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Date: 19990126

Dossier: 96-4802-GST-I

ENTRE :

ASHTON RUTHERFORD HEVENOR,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 16 novembre 1998 à London (Ontario) par l’honorable juge Gerald J. Rip

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1] M. Ashton Rutherford Hevenor, l'appelant, interjette appel d'une cotisation établie par le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) conformément à l'article 323 de la Loi sur la taxe d'accise (la “ Loi ”) pour le motif que l'appelant était un administrateur de la 980250 Ontario Inc. (“ Ontario ”) pendant toutes les périodes pertinentes où la société a omis de verser au receveur général du Canada, pour certaines périodes de déclaration, la taxe nette prévue à l'article 228 de la Loi.

[2] L'appel en l'instance soulève la question de savoir si l'on peut dire que, pour empêcher qu'une société dont il était l'unique administrateur omette de verser une taxe nette sous le régime de la partie IX de la Loi, le contribuable a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances alors qu'il avait peu d'instruction, qu'il était administrateur d'Ontario pour rendre service à son fils, qu'il ne prenait pas part à l'entreprise ou à l'activité commerciale exercée par Ontario, qu'il n'avait aucune expérience des affaires et qu'il ne comprenait pas les responsabilités d'un administrateur.

[3] À l'époque du procès, M. Hevenor était âgé de 64 ans. Il est né dans la ferme familiale à Springfield (Ontario), où il réside encore. Il se trouve être la troisième génération des Hevenor à vivre dans cette ferme de 74 acres. Il a fréquenté l'école publique rurale jusqu'à la dixième année inclusivement. Après l'école secondaire, il a aidé son père à la ferme, a travaillé comme mécanicien dans un garage puis est devenu soudeur et mécanicien-monteur, toujours en vivant à la ferme. Il s'est marié en 1958 et il a trois enfants. Malheureusement, au cours des dernières années, son état de santé s'est détérioré et il a dû prendre une retraite anticipée.

[4] M. Hevenor paraît être un homme honnête et travaillant. Il ne connaît rien de la comptabilité ni des pratiques commerciales et, jusqu'à récemment, il n'avait aucune idée de ce qu'est une société et de ce que sont les fonctions et les obligations des administrateurs de sociétés.

[5] Bradley Hevenor (“ Bradley ”) est le fils de l'appelant. Il est aujourd'hui âgé de 34 ans et il est apprenti soudeur et mécanicien-monteur depuis quatre ans. Il a une onzième année.

[6] En 1985, Bradley a acheté une pizzeria appelée Pud's Pizza, à Aylmer (Ontario), qu'il a exploitée jusqu'en 1989. Au cours de cette période, l'entreprise a effectué le versement des retenues à la source normales au receveur général du Canada. En 1989, Bradley a-t-il raconté, un promoteur a acheté le terrain contigu à la pizzeria dans l'intention d'ouvrir un restaurant dans le centre commercial qu'il entendait construire. Pour protéger son entreprise, Bradley a acheté une franchise de Pizza Delite qu'il a exploitée dans le centre commercial. Bradley a constitué une société à numéro pour exploiter la franchise de Pizza Delite. La compagnie a emprunté un montant de 100 000 $, dont le remboursement était garanti par une hypothèque grevant la ferme dont son père était propriétaire[1]. Bradley et son ex-épouse étaient les actionnaires de la compagnie à numéro. Le comptable de l'appelant, M. Denhander, était le comptable de Pud's Pizza, et M. Robert Deeleebeck était le comptable de Pizza Delite. Tous deux étaient comptables agréés.

[7] Dans les premiers temps, le restaurant Pizza Delite était très fréquenté mais, après quatre mois, Bradley a réalisé que les rentrées d'argent n'étaient pas suffisantes pour couvrir les dépenses, soit notamment un droit de franchise de six pour cent des revenus à verser à Pizza Delite et des frais d'intérêt du prêt garanti par la ferme, du placement de 80 000 $ de Pizza Delite dans l'entreprise et d'un prêt aux petites entreprises obtenu de la Banque Royale du Canada. Le loyer à payer pour occuper les locaux de Pizza Delite s'élevait à 4 000 $ par mois, soit approximativement 19 $ le pied carré.

