Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 19991215

Dossier : 1999-1827-IT-I

ENTRE :

NICHOLAS VUCUREVICH,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Teskey, C.C.I.

[1] L’appelant, dans son avis d’appel par lequel il a interjeté appel contre sa cotisation pour l'année 1997, a choisi de procéder par voie de procédure informelle.

Question en litige

[2] La seule question en litige dont la Cour est saisie est de savoir si la somme de 4 589 $, dépensée par l’appelant en 1997, est admissible au titre des frais médicaux.

Faits

[3] L’intimée a reconnu que :

(1) l’appelant est, depuis plus de 40 ans, un paraplégique en fauteuil roulant;

(2) l’appelant a, compte tenu du processus de vieillissement et de l’amenuisement de ses forces physiques, besoin de dispositifs ou d’équipement médicaux supplémentaires pour continuer à vivre chez lui.

[4] L’appelant, âgé de 51 ans, a eu une carrière très productive malgré la fracture de sa 2e et 3e vertèbres thoraciques, laquelle l’a confiné à un fauteuil roulant pour la quasi-totalité de sa vie.

[5] Administrateur d’hôpital pendant quelque 30 ans et consultant, l’appelant a supervisé la construction et l’aménagement d’un établissement hospitalier de 50 lits.

[6] Comme il ne pouvait absolument pas se servir de ses jambes et que la force de ses bras s’amenuise, tout mouvement autonome doit se faire d’un objet à l’autre ayant la même hauteur, c’est-à-dire de son lit au fauteuil roulant, au sofa ou à la baignoire.

[7] Les dépenses en cause sont les suivantes :

700 $ (dépense refusée) pour le remodelage de son lit;

2 100 $ (dépense refusée) pour le remodelage et un nouveau rembourrage d’un sofa et d’une chaise;

1 780 $ (dépense refusée) pour le remodelage et un nouveau rembourrage d’un autre sofa, d’une autre chaise et d’un tabouret.

[8] Le montant des dépenses en cause n’est pas contesté; il est plutôt question de savoir si ces dépenses sont admissibles à titre de frais médicaux.

[9] Examen séparé de ces éléments :

(A) Tirant profit de son expérience et plutôt que de se procurer pour plusieurs milliers de dollars un lit d’hôpital, l’appelant s’est arrangé pour faire remodeler son propre lit et le faire doter des caractéristiques d’un lit d’hôpital conventionnel. Ainsi, il peut, électroniquement, le faire monter ou descendre, soulever la tête du lit pour constituer un dossier alors qu’il est assis, ou encore, faire basculer ou soulever le pied du lit. Ces ajustements électroniques lui permettent de passer, en toute autonomie, du lit au fauteuil roulant et vice versa, de se reposer, de lire ou de dormir au lit en adoptant différentes positions.

Le sofa et la chaise dont le remodelage a coûté 2 100 $ se trouvent au salon. Ces meubles ont été remodelés afin que la hauteur puisse lui permettre de passer, tout seul et sans aide, du fauteuil roulant au sofa et du fauteuil roulant à la chaise rembourrée et vice versa. Autrement dit, ces deux meubles sont inhabituels, étant surélevés et plus durs que les meubles de séjour courants. Bien que les non-paraplégiques puissent s’en accommoder, ces deux meubles ne sont pas particulièrement confortables et seraient les dernières places à être choisies.

(C) Le sofa, la chaise et le tabouret que l’appelant avait fait remodeler et rembourrer de nouveau se trouvent dans la salle de séjour attenante à la salle à manger. L'appelant soutient que la demande de déduction relative au coût associé au rembourrage et au remodelage du tabouret avait été faite par inadvertance et devrait être supprimée. Ce coût est de 50 $, ce qui ramènerait le montant de la déduction demandée sous cette rubrique à 1 739 $. Les commentaires formulés ci-dessus à propos du sofa et de la chaise disposés au salon s’appliquent également aux meubles dans la salle de séjour.

[10] L’appelant a également fait modifier sa baignoire afin de pouvoir encore se déplacer tout seul de son fauteuil roulant à la baignoire, et vice versa. Les frais de modification correspondants étaient entièrement admissibles.

[11] L’appelant a expliqué que, s’il devait rester assis toute la journée dans son fauteuil roulant, il se retrouverait à l’hôpital avec ce qu’on appelle des “ plaies de lit ” dont le coût de traitement, précise-t-il, est très élevé.

