sa famille.

[3] Son état est décrit de façon adéquate dans une lettre datée du 23 septembre 1996 et envoyée par le docteur Roy Fox de Dalhousie University au surintendant du District School Board à Sydney.

[TRADUCTION]

Cette enfant est une patiente de la Environmental Health Clinic. Elle est en traitement depuis un certain temps. Je suis certain que vous êtes bien au courant de son dysfonctionnement neurologique. À l'hôpital Izaak Walton Killam, on a diagnostiqué chez elle un trouble de développement profond. En plus de ce problème, il semble que Lauren possède une sensibilité généralisée à un éventail d'éléments déclenchants. Elle a subi des tests ici à la Environmental Health Clinic, de même qu'au bureau de Doris Rapp à Buffalo (New York). Les tests ont révélé une sensibilité aux produits alimentaires, à la moisissure, aux produits pour inhalation et aux pollens. Son milieu de vie s'est amélioré, ce qui lui a permis de fonctionner à un niveau légèrement supérieur. Elle subit présentement un traitement de désensibilisation qui, je l'espère, lui permettra de fonctionner à un niveau supérieur.

Lauren représente un cas extrêmement complexe; je n'ai aucun doute que la capacité à fonctionner de Lauren se détériore lorsqu'elle est exposée à des concentrations ambiantes de produits chimiques que d'autres peuvent tolérer. Elle développe un déséquilibre et une perte du maintien de la posture et elle devient plus agressive et incapable de se concentrer. Pour cette raison, elle aura besoin d'un milieu spécial pour ses études. Elle aura besoin d'un milieu contrôlé que la famille connaît bien et qui lui permettra de fonctionner à un niveau optimal. J'espère que ce qui précède vous aidera lorsque vous prendrez des décisions concernant Lauren.

[4] En conséquence, l'appelant a été obligé de vendre sa maison existante et de s'en construire une nouvelle qui serait libre des problèmes environnementaux et d'autres problèmes responsables de l'état de Lauren. La maison devait, entre autres choses, être libre de formaldéhyde, un composant des résines retrouvées dans le contre-plaqué et les colles. Le plancher devait être en céramique ou en bois franc et les comptoirs devaient être faits de tuiles céramiques. Un système de filtre à particules à haute efficacité a dû être installé.

[5] Toutes les substances créant ou contenant de la moisissure, ainsi que tous les produits chimiques ou peintures, ont dû être évités. Une salle de classe spéciale a dû être construite pour Lauren et le conseil scolaire envoyait l'enseignant chez elle.

[6] Dans une lettre envoyée aux autorités fiscales, M. Hillier a décrit la maison de la façon suivante :

[TRADUCTION]

Transformations apportées à la maison :

On a diagnostiqué chez ma fille, “ Lauren Hillier ”, un trouble de développement profond résultant de problèmes associés à son système immunitaire. Il en découle que Lauren ne peut fonctionner pour une période prolongée à l'extérieur d'un milieu contrôlé.

En conséquence de l'état décrit ci-dessus, les médecins de Lauren nous ont dit qu'une maison spécialement construite et satisfaisant à des spécifications très rigoureuses devait être bâtie pour elle. Conformément à ces directives et en collaboration avec Robin Barret, ingénieur, de HiQ Developments Limited, nous avons construit une maison pour Lauren.

Voici quelques-unes des caractéristiques de la maison :

* Aucun produit de bois synthétique, c'est-à-dire aucun contre-plaqué ni carton gris, etc.

* Aucun revêtement de sol synthétique.

* Aucun plastique, c'est-à-dire que nous avons dû utiliser un pare-vapeur en métal, des plaques de prise de courant en métal, etc.

* Un système de traitement de l'air spécial pour filtrer l'air conformément aux normes d'une salle d'opération.

* Aucune combustion à l'intérieur de la maison, c'est-à-dire qu'une source de chaleur est située dans un édifice séparé et acheminée dans la maison.

* Un système de chauffage spécial à basse température pour s'assurer qu'il n'y ait aucun brûlage de poussière dans la maison.

