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Date: 20000203

Dossier: 97-2864-IT-G

ENTRE :

GENERAL MOTORS ACCEPTANCE

CORPORATION DU CANADA, LIMITÉE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

INTRODUCTION

[1] General Motors Acceptance Corporation du Canada Limitée (“ GMAC ”) interjette appel de cotisations d'impôt établies pour les années d'imposition 1985 à 1992 inclusivement. Le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a ajouté au revenu de GMAC des montants que celle-ci a reçus de General Motors du Canada Limitée (“ GMCL ”) censément à titre de dédommagement pour sa participation à des programmes de prêts à taux réduit mis sur pied par GMCL dans le but de promouvoir les ventes au détail de véhicules à moteur fabriqués par GMCL et sa compagnie mère, General Motors Corporation, une société du Delaware, et des sociétés liées.

[2] Pendant toutes les périodes pertinentes, GMAC a financé une portion substantielle des ventes à tempérament de véhicules General Motors neufs effectuées par les concessionnaires de General Motors. GMAC est liée à GMCL. Elle achète les contrats de vente conditionnelle conclus entre les concessionnaires de GMCL et les acheteurs de véhicules à moteur, qui s'engagent à payer le prix d'achat au concessionnaire, en versements. Habituellement, GMAC paie, pour les contrats de vente conditionnelle qu'elle achète du concessionnaire, le principal ou la valeur nominale du contrat, à la condition que le taux d'intérêt lui convienne; évidemment, l'acheteur effectue ensuite ses versements à GMAC.

[3] Dans le cadre des programmes de promotion des ventes qui ont mené aux cotisations en litige, des concessionnaires de General Motors informaient les acheteurs potentiels de véhicules General Motors de la possibilité de faire financer leur achat par l'entremise de GMAC à un taux d'intérêt inférieur à celui offert sur le marché[1]. GMCL prenait à sa charge le coût des programmes, appelés individuellement “ programme de financement incitatif ” ou “ programme de prise en charge de taux ”.

[4] Immédiatement avant le début d'un programme de prise en charge de taux, GMCL envoyait une lettre (parfois appelée “ lettre de l'administration centrale ”) à ses concessionnaires pour les informer de l'existence du programme, de sa durée, des véhicules visés et, notamment, du taux d'intérêt inférieur au marché.

[5] GMAC n'était pas disposée à payer le principal ou la valeur nominale d'un contrat de vente conditionnelle lorsque le taux d'intérêt prévu était inférieur à celui qu'elle jugeait acceptable. Elle était seulement disposée à verser à chaque concessionnaire, dans le cadre du programme, un montant basé sur le faible taux d'intérêt prévu au contrat; elle “ réduisait ” le principal du contrat. D'après l'appelante, elle payait au concessionnaire la différence entre le prix réduit du contrat et le principal de celui-ci pour le compte de GMCL, qui la remboursait. (La différence est appelée “ montant de la prise en charge de taux ”). C'est là le fondement de l'appel de l'appelante : GMAC n'a reçu aucun montant de la prise en charge dans son propre intérêt; elle était le mandataire ou l'intermédiaire de GMCL.

[6] Dans le cadre des programmes de prise en charge de taux antérieurs à 1989, GMAC payait le montant total au concessionnaire et GMCL remboursait à GMAC les montants de la prise en charge de taux qu'elle payait pour acheter les contrats au cours d'une période donnée. (C'est ce qu'on appelle parfois le système “ à chèque unique ”). À compter du milieu de 1989, GMAC a commencé à payer au concessionnaire le montant de la prise en charge de taux au moyen d'un chèque tiré sur le compte bancaire de GMCL et à payer le solde du prix du contrat au concessionnaire à même son propre compte. (C'est ce qu'on appelle parfois le système “ à deux chèques ”.)

[7] Revenu Canada a établi à l'égard de GMAC des cotisations égales au total des montants de la prise en charge de taux reçus de GMCL au cours de chaque année d'imposition à titre de revenu tiré de son entreprise au sens de l'article 9 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) dans l'année donnée, à titre de dédommagement reçu par GMAC pour avoir offert un financement à taux réduit. En d'autres termes, GMCL avait dédommagé GMAC pour l'acquisition des contrats de vente conditionnelle en contrepartie de leur principal alors que, en fait, étant donné les conditions du marché, GMAC aurait dû payer moins.

[8] L'intimée soutient également que les montants versés par GMCL étaient des montants d'intérêt ou des paiements faits au titre, à la place ou en règlement de l'intérêt, et qu'ils doivent être inclus dans le revenu de l'appelante pour l'année d'imposition au cours de laquelle ils ont été effectués, en application de l'alinéa 12(1)c) de la Loi. L'intimée fait valoir également que les paiements effectués par GMCL étaient reçus par GMAC dans l'année pour encourager celle-ci à offrir un financement à taux réduit, et qu'ils doivent par conséquent être inclus dans le calcul du revenu tiré d'une entreprise de l'appelante conformément à l'alinéa 12(1)x).

[9] GMAC s'oppose aux cotisations pour le motif que, à son avis, elle n'avait aucun droit sur les montants de la prise en charge de taux. Elle agissait comme mandataire ou intermédiaire de GMCL lorsqu'elle émettait aux concessionnaires de GMCL des chèques tirés sur le compte bancaire de celle-ci ou, au cours des premières années, lorsqu'elle effectuait des paiements aux concessionnaires pour le compte de GMCL et qu'elle était ensuite remboursée. L'appelante soutient que les montants correspondant aux montants de la prise en charge de taux devraient à juste titre être inclus dans le calcul de son revenu pendant la durée des contrats de vente conditionnelle auxquels ils se rapportent à mesure que les paiements sont effectués par les acheteurs au détail.

[10] Si je conclus que les montants de prise en charge de taux doivent être inclus dans le calcul du revenu de GMAC dans l'année où ils ont été payés par GMCL, l'appelante fait valoir que les contrats de vente conditionnelle qu'elle a achetés des concessionnaires faisaient partie de son stock et que le coût des contrats doit être pris en compte dans le calcul de son revenu. Par conséquent, en application du paragraphe 10(1) de la Loi, GMAC doit déterminer la valeur des contrats à leur coût ou à leur juste valeur marchande, le moins élevé de ces deux éléments étant à retenir. GMAC devrait par conséquent être autorisée à ramener la valeur des contrats à leur juste valeur marchande. Il n'y a devant moi aucune preuve que les contrats de vente conditionnelle ont à quelque moment que ce soit fait partie du stock de GMAC. Je conviens avec l'intimée qu'il n'y a aucune raison de demander une réduction de la valeur des contrats de vente conditionnelle.

FAITS

Faits préliminaires

[11] Avant le milieu des années 1970, General Motors Corporation, Ford Motor Company et Chrysler Corporation dominaient les marchés canadien et américain de l'automobile. D'après M. George Peapples, ancien président de GMCL, “ on ressentait très peu la concurrence des fabriquants étrangers ” de l'Europe et du Japon.

[12] Au milieu des années 1970, les conditions ont changé. Il y a eu la flambée des coûts du pétrole en Amérique du Nord et les fabriquants japonais de véhicules à moteur ont commencé à exercer des pressions accrues au Canada et aux États-Unis. M. Peapples s'est rappelé que les fabriquants japonais avaient principalement grugé la part du marché de General Motors.

[13] À la fin des années 1970, M. Peapples a-t-il déclaré, les taux d'intérêt se sont mis à augmenter rapidement, ce qui a exacerbé les pressions concurrentielles exercées par le Japon. Les consommateurs ont perdu confiance, ce qui a entraîné une “ baisse substantielle du volume et des prévisions dans l'ensemble de l'industrie ”. Les pressions exercées ont mis à rude épreuve non seulement les systèmes de production de General Motors, mais aussi la capacité de ses concessionnaires de survivre dans le marché, a ajouté M. Peapples. Les concessionnaires ont alors exhorté GMCL de concevoir un programme efficace de promotion des ventes.

[14] Pendant toutes les périodes pertinentes en l'espèce, GMCL vendait ses véhicules à moteur par l'intermédiaire de concessionnaires indépendants franchisés. Un concessionnaire investissait des capitaux et achetait le produit de GMCL pour ensuite le vendre au public. Son profit dépendait du volume de ses ventes de véhicules. Les concessionnaires et GMCL cherchaient des moyens d'augmenter les ventes de véhicules dans un marché déprimé.

Mise en oeuvre des programmes de promotion

[15] M. Peapples a d'abord été directeur financier chez GMCL. À ce titre, il faisait partie de l'équipe qui, chaque mois, révisait les prix. Cette équipe était composée d'employés de la division du marketing et du bureau du contrôleur de GMCL. De façon générale, les membres de l'équipe élaboraient plusieurs propositions, notamment les mesures qu'ils estimaient que GM devait prendre afin de demeurer concurrentielle sur le marché en tout temps. Ils analysaient les différents facteurs propres à l'industrie, notamment les produits qui restaient invendus chez les concessionnaires et les mesures à prendre pour stimuler les ventes. M. Peapples a déclaré qu'il y avait “ beaucoup d'échanges ” et “ beaucoup d'interaction ” entre l'équipe de marketing de GMCL et ses concessionnaires, de façon à “ avoir une idée de ce qu'il faudrait peut-être faire dans les différents marchés régionaux ”. GMCL travaillait “ en douce ” en collaboration avec des concessionnaires sélectionnés à la mise en oeuvre d'un programme. On tentait de déterminer quel programme serait avantageux à un moment donné dans un marché et dans une année donnés.