[8] Bradley a tenté en vain d'obtenir du locateur qu'il réduise son loyer. En 1990 ou 1991, la Banque Royale du Canada a mis la compagnie exploitant Pizza Delite sous séquestre. Le franchiseur de Pizza Delite a essayé de négocier un règlement avec le locateur. Entre-temps, Bradley a continué à exploiter la franchise en tant que gérant. Le franchiseur et la Banque Royale sont finalement arrivés à un règlement, mais le locateur a refusé de réduire le loyer. Subséquemment, une société affiliée du locateur a négocié avec succès une entente avec le séquestre. Le nom du restaurant, entre autres choses, a été changé et Bradley en est demeuré le gérant. Le restaurant était exploité par une compagnie à numéro, dont l'actionnaire principal était Norton Builders Ltd. (“ Norton ”), le locateur, ou une filiale à cent pour cent du locateur qui était propriétaire du centre commercial.

[9] Entre-temps, M. Hevenor n'avait toujours pas récupéré le montant de 100 000 $ qu'avait emprunté la compagnie à numéro.

[10] Le centre commercial lui-même n'était pas prospère. Treize mois environ après que Norton eut pris les commandes du restaurant, le magasin principal du centre commercial a fermé ses portes et d'autres locataires sont partis.

[11] Norton ne voulait pas être dans la restauration et, au début de l'année 1992, elle a offert de vendre le restaurant à Bradley.

[12] À l'époque où la compagnie exploitant la franchise de Pizza Delite a été mise sous séquestre, Bradley et son ex-épouse ont fait faillite. Cependant, Bradley a-t-il déclaré, lorsque Norton lui a offert de lui vendre l'entreprise, il avait été libéré. Quoi qu'il en soit, Ontario a été constituée en société par Bradley pour acheter l'entreprise à Norton. Bradley a déclaré qu'il ne croit pas avoir participé à la constitution de la société en tant qu'administrateur ou dirigeant en raison de sa faillite antérieure. Ontario a payé le restaurant 95 000 $ “ environ ”.

[13] Lors de la constitution en société, l'unique actionnaire et administrateur d'Ontario était M. Hevenor, l'appelant. Ce dernier a également investi 37 000 $ pour payer Norton au moment de l'achat du restaurant; il a aussi signé un billet de 66 000 $. La preuve ne permet pas de dire si M. Hevenor a prêté le montant de 37 000 $ à Ontario ou versé l'argent à Norton. De même, il n'est pas très clair à qui le billet était payable.

[14] Le restaurant était maintenant appelé “ Pud's Pizza and Pasta Parlour ” (“ Pud's ”). M. Hevenor ne prenait aucune part à l'exploitation de Pud's, bien qu'il fût l'unique administrateur et actionnaire d'Ontario et qu'il finançât l'entreprise. De temps en temps, a-t-il reconnu, il aidait son fils à acquérir du matériel et il faisait des courses pour acheter des fournitures pour le restaurant. Cependant, il s'agissait là d'une activité peu fréquente et exceptionnelle.

[15] Bradley gérait Pud's. Il engageait le personnel, il traitait avec le banquier d'Ontario, et c'est à lui que le comptable envoyait les états financiers. M. Hevenor a déclaré qu'il n'avait vu aucun état financier périodique, bien qu'il ait pu voir les états financiers de fin d'exercice.

[16] Bradley était également chargé de tous les versements et de toutes les déclarations aux différentes autorités gouvernementales. Cela incluait l'envoi des retenues à la source et de la taxe sur les produits et services au receveur général du Canada. Ontario avait retenu les services d'un commis-comptable à temps partiel pour préparer les divers formulaires et documents destinés à Revenu Canada et autres services du gouvernement. Le commis-comptable préparait les déclarations “ et, s'il y avait de l'argent, on payait [...] ”, Bradley a-t-il déclaré. Ce dernier a également déclaré que le comptable d'Ontario connaissait la situation financière précaire de la compagnie. Il a indiqué en outre qu'il n'était pas au courant de la responsabilité de son père en tant qu'administrateur sous le régime des dispositions de la Loi sur la taxe d'accise relatives à la taxe sur les produits et services (la “ TPS ”).

[17] Je n'ai aucun doute que Bradley a travaillé très diligemment pour faire de l'entreprise une réussite. Malheureusement, en 1994, Norton a fermé le restaurant, et le bail d'Ontario a été résilié. Ontario a par la suite fait faillite.

