Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20000318

Dossiers 1999-1099-EI; 1999-1098-EI

ENTRE :

TEAM INSULATION COMPANY LTD., JARMILA MRNKA,

appelants

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

Motifs du jugement

Le juge Bell, C.C.I.

LA QUESTION EN LITIGE :

[1] En ce qui concerne l'appelante, Jarmila Mrnka (ci-après “ Jarmila ”), il s'agit de déterminer si l'emploi qu'elle a occupé chez Team Insulation Company Ltd. (ci-après “ Team ”) entre le 1er juillet 1996 et le 30 juin 1998 était un emploi assurable au sens de l'article 5 de la Loi sur l'assurance-emploi (ci-après la “ Loi ”).

[2] Dans l'appel interjeté par Team, le débat porte sur la même question.

LES FAITS :

[3] Team a été constituée en compagnie en 1977. Son entreprise offrait et offre encore un service d'isolation de bâtiments résidentiels et commerciaux. Jarmila et son mari, Joe Mrnka (ci-après “ Joe ”) possédaient chacun 50 p. 100 des actions de Team. Durant la période en question, la compagnie exerçait ses activités à partir de la maison de Jarmila et de Joe. Jarmila s'occupait notamment des dépôts à la banque, d'envoyer les factures aux clients, de répondre au téléphone et de prendre des messages, de la paie, de la perception des comptes en souffrance et elle participait à la préparation des estimations du coût des contrats d'isolation.

[4] Joe a témoigné que son épouse avait travaillé pour Team pendant quinze ans avant que la compagnie commence, en 1989, à retenir à la source les cotisations au régime d'assurance-chômage après avoir été informée qu'elle était tenue de le faire. Team a commencé à effectuer des retenues à la source cette année-là et a continué à le faire jusqu'à aujourd'hui. Il a aussi dit que la compagnie avait obtenu moins de contrats en 1998, après toutes ces années de travail, et que le revenu avait diminué de 33 p. 100 environ. Il n'y avait pas suffisamment de travail pour occuper son épouse, et, comme elle était en chômage, elle avait présenté une demande de prestations d'assurance-emploi. Ils ont été avisés qu'on avait décidé que son épouse n'était pas admissible aux prestations d'assurance-emploi parce qu'il y avait un lien de dépendance entre eux.

[5] Dans la réponse à l'avis d'appel, il est énoncé que Jarmila n'avait pas “ d'heures de travail fixes ”. Joe l'admet, mais il a déclaré que s'ils devaient commencer à travailler à l'heure du dîner, ils le faisaient. S'ils devaient travailler le dimanche, ils n'hésitaient pas à le faire. De plus, si un travail devait être effectué pour le lendemain, son épouse et lui mettaient l'épaule à la roue pour respecter le délai. Par exemple, s'il arrivait à la maison à 17 h avec un devis et que le prix des travaux devait être estimé pour le lendemain matin, ils travaillaient jusqu'à minuit ou 1 h du matin pour préparer l'estimation. Il a ajouté :

[TRADUCTION]

Une petite entreprise fonctionne comme ça.

Il a ajouté que, en plus des fonctions évoquées ci-dessus, son épouse avait travaillé avec lui sur les emplacements de travail comme manoeuvre lorsque Team avait débuté ses activités. Il a dit que Jarmila ne tenait aucun registre des heures de travail des travailleurs. Dans la réponse à l'avis d'appel, il est allégué que Team “ ne comptabilisait pas les heures de travail ” de Jarmila. Joe a déclaré que Team ne comptabilisait les heures de travail d'aucun travailleur. Il a ajouté qu'au terme de la période de paie, tous les employés remettaient leurs propres feuilles de temps, et, en fin de compte, préparaient leurs propres chèques de paye. Il vérifiait les informations et signait les chèques. Son épouse procédait de la même manière, et, à son avis, moins il y a de paperasse dans son entreprise, moins il a de travail à faire. À un moment donné, Team avait entre 10 et 12 employés, mais le travail se faisant rare, la compagnie emploie maintenant seulement quatre personnes.