[16] D'après M. Peapples, GMCL assumait le coût de ses programmes de type incitatif. Dans certains cas, GMCL établissait, dès le début d'un programme, une réserve qui était imputée au revenu à ce moment-là, selon le succès du programme ou la mesure dans laquelle la réserve serait utilisée.

Programmes de prise en charge de taux

[17] Dans le cadre d'une vaste stratégie de marketing mise en oeuvre par GMCL en vue de stimuler le marché de façon que ses concessionnaires puissent vendre les véhicules de GMCL faisant partie de leur stock et, ensuite, en acheter d'autres, l'équipe de révision des prix a proposé un programme de prise en charge de taux. Ce programme, M. Peapples a-t-il déclaré, était l'un des nombreux programmes de marketing adoptés par GMCL pour faire la promotion de ses produits. L'objectif principal du programme de la prise en charge de taux, M. Peapples a-t-il expliqué, était d'aider les concessionnaires à vendre leurs véhicules. “ Nous reconnaissions que nous allions prendre en charge le coût de l'aide offerte aux concessionnaires [...] de façon à inciter ces derniers à accorder un soutien accru au programme, sachant qu'ils ne risquaient pas de voir diminuer les profits [...] qu'ils étaient en mesure de réaliser dans le cadre d'un contrat de vente [...] négocié avec le client ”. GMCL offrait également, dans le cadre d'autres programmes incitatifs, des garanties prolongées, des rabais en argent, le système de climatisation gratuit et la transmission automatique gratuite. Le premier programme de prise en charge de taux semble avoir été mis en vigueur en 1981. En résumé, le programme de prise en charge de taux permettait aux acheteurs d'un véhicule à moteur de financer leur achat à un taux d'intérêt inférieur au taux habituellement offert par GMAC.

[18] GMAC donnait également des conseils aux fins de la conception d'un programme de prise en charge de taux. Cependant, la plupart des taux d'intérêt que GMCL estimait devoir établir, M. Peapples a-t-il insisté, étaient fondés sur une analyse effectuée par le personnel de marketing de GMCL et sur ce que ses concessionnaires “ croyaient être le taux d'intérêt qui permettrait de faire augmenter le volume des ventes sur le marché ”. Une fois le taux d'intérêt établi, GMCL évaluait le coût du programme pour elle. Le coût total était déterminé à l'aulne du volume prévu de ventes dans le cadre du programme. Les frais de publicité étaient attribués au programme. Lorsqu'une proposition de programme était acceptée, GMCL communiquait avec son organisation des concessionnaires afin de le mettre en oeuvre.

[19] Bref, c'est GMCL qui concevait le programme de taux d'intérêt réduit. C'est GMCL qui établissait le taux d'intérêt qui bénéficierait du programme de prise en charge de taux dans le marché. GMCL déterminait les marques et les modèles de véhicules qui étaient visés par le financement à taux réduit et la durée du programme en question.

Vente au détail type nécessitant un financement

[20] Tout au long des années d'imposition visées par l'appel, la transaction type dans le cadre de laquelle un consommateur finançait son achat au moyen d'un programme de financement à taux réduit se déroulait de la manière suivante :

Le concessionnaire et le client négociaient le prix au détail du véhicule.

Le concessionnaire et le client concluaient un contrat de vente officiel. Le contrat précisait, entre autres choses, le nom de l'acheteur et celui du vendeur du véhicule, le numéro de série du véhicule, son prix et, dans le cas où l'achat du véhicule était financé, le montant du prix d'achat qui était financé. Le montant du financement “ devait être approuvé ” par GMAC, qui ne verrait jamais ce contrat, mais qui en connaissait évidemment l'existence. Le contrat était le premier document officiel créé entre le concessionnaire et l'acheteur.

L'acheteur remplissait aussi une demande de crédit par l'entremise du concessionnaire. Il y donnait son adresse, le nom de son employeur, son revenu mensuel ainsi que des références. Le montant du financement demandé y était également inscrit. Ce document était un formulaire que GMAC avait préparé et qu'elle fournissait au concessionnaire.

Le concessionnaire et le client inscrivaient les renseignements sur le formulaire de demande de crédit à GMAC. Lorsqu'il remplissait le formulaire en question, l'acheteur consentait à ce que le concessionnaire “ ou ” GMAC établisse un rapport de solvabilité. À toutes fins utiles, le client présentait une demande de crédit à GMAC.

GMAC approuvait ou rejetait ensuite la demande. Elle pouvait aussi suggérer des changements aux modalités négociées lorsque la demande ne lui convenait pas. Le principal élément sur lequel GMAC fondait son approbation ou son rejet de la demande était la solvabilité du client. Il fallait à GMAC environ une heure pour se prononcer sur la demande.

Si GMAC était convaincue de la solvabilité du client, le concessionnaire recevait un numéro d'approbation et un contrat de vente conditionnelle; en outre, un formulaire de GMAC était préparé et rempli par le client et le concessionnaire. Les renseignements figurant sur le contrat de vente conditionnelle étaient semblables à ceux qui étaient inscrits dans le contrat de vente. Le contrat de vente conditionnelle prévoyait le nombre de versements et leur montant ainsi que les frais de financement (ou le taux d'intérêt), et faisait état de la cession du contrat par le concessionnaire à GMAC. Le concessionnaire cédait le contrat “ pour valeur reçue ”; le montant de la contrepartie n'était pas précisé[2].

Taux d'intérêt de GMAC

[21] Normalement, GMAC achète des concessionnaires les contrats de vente conditionnelle dont le taux d'intérêt est “ acceptable ”, c'est-à-dire qu'il n'est pas inférieur à ce qui est appelé le “ taux d'achat ” de GMAC à un moment donné, ni supérieur à son taux “ plafond ”. Le taux “ d'achat ” est le taux d'intérêt minimal prévu dans un contrat de vente conditionnelle pour lequel GMAC paiera le principal ou la valeur nominale. Le taux “ plafond ” est généralement de un à un et demi point de base supérieur au taux “ d'achat ”, lequel détermine le maximum de ce que le concessionnaire peut obtenir s'il veut faire affaires avec GMAC.

[22] Pour déterminer un taux “ d'achat ”, GMAC prend en considération le coût, pour elle, des fonds nécessaires, les frais d'administration, les pertes subies et les paiements faits par anticipation par le passé ainsi que d'autres facteurs se rapportant à l'exploitation de son entreprise. GMAC achète normalement un contrat de vente conditionnelle dont le taux d'intérêt n'est ni inférieur au taux “ d'achat ”, ni supérieur au taux “ plafond ”. Le contrat dont le taux d'intérêt est supérieur au taux “ d'achat ” permet au concessionnaire de réaliser des profits supplémentaires puisque le prix payé par GMAC pour acheter le contrat est rajusté pour refléter le taux “ plafond ”. L'écart entre les taux est également un outil dont dispose le concessionnaire lorsqu'il négocie la vente d'un véhicule. Normalement, GMAC paie au concessionnaire le coût d'un contrat cédé le lendemain de la cession. La politique de GMAC consiste à ne pas acheter de contrat dont le taux d'intérêt est supérieur à son taux “ plafond ”. Le montant que GMAC verse au concessionnaire pour le contrat de vente conditionnelle est le montant du rendement à l'échéance du contrat, qui est égal au taux d'achat de GMAC.

[23] Dans le cadre du programme de prise en charge de taux, GMAC finance l'achat d'un véhicule à moteur à un taux d'intérêt inférieur à son taux d'achat. GMAC achète le contrat de vente conditionnelle dont le taux d'intérêt est le plus bas. GMAC fait valoir qu'elle achète le contrat aux termes d'un programme de prise en charge de taux, à rabais, et que GMCL verse au concessionnaire la différence entre la valeur nominale du contrat et le montant réduit payé par GMAC. Ce montant représentante le montant “ de la prise en charge de taux ”. Le concessionnaire touche le montant intégral du contrat, payé par GMAC jusqu'à concurrence de la valeur du contrat, pour elle, compte tenu du taux d'intérêt réduit et du solde du principal; le montant de la prise en charge de taux est payé par GMCL. Le concessionnaire ne connaît pas les modalités convenues entre GMAC et GMCL pour lui verser l'argent.

Rôle de GMAC

[24] Le programme de prise en charge de taux n'est offert qu'aux clients qui financent l'achat de leur véhicule à moteur par l'intermédiaire de GMAC. Cette dernière constitue un pilier important de tout programme de prise en charge de taux offert par GMCL. GMAC est une filiale à cent pour cent de General Motors Acceptance Corporation of New York qui, elle, est une filiale à cent pour cent de General Motors Corporation. GMCL est elle aussi une filiale à cent pour cent de General Motors Corporation. L'entreprise de GMAC consiste à financer l'achat par les concessionnaires de GMCL de stock de véhicules à moteur neufs fabriqués par General Motors Corporation et ses filiales, dont GMCL, et de financer l'achat de véhicules GMCL neufs ainsi que de véhicules usagés de toutes marques par les clients des concessionnaires de GMCL.