École à la maison :

* Une salle de classe qui permet à Lauren de poursuivre ses études. Le Cape Breton Victoria Regional School Board fournit à Lauren son propre enseignant car elle ne peut tolérer aucune école locale. (Remarque : le conseil scolaire rénove présentement une salle de classe spéciale pour Lauren à l'école St. Joseph's à Sydney Mines où on espère qu'elle pourra assister aux cours.)

[7] Même si M. Hillier croyait que le coût différentiel des transformations visant à répondre aux besoins de Lauren était de 25 p. 100, sa demande s'est fondée de façon conservatrice sur un coût additionnel de 15 p. 100, calculé comme suit :

Coût de la construction

248 871 $

Déduire : Terrain 20 360

Aménagement paysager/

patio/piscine 42 186

Système de ventilation 2 925

Remboursement au titre de la TPS

pour une habitation neuve 4 540 70 011

178 860

Prime pour la maison spéciale de 15 p. 100 26 829

Système de ventilation déduit à 100 p. 100 2 925

29 754 $

[8] Le contexte factuel que j'ai décrit ci-dessus n'est pas contesté (la différence entre la somme de 29 754 $ dans le calcul ci-haut et celle de 29 949 $ dont la déduction a été demandée n'est pas comptabilisée mais cela n'a pas d'importance). De plus, aucune déduction n'a été demandée à l'égard de la piscine même si un équipement spécial s'est avéré nécessaire.

[9] Il s'agit seulement de savoir si les termes “ rénovations ou transformations apportées à l'habitation du particulier [...]” peuvent inclure la construction d'une nouvelle maison possédant les caractéristiques particulières décrites ci-dessus. La Couronne est d'avis que les termes “ rénovations ou transformations” ne s'appliquent qu'aux transformations ou rénovations d'une habitation existante.

[10] La disposition a pour objet d'accorder un allégement aux personnes qui ont besoin d'arrangements particuliers en matière d'habitation en raison d'une incapacité médicale sérieuse. À la lumière du but et de l'objet de la disposition, cette dernière doit être interprétée de manière à ce que son objet soit réalisé le mieux possible, conformément à l'article 12 de la Loi d'interprétation :

Tout texte est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

[11] Je n'ai pas besoin d'énoncer encore une fois les différents outils nécessaires à l'interprétation des lois qui ont été élaborés. Cela a déjà été fait dans le passé (Glaxo Wellcome Inc. c. La Reine, C.C.I., no 93-1327(IT)G, 4 janvier 1996 (96 D.T.C. 1159); conf. C.A.F., no A-114-96, 8 octobre 1998 (98 D.T.C. 6638)); autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada refusée).

[12] En l'espèce, l'intimée soutient qu'à l'alinéa l.2), je devrais ajouter, par voie d'interprétation, le terme “ existante” immédiatement après le terme “ habitation ”. Je ne crois pas qu'un tel ajout soit justifié, ni qu'il aide à réaliser l'objet de la loi (Bank of England v. Vagliano Brothers, [1891] A.C. 107 à la p. 120). Le fait d'ajouter à la loi un terme qui ne s'y retrouve pas restreint le sens ordinaire du terme “ habitation” d'une façon qui est, à tout le moins, contraire à ce que l'alinéa l.2) est censé faire. En l'espèce, une habitation est construite pour un particulier. Au fur et à mesure que la construction avance, des modifications sont apportées ou incorporées pour répondre aux besoins spéciaux du particulier. Ces modifications font en sorte que l'édifice est différent de ce qu'il aurait été s'il avait été construit pour quelqu'un ne souffrant pas de l'état médical de Lauren. À mon avis, voilà une interprétation raisonnable du terme “ transformations ” : une transformation progressive au fur et à mesure que la construction avance. L'appelant ne demande que la déduction du coût des écarts de la norme, et non du coût de la maison en entier.