[6] Il a dit que le ministre avait eu raison de tenir pour acquis que le taux de traitement de Jarmila n'était pas fixe. Il a ajouté que son épouse faisait le travail qui lui était demandé quand on le lui demandait. Il a déclaré :

[TRADUCTION]

... lorsque j'arrive à la maison et qu'il faut que quelque chose soit fait rapidement, je lui dis, mets tout le reste de côté, et nous allons faire ceci, c'est – Je ne connais pas d'autre façon d'exploiter cette entreprise.

[7] Il a ajouté :

[TRADUCTION]

... ils prétendent que son taux de traitement n'était pas fixe. C'est vrai, ouais ! Vrai, en grande partie jusqu'en 1997, parce qu'après lui avoir versé pendant 22 ans le salaire que j'avais les moyens de lui payer, vous pouvez voir, si vous tenez compte de ses prestations du Régime de pensions du Canada que son revenu varie très rapidement d'une année à l'autre, mais, en 1997 et 1998, elle a en quelque sorte négocié une entente avec moi selon laquelle elle devait recevoir le même salaire que les autres employés, qui est de 3 000 $ par mois. Je lui ai donc payé 3 000 $ par mois pendant ces deux années. C'était, en fin de compte, la première fois qu'elle avait négocié quelque chose avec moi. Bien sûr, quand on examine la situation, entre 1996 et 1997, elle a eu une augmentation de 15 000 $ par année, et, quand ils ont vu ça, ils se sont dit ça n'a aucun bon sens, c'est un abus du système. Mais je pense qu'après 20 ans --

[8] La réponse à l'avis d'appel énonce que Team a versé à Jarmila 23 300 $ en 1996, 36 000 $ en 1997 et 18 000 $ pour les six premiers mois de 1998. Joe a également indiqué que Team avait versé à Jarmila les montants indiqués ci-dessous durant les années suivantes :

1990 32 000 $

1991 31 000 $

1992 21 500 $

1993 16 500 $

1994 19 500 $

1995 25 000$

1996 23 300 $

1997 36 100 $

1998 18 000 $ pour six mois

[9] Lorsqu'on lui a demandé quel salaire était versé aux autres employés, il a répondu :

[TRADUCTION]

Les autres employés exécutent le travail de production. Nous installons des produits isolants. Elle travaillait dans le bureau, ouais ! et c'est la question que m'a posée Revenu Canada, est-ce que je verserais le même salaire à une autre personne que j'aurais engagée pour faire le travail de mon épouse et je leur ai dit que jamais je n'engagerais personne d'autre pour effectuer du travail administratif. L'argent doit rester dans la famille. C'est simple comme ça. C'est – je ne le sais pas. D'après moi, aucune autre petite entreprise comme la mienne qui a une épouse ou un parent capable d'effectuer un travail administratif engagerait une personne de l'extérieur pour le faire parce que la concurrence est si rude et si forte qu'on a pas les moyens de se payer ce type d'arrangement. Il s'agissait donc pour moi d'une question purement hypothétique parce que la situation ne se produit jamais. Je ne peux pas dire que j'engagerais quelqu'un parce que je sais que je ne le ferai jamais.

M. LE JUGE : Mais si vous aviez été obligé de payer une autre personne, si vous aviez été obligé d'embaucher une autre personne, quel montant lui auriez-vous – lui auriez-vous versé le même montant d'argent ?

A. Au bout de 20 ans, probablement oui.

[10] En ce qui concerne l'hypothèse de l'intimé selon laquelle Team versait aux travailleurs non liés un salaire fixe qui était établi lors de l'embauche, Joe a indiqué qu'ils étaient payés en proportion des pieds carrés de matériel isolant qu'ils installaient. Il a ensuite ajouté que la conception des maisons actuelles est ridicule, qu'il est très difficile d'y installer l'isolation et qu'il ne calculait plus la rémunération des travailleurs de la même manière. Il travaillait tous les jours avec les employés et savait que certains ne pouvaient pas travailler aussi rapidement lorsqu'ils installaient l'isolation dans des plafonds et des murs de 20 pieds de haut et que leurs rendements variaient. Il leur versait un salaire supérieur à celui qu'ils auraient normalement reçu. Il a ajouté que son fils, Robert, qui était sur les emplacements de travail tous les jours comme lui et qui, le soir, effectuait du travail fait auparavant par sa mère, recevait 3 000 $ par mois. Joe a dit :

[TRADUCTION]

Le 9 à 5, on ne connaît pas ça.

