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Date : 20000221

Dossier : 98-45-UI

ENTRE :

MAE EDMONDS, S/N A-1 LUMPERS,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Cain, C.C.I.

[1] Il s’agit d’un appel interjeté contre une décision de l’intimé datée du 17 octobre 1997, selon laquelle les travailleurs que l’appelante a engagés pour l’année 1997, ci-après appelée l’“ année en question ”, ont exercé un emploi assurable puisqu’il existait entre l’appelante et les travailleurs une relation employeur-employé ainsi qu’un contrat de louage de services. L’intimé s’est fondé sur l'alinéa 6g) du Règlement sur l’assurance-emploi et l'alinéa 12g) du Règlement sur l’assurance-chômage.

[2] L’appelante s’est mariée après l’introduction du présent appel et se nomme à présent Mme Mae Leblanc. Par conséquent, toute mention, dans la transcription de la présente instance, de “ Mme Mae Leblanc ” ou de “ Mme Leblanc ” désigne l’appelante.

[3] L’intimé a fondé sa décision sur les hypothèses énoncées dans sa réponse à l’avis d’appel, datée du 19 mars 1998, lesquelles se lisent comme suit :

[TRADUCTION]

a) l’appelante est une propriétaire unique dont l’entreprise consiste à fournir les services de travailleurs temporaires pour décharger les marchandises livrées par des entreprises de camionnage à des entrepôts de denrées alimentaires de la région de Moncton;

b) ces travailleurs temporaires sont appelés des “ débardeurs ” (lumpers);

c) les entreprises de camionnage prennent rendez-vous avec l’entrepôt où doit se faire la livraison, puis indiquent à l’appelante le moment et le lieu où elles auront besoin des services des débardeurs;

d) ce service est nécessaire puisque les contrats de transport de marchandises prévoient que les marchandises doivent être livrées et déchargées, et que les entreprises de camionnage ont la responsabilité d’organiser le déchargement;

e) les entreprises de camionnage communiquent avec l’appelante pour l’informer des livraisons;

f) l’appelante a la responsabilité de fournir les services de débardeurs aux moments et aux lieux précisés par les entreprises de camionnage;

g) le déchargement lui-même est dirigé par les réceptionnaires de chaque entrepôt;

h) l’appelante est financièrement responsable des dommages causés aux marchandises au cours du déchargement;

i) l’appelante paie les débardeurs en argent comptant pour chaque déchargement et elle facture aux entreprises de camionnage, à tant le chargement, le travail effectué;

j) les calendriers de livraison ne sont pas affichés ailleurs que dans les entrepôts;

k) les réceptionnaires des entrepôts n’embauchent pas les débardeurs dans la rue;

l) les réceptionnaires des entrepôts n’embauchent pas les débardeurs et ne traitent pas avec l’appelante;

m) il existait un contrat de louage de services entre les travailleurs et l’appelante.

[4] L’appelante a admis les hypothèses b), c), e) et g) mais elle a nié chacune des autres hypothèses ci-dessus.

Analyse de la preuve

[5] Le témoignage de l’appelante ne m’a pas beaucoup impressionné. Bien qu’elle n’ait peut-être pas violé son serment, j’ai trouvé qu'elle ne s'est pas montrée empressée à fournir des explications complètes au sujet de ses opérations.

[6] Elle a reconnu qu'elle concluait des contrats avec des transporteurs pour le déchargement des camions, qu'elle embauchait des débardeurs pour effectuer ce travail, se servant à cette fin d'une liste de travailleurs disponibles qu’elle gardait à son bureau, qu'elle payait les débardeurs sur une base hebdomadaire pour le travail effectué et qu'elle facturait ensuite au transporteur le prix stipulé au contrat. Ce sont là les éléments habituels d’une relation employeur-employé.

[7] Elle a nié catégoriquement avoir jamais fixé le taux horaire des débardeurs avant que le travail ne soit terminé. Elle a néanmoins indiqué qu’il existait des taux horaires standard et des taux par chargement standard que respectaient les débardeurs, et que, si la demande de paiement présentée par un débardeur lui paraissait déraisonnable, elle refusait de payer. Même si, dans les faits, la négociation des taux n’avait lieu qu’une fois le travail effectué, je suis convaincu que l’appelante et le débardeur connaissaient déjà le taux, sinon, chaque contrat aurait été incertain à la fois pour l’appelante et le débardeur. Aucun débardeur n’a été appelé à témoigner pour dire qu’il se faisait engager sans connaître sa rémunération. Le témoignage de l’appelante m’a donné la très claire impression qu’il existait un lien étroit entre les débardeurs et elle.

[8] L’appelante a présenté deux témoins qui ont dit avoir négocié des ententes avec des camionneurs sans consulter au préalable l’appelante ou un autre courtier. Une fois le travail terminé, le débardeur notait les données relatives à ce travail et essayait de les vendre au plus offrant, qui, à son tour, facturait les services à l'expéditeur. L’un des témoins a indiqué avoir vendu de telles données à l’appelante, mais également à d’autres courtiers. Aucun des deux n’a présenté de preuve établissant l'existence d’opérations de ce type, et une telle preuve se serait trouvée en la possession de l'appelante.