[18] Il n'y a jamais eu d'assemblée des actionnaires ou des administrateurs d'Ontario. Cela n'a rien d'étrange puisque Ontario n'avait qu'un seul actionnaire et un seul administrateur.

[19] Bradley a indiqué que, si elle n'avait pas payé la TPS au gouvernement fédéral, Ontario avait cependant versé la taxe de vente au détail de l'Ontario. Il a déclaré qu'il y avait eu des arriérés de TPS dès la création de l'entreprise en 1992. Il a également reconnu que les “ retenues à la source ” n'avaient pas toutes été versées par Ontario. Il a dit qu'il n'avait jamais discuté avec son père du fait qu'Ontario ne payait pas la TPS. Sa mère étant très malade, il ne voulait pas accabler son père avec d'autres problèmes. Bradley “ estimait ” qu'il pourrait se sortir lui-même de cette situation.

[20] Bradley a déclaré que, lorsque les choses allaient bien, par exemple lorsque l'entreprise connaissait une bonne semaine, il en informait son père. Cependant, il ne disait mot lorsque les choses allaient mal. Bradley met la faillite de l'entreprise sur le compte de la récession qui sévissait au début des années 1990. Il a déclaré que son père savait, lorsqu'Ontario a acheté l'entreprise en 1992, qu'il y avait une récession, mais il avait confiance en son fils et il le croyait capable d'exploiter une entreprise de restauration rentable. M. Hevenor estimait que son fils “ pouvait remettre le restaurant sur la bonne voie ”. Bradley croit que son père savait que les temps étaient difficiles, mais il n'était pas “ très préoccupé [...] il me faisait confiance [...] ”.

[21] M. Hevenor a déclaré qu'à part aider son fils à constituer Ontario en société, il n'avait rien à voir avec l'entreprise exploitée par Ontario ou avec Ontario elle-même. Il a déclaré qu'il n'avait aucune raison de croire qu'Ontario n'allait pas bien. Il a indiqué qu'il n'avait jamais su qu'Ontario avait de graves difficultés financières. Ce n'est que lorsqu'il a reçu une lettre datée du 6 décembre 1994 de Revenu Canada qu'il s'est rendu compte qu'il y avait un problème. Cette lettre l'informait qu'en qualité d'administrateur d'Ontario il pouvait être responsable des omissions de la société de verser la TPS. Il a déclaré qu'avant de recevoir cette lettre il n'était “ pas au courant de cette responsabilité ”. Il a déclaré qu'il avait donné la lettre à Bradley, qui l'avait remise aux avocats.

[22] M. Hevenor a expliqué en contre-interrogatoire que “ lorsque la société a été constituée, l'avocat qui a fait le travail m'a donné peu d'explications ”. L'avocat lui a cependant dit qu'il aurait “ très peu à faire ”. L'avocat savait, d'après M. Hevenor, qu'il n'avait aucune expérience dans la restauration. Quoi qu'il en soit, il n'a pas compris ce que l'avocat tentait de lui expliquer. M. Hevenor a déclaré ceci : “ J'ai cru honnêtement que je n'aurais rien à voir avec la compagnie [...] que Bradley l'exploiterait [...] ”. Lorsqu'Ontario a été constituée en société, l'avocat a dit à M. Hevenor qu'une société avait besoin d'un administrateur et d'un président et que “ j'étais cette personne ”. M. Hevenor n'a pas demandé en quoi consisterait son rôle d'administrateur et de président et personne ne l'en a informé. Il a déclaré qu'il n'avait aucune raison d'avoir quoi que ce soit à voir avec la compagnie. Il n'a jamais demandé à voir les états financiers ou registres d'Ontario en dépit du prêt qu'il lui avait consenti lorsqu'elle avait acheté l'entreprise à Norton.

[23] M. Hevenor a cependant reconnu qu'il savait qu'à une occasion le paiement mensuel de la Banque Royale du Canada n'avait pas été effectué. Il a dit que cela s'était produit “ probablement dans les quelques mois qui ont précédé l'effondrement de la compagnie ”. Il a déclaré qu'il avait demandé à Bradley s'il effectuerait des paiements et que ce dernier lui avait répondu qu'il “ ferait ce qu'il pourrait ”.

