Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19971119

Dossier: 96-98-UI

ENTRE :

PIERRE CÔTÉ,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

JACINTHE BEAULIEU,

intervenante.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Charron, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu à Québec (Québec), le 7 novembre 1997 pour déterminer si l'appelant a exercé un emploi assurable au sens de la Loi sur l'assurance-chômage (la “ Loi ”), durant les périodes du 27 juillet au 14 août 1992, du 13 juin au 25 septembre 1993 et du 12 juin au 1er octobre 1994, lorsqu'il travaillait pour Jacinthe Beaulieu, faisant affaires sous la raison sociale “ Pension Belle Nuit Enr. ”, la payeuse.

[2] Par lettre du 13 décembre 1995, l'intimé informa l'appelant que cet emploi n'était pas assurable parce qu'il existait un lien de dépendance entre lui et la payeuse.

Exposé des faits

[3] Les faits sur lesquels s'est basé l'intimé pour rendre sa décision sont énoncés au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel comme suit :

“ a) l'appelant est le conjoint de la payeuse; (admis)

b) la payeuse exploite depuis 1989 une entreprise dont elle est l'unique propriétaire; (admis)

c) l'entreprise exploitée par la payeuse offre des services de pension pour petits animaux de compagnie, ses installations lui permettant d'accueillir jusqu'à 40 animaux; (admis)

d) la payeuse exploite son entreprise tout au long de l'année, mais connaît un achalandage plus important entre le 24 juin et le début septembre et durant les fêtes de fin d'année; (nié)

e) au moins une personne doit être présente en tout temps et à toutes heures pour assurer les soins aux animaux; (admis)

f) l'entreprise générait des revenus de 22 971 $ en 1992, de 22 780 $ en 1993 et de 25 488 $ en 1994; (admis)

g) la payeuse prétend avoir embauché l'appelant, au cours des périodes en litige seulement, pour servir la clientèle, donner les soins aux animaux et faire l'entretien des lieux; (nié)

h) l'appelant prétend que, durant les périodes en litige, il n'avait pas d'horaire de travail déterminé, qu'il devait être disponible 7 jours par semaine selon les besoins et qu'il travaillait en moyenne 35 heures par semaine; (nié)

i) durant les périodes en litige, l'appelant recevait une rémunération hebdomadaire fixe, sans égard aux heures réellement travaillées; (admis)

j) cette rémunération était de 225 $ en 1992, de 275 $ en 1993 et de 300 $ en 1994; (admis)

k) la payeuse embauchait des travailleurs occasionnels qu'elle rémunérait au taux horaire de 6,50 $ et que pour les heures réellement travaillées; (admis)

l) l'appelant rendait des services semblables à la payeuse, en dehors des périodes en litige, sans recevoir de rémunération; (nié)

m) les périodes en litige ne correspondent pas aux périodes d'activités de la payeuse; (nié)

n) il existe un lien de dépendance entre la payeuse et l'appelant; (ignoré)

o) il n'est pas raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances ci-dessus, notamment les périodes en litige et la rémunération, que l'appelant et la payeuse auraient conclu un contrat de travail similaire, s'il n'y avait pas eu de lien de dépendance entre eux. (nié) ”

[4] L'appelant a reconnu la véracité de toutes les allégations des alinéas du paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel, sauf celles qu'il a niées ou déclaré ignorer, ainsi qu'il est indiqué entre parenthèses à la fin de chaque alinéa.

Témoignage de Pierre Côté

[5] Pierre Côté est travailleur minier de 1982 à 1992. Depuis cette dernière année, il travaille pour Jacinthe Beaulieu, son épouse. Cette dernière fait affaires de garderie pour animaux domestiques sous la raison sociale “ Pension Belle Nuit Enr. ”, sur la propriété familiale du couple, marié sous le régime de la société d'acquêt. C'est Beaulieu qui a fondé l'entreprise et Côté n'y a rien investi. Cautionnée par ce dernier, il a suffi à Beaulieu d'emprunter l'argent nécessaire à la fondation de son entreprise, à la Caisse populaire de Pintendre.