[12] Si les frais relatifs au remodelage et à la rénovation de son lit ainsi que de ses deux sofas et chaises n'avaient pas été engagés, il en résulterait l’une des conséquences suivantes :

(1) il nécessiterait des soins à domicile destinés à le faire mouvoir et à lui éviter des plaies de lit;

(2) il serait placé dans un établissement.

[13] Ces ajustements assurent à l’appelant une certaine autonomie durant la journée et permettent à sa conjointe de travailler à l’extérieur de la maison.

[14] Ces ajustements, résultat de nombreux entretiens avec plusieurs médecins, ont été prescrits et effectués sur la base d’avis médicaux convergents.

[15] Par suite de son évaluation, le Dr Mark C. Musk, le médecin de famille de l’appelant, a envoyé à Revenu Canada une lettre qui, d’un commun accord, a été produite sous la cote A-2. L’intimée a également consenti à ce qu’on tienne pleinement compte dudit document ainsi formulé :

[TRADUCTION]

[...]

M. Vucurevich, paraplégique en fauteuil roulant depuis plus de quarante ans, a, compte tenu du processus de vieillissement et de l’amenuisement de ses forces physiques, besoin de se faire adapter son lit et ses sofas. Les adaptations consistent au fond à renforcer les ressorts et à relever la hauteur des sofas. Le mobilier de chambre à coucher a nécessité les mêmes adaptations qui, dans l’ensemble, permettront à M. Vucurevich de jouir d’une qualité de vie meilleure et de rester dans sa propre habitation pour une période plus longue.

Pour terminer, ces adaptations médicales sont assimilées aux aides pour les activités quotidiennes.

[16] Malheureusement, l’appelant a choisi de limiter sa preuve médicale à sa lettre et à son témoignage. Toutefois, je suis convaincu que le témoignage du Dr Musk, s’il était appelé à témoigner, concorderait parfaitement avec celui de l’appelant.

[17] J’accepte sans réserve le témoignage de l’appelant. Heureusement pour lui, je peux, en me fondant sur son expérience acquise pendant 30 ans dans le domaine de l’administration hospitalière, accepter son témoignage qui est dans une large mesure d’ordre médical.

Les dispositions législatives pertinentes

[18] Les frais médicaux sont visés à l’article 118 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la “Loi”) et à l'article 5700 du Règlement de l’impôt sur le revenu (le “Règlement”). Les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

118.2(2) Pour l’application du paragraphe (1), les frais médicaux d’un particulier sont les frais payés :

[...]

l.2) pour les frais raisonnables afférents à des rénovations ou transformations apportées à l’habitation du particulier, de son conjoint ou d’une personne à charge visée à l’alinéa a) — ne jouissant pas d’un développement physique normal ou ayant un handicap moteur grave et prolongé — pour lui permettre d’avoir accès à son habitation, de s’y déplacer ou d’y accomplir les tâches de la vie quotidienne;

[...]

m) pour tout dispositif ou équipement destiné à être utilisé par le particulier, par son conjoint ou par une personne à charge visée à l’alinéa a), qui, à la fois :

(i) est d’un genre visé par règlement,

(ii) est utilisé sur ordonnance d’un médecin,

(iii) n’est pas visé à un autre alinéa du présent paragraphe,

(iv) répond aux conditions prescrites quant à son utilisation ou à la raison de son acquisition;

5700. Les dispositifs ou équipements suivants sont prescrits pour l'application de l'alinéa 118.2(2)m) de la Loi :

[...]

h) lit d’hôpital, y compris les accessoires de ce lit visés par une ordonnance;

[19] Je suis convaincu que ces dispositions devraient être interprétées de la même manière que les dispositions relatives au crédit d’impôt pour personnes handicapées. Mon collègue le juge Bowman, a, dans l’affaire Radage v. The Queen, 96 DTC 1615, déclaré que l’article afférent à l’invalidité devrait faire l’objet d’une interprétation libérale, humaine, ouverte à la compassion et non étroite et technique.

[20] Le juge Bowman a également précisé que, en cas de doute au sujet de la question de savoir où situer un requérant, ce doute devrait être résolu en faveur du requérant.

[21] Ses conclusions dans l’affaire Radage ont été sanctionnées par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Johnston v. The Queen, 98 DTC 6169.