[24] Compte tenu de ces faits, donc, M. Hevenor est-il tenu, en vertu de l'article 323 de la Loi, au paiement de la taxe qu'Ontario a omis de verser au receveur général du Canada et des intérêts y afférents conformément à l'article 228 de la Loi? Le paragraphe 323(1) prévoit ceci :

Les administrateurs de la personne morale au moment où elle était tenue de verser une taxe nette comme l'exige le paragraphe 228(2), sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer cette taxe ainsi que les intérêts et pénalités y afférents.

Cependant, le paragraphe 323(3) est libellé dans les termes suivants :

L'administrateur n'encourt pas de responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[25] Dans l'arrêt Soper v. The Queen[2], le juge Robertson, de la Cour d'appel fédérale a examiné en détail les dispositions législatives et la common law qui concernent les responsabilités des administrateurs. Il a résumé ses conclusions sur le paragraphe 221.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, une disposition identique au paragraphe 323(3) de la Loi, à la page 5416 :

[...] La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi est fondamentalement souple. Au lieu de traiter les administrateurs comme un groupe homogène de professionnels dont la conduite est régie par une seule norme immuable, cette disposition comporte un élément subjectif qui tient compte des connaissances personnelles et de l'expérience de l'administrateur, ainsi que du contexte de la société visée, notamment son organisation, ses ressources, ses usages et sa conduite. Ainsi, on attend plus des personnes qui possèdent des compétences supérieures à la moyenne (p. ex. les gens d'affaires chevronnés).

La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi n'est donc pas purement objective. Elle n'est pas purement subjective non plus. Il ne suffit pas qu'un administrateur affirme qu'il a fait de son mieux, car il invoque ainsi la norme purement subjective. Il est également évident que l'intégrité ne suffit pas. Toutefois, la norme n'est pas une norme professionnelle. Ces situations ne sont pas régies non plus par la norme du droit de la négligence. La Loi contient plutôt des éléments objectifs, qui sont représentés par la notion de la personne raisonnable, et des éléments subjectifs, qui sont inhérents à des considérations individuelles comme la “ compétence ” et l'idée de “ circonstances comparables ”. Par conséquent, la norme peut à bon droit être qualifiée de norme “ objective subjective ”.

[26] Dans l'appel en l'instance, nous sommes en présence d'un père dont l'instruction était limitée et l'expérience des affaires, nulle, qui essayait d'aider son fils dans une entreprise. Il a fait ce que de nombreux parents font : il a aidé à financer l'entreprise. Peut-être en raison d'une erreur de l'avocat qui a constitué Ontario en société et qui n'a peut-être pas réalisé qu'un failli libéré peut être administrateur d'une société, l'appelant, presque par défaut, est devenu l'unique administrateur d'Ontario. Et si l'avocat a pu tenter d'expliquer à M. Hevenor les obligations d'un administrateur, on peut se demander si ce dernier a compris ce que l'avocat lui a dit. Tout ce que M. Hevenor a compris, c'est qu'il n'aurait rien à faire et qu'il ne faisait qu'aider son fils.

[27] Le fils de M. Hevenor exploitait l'entreprise. M. Hevenor était un administrateur externe qui ne prenait aucune part aux activités d'Ontario. À ses yeux, c'était l'entreprise de son fils, en qui il avait confiance, à tort ou à raison. M. Hevenor est un père après tout.

[28] Bradley informait M. Hevenor lorsque les choses allaient bien, mais il ne disait rien lorsqu'il y avait des problèmes, et il y en avait.

[29] Dans de telles circonstances, qu'est-ce que M. Hevenor aurait pu faire pour prévenir l'omission d'Ontario d'effectuer les versements requis? Dans l'arrêt Soper, le juge Robertson a écrit, à la page 5418 :

À mon avis, l'obligation expresse d'agir prend naissance lorsqu'un administrateur obtient des renseignements ou prend conscience de faits qui pourraient l'amener à conclure que les versements posent, ou pourraient vraisemblablement poser, un problème potentiel. En d'autres termes, il incombe vraiment à l'administrateur externe de prendre des mesures s'il sait, ou aurait dû savoir, que la société pourrait avoir un problème avec les versements. La situation typique dans laquelle un administrateur est, ou aurait dû être, au courant de cette éventualité est celle de la société qui a des difficultés financières.