[9] Bien que ces témoignages me laissent sceptique, je n’ai aucune raison de ne pas y ajouter foi. Néanmoins, comme ces témoignages se rapportent à l’appelante, je suppose que le débardeur savait que l’appelante avait probablement déjà représenté l’entreprise de camionnage auparavant, qu’elle entretenait de bonnes relations avec cette entreprise et qu’elle paierait 65 % du prix stipulé au contrat, ce qu'un témoin a décrit comme la moyenne. La seule raison d'être de cette pratique qui nous ait été fournie est le fait que les débardeurs obtenaient leur argent immédiatement. Trente-cinq pour cent de plus aurait représenté pour les débardeurs un incitatif à se faire payer par le conducteur ou à facturer le travail directement à l’entreprise de camionnage.

[10] Finalement, l’appelante n’a présenté aucune preuve quant au fonctionnement financier de son entreprise pour confirmer les pertes qu'elle prétendait avoir été subies en raison de la façon dont les affaires se faisaient. Ce genre de preuve aurait donné une certaine crédibilité à son témoignage, mais, en dernière analyse, de tels éléments n’auraient rien changé au rapport entre l'appelante et les débardeurs, qui serait demeuré une relation employeur-employé.

[11] La Couronne a fait témoigner deux réceptionnaires chargés de recevoir les marchandises à leur destination finale, ainsi qu’un superviseur chez un transporteur, qui était chargé d’organiser le déchargement des marchandises. Les réceptionnaires et le superviseur connaissaient l’entreprise de l’appelante et ont indiqué avoir toujours traité directement avec elle, et non avec les débardeurs.

Les faits

[12] Le tribunal constate les faits suivants.

[13] Au cours de l’année en question, l’appelante s'était établie comme pourvoyeuse de main-d'oeuvre, offrant ses services aux transporteurs qui avaient besoin d’aide pour décharger des marchandises à leur destination finale.

[14] L’appelante exploitait son entreprise de plusieurs façons. Elle pouvait par exemple se rendre à l'entrepôt auquel devaient être livrées les marchandises, vérifier le calendrier des livraisons et communiquer directement avec le transporteur. Il se pourrait aussi que le chauffeur de l’entreprise de camionnage communique avec elle à son arrivée. Il pouvait également arriver qu'un débardeur au courant des livraisons l'appelle. Ou encore, la personne à l'entrepôt qui était responsable d’établir la date et l'heure du déchargement des marchandises à l’entrepôt, c'est-à-dire le “ réceptionnaire ”, pouvait appeler l’appelante après avoir discuté avec le chauffeur ou l’expéditeur. Finalement, le transporteur pouvait communiquer avec l’appelante directement.

[15] Lorsqu’elle avait l’information, l’appelante négociait le prix avec le transporteur. Dans l'industrie en question, il y avait des taux horaires ou des prix forfaitaires déterminés pour des chargements particuliers. L’appelante engageait alors des débardeurs. Il existait des taux horaires standard établis pour les débardeurs. Ceux-ci se présentaient soit au réceptionnaire, soit au camionneur, et ils déchargeaient le camion. Le réceptionnaire était chargé de choisir l’endroit où seraient placées les marchandises dans l’entrepôt et de fixer le délai dans lequel le camion devait être déchargé. Les débardeurs travaillaient sous la supervision du camionneur et du réceptionnaire.

[16] Lorsque le camion était déchargé, le camionneur ou le réceptionnaire indiquait sur la lettre de voiture ou le bon de commande que le déchargement était complet et y précisait le temps mis à accomplir le travail et le nom des débardeurs qui l'avaient fait. Ce document, ou les données qu’il contenait, était remis à l’appelante, qui présentait à l’expéditeur une facture pour le prix convenu. L’appelante payait le débardeur à la fin de chaque semaine, soit en argent comptant, soit au moyen d’un dépôt à une banque locale en vertu d’une entente préalable avec le débardeur.

[17] Au soutien de son appel, l’appelante a fait valoir que, puisque les débardeurs négociaient leurs taux de rémunération et travaillaient pour d’autres débardeurs ainsi que pour elle, ils étaient des entrepreneurs indépendants. Cet argument n'est pas fondé. Le fait qu’un employé ne travaille que de temps à autre pour un employeur donné et négocie un taux qui diffère à chaque nouveau travail n’affecte en rien son statut d’employé. Le fait que l’appelante n’ait pas directement supervisé les employés n’est pas non plus pertinent compte tenu du paragraphe 6g) du Règlement sur l’assurance-emploi, qui est rédigé comme suit :

6. Sont inclus dans les emplois assurables, s’ils ne sont pas des emplois exclus conformément aux dispositions du présent règlement, les emplois suivants :

[...]

g) l’emploi exercé par une personne appelée par une agence de placement à fournir des services à un client de l’agence, sous la direction et le contrôle de ce client, en étant rétribuée par l’agence.

[18] L’appelante représentait le transporteur, fournissait les services des débardeurs et les rémunérait, et le travail de ces derniers était supervisé à la fois par le camionneur et par le réceptionnaire.

[19] Je suis convaincu que la preuve présentée par l’appelante n’a pu détruire une seule des hypothèses de l’intimé, en particulier les hypothèses a), d), f) et i) à m).

[20] Des éléments de preuve ont été présentés à l’égard de l'hypothèse h) pour établir que l’appelante n’était pas responsable des dommages causés aux marchandises. Il semble en effet que le transporteur était responsable de tels dommages envers l’entrepôt. Quoi qu’il en soit, même si une telle responsabilité constituait l’une des conditions de l'emploi des débardeurs, cette condition ne modifierait pas la nature de la relation employeur-employé.

[21] Je rejette l’appel et confirme la décision de l’intimé.

Signé à Rothesay (Nouveau-Brunswick), ce 21e jour de février 2000.

“ Murray F. Cain ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour de septembre 2000.

Erich Klein, réviseur

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