Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19991027

Dossiers: 98-1912-IT-I ;98-1913-IT-I

ENTRE :

SUE-ANN E. STEPHENS, WILLIAM B. STEPHENS,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Motifs du jugement

Le juge Brulé, C.C.I.

[1] Les présents appels ont été entendus sur preuve commune le 12 août 1999, à Vancouver (Colombie-Britannique).

[2] Les appelants ont interjeté appel à l'encontre des nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) relativement à leurs années d'imposition 1994 et 1995, lesquelles cotisations fixaient l'impôt payable et refusaient une déduction pour amortissement (“ DPA ”) à l'égard d'un véhicule de plaisance dont ils étaient propriétaires en tant qu'associés et qu'ils utilisaient dans une petite entreprise.

Les faits

[3] En février 1994, les appelants ont acheté en tant qu'associés un véhicule de plaisance. Lors de l'achat, ils ont conclu un contrat de trois ans avec la société Candan RV Centre (“Candan ”) aux termes duquel Candan devait entreposer et entretenir le véhicule et le louer à des clients approuvés pour la période stipulée au contrat. En d'autres mots, les appelants ont retenu les services de Candan comme agent de location parce que cette société disposait de treize ans d'expérience dans le domaine et qu'ils étaient eux-mêmes des novices en la matière. En vertu du contrat, Candan conserverait 30 % des revenus bruts comme honoraires pour ses services et remettrait le reste aux appelants. Le contrat, semble-t-il, ne prévoyait aucune période annuelle minimale de location ni aucun revenu annuel minimal.

[4] Quand ils ont produit leurs déclarations de revenus pour les années d'imposition 1994 et 1995, chacun des appelants a déclaré des pertes d'entreprise individuelles de 2 203,29 $ et de 5 747,48 $ respectivement à l'égard de son intérêt de 50 % dans la location d'un véhicule de plaisance déclarée sous le nom de “ W & S Stephens ”. Le ministre a refusé la DPA réclamée par les deux appelants, qui s'élevait à 2 203,29 $ pour 1994 et à 5 747,48 $ pour 1995.

La question en litige

[5] Comment interpréter les paragraphes 1100(15), (17) et (17.3) du Règlement de l'impôt sur le revenu (le “ Règlement ”) en tant qu'ils s'appliquent à un véhicule de plaisance ?

La position des appelants

[6] Les appelants ont prétendu que Revenu Canada accepte ce type d'entreprise depuis 10 ans et que la DPA a toujours été accordée; en outre, les véhicules de plaisance n'ont jamais été considérés comme étant assujettis à la restriction énoncée au paragraphe 1100(15) du Règlement.

[7] Les appelants ont avancé que, contrairement à ce qu'a prétendu l'intimée, il n'était pas nécessaire qu'ils s'occupent [TRADUCTION] “ de façon continue des affaires courantes de l'entreprise ”. Les appelants font valoir qu'ils s'occupaient de façon continue de l'entreprise conformément au paragraphe 1100(17.3) du Règlement et qu'ils ont en conséquence le droit de se prévaloir de l'exemption relative au “ loyer dérivé ” défini au paragraphe 1100(17.2). Les appelants s'appuient sur le sens ordinaire des mots et sur le dictionnaire Webster's pour déclarer qu'il était seulement nécessaire qu'ils s'occupent de l'entreprise de façon ininterrompue ou constante. En outre, le Règlement ne parle aucunement du fait de s'occuper des “ affaires courantes ” de l'entreprise mais dit seulement que les appelants doivent s'occuper personnellement de l'entreprise de façon continue. Ils ont prétendu de plus avoir toujours agi de bonne foi en se fiant aux renseignements fournis par d'autres propriétaires de véhicules de plaisance (basés sur les expériences de ces propriétaires), par des fiscalistes-conseils professionnels et par Revenu Canada lui-même.

[8] Les appelants ont avancé un argument intéressant, à savoir que Revenu Canada a agi à l'encontre de sa propre initiative en matière d'équité en sélectionnant au hasard des petites entreprises similaires pour les fins d'établissement de nouvelles cotisations. De nombreux clients ne feront donc pas l'objet de nouvelles cotisations et auront bénéficié de la totalité de la DPA pendant un certain nombre d'années parce que le délai pour l'établissement d'une nouvelle cotisation est écoulé dans leur cas. Les appelants affirment qu'une nouvelle cotisation a été établie seulement à l'endroit d'un échantillon aléatoire de 5 % des petites entreprises comparables à la leur et que, par conséquent, le fait d'établir une nouvelle cotisation dans le cas des appelants équivalait à un acte discriminatoire.