Il a alors dit qu'il effectuait une partie du travail que son épouse faisait auparavant et que Robert faisait de même.

[11] En ce qui a trait à l'hypothèse énoncée dans la réponse du ministre selon laquelle Jarmila ne recevait pas de paie de vacances ni d'indemnité de départ lorsque Team la licenciait, Joe a dit :

[TRADUCTION]

C'est partiellement vrai et partiellement faux. Chez nous, comme dans toutes les autres compagnies de construction, la paie de vacances est versée avec chaque chèque de paie. Si quelqu'un gagne 3 000 $ par mois, 150 $ va à la paie de vacances. La raison est simple, parce que s'ils s'en vont, -- s'ils sont mis à pied et qu'ils reçoivent, je ne sais pas, deux dollars et demi de paie de vacances, la période d'attente sera de deux mois.

Il a précisé sa réponse en disant que la paie de vacances est incluse dans chaque chèque de paie au lieu d'être versée aux employés lorsqu'ils partent en vacances.

[12] Joe a ensuite expliqué comment “ on s'est fait avoir pour 25 000 $, et pendant quelques autres mois pour 10 000 $ ”. Il a également dit que ses hommes avaient été très peu rémunérés pour le travail effectué pour le compte d'une certaine compagnie qui avait déclaré faillite.

[13] L'avocat de l'intimé a avancé que la question en litige était celle de savoir si le ministre du Revenu national (“ le ministre ”) avait, à bon droit, exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu'il avait décidé que l'emploi de Jarmila chez Team était un emploi exclu du régime d'assurance-emploi selon l'alinéa 5(3)b) de la Loi. Il a prétendu qu'il ressort de la combinaison de l'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu avec l'alinéa 5(3)a) de la Loi, que Jarmila et Team avaient un lien de dépendance. Il a alors renvoyé à l'alinéa 5(3)b) qui est ainsi libellé :

l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[14] L'avocat de l'intimé a renvoyé à l'affaire Minister of National Revenue v. Wrights' Canadian Ropes Ltd., [1947] C.T.C. 1, aux pages 13 et 14, qu'il résume ainsi : la décision du ministre ne doit pas être arbitraire, ni vague ou fantaisiste mais conforme à la loi et régulière, et la Cour ne doit pas intervenir dans cette décision à moins qu'elle aille manifestement à l'encontre de principes fondés et fondamentaux. Il a fait valoir que si la Cour concluait que le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière contraire à la loi, il pouvait raisonnablement conclure que Team n'aurait pas conclu avec une personne avec laquelle elle n'avait pas de lien de dépendance un contrat de travail à peu près semblable à celui qu'elle avait conclu avec Jarmila.

[15] Il alors fait remarquer que Joe avait témoigné que :

[TRADUCTION]

Il n'aurait pas pu ou il n'aurait pas lui-même conclu un contrat de travail semblable avec une autre personne.

[16] Il a fait valoir, en résumé, qu'il ressortait de l'ensemble de la preuve que, si Jarmila n'avait pas été liée à Team, elle et Team n'auraient pas conclu un contrat de travail à peu près semblable.

ANALYSE ET CONCLUSION :

[17] Le juge Desjardins dans l'affaire Tignish Auto Parts Inc. c. M.R.N., C.A.F., A-555-93, 25 juillet 1994, à la page 9 ((1994) 185 N.R. 73, à la page 77) a dit ce qui suit :

[...] la Cour a le droit d'examiner les faits qui, selon la preuve, se trouvaient devant le ministre quand il est arrivé à sa conclusion, pour décider si ces faits sont prouvés. Mais s'il y a suffisamment d'éléments pour appuyer la conclusion du ministre, la Cour n'a pas toute latitude pour l'infirmer simplement parce qu'elle serait arrivée à une conclusion différente. Toutefois, si la Cour est d'avis que ces faits sont insuffisants, en droit, pour appuyer la conclusion du ministre, la décision de ce dernier ne peut tenir et la Cour est justifiée d'intervenir.

