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Date: 19990510

Dossier: 97-2820-IT-G

ENTRE :

DOLORES SHERRY,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1] Ces appels se rapportent aux années d'imposition 1989, 1990, 1991, 1992, 1993 et 1994 de l'appelante.

[2] Dans la nouvelle cotisation qu'il a établie à l'égard de l'appelante pour les années d'imposition 1989, 1990, 1991, 1992, 1993 et 1994 de l'appelante, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a refusé la déduction des pertes locatives qui avaient été indiquées concernant quatre biens immeubles, soit le 179, promenade Parkside, Toronto (Ontario) (le « bien de la promenade Parkside » ), le 719-723, chemin Indian, Toronto (Ontario) (le « bien du chemin Indian » ), le 52, rue Lafferty, Etobicoke (Ontario) (le « bien de la rue Lafferty » ) et le 151, chemin Glendonwynne, Toronto (Ontario) (le « bien du chemin Glendonwynne » ).

[3] Dans la nouvelle cotisation établie à l'égard de l'appelante, le ministre se fondait entre autres sur les hypothèses suivantes, qui ont été admises par l'appelante au procès :

- l'appelante est enseignante;

- pour l'année d'imposition 1989, l'appelante a indiqué une perte locative concernant le bien de la promenade Parkside;

- pour les années d'imposition 1989 à 1994, l'appelante a indiqué des pertes locatives concernant le bien du chemin Indian;

- pour les années d'imposition 1989 à 1994, l'appelante a indiqué des pertes locatives concernant le bien de la rue Lafferty;

- pour les années d'imposition 1991 à 1993, l'appelante a indiqué des pertes locatives concernant une partie du bien du chemin Glendonwynne;

- l'appelante a indiqué à l'égard des biens les montants suivants comme revenus de location, frais d'intérêt, dépenses totales et pertes :

BIEN

REVENU

FRAIS D'INTÉRÊT

DÉPENSES TOTALES

PERTE NETTE

1989

Ch. Indian

17 567,00 $

23 761,08 $

27 918,13 $

(10 351,13 $)

Rue Lafferty

16 560,20 $

23 045,00 $

30 121,03 $

(13 560,83 $)

Parkside

23 328,00 $

51 205,42 $

94 253,65 $

(70 925,65 $)

Total 1989

57 455,20 $

98 011,50 $

152 292,81 $

(94 837,61 $)

1990

Ch. Indian

22 787,21 $

25 172,00 $

30 123,45 $

(7 336,24 $)

Rue Lafferty

17 996,98 $

26 590,00 $

32 953,70 $

(14 956,72 $)

Total 1990

40 784,19 $

511 762,00 $

63 077,15 $

(22 292,96 $)

1991

Ch. Indian

15 636,00 $

25 944,00 $

32 525,37 $

(16 889,37 $)

Rue Lafferty

18 574,00 $

24 208,46 $

29 605,77 $

(11 031,77 $)

Glendonwynne

10 360,00 $

19 052,19 $

42 607,21 $

(32 247,21 $)

Total 1991

44 570,00 $

69 204,65 $

104 738,35 $

(60 168,35[1]$)

1992

Ch. Indian

10 882,60 $

19 440,00 $

31 261,43 $

(20 378,83 $)

Rue Lafferty

16 115,91 $

19 320,95 $

24 873,79 $

(8 757,88 $)

Glendonwynne

12 995,00 $

14 524,00 $

24 076,89 $

(11 081,89 $)

Total 1992

39 993,51 $

53 284,95 $

80 212,11 $

(40 218,60 $)

1993

Ch. Indian

17 698,00 $

18 695,00 $

28 038,91 $

(10 340,91 $)

Rue Lafferty

13 608,50 $

17 302,41 $

30 304,61 $

(16 696,11 $)

Glendonwynne

12 950,00 $

17 442,40 $

25 975,36 $

(13 025,36 $)

Total 1993

44 256,50 $

53 439,81 $

84 318,88 $

(40 062,38 $)

1994

Ch. Indian

24 328,00 $

16 217,04 $

24 636,30 $

(308,30 $)

Rue Lafferty

17 125,00 $

19 292,16 $

28 780,18 $

(11 656,18 $)