[9] Les appelants s'appuient sur l'“ Engagement envers l'équité ” de Revenu Canada, document récemment publié daté de février 1999. L'“ Engagement ” met en relief le dévouement de Revenu Canada envers l'équité et le ministère y prend des engagements à l'égard de l'exactitude et de la clarté des renseignements, de l'uniformité, de la souplesse, de la responsabilité en matière d'équité, de la rapidité du service, de l'impartialité et du soutien aux clients. Les appelants prétendent qu'aucun de ces critères ne serait respecté s'il était permis à Revenu Canada de faire impunément ce qu'il tente de faire en l'espèce. Ils ont soutenu que des comptables agréés, d'autres contribuables et même les fonctionnaires de Revenu Canada ont interprété le Règlement d'une certaine façon et qu'il serait inéquitable et contraire aux principes fondamentaux de Revenu Canada de lui permettre de modifier les règles maintenant.

[10] Les appelants ont demandé au tribunal de leur accorder l'exemption prévue au paragraphe 1100(17.3) et de leur permettre de réclamer toute la déduction pour amortissement à l'égard de leur véhicule de plaisance. Au cas où il serait jugé que Revenu Canada a interprété correctement le Règlement, les appelants ont demandé au tribunal, de manière subsidiaire, de déclarer que cette interprétation entre en vigueur le jour du jugement et non rétroactivement.

La position de l'intimée

[11] Tel qu'il est indiqué dans la réponse à l'avis d'appel, lorsque le ministre a établi la nouvelle cotisation, il s'est appuyé sur les hypothèses de fait suivantes :

[TRADUCTION]

a) aux époques pertinentes durant les années d'imposition 1994 et 1995, l'appelante et son conjoint étaient propriétaires d'un véhicule de plaisance qui était offert en location à des tiers (l'“ entreprise de location du véhicule de plaisance ”) par l'entremise de la société Candan RV Center (“ Candan ”);

b) aux époques pertinentes, Candan agissait comme société de gestion ou mandataire en ce qui concerne l'entreprise de location du véhicule de plaisance;

c) en contrepartie des services qu'elle rendait relativement à la gestion de la location du véhicule de plaisance, notamment la publicité, la négociation des contrats de location, l'assurance, l'entretien et l'entreposage, Candan demandait à l'appelante, comme honoraires de gestion (les “ honoraires de gestion ”), un pourcentage des revenus bruts tirés de la location du véhicule de plaisance;

d) les loyers pour le véhicule de plaisance étaient remis à Candan qui déduisait ses honoraires de gestion puis remettait le solde à l'appelante et à son conjoint;

e) le véhicule de plaisance était utilisé principalement pour gagner ou produire un revenu de location;

f) l'appelante et son conjoint participaient très peu aux affaires courantes de l'entreprise de location du véhicule de plaisance.

[12] L'intimée fait valoir que le véhicule de plaisance était un bien donné en location à bail visé aux paragraphes 1100(17) et 1100(17.2) du Règlement puisqu'il était principalement utilisé pour gagner ou produire un revenu de location. En outre, le paragraphe 1100(17.3) n'exclut pas le véhicule de plaisance de la définition de “ bien donné en location à bail ” puisqu'il n'était pas utilisé dans une entreprise exploitée par les appelants dont ils s'étaient occupés personnellement de façon continue tout au long des années d'imposition 1994 et 1995. Par conséquent, l'intimée prétend que le ministre a, à bon droit, limité la DPA dont les appelants pouvaient bénéficier dans les années d'imposition 1994 et 1995.

[13] Cette affaire se ramène à une question d'interprétation et à des questions de fait. Pour que le véhicule de plaisance ne soit pas considéré comme un “ bien donné en location à bail ” aux termes des paragraphes 1100(17) et (17.2) du Règlement, les appelants doivent avoir démontré, selon la prépondérance des probabilités d'après la preuve présentée à l'audience, qu'ils exploitaient une entreprise à l'égard de laquelle ils avaient une attente raisonnable de profit et qu'ils s'occupaient de façon continue de cette entreprise. D'après l'ensemble de la preuve, les appelants ne s'occupaient pas d'une entreprise de la manière prévue au paragraphe 1100(17.3). Les appelants utilisaient le véhicule de plaisance afin de gagner un revenu brut, soit un revenu de location. Le véhicule de plaisance était un bien donné en location à bail selon la définition figurant aux paragraphes 1100(17) et (17.2) du Règlement. Par conséquent, la DPA relative au véhicule de plaisance est assujettie à la restriction prévue au paragraphe 1100(15) du Règlement.