[18] Il n'y a pas d'élément de preuve établissant que le ministre a considéré d'autres faits que ceux qui sont énoncés dans les réponses aux avis d'appel. Par conséquent, il ne disposait pas :

des explications de Joe selon lesquelles il n'y avait pas “ d'heures de travail fixes ” ni des exemples qu'il a fournis pour démontrer qu'il ne s'agissait pas d'un emploi de 9 à 5.

(2) du témoignage de Joe selon lequel Jarmila avait travaillé pour l'entreprise pendant 22 ans.

(3) du témoignage de Joe selon lequel Jarmila a travaillé comme manoeuvre sur les emplacements de travail lorsque Team a lancé son entreprise.

(4) du témoignage de Joe sur la raison pour laquelle Team ne comptabilisait pas les heures de travail de Jarmila ni celles des autres employés.

(5) du témoignage de Joe sur le travail que Jarmila effectuait à la maison jusque tard dans la nuit pour préparer des estimations de coûts pour le lendemain matin.

(6) du témoignage de Joe selon lequel après avoir versé à Jarmila pendant 22 ans “ Ce que j'avais les moyens de lui payer ” elle avait négocié avec lui en vue “ de recevoir le même salaire que celui qui était versé à tous les autres employés, soit 3 000 $ par mois ”.

(7) le témoignage de Joe établissant quelle avait été la rémunération de Jarmila pendant neuf années à partir de 1990, alors que le ministre n'a tenu compte que de la rémunération pendant trois ans, soit en 1996 (23 300 $) et durant les deux années dont il est question dans le présent appel.

(8) La réponse de Joe à la question de savoir s'il aurait versé la même somme d'argent s'il avait été obligé de payer quelqu'un d'autre :

“ Au bout de 20 ans, probablement oui. ”

(9) Le témoignage de Joe sur la paie de vacances, notamment sur le fait que :

Chez nous, comme dans toutes les autres compagnies de construction, la paie de vacances est versée avec chaque chèque de paie. Si quelqu'un gagne 3 000 $ par mois, 150 $ va à la paie de vacances.

[19] L'alinéa 5(2)b) de la Loi renvoie au ministre :

compte tenu de toutes les circonstances,

Ces mots ne peuvent logiquement être interprétés comme signifiant qu'un employé n'ayant pas de lien de dépendance devrait être dans la même situation de Jarmila. Parce que cette dernière, comme épouse de Joe, vivait avec lui et était disponible à des heures inhabituelles pour effectuer le travail qui lui était demandé. La réponse à l'avis d'appel laisse entendre que Jarmila aurait dû avoir des heures de travail fixes et que le fait de ne pas avoir d'horaire de travail déterminé influe sur la manière dont le ministre règle la question. C'est une réalité du monde du travail que tous les employés n'ont pas le même horaire de travail régulier chaque jour. Il serait erroné de tenir pour acquis, en se fondant simplement sur les mots susmentionnés, qu'il ne serait pas raisonnable de s'attendre à ce qu'une personne n'ayant pas de lien de dépendance conclue “ un contrat de travail à peu près semblable ”.

[20] Les faits dont on a montré que le ministre était saisi étaient peut-être suffisants “ en droit, pour appuyer la conclusion du ministre ”[1], mais il ne s'agissait pas de tous les faits.

[21] Il y a, on l'espère, des personnes prêtes à travailler des heures irrégulières et à accepter des modalités d'emploi semblables à celles de Jarmila. Le ministre ayant omis de recueillir les faits présentés par Joe qui démontrent comment Team exploitait son entreprise et le rôle qu'y jouait Jarmila et de les avoir considérés, il a par conséquent réglé la question d'une manière fautive. Tel qu'on l'a décidé dans l'affaire Tignish, la présente cour est justifiée d'intervenir et d'accueillir l'appel de Team et de Jarmila.

Signé à Toronto, Canada, ce 18e jour de mai 2000.

“ R. D. Bell ”

J.C.C.I

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 11e jour d'octobre 2000.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Tignish, précité.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.