[25] M. Peapples a expliqué que GMAC constituait le moyen le plus efficace et le plus efficient pour GMCL d'appliquer le programme en collaboration avec son organisation de concessionnaires. GMAC était présente dans un grand nombre de concessions de General Motors, sinon toutes. Au Canada, GMAC exploitait son entreprise d'un océan à l'autre. GMCL pouvait compter sur les ressources de GMAC et estimait qu'il était des plus efficaces que GMAC administre le programme pour GMCL. Une organisation s'occupait des multiples combinaisons de programmes de promotion que GMCL offrait sous forme de prise en charge de taux. Le consommateur qui choisissait de ne pas faire financer son achat par GMAC pouvait bénéficier de programmes incitatifs offrant des rabais comptants, qui étaient remis directement par GMCL au client.

[26] Bien que GMAC et GMCL fassent partie du groupe de sociétés de General Motors, GMAC est une “ institution financière indépendante ” qui exploite son entreprise de façon autonome, a déclaré M. Peapples, qui, au cours des périodes pertinentes, était également administrateur de GMAC. Cette dernière est tenue de faire fructifier le capital investi et de faire honneur à ses obligations financières relativement à la dette contractée. M. Peapples a insisté sur le fait que GMCL n'est pas en mesure d'influencer GMAC en ce qui concerne les taux qu'elle offre; ces taux sont déterminés par le marché.

[27] Si je comprends bien le témoignage de M. Peapples, GMAC était disposée à aider GMCL à concevoir, à créer et à offrir les programmes de prise en charge de taux tant que GMAC ne subissait aucune perte. Les profits de GMAC augmentent avec la quantité de contrats qu'elle achète des concessionnaires. Par conséquent, il était financièrement avantageux pour elle de participer aux programmes de prise en charge de taux puisque ceux-ci donnaient lieu à des contrats de vente à tempérament supplémentaires qu'elle pouvait acheter. Cependant, le revenu que GMAC tirait de l'acquisition d'un contrat donné était fonction du taux d'intérêt précisé dans le contrat et du montant financé, sans égard à quelque programme de prise en charge de taux que ce soit.

[28] GMAC administrait les programmes de prise en charge de taux pour GMCL. M. Peapples a souligné que GMCL “ ne s'attendait pas à ce que GMAC fasse plus que ce que l'on attendait d'elle, à savoir acheter des contrats de vente conditionnelle des concessionnaires au taux d'achat courant du marché [...] nous faisions ensuite le nécessaire pour que si, au cours des premières années, GMAC avait été tenue d'acquitter des intérêts à un taux supérieur au taux réduit, cette somme additionnelle lui soit remboursée; pour ce qui est des années subséquentes, la prime d'intérêt était remboursée directement aux concessionnaires ”.

Programmes de prise en charge de taux : système à chèque unique

[29] L'annonce d'un programme de prise en charge de taux était habituellement faite dans une lettre que l'administration centrale adressait aux concessionnaires. On en retrouve un exemple type dans une lettre de l'administration centrale datée du 21 mars 1985. Le programme prévoyait la prise en charge d'un taux d'intérêt de 9,9 p. 100. Dans les premières années d'existence du programme de prise en charge de taux, ce qui inclut l'année 1985, les concessionnaires participaient financièrement au programme en ce sens qu'ils pouvaient renoncer au revenu de financement normal qu'ils recevaient de GMAC et prendre en charge, en faveur de GMAC, un taux d'environ un pour cent. Par la suite, GMCL a pris en charge tous les frais du programme. Le concessionnaire qui participait au programme de prise en charge de taux ne pouvait négocier avec l'acheteur un taux d'intérêt différent de celui qui était fixé par GMCL[3]. Le taux ainsi offert était toujours inférieur au taux d'achat de GMAC.

[30] En même temps que GMCL envoyait une lettre de l'administration centrale à ses concessionnaires, GMAC écrivait à tous ses directeurs de succursales du Canada pour les informer de l'existence du programme de prise en charge de taux. GMAC envoyait aussi à tous les concessionnaires de General Motors une note décrivant la nature de sa participation au programme. En ce qui concerne le programme du mois de mars 1985, par exemple, la note disait que “ GMAC [...] offre [...] ” un programme de taux d'intérêt réduit et que GMCL “ a convenu de prendre le taux en charge ” en faveur de GMAC pour les unités financées aux termes du programme. Au cours des premières années, le concessionnaire qui souhaitait participer à un programme de prise en charge de taux signait une copie de la note de GMAC et acceptait ainsi les modalités du programme. Plus tard, il incombait au concessionnaire qui ne souhaitait pas y participer d'indiquer son intention.

[31] GMAC payait le principal du contrat de vente conditionnelle au concessionnaire. M. Peapples a toutefois déclaré lors de son témoignage que [ ] “ à ce moment-là, [GMAC prenait en charge] pour notre compte l'écart entre le taux réduit et son taux d'achat. Le concessionnaire avait alors reçu d'une certaine manière le montant de notre prise en charge [...] et se trouvait à être indemnisé convenablement pour le prix de vente du véhicule. Nous remboursions ensuite GMAC, [...] qui avait antérieurement remis ces fonds au concessionnaire pour notre compte, sur une période de 30 ou de 60 jours ”.

[32] Ce n'est qu'en 1988 que GMCL et GMAC ont conclu une entente écrite officielle en raison de leur relation particulière, a dit M. Peapples. “ Nous estimions simplement [...] que cela n'était pas nécessaire [...] ”.

[33] Le conseil d'administration de GMAC approuvait chaque programme de prise en charge de taux. Ainsi, dans un rapport présenté aux administrateurs le 3 avril 1985, le président de GMAC, M. W. J. Watson, qui a aussi témoigné en l'espèce, a décrit le programme du mois de mars 1985, indiquant que GMCL :

[TRADUCTION]

[...] remboursera à [GMAC], pour chaque contrat acheté aux termes du programme, la différence entre 14,5 % RPA et 9,9 % RPA, moins une réduction de 7 % pour tenir compte du fait qu'aucun rajustement au titre d'un rabais ne sera effectué en cas de résiliation anticipée. Compte tenu du paiement initial du montant de la prise en charge, le solde sera réduit à 13 %. Le taux de 14,5 % inclut une hausse de 0,10 % pour la participation sans recours et représente le taux estimatif nécessaire pour atteindre le seuil de rentabilité même en utilisant un coût marginal, pour les fonds à mi-échéance, de 13 %.[4]

Ces renseignements faisaient partie également de la résolution des administrateurs approuvant la participation de GMAC au programme. Le “ paiement initial ” était l'argent que GMAC recevait de GMCL. M. Watson a convenu avec l'avocat de l'intimée que les montants que GMAC recevait de GMCL aux termes d'un programme de prise en charge de taux n'étaient assortis d'aucune restriction, si ce n'est l'obligation pour GMCL “ de consentir à l'admissibilité de toutes les transactions que GMAC avait financées ”.

[34] Les programmes de prise en charge de taux faisaient l'objet d'un battage publicitaire. Des exemples d'annonces écrites ont été produits au procès. On peut y lire notamment que “ [...] l'association des concessionnaires de GM offre un taux d'intérêt spécial ” à condition que le client potentiel soit accepté aux termes des “ programmes de crédit types de GMAC ”. Ou encore, le concessionnaire offrait un financement spécial par l'intermédiaire de GMAC.

[35] Pour ce qui est des programmes offerts de l'année 1981 jusqu'au milieu de l'année 1989, l'appelante soutient que GMCL autorisait GMAC à payer au concessionnaire le montant de la prise en charge de taux, puis la remboursait. GMAC remettait au concessionnaire un seul chèque dont le total incluait le prix réduit pour l'achat du contrat et le montant de la prise en charge de taux. GMAC demandait le remboursement du montant de la prise en charge dans des rapports ou des relevés mensuels qu'elle soumettait à GMCL et dans lesquels elle indiquait la marque, le modèle et le numéro d'identification du véhicule vendu ainsi que la date à laquelle le concessionnaire l'avait vendu pendant la durée du programme en cause, et exposait le calcul du paiement de la prise en charge de taux. GMCL examinait la liste et émettait un chèque à GMAC. Si, subséquemment, au cours du processus normal de vérification, GMCL découvrait qu'un concessionnaire avait reçu des fonds dans le cadre d'un programme de prise en charge de taux à l'égard d'un véhicule inadmissible, M. Peapples a-t-il indiqué, GMCL se faisait rembourser par le concessionnaire dans le cadre du régime de facturation interne qu'elle appliquait à ses concessionnaires.