Analyse

[14] Le tribunal estime, compte tenu des actes de procédure, que les appelants ont mis l'accent sur la mauvaise question. Revenu Canada n'a pas modifié subitement son interprétation du Règlement. Malgré le fait qu'une bonne partie des décisions portent sur l'affrètement de yachts, le tribunal estime que la jurisprudence établit que Revenu Canada a toujours interprété le Règlement uniformément. La question n'est pas de savoir si le paragraphe 1100(17.3) du Règlement s'applique à la catégorie générale des véhicules de plaisance; la question est plutôt de savoir si, dans ce cas en particulier, les appelants satisfaisaient aux conditions établies dans le Règlement. La question à trancher est toujours celle de savoir si les appelants s'occupaient de l'entreprise de façon continue. Il s'agit d'une question de fait. Il incombait aux appelants d'établir que leur véhicule de plaisance n'était pas un “ bien donné en location à bail ” selon la définition figurant dans le Règlement et, s'ils réussissaient à faire cette preuve, le paragraphe 1100(15) du Règlement ne viendrait pas limiter leur DPA à l'égard du véhicule.

[15] En vertu de l'alinéa 20(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, le contribuable peut se prévaloir de la déduction pour amortissement dans le calcul du revenu qu'il tire d'une entreprise ou d'un bien pour autant que la déduction soit effectuée selon le Règlement. Si le bien est un “ bien donné en location à bail ”, le paragraphe 1100(15) du Règlement impose une restriction quant au montant de DPA que le contribuable peut réclamer dans le calcul de son revenu pour une année d'imposition. La DPA à l'égard d'un “ bien donné en location à bail ” du contribuable ne peut dépasser le total du revenu net de location que le contribuable a tiré de ce bien donné en location à bail et de tout autre bien qui serait un “ bien donné en location à bail ” s'il n'était pas exclu de cette catégorie par les paragraphes (18), (19) ou (20).

[16] Le paragraphe 1100(17) du Règlement définit ce qui constitue un bien donné en location à bail pour les fins de la présente espèce. Au paragraphe 1100(17), l'expression “ bien donné en location à bail ” exclut expressément les biens locatifs tels qu'ils sont définis au paragraphe 1100(14). Le paragraphe 1100(14) porte exclusivement sur les biens immeubles; par conséquent, le paragraphe 1100(17) est censé s'appliquer aux biens meubles amortissables et non aux biens immeubles. En d'autres mots, les véhicules de plaisance seraient des biens donnés en location à bail en vertu du paragraphe 1100(17) et le paragraphe 1100(14) ne s'y appliquerait pas. En résumé, donc, l'expression “ bien donné en location à bail ” est définie au paragraphe 1100(17) comme étant des biens amortissables, autres que des biens immeubles, que le contribuable utilise principalement pour gagner ou produire un revenu brut qui constitue un loyer ou un revenu de location. Aux termes du paragraphe 1100(17.2), constituent un loyer le revenu brut dérivé du droit d'une personne, à l'exclusion du propriétaire, d'utiliser le bien et le revenu brut dérivé de services offerts à une personne qui sont accessoires à l'utilisation du bien par la personne sont. Dans TaxPartner (CD-ROM) 1999 – Release 7, H. Stikeman explique les changements qui se sont produits par rapport au paragraphe 1100(17) de la façon suivante :

[TRADUCTION]

Pour les années d'imposition 1986 et suivantes, la définition de “ bien donné en location à bail ” en tant qu'elle s'applique à un bien acquis par un contribuable ou une société de personnes, se trouve en fait élargie par l'ajout du paragraphe 1100(17.2). La combinaison de ce paragraphe et du paragraphe 1100(14) donne effet aux propositions annoncées dans le budget de mai 1985, propositions dont l'objet était d'empêcher les particuliers de mettre à l'abri leurs autres revenus au moyen de pertes créées par la déduction pour amortissement à l'égard de biens, tels que yachts, véhicules de plaisance, hôtels et maisons de soins infirmiers, utilisés dans des entreprises qui offrent des services accompagnant l'utilisation de tels biens. Le revenu dérivé du droit d'une personne ou société de personnes (à l'exclusion du propriétaire du bien) d'utiliser ou d'occuper le bien, et le revenu dérivé de services offerts qui sont accessoires à une telle utilisation ou occupation, sont considérés comme des loyers.