[30] Le fait que le résultat indiqué sur le bilan mensuel d'une société est négatif, le juge Robertson a-t-il fait remarquer, n'indique pas nécessairement qu'elle éprouve de graves difficultés financières[3] :

C'est au juge de la Cour de l'impôt qu'il appartiendra dans chaque cas de déterminer si, d'après les renseignements ou les documents financiers que possédait l'administrateur, celui-ci aurait dû savoir qu'il y avait un problème réel ou éventuel avec les versements. La question de savoir si l'administrateur visé a satisfait à la norme de prudence, telle qu'elle est maintenant définie, est donc avant tout une question de fait qu'il faut trancher à la lumière des connaissances personnelles et de l'expérience de ce dernier.

[31] Au procès, on n'a pas indiqué que, même si on lui avait soumis les états financiers périodiques, M. Hevenor les aurait compris et aurait réalisé qu'Ontario éprouvait de graves difficultés financières à l'époque. Il ne fait aucun doute qu'il aurait réalisé que l'entreprise perdait de l'argent; cependant, quant à savoir si cela l'aurait convaincu qu'Ontario n'avait aucune chance de succès, c'est une autre affaire. La “ personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances ” dont il est question au paragraphe 323(3) peut, comme le juge Robertson l'a expliqué dans Soper[4], être une personne inexpérimentée. “ [I]l est correct de faire une distinction semblable entre une personne prudente et une personne raisonnablement compétente [...] ”. À la page 5415, il a ajouté ceci :

[...] dans le cas où la personne prudente est inexpérimentée [...] la loi requiert uniquement que cette personne agisse avec le degré de soin qui est proportionné à son niveau de compétence [...]

[32] Ce que M. Hevenor a fait — financer l'entreprise de son fils — est une pratique courante et acceptable au Canada. Le fait qu'il devienne un administrateur — l'unique administrateur — d'une société dans laquelle il n'avait absolument aucune participation, sauf en tant que créancier, était le résultat de circonstances spéciales. S'il avait été plus expérimenté dans les affaires, s'il avait ne serait-ce que soupçonné le risque auquel il s'exposait comme administrateur ou les fonctions et obligations d'un administrateur, s'il n'avait pas été aveuglé par son dévouement envers son fils, M. Hevenor aurait peut-être porté davantage attention aux activités et à la situation financière d'Ontario. Toutefois, dans ce cas, ce degré de soin aurait été limité par son manque de compétence. Et ce sont toutes là des caractéristiques subjectives que M. Hevenor partage avec d'autres parents.

[33] Les faits en l'espèce ne sont pas semblables aux faits de l'affaire Black v. The Queen[5]. M. Black n'était pas un néophyte dans les affaires. Et, contrairement à Mme Hanson[6], M. Hevenor n'a pas participé directement à l'acquisition du restaurant. Il ne détenait aucune participation directe ou indirecte dans la société en question et il ne participait pas aux décisions. Les appels comme celui qui a été interjeté dans l'affaire Stuart v. M.N.R.[7] ont été tranchés avant l'arrêt Soper, précité. À mon avis, M. Hevenor a agi comme on pouvait raisonnablement s'attendre qu'il agisse lorsqu'il a été nommé unique administrateur d'Ontario.

[34] Je ne dis pas que le simple fait pour une personne de devenir administrateur d’une société familiale l’autorise à fermer les yeux sur les affaires de la compagnie. Au contraire, l'administrateur qui est un membre de la famille dans ce contexte a les mêmes responsabilités que tout autre administrateur. Compte tenu des faits en l'espèce, cependant, M. Hevenor était un administrateur unique à qui l'on a confié un rôle pour lequel il n'avait aucune expérience ni aucune compétence.

[35] Par conséquent, compte tenu des faits, l'appel est accueilli avec frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de janvier 1999.

“ Gerald J. Rip ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 1er jour d'octobre 1999.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               On ne peut dire avec certitude si la compagnie à numéro a emprunté le montant de 100 000 $ ou si l'appelant a emprunté l'argent puis l'a prêté à la compagnie à numéro.

[2]               97 DTC 5407.

[3]               Soper, précité, page 5419.

[4]               Soper, précité, page 5415.

[5]               Black v. The Queen, 93 DTC 1212.

[6]               Hanson v. R., [1997] 1 C.T.C. 2456.

[7]               [1995] 2 C.T.C. 2458, par le juge en chef adjoint Christie (tel était alors son titre).

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