[36] En contre-interrogatoire, M. Watson a convenu que, après avoir approuvé une demande de crédit, GMAC avait l'obligation d'acheter le contrat de vente conditionnelle du concessionnaire et de verser à ce dernier la valeur nominale du contrat même si l'entente conclue avec le client ou le concessionnaire était fondée sur le fait que le contrat prévoyait la prise en charge du taux. Le programme et les modalités de paiement étaient des questions internes qui étaient résolues entre GMAC et GMCL. GMAC devait payer au concessionnaire le principal du contrat au complet. M. Watson a admis que, dans le cadre de la relation que GMAC avait avec ses concessionnaires, il n'y avait aucune réduction des contrats de vente conditionnelle aux termes d'un programme de prise en charge de taux. Les concessionnaires touchaient ce qui leur était dû, c'est-à-dire le principal des contrats. Cependant, le principal, M. Watson a-t-il déclaré, ne représentait pas ce que valaient les contrats pour GMAC. Cette dernière versait au concessionnaire un montant plus élevé que la valeur du contrat. Elle lui versait plus que ce que valait le contrat et s'attendait à être remboursée par GMCL pour ce paiement en trop.

Clarification des programmes de prise en charge de taux

[37] À un moment donné après 1985, Revenu Canada s'est demandé si les montants de la prise en charge de taux que GMCL versaient à GMAC étaient véritablement des remboursements faits à GMAC. Revenu Canada a fait valoir que GMCL dédommageait GMAC, et non ses concessionnaires, au titre de l'écart entre le taux d'achat de GMAC et le montant de la prise en charge. En 1987, Revenu Canada a établi de nouvelles cotisations à l'égard de GMAC pour les années d'imposition 1981 à 1983, ajoutant les montants payés par GMCL au revenu de l'appelante. En 1988, GMAC a interjeté appel des cotisations à la Cour fédérale, dont les décisions ne seront rendues qu'une fois les appels en l'instance tranchés.

[38] Les cotisations établies en 1987, conjuguées au fait qu'en 1988 GMAC et GMCL n'avaient toujours pas entrepris de mettre par écrit leurs rôles respectifs dans les programmes de prise en charge de taux, ont soulevé l'inquiétude de GMCL.

[39] À l'époque du procès, Me Neil MacDonald était l'avocat principal de GMCL. Il avait travaillé pour les services juridiques de GMCL avant d'être muté, au mois de juillet 1987, à la division de l'impôt de la société. L'une de ses premières tâches a alors été d' “ examiner les aspects fiscaux ” des programmes de prise en charge de taux. Il était au courant des cotisations établies en 1987 ainsi que de la thèse de Revenu Canada selon laquelle GMAC devait payer l'impôt sur les paiements de prise en charge de taux effectués par GMCL dans les années au cours desquelles ils avaient été effectués. GMAC ne comptait aucun avocat parmi ses employés, mais elle avait accès aux services des avocats de GMCL. Quoi qu'il en soit, Me MacDonald a examiné le problème fiscal du point de vue de GMCL et de celui de GMAC et il a déterminé que le problème tenait principalement au fait que la nature de la relation existant entre les deux sociétés n'avait jamais été documentée. Il a décidé de faire le nécessaire pour documenter la relation de façon du moins à “ résoudre le problème à l'avenir ”.

[40] Me MacDonald a examiné les programmes de prise en charge de taux et la relation avec le personnel canadien et américain de GMAC. Le 17 mars 1988, il a rédigé, pour signature par le trésorier et le contrôleur de GMAC, une note de service ainsi qu'une ébauche de lettre adressées au trésorier de GMCL. La lettre visait à confirmer la pratique passée et exposait les grandes lignes de l'entente conclue entre GMAC et GMCL concernant les programmes futurs. Diverses ébauches, presque en tous points semblables, ont été rédigées. La seule différence significative entre celles-ci et la première ébauche était la mention que le montant de la prise en charge de taux à payer à GMAC serait rajusté afin de tenir compte des paiements par anticipation effectués par les clients, lesquels paiements, compte tenu de l'expérience de GMAC, devraient être réduits de 16,5 pour cent. GMCL ne pouvait rembourser aucune portion du paiement de la prise en charge de taux en cas de paiement par anticipation par un client. Entre autres choses, l'ébauche de lettre prévoyait également ceci :

[TRADUCTION]

Puisque les contrats qui seront achetés porteront un taux d'intérêt réduit, GMAC réduira le montant qu'elle versera pour les contrats d'un montant égal à la différence entre la valeur actuelle des paiements échus aux termes du contrat prévoyant un taux d'intérêt inférieur au marché et la valeur actuelle des paiements qui auraient été reçus si le montant prévu au contrat avait été le même, mais que le taux d'intérêt du marché avait été celui établi par GMAC (la “ réduction ”).

En dépit de cette réduction, GMAC convient de payer au concessionnaire, pour le compte de GM, la différence entre le prix d'achat par GMAC, déterminé suivant la méthode décrite précédemment, et la valeur nominale financée aux termes du contrat. GM remboursera à GMAC la différence dans un délai raisonnable, mais, quoi qu'il en soit, au plus tard dans les 60 jours suivant le paiement par GMAC au concessionnaire.

[41] Une lettre officielle rédigée dans des termes presque identiques à ceux de l'ébauche de lettre a été signée par les parties le 7 juillet 1988 ou vers cette date. Dans le Bulletin des conditions de vente des véhicules no 89-1 élaboré par GMCL à l'intention de ses concessionnaires relativement aux véhicules de l'année 1989, GMCL faisait part de son droit d'instaurer des programmes de promotion incluant des réductions et des paiements aux concessionnaires relativement à certains modèles de véhicules.

Le système à deux chèques

[42] Le 19 décembre 1988, GMCL a envoyé une lettre de l'administration centrale à ses concessionnaires annonçant un programme de prise en charge de taux qui devait entrer en vigueur le 27 décembre et durer cinq jours. GMCL informait ses concessionnaires que, en cédant un contrat à GMAC aux termes du programme en question, ils :

[TRADUCTION]

recevront deux chèques au moment du règlement, l'un de GMAC et l'autre de GMCL, pour les véhicules admissibles financés par GMAC au cours de la durée du programme. Le chèque de GMAC reflétera le montant du contrat réduit. Le chèque de GM[CL] représentera la réduction du prix pour vous et équivaudra au solde du contrat. Les deux chèques représenteront le montant total du contrat.

[43] Dans une lettre du 13 février 1989, GMCL confirmait avec GMAC la mise en oeuvre d'un autre programme de prise en charge de taux. GMCL informait l'appelante qu'elle avait “ convenu avec ses concessionnaires de réduire le prix de vente aux concessionnaires des véhicules vendus par eux ” pendant la durée du nouveau programme, d'un montant égal à la réduction consentie, à savoir la différence entre le montant que GMAC versait au concessionnaire pour le contrat et la valeur nominale de celui-ci. Pour “ remettre la réduction au concessionnaire le plus tôt possible, et [...] à des fins de simplicité administrative ”, GMCL autorisait GMAC à signer des chèques tirés sur son compte bancaire dans une banque à charte. GMAC a accepté de signer les chèques de réduction pour le compte de GMCL et de les remettre aux concessionnaires au moment où elle achèterait les contrats. Une lettre semblable concernant un autre programme a été envoyée à GMAC le 14 mars 1989.

[44] GMAC et GMCL appliquaient alors les programmes de prise en charge de taux au moyen du système à deux chèques et non du système à chèque unique mentionné précédemment. Le 7 avril 1989, le conseil d'administration de GMCL a adopté une résolution autorisant GMAC à signer les chèques de GMCL conformément à une entente relative au système à deux chèques. Dans une lettre datée du 11 septembre 1989, GMCL et GMAC ont de nouveau officialisé le système à deux chèques pour les programmes futurs. Les parties ont notamment convenu de ce qui suit :

[TRADUCTION]

Puisque les contrats à acheter porteront un taux d'intérêt réduit, GMAC paiera pour chaque contrat un montant (le “ prix d'achat ”) égal à la valeur actuelle des paiements exigibles aux termes du contrat, réduit pour correspondre au taux d'intérêt du marché que GMAC offre pour des contrats comparables. GMAC haussera le prix d'achat du contrat pour tenir compte du fait que, par le passé, des acheteurs ont effectué des paiements anticipés du principal du contrat. La différence entre le prix d'achat et le principal du contrat sera ci-après appelée la “ réduction ”.

GM a convenu et peut convenir avec ses concessionnaires de réduire le prix de vente à ceux-ci des véhicules qu'ils vendent pendant la durée des programmes de financement. Pour offrir au concessionnaire cette réduction de prix le plus tôt possible et pour tenir compte des procédures administratives de GMAC, GM a autorisé GMAC à préparer et à signer des chèques, tirés sur le compte bancaire no 000 005-9 de GM à la Banque Royale du Canada ou à toute autre banque ainsi que peut l'autoriser GM à l'occasion, d'un montant égal à la réduction, en plus de tout montant supplémentaire que GM peut autoriser. GMAC a convenu également de remettre ces chèques aux concessionnaires en même temps qu'elle paie les contrats.

GMAC a convenu de traiter les chèques que GM lui remet avec le même soin qu'elle traite ses propres chèques et en appliquant les mêmes protections. GMAC a convenu de faire en sorte que seules les personnes autorisées à signer des chèques de GMAC et celles dont le nom a été communiqué au trésorier de GM puissent signer les chèques de GM. Tout chèque inutilisé sera retourné à GM le plus tôt possible d'après les instructions de GM. GMAC ne sera pas responsable envers GM de tout ce qui concerne l'émission et le traitement des chèques de GM, sauf s'il y a faute lourde de sa part. GM garantit GMAC contre toute responsabilité relativement aux pertes subies, aux frais ou dépenses engagés et aux réclamations ou demandes instituées contre GMAC par un tiers, ou relativement aux pertes subies, aux frais ou dépenses engagés par GMAC en ce qui concerne les chèques de GM sans qu'il y ait eu négligence de sa part.