[13] On m'a référé à la décision du juge suppléant Rowe, C.C.I. dans l'arrêt Gustafson c. R., (98-1358(IT)I), un jugement rendu le 30 avril 1999. Dans cette affaire, le juge Rowe a rejeté l'appel interjeté à l'encontre d'une cotisation dans laquelle le ministre avait refusé de considérer comme frais médicaux les frais supplémentaires engagés pour la révision des plans d'une nouvelle maison construite pour les besoins de l'époux de l'appelante, lequel était quadriplégique. Le juge Rowe s'est référé à la décision du juge Rip dans l'affaire Vantyghem c. R., C.C.I., no 97-3607(IT)I, 17 décembre 1998 ([1999] 2 C.T.C. 2159). Dans ce jugement, le juge Rip a dit, aux pages 4 et 5 (C.T.C. : à la page 2162):

14 Le Shorter Oxford définit les verbes “ alter ” (transformer) et “ renovate ” (rénover) de la manière suivante :

[TRADUCTION]

transformer : 1. Changer ou modifier une chose d'une manière quelconque sans en altérer l'essence. 2. Devenir différent, subir une modification...

rénover : 1. Renouveler. 2. Renouveler d'une manière importante; réparer, restaurer en remplaçant les parties perdues ou endommagées; créer de nouveau.

15 Pris dans son sens ordinaire, le mot “ transformations ” semblerait comprendre presque toutes sortes de modifications. Ainsi, le verbe “ transformer ” semble assez large pour comprendre des installations. En outre, le fait que les mots “ transformations ” et “ rénovations ” soient utilisés d'une manière disjonctive à l'alinéa 118.2(2)l.2) incite à les interpréter de manière à ce que ni l'un ni l'autre ne soit superflu. Il est tout à fait raisonnable de donner au mot “ transformations ” un sens qui s'étend à d'autres modifications que celles qui sont comprises dans le mot “ rénovations ”. Une installation peut être une “ transformation ” qui n'est pas simplement une “ rénovation ”.

[Note infra-paginale omise.]

À la page 6 (C.T.C. : à la page 2163), il a ajouté :

19 Les dispositions de la Loi portant sur les frais médicaux et les crédits d'impôt pour personnes handicapées doivent recevoir l'interprétation la plus juste et la plus libérale qui soit compatible avec la réalisation de leur objet et l'intention du législateur lorsqu'il les a adoptées. Tout texte “ s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ”. Dans les cas où il n'est pas déraisonnable, selon les circonstances de l'affaire, de conclure qu'une somme payée par un contribuable représente des frais médicaux, le tribunal doit examiner si la somme ainsi payée se qualifie comme des frais médicaux aux termes du paragraphe 118.2(2) de la Loi.

20 Le mot “ transformations ” à l'alinéa 118.2(2)l.2) comprend l'“ installation ”; une personne typique trouverait que cette interprétation est raisonnable étant donné la situation de Mme Vantyghem.

[Notes infra-paginales omises.]

[14] Je trouve la méthode du juge Rip très utile. Toutes les transformations ou rénovations ont exigé, dans une certaine mesure, la création de quelque chose de neuf. Je ne vois aucune raison pour que cela ne puisse comprendre, dans le contexte de la Loi, la création d'une nouvelle structure où des modifications et des ajouts doivent être apportés aux plans conventionnels afin d'incorporer des caractéristiques particulières qui sont nécessaires pour répondre aux besoins médicaux d'une personne donnée. Cette conclusion est conforme à celles du juge Bowie dans Michael George c. La Reine, 98-1697(IT)I et du juge Beaubier dans Harold Rosen c. La Reine, 1999-2043(IT)I. Dans ces deux affaires, les coûts supplémentaires engagés pour apporter des modifications à la construction d'une nouvelle maison, pour des raisons médicales, ont été admis à titre de déductions en vertu de l'alinéa 118.2(2)l.2).

[15] L'appel est admis et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que l'appelant a droit à une déduction en vertu de l'alinéa 118.2(2)l.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu au montant de 29 754 $. L'appelant a droit à ses frais, s'il en est.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de mai 2000.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.A.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 11e jour d'octobre 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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