[6] La garderie peut contenir 30 chiens et 10-12 chats. En 1992, Côté commence à travailler bénévolement pour Beaulieu et, l'année suivante, celle-ci l'embauche pour s'occuper de la maintenance des bâtiments. Ses tâches consistent, en outre, à s'occuper des animaux, sortir les chiens, balayer et désinfecter les enclos. Il travaille cinq heures par jour, sept jours par semaine et reçoit un salaire hebdomadaire de 225 $, 275 $ et 300 $ en 1992, 1993 et 1994 selon le cas, soit le même salaire que les autres employés. Côté fait quelques heures le matin et quelques heures l'après-midi, selon les besoins des animaux. Beaulieu s'occupe de l'administration; elle prend les décisions, embauche les employés, fait leurs horaires et les chèques de paye. M. Samson s'occupe de la comptabilité. L'appelant reçoit les animaux, en l'absence de la payeuse : ainsi, il a fait 301 factures en 1 460 jours sans rémunération. Côté est aussi propriétaire de sa propre entreprise qui consiste à recevoir et prendre soin des animaux errants attrapés par le conseil municipal de Pintendre. Ce commerce est tout à fait distinct de celui de la payeuse et dessert maintenant quelques 12 villes des environs. En 1992, le travail de Côté est considéré comme assurable, mais en 1993 l'intimé le considère exclu des emplois assurables. L'appelant est aussi propriétaire de terres à bois, mais ne les exploite pas. Les outils et instruments utilisés par Côté dans l'exécution de ses fonctions appartiennent à la payeuse. L'appelant ne travaille pas pour la payeuse durant l'hiver. Il s'occupe des enfants, coupe du bois, travaille pour Matériaux L.M. ou remplace son épouse à la maison durant les vacances qu'elle passe à Myrtle Beach.

Témoignage de Jacinthe Beaulieu

[7] Beaulieu est propriétaire d'une pension pour animaux domestiques depuis 1989 où elle garde des chiens, chats et autres petits animaux. Pour établir ce commerce, la payeuse a emprunté 10 000 $ de la Caisse populaire de Pintendre et son mari l'a cautionnée (pièce I-1). Le bureau est situé au sous-sol de la résidence familiale. Elle travaille le jour et le soir et son époux lui donne de l'aide durant ses temps libres, au cours des années 1992, 1993 et 1994. La payeuse s'occupe d'administration. Au début de l'été, elle embauche son mari jusqu'au début de septembre. Il travaille tous les jours de 8 h à 11 h en matinée et de 18 h à 20 h en soirée. L'appelant reçoit son chèque de paye une fois par semaine, mais sans égard aux heures de travail accomplies, tandis que les deux ou trois employés sont payés selon les heures travaillées. À l'occasion de ses absences, c'est son mari qui la remplace, car la garderie est ouverte à l'année. Quand Côté a cessé de travailler pour la payeuse, cette dernière a dû embaucher deux personnes pour le remplacer; les gens n'aiment pas travailler à des heures réparties au cours de la journée.

Analyse des faits en regard du droit

[8] Le lien de dépendance étant prouvé entre la payeuse et l'appelant, il y a lieu maintenant de se demander si le contrat de travail de l'appelant aurait été à peu près semblable s'il n'avait pas eu de lien de dépendance avec la payeuse. L'intimé a-t-il agi d'une façon appropriée dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi?

[9] En effet, le paragraphe 3(2) se lit en partie comme suit :

“ (2) Les emplois exclus sont les suivants :

[...]

c) sous réserve de l'alinéa d), tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l'application du présent alinéa :

(i) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu,

(ii) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi, étant réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance;

[...] ”

[10] Or, selon l'alinéa 251(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, les personnes liées sont réputées avoir entre elles unlien de dépendance. Lorsque des personnes sont liées entre elles, on ne saurait parler d'emploi assurable à moins que le ministre du Revenu national n'en soit autrement convaincu conformément au sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi sur l'assurance-chômage ci-dessus.

[11] La Cour d'appel fédérale a rendu deux décisions importantes concernant l'application de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage.