Total 1994

41 453,00 $

35 509,20 $

53 416,48 $

(11 963,48 $)

- le bien du chemin Glendonwynne était la résidence principale de l'appelante durant les années d'imposition 1991 à 1993;

pour les années d'imposition 1991 à 1993, l'appelante a indiqué 100 p. 100 des dépenses totales relatives au bien du chemin Glendonwynne comme se rapportant à l'activité de location[2];

- pour chaque année d'imposition en cause, l'appelante a indiqué, en déduction de revenus d'autres sources, 100 p. 100 des pertes nettes relatives aux biens.

[4] Les hypothèses suivantes n'ont pas été admises par l'appelante au procès :

l'appelante a omis de fournir de la documentation pour corroborer le fait qu'elle était propriétaire des biens et avait engagé des dépenses concernant ces biens pour chaque année d'imposition[3];

- l'appelante n'avait pas d'attente raisonnable de profit à l'égard des biens durant ses années d'imposition 1989, 1990, 1991, 1992, 1993 et 1994;

- les dépenses de location, s'il en est, indiquées par l'appelante à l'égard des biens pour ces années d'imposition étaient des frais personnels ou de subsistance de l'appelante.

DÉPOSITION ORALE DE L'APPELANTE

[5] L'appelante a déclaré dans le cadre de son témoignage qu'elle avait acheté le bien de la promenade Parkside en 1988 à un prix de 405 000 $, qu'elle l'avait grevé de deux hypothèques d'un montant total de 326 357 $, qu'elle avait indiqué la perte locative pour 1988 et qu'elle avait vendu ce bien en 1989.

[6] Le bien du chemin Indian a été acheté en 1983 à un prix de 119 000 $. Il était alors grevé de trois hypothèques correspondant au prix total d'achat. Il a été loué à perte de 1985 à 1997 inclusivement. L'appelante a dit que, pour 1998, il y aurait un léger bénéfice.

[7] Le bien de la rue Lafferty a été acheté en 1981 à un prix de 104 000 $ et était, en 1985, grevé de deux hypothèques représentant un montant de 111 000 $. Avant 1985, ce bien servait de résidence principale à l'appelante.

[8] Le bien du chemin Glendonwynne a été acheté en 1985 à un prix de 137 000 $ et était, en 1991, grevé de deux hypothèques représentant une somme de 163 000 $.

[9] Le témoignage de l'appelante avait tendance à être anecdotique. L'appelante a parlé de taux élevés d'inoccupation et de roulement, de taux d'intérêt élevés, de cycles d'inflation et de récession, de crise du logement, de réparations et de problèmes liés à des entrepreneurs, de la sélection de locataires, de la fixation de prix de location et de l'existence de forces organisées, non identifiées, influant sur la location. Elle a dit qu'elle estimait que les banques étaient corrompues, ce qui avait influé sur ses rapports avec les banques. Elle a également dit que, de son point de vue, l'avocat dont elle avait retenu les services lui avait menti et qu'elle avait eu des difficultés supplémentaires à cause de cela.

LOI ET JURISPRUDENCE

REVENU D'ENTREPRISE - PROFIT

[10] Le revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année-là. Par « bénéfice » , on entend le bénéfice net, soit les recettes moins les dépenses engagées en vue de gagner un revenu. Pour que des dépenses puissent être déduites, il faut qu'elles soient raisonnables, qu'elles ne soient pas factices, qu'elles ne représentent pas des frais personnels, qu'elles aient été engagées en vue de gagner un revenu et que leur déduction ne soit pas prohibée par la loi.

S'IL N'Y AVAIT PAS DE PROFIT,

EXISTAIT-IL UNE ATTENTE RAISONNABLE DE PROFIT?[4]

[11] L'attente raisonnable de profit correspond à un critère objectif et non pas simplement à un beau rêve. Dans le cadre de l'application de ce critère objectif, il faut examiner l'état des profits et pertes pour les années antérieures. Il faut également examiner le plan opérationnel, ainsi que le contexte dans lequel s'inscrit la mise en oeuvre de ce plan, y compris la voie sur laquelle le contribuable entendait s'engager. Il faut en outre examiner le temps consacré à l'activité, ainsi que les antécédents, la formation et l'expérience du contribuable. Parmi les autres critères à prendre en considération, mentionnons le temps nécessaire pour établir l'entreprise envisagée, la présence ou l'absence d'éléments propices à la réalisation de profits, l'état des profits, l'état des pertes, la cause des pertes, ainsi que la souplesse dont le contribuable a fait preuve et les mesures qu'il a prises pour réagir face aux pertes.