[45] M. Watson a confirmé que, sous le régime des “ deux chèques ”, GMAC remettait simultanément au concessionnaire son chèque et celui de GMCL. Me MacDonald a reconnu que le concessionnaire n'était pas au courant des ententes conclues entre GMAC et GMCL relativement au paiement des chèques ou des remboursements antérieurs, et qu'il ne s'en souciait pas. Il s'agissait d'une question interne concernant General Motors. Le concessionnaire savait, grâce à la lettre de l'administration centrale, que, en cédant un contrat de vente conditionnelle à GMAC, il recevrait deux chèques totalisant la valeur nominale du contrat.

[46] M. Watson a reconnu également que, avant l'instauration du système à deux chèques, les concessionnaires ignoraient tout de la réduction du prix de vente d'un véhicule dont la lettre de l'administration centrale du 19 décembre 1988 fait état. Il a convenu avec l'avocat de l'intimée que le coût pour le concessionnaire d'un véhicule à moteur changeait une fois que ce dernier avait négocié la vente avec un client aux termes d'un programme de prise en charge de taux.

Traitement comptable et fiscal par l'appelante

[47] Sur le plan comptable, GMAC a traité l'acquisition des contrats de vente conditionnelle de la même manière pendant toutes les années visées par l'appel en l'instance, que le contrat fît l'objet ou non d'une prise en charge de taux. GMAC portait à son bilan le coût de l'acquisition par elle du contrat lorsque celui-ci était acheté. Le coût d'acquisition, quant à lui, était égal à la valeur courante de la série de paiements à effectuer aux termes du contrat, réduite pour correspondre au taux d'achat de GMAC. La différence entre le coût d'acquisition du contrat et le total de tous les paiements à effectuer aux termes du contrat était inscrite comme revenu non gagné et elle était amortie par imputation aux résultats sur la durée du contrat.

[48] Lorsqu'elle achetait du concessionnaire un contrat de vente conditionnelle qui ne faisait pas l'objet d'une prise en charge du taux, GMAC inscrivait à titre de créance dans ses livres comptables le principal du contrat au complet et tout l'intérêt payable sur la durée du contrat. La représentante de l'intimée au cours de l'interrogatoire préalable a admis que ce traitement était approprié. Elle a convenu également que, si l'on suppose que GMAC achetait à rabais les contrats faisant l'objet d'une prise en charge de taux, le traitement comptable par GMAC était acceptable.

[49] GMAC a calculé le revenu qu'elle tirait des contrats de vente conditionnelle de la même façon, à des fins fiscales ou à des fins comptables. GMAC calculait son revenu à des fins fiscales en tenant compte du fait que le coût de chaque contrat de vente conditionnelle faisant l'objet d'une prise en charge de taux était égal au total du principal du contrat, moins le montant de la prise en charge de taux. Ce contrat était inscrit au bilan de GMAC selon son coût d'acquisition, qui était égal à la valeur courante de la série de paiements à effectuer par le client aux termes du contrat, réduite pour correspondre au taux d'achat de GMAC. La différence entre ce montant et le coût d'acquisition du contrat était inscrite comme revenu non gagné et amortie par imputation aux résultats sur la durée du contrat. GMAC traitait les contrats faisant l'objet d'une prise en charge de taux, que ce soit à des fins fiscales ou comptables, de la même façon qu'elle traitait les contrats ne faisant pas l'objet d'une prise en charge de taux. L'intimée convient que c'est effectivement ce que faisait l'appelante, mais elle estime que cette dernière a eu tort d'agir ainsi.

OBSERVATIONS ET ANALYSES

[50] Les questions dont je suis saisi sont décrites aux paragraphes 7, 8, 9 et 10 des présents motifs.

Paiement de l'intérêt perdu : alinéa 12(1)c)

[51] L'avocat de l'intimée a fait valoir que GMAC prêtait de l'argent au client et que, dans l'affaire en l'instance, GMCL dédommageait GMAC de l'intérêt auquel elle avait renoncé ou qu'elle avait perdu. En droit, a-t-il déclaré, GMAC n'a pas acheté de contrats de vente conditionnelle des concessionnaires de GMCL. Les modalités d'un contrat de vente conditionnelle type étant déterminées à l'avance par GMAC, ce n'était pas un “ contrat de vente conditionnelle existant librement ”, a fait valoir l'avocat. Un prêt avait été négocié avant la signature du contrat de vente conditionnelle. Le contrat “ ne faisait que documenter l'entente conclue. Il servait de contrat de prêt et de garantie ”. GMAC n'a pas négocié avec le concessionnaire l'achat des contrats de vente conditionnelle. De l'avis de l'intimée, on avait recours aux contrats de vente conditionnelle pour reconnaître la dette du client envers GMAC et pour garantir le prêt. Le concessionnaire ne prenait aucune part importante à la transaction. Par conséquent, GMCL finançait le prêt et dédommageait GMAC en lui versant un montant égal au montant de la prise en charge de taux, lequel montant devrait être inclus dans le revenu de GMAC au titre du paiement d'intérêts, conformément à l'alinéa 12(1)c) de la Loi.

[52] Pour accepter la thèse de l'intimée selon laquelle GMCL dédommageait GMAC de l'intérêt que celle-ci avait perdu, je devrais ne pas tenir compte des ententes légitimement conclues entre les clients et les concessionnaires, les concessionnaires et GMAC, et les clients et GMAC, ainsi que des engagements pris par GMCL envers ses concessionnaires. Des rapports juridiques ont été établis, et rien dans la preuve ne me force à ne pas tenir compte de ces rapports et à conclure que GMAC a prêté de l'argent à l'acheteur et que ce dernier a emprunté de l'argent de GMAC. En autant que je sache, la pratique suivie par GMAC n'était pas différente de celle qui est généralement suivie dans le domaine du financement des ventes au détail. À tout le moins, il n'y a aucune preuve qu'elle était différente. Si l'on veut se risquer à faire abstraction d'une forme juridique de transaction, on doit faire preuve de beaucoup de prudence. Dans les appels en l'instance, nous sommes en présence de contrats et de rapports qui ont été validement créés dans le cours normal des affaires, et je ne suis pas disposé à en faire abstraction.

[53] Le juge McLachlin, tel était alors son titre, a examiné la question de la contestation par l'intimée de rapports juridiques établis par un contribuable dans l'arrêt Shell Canada Ltd. v. Canada [5]:

Notre Cour a statué à maintes reprises que les tribunaux doivent tenir compte de la réalité économique qui sous-tend l'opération et ne pas se sentir liés par la forme juridique apparente de celle-ci: Bronfman Trust, précité, aux pp. 52 et 53, le juge en chef Dickson; Tennant, précité, au par. 26, le juge Iacobucci. Cependant, deux précisions à tout le moins doivent être apportées. Premièrement, notre Cour n'a jamais statué que la réalité économique d'une situation pouvait justifier une nouvelle qualification des rapports juridiques véritables établies par le contribuable. Au contraire, nous avons décidé qu'en l'absence d'une disposition expresse contraire de la Loi ou d'une conclusion selon laquelle l'opération en cause est un trompe-l'oeil, les rapports juridiques établis par le contribuable doivent être respectés en matière fiscale. Une nouvelle qualification n'est possible que lorsque la désignation de l'opération par le contribuable ne reflète pas convenablement ses effets juridiques véritables: Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298, au par. 21, le juge Bastarache.

Deuxièmement, la jurisprudence fiscale de notre Cour est bien établie: l'examen de la “réalité économique” d'une opération donnée ou de l'objet général et de l'esprit de la disposition en cause ne peut jamais soustraire le tribunal à l'obligation d'appliquer une disposition non équivoque de la Loi à une opération du contribuable. Lorsque la disposition en cause est claire et non équivoque, elle doit simplement être appliquée: Continental Bank, précité, au par. 51, le juge Bastarache; Tennant, précité, au par. 16, le juge Iacobucci; Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312, aux pp. 326, 327 et 330, le juge Iacobucci; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, au par. 11, le juge Major; Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N., [1996] 1 R.C.S. 963, au par. 15, le juge Cory.

[54] Dans les appels en l'instance, l'intimée n'a pas allégué qu'il y avait eu trompe-l'oeil, et la preuve n'indique pas l'existence ne serait-ce que de l'ombre d'un trompe-l'oeil.