[12] Dans la première décision Tignish Auto Parts Inc. c. M.R.N. (185 N.R. 73) du 25 juillet 1994, la Cour cite le procureur de l'intimé dont elle partage l'opinion :

“Souscrivant à l’arrêt Minister of National Revenue v. Wrights’ Canadian Ropes Ltd., qui fait autorité, l’intimé prétend que, à moins que l’on établisse que le ministre n’a pas tenu compte de toutes les circonstances (comme il y est tenu aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi), a pris en compte des facteurs dépourvus d’intérêt ou a violé un principe de droit, la Cour ne peut intervenir. En outre, la Cour a le droit d’examiner les faits qui, selon la preuve, se trouvaient devant le ministre quand il est arrivé à sa conclusion, pour décider si ces faits sont prouvés. Mais s’il y a suffisamment d’éléments pour appuyer la conclusion du ministre, la Cour n’a pas toute latitude pour l’infirmer simplement parce qu’elle serait arrivée à une conclusion différente. Toutefois, si la Cour est d’avis que ces faits sont insuffisants, en droit, pour appuyer la conclusion du ministre, la décision de ce dernier ne peut tenir et la Cour est justifiée d’intervenir.”

[13] Il se dégage donc quatre critères que la Cour canadienne de l’impôt peut appliquer pour décider si elle a droit d’intervenir :

le ministre du Revenu national

1) n’aurait pas tenu compte de toutes les circonstances;

2) aurait pris en compte des facteurs dépourvus d’intérêt;

3) aurait violé un principe de droit;

4) aurait appuyé sa décision sur des faits insuffisants.

[14] La Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Ferme Émile Richard et Fils Inc. (178 N.R. 361) le 1er décembre 1994, a résumé ainsi l’affaire Tignish Auto Parts Inc. :

“Ainsi que cette Cour l’a rappelé récemment dans Tignish Auto Parts Inc. c. ministre du Revenu national, l’appel devant la Cour canadienne de l’impôt, lorsqu’il s’agit de l’application du sous-alinéa 3(2)c)(ii), n’est pas un appel au sens strict de ce mot et s’apparente plutôt à une demande de contrôle judiciaire. La Cour, en d’autres termes, n’a pas à se demander si la décision du Ministre est la bonne; elle doit plutôt se demander si la décision du Ministre résulte d’un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire. Ce n’est que si la Cour en arrive à la conclusion que le Ministre a fait un usage inapproprié de sa discrétion, que le débat devant elle se transforme en un appel de novo et que la Cour est habilitée à décider si, compte tenu de toutes les circonstances, un contrat de travail à peu près semblable aurait été conclu entre l’employeur et l’employé s’ils n’avaient pas eu un lien de dépendance.”

[15] Quant aux comparaisons qui doivent être faites entre le travail des divers employés d'un employeur, elles doivent conduire à la conclusion que les conditions du travail de l'un sont démesurément avantageuses ou désavantageuses par rapport à celles de l'autre qui aurait conclu un contrat de travail à distance. Ainsi en a décidé le juge Hugessen dans l'arrêt Raymonde Bérard et M.R.N. (A-487-96) :

“ Selon l'avocat, une interprétation téléologique de ce texte exige que soient exclus seuls les emplois où les conditions de travail sont démesurément avantageuses pour l'employé. Nous ne sommes pas d'accord. Rien dans le texte, ni encore dans le contexte, ne suggère une telle interprétation. Le but évident de la législation est d'exclure les contrats de travail entre des personnes liées qui ne sont pas de la même nature qu'un contrat normal conclu entre des personnes n'ayant pas un lien de dépendance entre elles. Il nous paraît clair que ce caractère anormal peut aussi bien se manifester dans des conditions désavantageuses pour l'employé que dans des conditions favorables. Dans les deux cas, la relation employeur-employé n'est pas normale et il est permis de soupçonner qu'elle a été influencée par d'autres facteurs que les forces économiques du marché du travail. ”

[16] Considérant la preuve faite, les documents produits par les parties, il apparaît clair que l'intimé a tenu compte de toutes les circonstances, a éliminé les facteurs dépourvus d'intérêt, a suivi les principes de droit reconnus et appuyé sa décision sur des faits suffisants; considérant qu'il y a eu collusion entre la payeuse et l'appelant dans l'unique but de permettre à ce dernier de se qualifier pour recevoir des prestations d'assurance-chômage; considérant les nombreuses contradictions; considérant que l'appelant n'a pas prouvé que la payeuse et lui auraient conclu un tel contrat sans leur lien de dépendance; en conséquence, l'appel est rejeté et la décision de l'intimé est confirmée.

“ G. Charron ”

J.S.C.C.I.

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