[12] Le critère de l'attente raisonnable de profit a été examiné par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Tonn et al. v. The Queen, 96 DTC 6001. De façon générale, le juge Linden reprochait aux tribunaux d'appliquer le critère de façon trop stricte et reprochait aux juges de substituer leur propre appréciation commerciale à celle des contribuables. Sur cette question, il disait à la page 6009 :

Si l'examen de la bonne foi du contribuable est nettement justifié dans certains cas, le régime fiscal ne devrait pas décourager ou pénaliser les contribuables qui ont pris des décisions honnêtes, mais erronées.

[...]

Ainsi, lorsque les circonstances ne soulèvent nullement la question de savoir si une perte d'entreprise a été engagée dans un but personnel ou dans un but non lié à l'entreprise, le critère devrait être appliqué avec modération et avec une latitude favorisant le contribuable, dont le sens des affaires a peut-être fait défaut.

[13] À la page 6012, il poursuivait en disant :

L'application du critère de l'arrêt Moldowan principalement comme critère objectif vise donc à empêcher les réductions d'impôt illégitimes: le critère ne doit pas servir d'instrument permettant de faire des conjectures sur l'appréciation commerciale des contribuables.

[14] Puis, à la page 6013, il disait :

[L]orsque les circonstances donnent à penser qu'une motivation personnelle ou non commerciale existait ou que l'attente de profit était déraisonnable au point de soulever un doute, le contribuable devra prouver objectivement que l'activité constituait effectivement une entreprise. Par conséquent, des circonstances douteuses appelleront plus souvent un examen plus approfondi comparativement à celles qui ne soulèvent aucun doute.

[15] La Cour d'appel fédérale a précisé davantage l'application du critère de l'attente raisonnable de profit dans l'arrêt A. G. of Canada v. Mastri et al., 97 DTC 5420. Dans un jugement unanime fort et très clair, le juge Robertson disait, à la page 5423 :

Il n'est tout simplement pas raisonnable d'affirmer que la Cour avait l'intention d'établir une règle de droit selon laquelle, même s'il n'y avait aucune attente raisonnable de profit, les pertes sont déductibles d'autres sources de revenu à moins, par exemple, que l'activité productrice de revenu comporte un élément personnel.

[16] En résumé, pour déterminer si une entreprise était exploitée, il faut déterminer le but objectif prépondérant de l'activité. Comme le disait le juge Bowman dans l'affaire Cheesmond c. Canada, [1995] A.C.I. no 775, au paragraphe 13, il faut que l'opération s'inscrive dans une réalité commerciale pour qu'il soit satisfait au critère énoncé dans l'arrêt Moldowan, précité :

Néanmoins, il doit y avoir suffisamment d'indices de commercialité pour qu'il soit possible de conclure à l'existence d'une véritable entreprise commerciale.[5]

[17] Donc, l'appelante doit démontrer que les dépenses ont été engagées en vue de gagner un revenu et que, objectivement, selon une analyse des composantes de l'entreprise, il existait une entreprise viable.

ANALYSE

[18] L'appelante avait commencé ses activités de location vers le début des années 80. Pour les années antérieures aux années considérées en l'espèce et jusqu'en 1997, aucun profit n'a été déclaré à l'égard de ces activités. Bien qu'ayant une certaine formation dans le domaine des affaires, l'appelante ne semble pas avoir élaboré ou suivi un plan d'entreprise. Durant les années d'imposition considérées en l'espèce, les biens étaient lourdement hypothéqués, et les paiements d'intérêts dépassaient les recettes brutes. Il est à noter qu'un des biens (celui du chemin Glendonwynne) était la résidence principale de l'appelante et qu'il y avait donc à cet égard un élément personnel important.