[22] Mon collègue le juge Rip a, dans l’affaire Williams v. The Queen, [1998] 1 C.T.C. 2813, admis au titre des frais médicaux le coût d’un matelas libre de produits chimiques et le coût associé à l’enlèvement des moquettes et au remplacement de celles-ci par un plancher de bois franc. Il dit au paragraphe 8 :

[8] La version anglaise de l’alinéa 118.2(2)(l.2) de la Loi dit que les frais médicaux d’un particulier sont les frais payés pour les frais raisonnables afférents à des rénovations ou transformations apportées à l’habitation d'un particulier ne jouissant pas d’un développement physique normal ou ayant un handicap moteur grave et prolongé, pour lui permettre d’avoir accès à son habitation, de s’y déplacer ou d’y fonctionner. Très peu de jugements publiés traitent de l’alinéa 118.2(2)(l.2). Dans l’affaire Brown v. The Queen (C.F., 1re inst.), 95 DTC 5126, il avait été conclu qu’un climatiseur était assimilable à un dispositif “ conçu à l'intention du particulier à mobilité réduite pour l'aider à marcher ” au sens de l'alinéa 5700(i) du Règlement et que les frais y afférents étaient donc déductibles en tant que frais médicaux dans les cas où il s'agissait d'un appareil mis au point dans un contexte médical pour faire baisser la température du corps et aider ainsi à rétablir la mobilité. [...]

Le juge Ripp poursuit son analyse aux paragraphes 9, 10, 11 et 12 :

[9] Les versions française et anglaise de l'alinéa 118.2(2)l.2) ne sont pas identiques. La version française de cette disposition se termine par les termes “ de s'y déplacer ou d'y accomplir les tâches de la vie quotidienne ”. Le dictionnaire anglais-français Robert & Collins définit comme suit le mot “ quotidien ” :

De chaque jour; qui se fait, qui revient tous les jours.

Le mot “ quotidienne ” désigne une activité qui se fait tous les jours. La version française traite de rénovations qui sont apportées pour permettre à une personne d'avoir accès à son habitation, de s'y déplacer ou d'y accomplir les “ tâches de la vie quotidienne ”. La disposition ne concerne pas les “ activités courantes de la vie quotidienne ” énoncées aux alinéas 118.4(1)c) et d). Les rénovations ou transformations doivent être destinées à permettre à la personne de fonctionner dans son habitation, de manière qu'elle puisse accomplir les tâches de la vie quotidienne. Les tâches de la vie quotidienne, ce ne sont pas seulement les “activités courantes de la vie quotidienne ”. Les tâches de la vie quotidienne comprennent, entre autres, les activités énoncées à l'alinéa 118.4(1)d), soit le travail, les travaux ménagers et les activités sociales ou récréatives. La version française de l'alinéa 118.2(2)l.2) ajoute un élément à considérer lorsqu'il s'agit de déterminer si les rénovations entreprises par Mme Williams sont admissibles au crédit pour frais médicaux. Les termes “ d'y accomplir les tâches de la vie quotidienne ” figurant dans la version française de l'alinéa 118.2(2)l.1) élargissent à mon avis l'application de cette disposition de manière à inclure des rénovations visant à permettre à une personne ayant un handicap moteur grave et prolongé de se déplacer ou de fonctionner dans son habitation de manière à pouvoir y accomplir les tâches de la vie quotidienne.

[10] Dans l'appel en instance, il m'apparaît clairement que, en 1994, Mme Williams était grandement limitée dans sa mobilité, c'est-à-dire dans sa capacité d'accomplir des tâches quotidiennes chez elle, et que l'installation de planchers de bois franc était nécessaire pour qu'elle puisse se déplacer et fonctionner chez elle, de manière à pouvoir y accomplir des tâches quotidiennes, c'est-à-dire se déplacer d'une pièce à une autre avec une facilité relative; il fallait qu'elle puisse “ vivre ” dans son habitation. Donc, les frais d'acquisition et d'installation des planchers de bois franc auraient dû selon moi être admis.

[11] L'alinéa 118.2(2)m) dit que les frais médicaux sont des frais payés pour tout dispositif ou équipement qui répond aux conditions visées à l'alinéa 5700h) du Règlement. Le Règlement mentionne parmi les dispositifs ou équipements prescrits un lit d'hôpital, y compris les accessoires de ce lit. Je conviens avec le ministre que le matelas spécial que Mme Williams a acheté sur ordonnance d'un médecin n'est pas un lit d'hôpital, soit un des éléments prescrits dans le Règlement. Toutefois, Mme Williams souffrait de “ troubles immunitaires chroniques graves ”. Peut-on considérer le matelas spécial acheté sur ordonnance d'un médecin comme un “ dispositif ou équipement [...] conçu exclusivement pour l'usage ” de Mme Williams au sens de l'alinéa 5700c) du Règlement? Le mot anglais “ equipment ” (équipement) inclut le mobilier. Le matelas en question avait été conçu exclusivement pour l'usage de l'appelante, en raison de ses troubles immunitaires chroniques graves, et les frais y afférents auraient donc dû être considérés comme des frais médicaux. Il s'agit là d'une interprétation téléologique de la disposition.