[55] GMAC n'a conclu avec les clients aucune entente par laquelle elle s'engageait à leur prêter de l'argent directement. GMAC finançait l'achat de véhicules. L'emprunt d'argent par un acheteur n'est que l'une des façons de financer un achat. Le paiement du solde du prix d'achat par versements sur une période donnée, dans lequel cas le titre du véhicule n'est transmis à l'acheteur que lorsque le paiement est effectué au complet, est un autre moyen de financer l'achat de véhicules. C'est là l'entreprise qu'exploite GMAC[6]. GMAC ne prête pas d'argent directement à un acheteur, ni n'entretient-elle de relation prêteur-emprunteur avec ce dernier. Dans l'arrêt M.N.R. v. T. E. McCool Ltd.[7], de la Cour suprême du Canada, le juge Estey a statué que “ on a attribué à des termes comme “ capital emprunté ” et “ argent emprunté ” dans la loi fiscale le sens de capital ou d'argent emprunté dans le cadre d'une relation de prêteur et d'emprunteur ”. C'est le point de vue que je devrais appliquer en l'espèce. Ainsi que mon collègue le juge Dussault, de la C.C.I., l'a expliqué dans l'affaire Autobus Thomas Inc. v. The Queen[8], le solde du prix de vente dans un contrat de vente conditionnelle cédé à une banque est une dette qui ne résulte pas d'une avance ou d'un prêt consenti par la banque à l'acheteur. GMAC met en place des mécanismes qui permettent à un acheteur qui n'a pas les fonds nécessaires d'acheter un véhicule à moteur. Il est vrai que GMAC devient le créancier de l'acheteur lors de la cession du contrat de vente conditionnelle, mais aucune relation prêteur-emprunteur n'est créée entre eux.

[56] L'avocat de l'intimée a cité les motifs du jugement de la Cour du Québec[9] et ceux de la Cour d'appel du Québec[10] dans les appels interjetés par GMAC à l'encontre de cotisations établies en vertu de la Loi sur les impôts du Québec (L.R.Q., ch. I-3). Dans ces appels, GMAC prétendait être une “ corporation de prêts ” et non une simple société aux fins de la Loi sur les impôts québécoise, et qu'elle était par conséquent assujettie à un taux d'imposition inférieur sur son capital libéré. Le terme “ corporation de prêts ” n'est pas défini dans la loi.

[57] Déboutée devant la Cour du Québec, GMAC a cependant obtenu gain de cause devant la Cour d'appel. Le juge LeBel, tel était alors son titre, a passé en revue diverses ententes mettant en présence GMAC, GMCL, des concessionnaires de GMCL et des acheteurs, ainsi que les activités commerciales de GMAC. Il a approuvé les remarques de Pierre André Côté dans son traité sur l'interprétation législative[11], plus particulièrement sa conclusion concernant la récente série de causes tranchées par la Cour suprême du Canada sur l'interprétation des dispositions d'une loi fiscale : p. ex. Stubart Investments Ltd. c. La Reine[12], La Reine c. Golden[13], Bronfman Trust c. La Reine[14], et McClurg c. Canada[15].

[58] Les motifs du juge LeBel ne sont d'aucune assistance à l'intimée. La Cour d'appel n'a tiré aucune conclusion selon laquelle GMAC entretenait un rapport de prêteur-emprunteur avec les acheteurs. La Cour n'a pas considéré que GMAC leur prêtait de l'argent directement. Elle a statué que GMAC exploitait un service complet de financement en gros et au détail. Les contrats de vente conditionnelle représentaient dans ce contexte une forme particulière de garantie qui permettait à GMAC de conserver la propriété des biens visés. Dans un argument subsidiaire présenté à la Cour d'appel, GMAC a déclaré que, dans ses relations avec les acheteurs, un contrat de prêt existait implicitement avant la création du contrat de vente conditionnelle. La Cour d'appel a conclu que la forme et la nature juridiques des contrats de financement des stocks et des contrats de ventes conclus avec des acheteurs étaient identiques à celles des contrats de vente conditionnelle ou des contrats de vente à tempérament. GMAC achetait les droits d'un vendeur et se réservait la propriété du véhicule. Dans des affaires antérieures, la Cour d'appel avait été appelée à se pencher sur ces contrats comme tels, et c'est ce qu'elle a fait dans le cas de GMAC[16]. Le juge LeBel a statué que GMAC “ jouait le rôle d'une corporation de prêts au sens générique de ce terme, en concurrence avec d'autres institutions reconnues comme telles. Elle avait alors droit de bénéficier du traitement fiscal prévu [...] ”. Le juge LeBel n'ayant pas conclu que les activités de GMAC étaient substantiellement différentes de celles de corporations reconnues comme des corporations de prêts, il a statué que GMAC devait être imposée de la même façon que ces corporations.

[59] Puisque j'ai conclu que GMAC ne prêtait pas d'argent à l'acheteur, l'alinéa 12(1)c) ne peut s'appliquer. Pour qu'un montant d'argent prenne valeur d'intérêt, il doit être payé par l'emprunteur à la personne qui lui a prêté de l'argent. Pour que l'alinéa 12(1)c) s'applique, GMAC doit prêter de l'argent à l'acheteur. Il y aurait contradiction si, d'une part, je reconnaissais le caractère légitime du contrat de vente conditionnelle et sa cession à titre onéreux à GMAC, ce que j'ai fait, et que, d'autre part, je concluais que GMAC prêtait de l'argent à l'acheteur et était dédommagée par GMCL de l'intérêt auquel elle avait renoncé ou qu'elle avait perdu. Dans les contrats de financement conclus avec les clients de GMCL, GMAC n'a perdu aucun montant d'intérêt car elle n'a pas prêté d'argent à l'acheteur.

Mandat

[60] L'intimée soutient que GMAC n'était ni le mandataire de GMCL, ni son intermédiaire puisque, entre autres choses, GMCL n'était pas responsable envers ses concessionnaires des paiements de la prise en charge de taux. De fait, l'avocat soutient-il, GMAC était obligée de payer la valeur nominale du contrat de vente conditionnelle et il n'y a aucune preuve que GMCL s'était engagée à payer quelque montant que ce soit à un concessionnaire, même dans le cadre du système à deux chèques instauré après 1988. De l'avis de l'intimée, une relation de mandataire entre GMCL et GMAC ne peut créer d'obligation pour GMCL de payer quoi que ce soit au concessionnaire et, en l'absence d'une telle obligation, le mandat n'a aucun sens. En fait, GMAC devait au concessionnaire la valeur nominale du contrat de vente conditionnelle, et GMCL en devait, à GMAC, une partie égale à la prise en charge de taux. Même dans le cadre du système à deux chèques, l'intimée soutient-elle, un chèque tiré sur le compte bancaire de GMCL à l'ordre du concessionnaire ne faisait que libérer GMAC de sa responsabilité envers le concessionnaire, et GMCL de sa responsabilité envers GMAC.

[61] Puisque GMAC et GMCL exploitent leur entreprise partout au Canada, il faut examiner la définition du terme “ mandat ” non seulement dans les provinces de common law (“ agency ”), mais aussi au Québec.

[62] Le “ mandat ” (“ agency ”) a été défini dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

Le mandat est le rapport fiduciaire qui existe entre deux personnes et par lequel, d'une part, l'une consent expressément ou implicitement à ce que l'autre agisse pour son compte et, d'autre part, l'autre consent de la même façon à agir ou agit ainsi. La partie pour le compte de laquelle l'autre partie agit est le mandant. La partie qui agit est le mandataire. Toute personne autre que le mandant et le mandataire peut être appelée un tiers.

En ce qui concerne les actes que le mandant consent expressément ou implicitement à ce que le mandataire accomplisse pour son compte, on dit du mandataire qu'il a le pouvoir d'agir; ce pouvoir peut modifier les rapports juridiques du mandant avec des tiers[17].

[63] Le professeur G. H. L. Fridman décrit le rapport fiduciaire dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

Le mandat est la relation qui existe entre deux personnes, l'une étant appelée le mandataire et étant considérée en droit comme représentant l'autre, le mandant, de façon à pouvoir modifier la position juridique de ce dernier envers des tiers à la relation en concluant des contrats ou en disposant de biens[18].

[64] Le Code civil du Québec définit le terme “ mandat ” [19]:

Le mandat est le contrat par lequel une personne, le mandant, donne le pouvoir de la représenter dans l'accomplissement d'un acte juridique avec un tiers, à une autre personne, le mandataire qui, par le fait de son acceptation, s'oblige à l'exercer.

Ce pouvoir et, le cas échéant, l'écrit qui le constate, s'appellent aussi procuration.

[65] Le mandat peut aussi avoir pour objet l'administration, en tout ou en partie, du patrimoine du mandant[20].

[66] Les termes utilisés pour décrire la relation de mandant-mandataire et le mandat sont, évidemment, différents, mais leur sens reste essentiellement le même : dans les deux cas, une personne (le mandant) accorde à une autre personne (le mandataire) le pouvoir de la représenter dans l'accomplissement d'actes juridiques et accepte d'être liée par les actes de cette personne.

[67] Alors, que s'est-il passé entre GMAC, GMCL et le concessionnaire? Après avoir observé MM. Peapples et Watson et avoir examiné la preuve produite au procès, il me semble que les événements suivants se sont déroulés en 1981 : en raison des pressions exercées par ses concessionnaires franchisés, GMCL a accepté de mettre en place des programmes de financement à taux réduit dont elle et ses concessionnaires tireraient profit. GMCL avait besoin de l'aide de GMAC pour administrer et promouvoir les programmes, et GMAC était disposée à lui apporter son aide puisqu'elle tirerait ainsi un revenu des contrats de vente conditionnelle supplémentaires qu'elle pourrait acheter. GMCL devait faire en sorte que ses concessionnaires obtiennent la pleine valeur nominale du contrat, sauf dans les premières années, où ils prenaient le taux en charge jusqu'à concurrence de un pour cent.