[19] Les explications de l'appelante quant au fait que les activités de location n'avaient pas donné lieu à un profit tenaient en grande partie à des assertions dont la preuve ne révélait pas qu'elles étaient fondées. L'appelante affirmait notamment que des organisations ou des personnes inconnues détournaient les appels téléphoniques de locataires éventuels qui cherchaient à la joindre en réponse à des annonces.

[20] Elle a également dit que des locataires avaient abusé de ses biens et qu'il y avait eu du vandalisme, soit le fait de saboteurs (non identifiés) qui voulaient détruire ses biens locatifs. Elle a aussi affirmé que des banques détenant des hypothèques sur ses biens étaient corrompues dans leurs pratiques au point d'omettre d'indiquer dans leurs livres que les paiements hypothécaires mensuels avaient donné lieu à une diminution du montant du principal des prêts hypothécaires.

[21] Je conclus que, outre ces assertions non corroborées, l'appelante ne reconnaissait pas qu'une entreprise de location ne fonctionne pas en vase clos : il y a des variables qui influent sur les affaires, y compris les cycles économiques, la compétitivité, le recouvrement des loyers, les taux d'intérêt, les taux d'occupation, les dommages causés par les locataires, le vandalisme, les réparations et les difficultés liées aux services d'ouvriers. Ces variables font partie intégrante d'une entreprise de location et doivent faire partie de la planification commerciale.

[22] Je conclus que la motivation de l'appelante dans l'acquisition des biens tenait au fait que l'appelante, pour reprendre ses propres termes, voulait pénétrer « le marché immobilier fébrile de Toronto » . Je conclus également que l'appelante s'était lancée dans la location dans une tentative pour soutenir financièrement les actifs acquis en espérant que l'inflation donnerait lieu à une augmentation de la valeur des biens.

[23] En résumé, les facteurs suivants étaient dominants dans l'analyse de la « commercialité » : le fait qu'aucun plan d'entreprise n'avait été élaboré, le fait que des pertes ont été subies avant, pendant et après les années d'imposition en cause, le fait que le niveau d'endettement était élevé au point où les recettes brutes ne couvraient pas les paiements d'intérêts et, enfin, l'incapacité de réduire le niveau d'endettement ou d'accroître la capitalisation ou l'absence d'initiative à cet égard.

[24] Le fait que l'appelante espérait simplement que l'inflation donnerait lieu à une augmentation de la valeur de ses biens et qu'elle n'a fait état d'aucune autre considération concrète ou planification importante amène notre cour à conclure que, objectivement, il n'y avait pas suffisamment d'indices de « commercialité » pour conclure, pour les années d'imposition en cause, que les activités de location de biens immeubles de l'appelante représentaient une entreprise.

DÉCISION

[25] Les appels pour les années d'imposition 1989, 1990, 1991, 1992, 1993 et 1994 sont rejetés.

[26] L'intimée a droit à ses frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de mai 1999.

« D. Hamlyn »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 18e jour de février 2000.

Mario Lagacé, réviseur



[1]           La perte qui avait été indiquée pour 1991 était de 62 590,90 $.

[2]           L'appelante a admis que les chiffres relatifs au bien du chemin Glendonwynne correspondaient à ce qu'elle avait produit avec ses déclarations de revenu. Toutefois, avant le procès (30 décembre 1998, 5 mai 1999), elle a produit deux demandes de rajustement d'une T-1 par lesquelles elle demandait notamment que, pour les années d'imposition 1989-1994 et 1991-1993, les pertes soient réduites de manière à prendre en compte des frais personnels ou de subsistance.

[3]           Au début du procès, l'intimée a dit qu'elle admettait maintenant que l'appelante était propriétaire des biens et avait engagé des dépenses concernant ces biens pour chaque année d'imposition.

[4]           Voir l'arrêt Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480.

[5]           Il est à noter que, sur la foi des faits de cette cause-là, le juge Bowman avait conclu que le niveau d'endettement élevé, les dépenses importantes et les pertes consécutives n'étaient pas des indices suffisants pour démontrer qu'il existait une entreprise commerciale véritable.

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