[12] Je renvoie également à l'affaire Côté c. Canada, [1996] A.C.I. n ° 1497 (Q.L.), dans laquelle le juge Léger, de la CCI, avait admis l'appel interjeté par un contribuable à l'encontre du rejet d'une déduction de frais médicaux, pour le motif suivant : “ Bien qu'il y ait des dispositions précisant ce que sont des frais médicaux, la Cour est tenue d'interpréter cette loi de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet. ” Il avait statué que, malgré l'absence d'ordonnance de médecin visant un adoucisseur ou concernant les frais liés à l'énergie nécessaire au fonctionnement d'un bain tourbillon, les frais relatifs à un tel équipement et à de tels produits étaient déductibles dans le calcul du revenu imposable. J'estime que, dans l'appel en instance, la position de Mme Williams quant au matelas est encore meilleure que ne l'était celle de l'appelant dans l'affaire Côté.

[23] Mon collègue le juge Bowie a, dans l’affaire Crockart v. The Queen, [1999] 2 C.T.C. 2409, s’agissant d’un lit qu’a acheté le mari d’une femme atteinte de sclérose en plaques et dont le coût fut déduit au titre des frais médicaux, écrit au paragraphe 6 de ses motifs :

[...] Je ne crois pas que c'était l'intention du législateur, lorsqu'il a adopté l'article 118.2, ni celle du gouverneur-en-conseil, en sanctionnant le règlement 5700, de restreindre l'admissibilité au crédit d'impôt en cause de façon à la refuser à M. Crockart parce qu'il a acheté un lit possédant les caractéristiques désirables d'un “ lit d'hôpital traditionnel ”, mais en même temps un lit plus commode pour sa femme que ne le serait le “ lit d'hôpital traditionnel ”. Je ne doute pas non plus que ni le Parlement, ni le gouverneur-en-conseil entendaient que la disposition en cause soit interprétée de façon à empêcher son application à un lit que peuvent partager deux époux. Je conclus que le lit en question en l'espèce possède suffisamment d'attributs d'un “ lit d'hôpital traditionnel ” pour être conforme au règlement.

[24] Je ne vois aucune différence entre l’achat d’un lit semblable à un lit d’hôpital et le remodelage d’un lit existant pour le doter des caractéristiques d’un “lit d’hôpital classique”. Je conclus donc que les frais concomitants constituent des frais médicaux appropriés.

[25] En ce qui concerne les frais associés au remodelage des deux sofas et des deux chaises, je trouve que le fait qu’il y a deux ensembles, l’un pour le salon et l’autre pour la salle de séjour, est sans importance. Si les frais de remodelage d’un ensemble sont admissibles, les frais de l’autre ensemble le sont aussi.

[26] J’estime que les mots essentiels de l’alinéa 118.2(2)(l.2) que je dois considérer sont “de s’y déplacer ou d’accomplir les tâches de la vie quotidienne”. Je ne vois aucune différence entre ce qui est normalement considéré comme des installations fixes d’une demeure, telles que la baignoire qui peut être surélevée et modifiée, ou encore, les armoires de cuisine qui peuvent être baissées pour permettre à un paraplégique d’y accéder, et les meubles traditionnels d’une demeure que l’on ajuste en vue de permettre à un paraplégique en fauteuil roulant d’y accéder en toute autonomie et de se déplacer pour jouir de ses biens.

[27] Je ne crois pas que le Parlement, en adoptant l’article 118.2, avait l’intention de limiter l’accès à ce type de frais médicaux au point de refuser à l’appelant la possibilité d'en demander la déduction, alors que ces frais médicaux lui permettent d’être indépendant durant la journée, de se passer de soins à domicile ou d'éviter d’être placé dans un établissement.

[28] L’appel est admis, avec dépens, et l’affaire est déférée au ministre du revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que, pour 1997, la déduction accordée à l'appelant au titre des frais médicaux doit être augmentée de 4 539 $, soit pour la totalité des frais, sauf les 50 $ associés au frais de remodelage du tabouret.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de décembre 1999.

“ Gordon Teskey ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 14e jour de juillet 2000.

Benoît Charron, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.