[68] En élaborant les modalités de la participation de GMAC aux programmes de prise en charge de taux, GMCL a insisté pour que les concessionnaires reçoivent la valeur nominale des contrats. C'était l'une des pierres angulaires du programme. GMAC n'était pas disposée à éponger toute perte découlant d'un contrat et à payer plus que ce que les conditions du marché justifiaient. GMCL s'est donc engagée à payer toutes les dépenses relatives aux programmes de prise en charge de taux, dont les montants de la prise en charge. Jusque-là, je n'ai aucun problème. Par ailleurs, GMCL a pu s'engager à dédommager GMAC des coûts que celle-ci assumerait dans le cadre de l'achat des contrats, c'est-à-dire des montants de la prise en charge. C'est la théorie du ministre. Cependant, GMAC et GMCL ont pu également convenir que, pendant que GMAC verserait au concessionnaire le principal du contrat au complet, en ce qui concerne les relations entre elles, le coût du contrat pour GMCL serait le prix fondé sur son taux d'achat et GMCL rembourserait à GMAC le montant de la prise en charge qui était inclus dans le prix payé au concessionnaire. C'est le point de vue de l'appelante : GMAC agissait comme mandataire de GMCL.

[69] La preuve suggère fortement que, en 1980 ou 1981, personne chez GMCL et GMAC n'a beaucoup réfléchi à la façon de faire. Tout ce qu'on savait, c'est que l'administration d'un programme de prise en charge de taux n'occasionnerait aucune perte et ne rapporterait aucun profit à GMAC, que le concessionnaire toucherait le principal du contrat de vente conditionnelle faisant l'objet de la prise en charge de taux de la même façon que s'il cédait à GMAC des contrats ne faisant pas l'objet de la prise en charge de taux, et que GMCL paierait les frais du programme de prise en charge de taux. Ce n'est qu'en 1988 que les dirigeants de GMCL et de GMAC ont commencé à avoir une idée de ce qu'ils avaient accompli, et ce, du fait des cotisations d'impôt établies à l'égard de GMAC à cette époque-là.

[70] L'intimée est d'avis que le mandat ne peut exister que si GMAC “ établit que [GMCL] était responsable envers les concessionnaires de la prise en charge de taux ”[21]. Je ne peux trouver en droit d'appui à cette thèse.

[71] Le mandat définit la relation qui existe entre le mandant et le mandataire. Le mandant n'a d'obligation envers un tiers que si le mandataire agit pour son compte et crée ainsi une obligation. Or, dans la présente affaire, GMCL a informé ses concessionnaires qu'elle mettrait en place et ferait la promotion des programmes de vente et verrait à ce que les concessionnaires touchent plus ou moins la valeur nominale des contrats de vente conditionnelle qu'ils vendaient à GMAC. Dans cette mesure, GMCL avait une obligation envers ses concessionnaires et avait confié à GMAC le mandat d'administrer les programmes de prise en charge de taux.

[72] L'avocat de l'intimée a fait valoir également que, pour qu'un mandat existe, le concessionnaire doit être au courant de la relation, et le mandant et le mandataire doivent tous deux effectuer des paiements au concessionnaire. Si je comprends bien le droit du mandat, il n'est pas nécessaire qu'un tiers soit au courant du prétendu mandat. La relation de mandataire ne repose pas sur la connaissance qu'ont les tiers de son existence ou de ses modalités spécifiques.

[73] Ainsi que le disent Bowstead et Reynolds [22]:

[TRADUCTION]

Il n'est pas obligatoire que le mandataire agisse censément pour le mandant. Dans certains régimes juridiques, ce raisonnement ne serait normalement accepté que dans le cas d'un mandataire qui a agi censément ou, à tout le moins, était considéré comme agissant pour le compte d'un mandant ou au nom de ce dernier, bien qu'il ne soit pas nécessaire de révéler l'identité du mandant. En common law, cependant, il n'existe aucune obligation de cette nature : s'il existe un pouvoir antérieur d'agir pour le mandant, les règles déjà énoncées, autres que celles qui se rapportent à la ratification, s'appliqueront en dépit du fait que l'existence du mandant ou son lien avec l'opération sont inconnus du tiers. Lorsque son existence ou son lien avec l'opération ne sont pas connus, on dit que l'identité du mandant n'est pas révélée, et les règles qui s'appliquent alors sont appelées la doctrine du mandant dont l'identité n'est pas révélée, laquelle peut être considérée comme une caractéristique unique de la common law.

[74] Le Code civil prévoit également que le mandataire n'est pas obligé de révéler l'identité de son mandant, mais que, s'il agit en son propre nom, il est tenu envers le tiers[23].

[75] Le système à deux chèques était en vigueur à la fin de 1988. Nul doute que dans l'un des premiers programmes de prise en charge de taux à deux chèques décrit dans la lettre de l'administration centrale de GMCL du 19 décembre 1988 GMCL venait en aide à ses concessionnaires. Dans les programmes à deux chèques subséquents, GMCL a informé ses concessionnaires que le prix des véhicules consenti aux concessionnaires serait réduit du montant de la prise en charge. La lettre du 11 septembre 1989 de GMCL à GMAC décrit les procédures à appliquer lors de l'achat par GMAC de contrats à un taux d'intérêt réduit, la réduction du prix par GMCL aux concessionnaires vendant des véhicules aux termes d'un programme de prise en charge de taux et l'émission des chèques par GMAC.

[76] Le système à deux chèques confirme l'existence d'une relation de mandataire entre GMAC et GMCL. Tous les critères du mandat sont présents. Dans la lettre du 11 septembre 1989, GMCL a autorisé GMAC à émettre des chèques sur un compte bancaire de GMAC désigné, suivant des modalités précises. Les parties conviennent qu'il n'y a aucune preuve de l'existence de quelque autre entente entre GMAC et GMCL touchant les droits et les obligations de ces sociétés. Les chèques émis sont payables à une catégorie de personnes seulement, soit aux concessionnaires franchisés de GMCL, et à une condition seulement, soit que le concessionnaire doit avoir négocié la vente d'un véhicule à moteur visé par le programme de promotion des ventes en cours de GMCL. GMAC n'a pas le droit d'utiliser ou d'affecter l'argent dans le compte de banque de quelque autre façon. GMAC n'a aucune chance de réaliser un profit ni aucun risque de subir des pertes; c'est GMCL qui instaure le programme dans le cours des activités de son entreprise et qui prend le risque de subir les pertes découlant d'un programme.

[77] L'avocat de l'intimée a néanmoins fait valoir que, puisque, en vertu du système à deux chèques, les concessionnaires étaient informés par GMCL que le coût pour eux des véhicules devait être réduit du montant de la prise en charge de taux, par voie de conséquence, contrairement à ce que l'on disait au public, l'achat par le client n'était pas financé à un taux réduit. Je ne peux souscrire à cet argument. Les publicités s'adressant aux acheteurs potentiels visaient à promouvoir les ventes du produit, et les acheteurs potentiels n'étaient intéressés qu'au prix et au taux d'intérêt qu'ils devaient payer. Le texte publicitaire ne peut modifier la réalité des choses.

[78] Aux fins des appels en l'instance, il importe peu que le montant de prise en charge ait été une réduction du prix d'achat par le concessionnaire du véhicule ou qu'il ait représenté un paiement partiel au concessionnaire au titre de l'achat de contrats de vente conditionnelle. Dans les deux cas, le montant de la prise en charge est destiné au concessionnaire; il n'a jamais été la propriété de GMAC. Le système à deux chèques visait censément à refléter l'entente conclue entre GMAC et GMCL avant 1989 sous le régime du système à chèque unique. Il est vrai que, avant 1989, les concessionnaires n'étaient au courant d'aucune réduction de prix, si réduction il y avait. Mais cela affectait-il vraiment le concessionnaire? En fin de compte, le concessionnaire recevait de GMAC la pleine valeur nominale du contrat de vente conditionnelle qu'il s'attendait à recevoir et qui était conforme à la pratique commerciale normale de GMAC relative aux contrats ne faisant pas l'objet d'une prise en charge de taux cédés à GMAC. C'est ce que GMCL disait à ses concessionnaires pour leur expliquer comment les choses se passeraient dans le cadre des programmes de taux d'intérêt réduit. Le concessionnaire ne se préoccupait pas des modalités de paiement.

[79] Il n'est pas particulièrement important de déterminer si GMCL avait ou non une obligation juridique envers ses concessionnaires de payer à ces derniers le montant de la prise en charge. Le fait est que GMCL entretenait avec ses concessionnaires une relation commerciale — elle vendait ses véhicules à moteur par l'entremise des concessionnaires — et que, à ses propres fins commerciales, elle devait entretenir un réseau viable de concessionnaires. Le concept de la prise en charge de taux reposait entièrement sur l'entente aux termes de laquelle les concessionnaires toucheraient le montant intégral du principal prévu dans les contrats de vente conditionnelle, et il est clair que, dans le cadre du système à deux chèques, GMCL s'était engagée à verser les montants de la prise en charge aux concessionnaires.

