Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19990203

Dossier: 97-395-IT-I

ENTRE :

PETER GUY CROCKART,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] Cet appel vise la demande de crédit d’impôt pour frais médicaux faite en vertu de l’article 118.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi). La seule question litigieuse consiste à savoir si le lit que l’appelant a acheté en raison du handicap de son épouse est un “ lit d’hôpital ” au sens accordé à cette expression par l’alinéa h) du Règlement 5700.

Les dispositifs ou équipements suivants sont prescrits pour l’application de l’alinéa 118.2(2)m) de la Loi :

. . .

h) un lit d’hôpital, y compris les accessoires de ce lit visés par une ordonnance;

[2] Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits; les dix premiers paragraphes exposent les faits fondamentaux.

Les parties en cause ont convenu des faits relatés dans le présent exposé.

L’appelant est un particulier résidant au Canada.

L’épouse de l’appelant est Mme Heather Crockart. Celle-ci est atteinte de la sclérose en plaques, une maladie dégénérative du système nerveux central qui peut causer des problèmes de la vue, une absence de sensation, la perte de l’équilibre, une fatigue extrême, des tremblements et la paralysie.

L’état de Mme Crockart est progressif. La maladie a causé la paralysie de son bras et de sa jambe gauches.

L’état médical de Mme Crockart, particulièrement la paralysie de son bras et de sa jambe gauches, l’empêchaient de se hausser dans un lit “ ordinaire ” et d’en descendre sans aide. Mme Crockart a des difficultés à contrôler sa vessie et ses intestins, et elle doit souvent quitter son lit plusieurs fois la nuit pour se rendre à la salle de bains. L’appelant a un travail par quarts et il ne peut aider son épouse lorsqu’il travaille.

En 1994, le médecin de Mme Crockart lui a conseillé d’acheter un lit réglable pour l’aider à se hausser dans son lit et à en descendre. Ce conseil était du genre visé par règlement au sens du sous-alinéa 118.2 m)(i) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la “ Loi ”).

Sa capacité de se servir d’une commande électronique pour élever et abaisser le lit réglable, alliée au maniement d’une barre fixe, permet à Mme Crockart de se mettre au lit et d’en descendre sans aide.

Après avoir regardé plusieurs modèles, l’appelant a acheté un lit réglable Slumberland, “ à deux places ”. Ce n’est pas un lit d’ “ hôpital ” classique muni de barres de retenue et de roulettes. En plus d’être réglable, le lit était plus bas environ de huit pouces que son ancien lit, ce qui permettait à Mme Crockart de s’y hausser et d’en descendre.

Le prix d’achat du lit était 3 235 $. L’appelant a versé ce montant au vendeur, et son régime médical familial lui a remboursé 1 500 $, de sorte que le lit lui a coûté 1 735 $. L’appelant a joint le reçu à sa déclaration de revenu pour 1994.

Au cours de son année d’imposition 1994, l’appelant a déduit un crédit d’impôt pour frais médicaux. Dans le calcul de ce crédit d’impôt, l’appelant a inclus ses frais personnels à l’égard du lit réglable. Aucune fraction du coût du lit n’a été incluse dans le calcul des frais médicaux de l’appelant pour une année antérieure.

[3] Le seul témoin était le docteur Hooge, un médecin qui se spécialise dans le traitement de la sclérose en plaques depuis près de vingt ans. Il est le médecin de Mme Crockart, et il a conseillé l’achat d’un lit “ réglable ”. L’avantage qu’il représente pour Mme Crockart, particulièrement lorsque son mari n’est pas là pour l’aider, est qu’elle peut facilement y monter et en descendre. Le lit que M. Crockart a acheté peut être haussé à la tête et au pied à l’aide de moteurs électriques fonctionnant au moyen d’une commande manuelle. Il est plus bas que les lits d’hôpitaux traditionnels, ce qui est à l’avantage de Mme Crockart. Il ne possède pas les barres de retenue latérales que l’on trouve sur un “ lit d’hôpital traditionnel ”, ce qui constitue également un avantage pour Mme Crockart. C’est un lit à deux places. Le docteur Hooge a reconnu qu’il n’avait jamais vu un lit à deux places utilisé dans les hôpitaux. Je ne doute aucunement qu’il est avantageux pour Mme Crockart qu’elle et son mari puissent continuer de partager un lit à deux places en dépit de la nécessité pour elle de se servir d’un lit réglable.

[4] En résumé, ce lit n’est pas conçu ni fabriqué expressément pour répondre à des besoins d’ordre médical, ce n’est pas non plus un lit que l’on est susceptible de voir dans un hôpital, mais il possède néanmoins la caractéristique essentielle de ceux que l’on y trouve et dont Mme Crockart a besoin : il est réglable. Il est aussi plus pratique, à plusieurs égards, pour l’état de Mme Crockart que ne le serait un “ lit d’hôpital traditionnel ”.

[5] L’avocat du ministre soutient que, puisqu’il ne s’agit pas d’un lit que l’on trouve dans les hôpitaux, ce n’est pas un lit d’hôpital, et par conséquent il ne donne pas droit à un crédit d’impôt. Il m’a renvoyé à la décision Williams v. R.[1], dans laquelle le juge Rip a statué qu’un matelas ne contenant pas de produits chimiques n’était pas un lit d’hôpital. Il m’a aussi cité trois passages distincts du Hansard et une note technique du ministère des Finances, qui me font conclure que l’intimée convient qu’il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle les mots en litige ne comportent qu’un seul sens. Je conviens qu’il y a ambiguïté, mais je ne trouve pas que le Hansard ou les notes techniques du gouvernement aident à la dissiper.

[6] Dans l'arrêt Radage v. The Queen[2], le juge Bowman a dit[3] des articles 118.3 et 118.4 de la Loi :

La Cour doit, tout en reconnaissant l’étroitesse des critères énumérés aux articles 118.3 et 118.4, interpréter les dispositions d’une manière libérale, humaine et compatissante et non pas d’une façon étroite et technique.

La Cour d’appel fédérale a depuis approuvé ce principe[4]. L’article 118.2 de la Loi ainsi que le règlement 5700 visent le même objectif que les articles 118.3 et 118.4; ils devraient être interprétés de la même façon. L’interprétation technique que l’intimée veut voir appliquée, loin de favoriser la poursuite de cet objectif, y ferait obstacle. Je ne crois pas que c’était l’intention du législateur, lorsqu’il a adopté l’article 118.2, ni celle du gouverneur-en-conseil, en sanctionnant le règlement 5700, de restreindre l’admissibilité au crédit d’impôt en cause de façon à la refuser à M. Crockart parce qu’il a acheté un lit possédant les caractéristiques désirables d’un “ lit d’hôpital traditionnel ”, mais en même temps un lit plus commode pour sa femme que ne le serait le “ lit d’hôpital traditionnel ”. Je ne doute pas non plus que ni le Parlement, ni le gouverneur-en-conseil entendaient que la disposition en cause soit interprétée de façon à empêcher son application à un lit que peuvent partager deux époux. Je conclus que le lit en question en l’espèce possède suffisamment d’attributs d’un “ lit d’hôpital traditionnel ” pour être conforme au règlement.

[7] L’appel est admis, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de février 1999.

“ E. A. Bowie ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 18e jour d’octobre 1999.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               [1998] 1 C.T.C. 2813.

[2]               96 DTC 1615.

[3]               À la page 1625.

[4]               Voir l’arrêt Johnston v. The Queen, 98 DTC 6169 à la page 6171.

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