[80] La documentation n'est pas aussi claire au cours des années où l'on utilisait le système à chèque unique. Les deux parties ont présenté des arguments convaincants. Je suis convaincu que les termes utilisés dans les documents et au cours de la preuve ont apporté aux parties un certain réconfort. M. Watson avait informé les administrateurs de GMAC que GMCL allait rembourser à GMAC les montants de la prise en charge qu'elle verserait aux concessionnaires. À première vue, on pourrait raisonnablement conclure que GMCL avait convenu de remettre à GMAC un montant que GMAC n'était pas disposée à débourser pour acheter un contrat de vente conditionnelle. GMAC versait au concessionnaire la valeur nominale du contrat, sans lui consentir de réduction. M. Watson l'a reconnu. Il y a d'autres exemples. Ces deux faits viennent dans une certaine mesure appuyer la validité des cotisations établies pour les années d'imposition 1985 à 1988.

[81] Cependant, à mon avis, ces faits ne changent rien à la relation de mandataire que l'appelante prétend avoir eue avec GMCL. Ainsi, si GMCL a convenu de payer toutes les dépenses découlant des programmes de prise en charge, ce que les deux parties admettent, et de rembourser à GMAC toutes les dépenses que celle-ci engagerait pour son compte, on peut raisonnablement conclure que M. Watson se trouvait à informer les administrateurs de GMAC que celle-ci ne courait aucun risque de subir des pertes en payant les montants de la prise en charge. Dans le cadre d'une relation de mandant-mandataire, le mandataire ne court aucun risque de subir des pertes; la possibilité n'existe pas. C'est ce que M. Watson a donné à entendre aux administrateurs de GMAC. Le paiement au complet aux concessionnaires du principal prévu au contrat n'allait pas nécessairement à l'encontre de toute entente conclue entre GMAC et GMCL prévoyant que celle-ci paierait une partie du prix. GMCL avait déclaré à ses concessionnaires qu'ils recevraient la valeur nominale des contrats, et elle devait tenir sa promesse.

[82] J'accepte le témoignage de MM. Peapples et Watson. Le fondement de leurs témoignages a résisté au contre-interrogatoire. En contre-interrogatoire, M. Watson a convenu avec l'avocat de l'intimée que, pour ce qui est des relations entre GMAC et le concessionnaire, aucun taux réduit ni aucun rabais n'avait été consenti. À mon sens, cela n'est pas non plus contraire à son témoignage principal. En ce qui concerne les relations entre GMAC et le concessionnaire, ce dernier devait toucher le principal au complet du contrat; par conséquent, il n'y avait pas de soi-disant rabais. Pour ce qui est des relations entre GMAC et GMCL, l'entente, si je peux m'exprimer ainsi, prévoyait que GMAC payait au concessionnaire la valeur du contrat seulement et que le solde, c'est-à-dire le montant de la prise en charge, allait être payé par GMCL. Il n'existe aucune obligation légale pour le concessionnaire d'être au courant de la relation entre GMAC et GMCL.

[83] J'accorde aussi du poids au fait que, dès l'instauration des programmes de pris en charge de taux en 1981, GMAC a traité le prix réduit payé pour un contrat faisant l'objet d'une prise en charge de la même façon qu'elle traitait le prix payé pour l'achat d'un contrat ne faisant pas l'objet d'une prise en charge. Le montant de la prise en charge n'était pas inclus dans le coût du contrat, mais amorti sur la durée de celui-ci. Par conséquent, dès le début, GMAC ne s'est pas considérée comme le propriétaire du montant de la prise en charge, mais elle a réalisé que, à mesure que le client effectuerait des paiements, un montant égal au montant de la prise en charge serait inclus dans les paiements sur la durée du contrat et que, par conséquent, elle amortirait le montant de la prise en charge. GMAC a reconnu que, en ce qui concerne le paiement du montant de la prise en charge inclus dans le prix d'achat du contrat, elle n'effectuait pas le paiement pour son compte. C'est là une autre indication que GMAC agissait à titre de mandataire de GMCL.

[84] GMCL a instauré les programmes de prise en charge de taux pour venir en aide à son réseau de concessionnaires franchisés. L'objectif était de vendre davantage d'autos et de camions. C'est GMCL qui élaborait les programmes à ses propres fins commerciales et qui avait constamment intérêt à faire en sorte que ses concessionnaires vendent une quantité accrue de ses produits et en reçoivent le plein prix d'achat. GMCL a fait appel aux services de GMAC qui est devenue son mandataire pour administrer les programmes selon ses instructions.

[85] Puisque j'ai conclu que GMAC n'a pas reçu de GMCL l'intérêt qu'elle aurait perdu et qu'elle était le mandataire de GMCL lorsqu'elle administrait les différents programmes de prise en charge de taux au cours des années visées par l'appel, je n'ai pas à examiner les autres observations présentées par les parties.

[86] Les appels sont admis avec frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de février 2000.

“ Gerald J. Rip ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 9e jour d'août 2000.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Dans son témoignage, M. George Peapples, autrefois président de GM, a indiqué que le taux d'intérêt acceptable pour GMAC et, par conséquent, le taux exigé dans le cadre d'un contrat de vente conditionnelle, était supérieur aux taux alors offerts par des concurrents comme les banques à charte.

[2]               Lorsqu'il cédait un contrat de vente conditionnelle à GMAC, le concessionnaire pouvait s'exposer ou non à un risque si l'acheteur faisait défaut d'effectuer les paiements par versements. Lorsque le concessionnaire convenait pour la première fois de céder des contrats à GMAC aux termes du Programme de vente au détail de GMAC, le concessionnaire choisissait d'assumer un risque ou non. Le concessionnaire qui choisissait d'assumer un risque pouvait en tirer un revenu de financement plus élevé. Normalement, GMAC ne permet pas à un concessionnaire de changer son choix initial. Cependant, de nombreux programmes de prise en charge de taux, sinon tous, ne prévoyaient aucun recours pour le concessionnaire. S'il omettait de fournir des renseignements précis à GMAC concernant l'assurance, la demande de crédit, etc., le concessionnaire pouvait encourir une responsabilité envers GMAC en tout état de cause.

[3]               Dans le cadre d'un programme de prise en charge de taux, le concessionnaire ne pouvait espérer réaliser des profits supplémentaires. Il recevait un montant de 50 $ ou de 75 $ pour chaque contrat cédé, selon le programme, pour compenser la perte du revenu de financement.

[4]               Le sigle RPA signifie “ réel par année ”. Si on utilise les chiffres donnés dans ce paragraphe, cela signifie que GMAC recouvrait auprès de GMCL la différence entre 14,5 p. 100 et 9,9 p. 100 (le taux d'achat de GMAC à l'époque était de 14,5 p. 100). Le rajustement de 7 p. 100 visait à tenir compte du fait que GMCL avait surpayé GMAC puisque certains contrats étaient résiliés avant échéance.

[5]               99 DTC 5669, 5676.

[6]               La copie du contrat de vente conditionnelle qui se trouve dans le mémoire de l'appelante, pièce A-3, onglet 1, ne contient que la page de couverture du contrat et non le verso, où certaines modalités sont énoncées. La pièce R-13 de l'appelante, une copie d'un contrat de vente type, prévoit, entre autres choses, que le titre n'est transmis que lorsque le prix de vente est payé au complet. La pièce R-14, une copie d'un contrat de vente conditionnelle type, prévoit également que le vendeur conserve le titre jusqu'à ce que le paiement soit effectué au complet.

[7]               (1949) 49 DTC 700, 708.

[8]               99 DTC 259, par. 40.

[9]               [1989] R.T.T.Q. 12.

[10]             [1994] R.D.T.Q. 7.

[11]             Interprétation des Lois, 2e éd., Les Éditions Yvon Blais Inc., Cowansville, Qué., 1990.

[12]             [1984] 1 R.C.S. 536.

[13]             [1986] 1 R.C.S. 209.

[14]             [1987] 1 R.C.S. 32.

[15]             [1990] 3 R.C.S. 1020.

[16]             Banque Toronto-Dominion c. GMAC, [1987] R.L. 393; In re Distribution Omnibus Inc. In re) Bérol Canada Inc. c. Samson Bélair Inc., [1986] R.J.Q. 2286, et (1987) 2 C.A.Q. 655.

[17]             Reynolds, F. M. B., Bowstead and Reynolds on Agency (16e éd., 1996), p. 1.

[18]             Fridman, G. H. L., The Law of Agency, (7e éd., 1996), p. 11.

[19]             Article 2130.

[20]             Article 2131.

[21]             À la page 849 de la transcription des appels, l'avocat de l'intimée a déclaré ceci également :

                [TRADUCTION]

                Nous ne mettons pas en cause la légalité du mandat. On allègue le mandat, mais le mandat de faire quoi? Le mandataire ne peut créer d'obligation; le mandataire ne peut que libérer le mandant de son obligation envers quelqu'un d'autre, mais, d'abord et avant tout, cette obligation doit exister.

[22]             op. cit., 4 et 5.

[23]             Voir les articles 2157, 2159 et 2165.

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