[17] Le paragraphe 1100(17.3) prévoit une exception au paragraphe 1100(17.2). En d'autres mots, le paragraphe 1100(17.2) ne s'applique pas à un bien qui appartient à un particulier dans le cas où le bien serait utilisé dans une entreprise que le particulier exploite dans l'année et dont il s'occupe personnellement de façon continue. La même exception s'applique aux membres d'une société de personnes qui est propriétaire d'un bien. Dans le cas des appelants, pour que le paragraphe 1100(17.3) s'applique, M. et Mme Stephens, comme membres de la société “ W & S Stephens ” doivent s'occuper personnellement de l'entreprise de façon continue.

[18] Le paragraphe 7 du Bulletin d'interprétation IT-195R4 (Biens locatifs – Restrictions relatives à la déduction pour amortissement) nous éclaire peu sur la question de savoir si les appelants s'occupaient de l'entreprise d'une façon continue. La dernière partie du paragraphe est ainsi rédigée :

Quant à savoir si un particulier “ s'occupe personnellement de façon continue (de l'entreprise) tout au long de la partie de l'année où l'entreprise est habituellement exploitée ”, il s'agit là d'une question de fait. Pour le déterminer, on considérera la nature de l'entreprise et la participation du particulier dans les affaires courantes de cette entreprise. Par exemple, si l'entreprise consiste à exploiter une maison de repos, le simple fait que le particulier passe périodiquement en revue les résultats des actions posées dans le cadre de la marche courante de l'entreprise ou qu'il recommande, à l'occasion, la maison à des clients éventuels ne permet pas de déterminer qu'il “ s'occupe personnellement de façon continue (de l'entreprise) ”. Par contre, la restriction relative à la DPA ne s'appliquerait normalement pas si le particulier participait à temps plein aux décisions de gestion, à la prestation des services aux occupants, à l'embauche du personnel et à la recherche de clients.

[Même si ce Bulletin traite surtout des biens locatifs, son effet est pratiquement le même pour les biens donnés en location à bail.]

[19] Les appelants se sont appuyés sur la décision Evans v. R., [1987] 1 C.T.C. 316 et un dictionnaire (l'Oxford) pour prétendre que les mots employés dans le Règlement doivent être compris selon leur sens ordinaire. En conséquence, ils s'occupaient de l'entreprise de façon interrompue ou constante. Ils ont de plus fait valoir ce qui suit :

[TRADUCTION]

[Ils] ont continué d'être les propriétaires de l'entreprise, et d'être responsables de tous les aspects de l'entreprise et, comme propriétaires inscrits du véhicule de location, ils ont continué à assumer toute la responsabilité personnelle relative à l'exploitation de l'entreprise.

[20] Avancer l'argument ci-dessus est une chose mais le prouver en est une autre. Le fait d'affirmer qu'ils étaient propriétaires de l'entreprise ne veut pas dire que ce dont ils s'occupaient était une entreprise et cela ne veut pas dire non plus que, comme membres de la société de personnes, ils s'occupaient de l'entreprise d'une façon continue. Selon les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'est appuyé, Candan était responsable de tout, notamment — et ce n'est là qu'une chose parmi beaucoup d'autres — d'assurer le véhicule de plaisance. Que restait-il à faire pour les appelants ?

[21] Dans le cas des appelants, il semble y avoir très peu d'éléments de preuve établissant qu'ils s'occupaient le moindrement de la location de leur véhicule de plaisance. Il a été mentionné qu'ils téléphonaient à Candan une fois par mois pour obtenir une mise à jour. Quant à savoir ce qui était discuté lors de ces conversations téléphoniques, ce semble être un mystère. Le tribunal doute que ces appels soient suffisants pour qu'on puisse dire que les appelants s'occupaient de l'entreprise de façon continue. Téléphonaient-ils chaque mois? Est-ce le mari ou l'épouse qui appelait ou le faisaient-ils tous les deux? Indiquaient-ils à Candan ce qu'il fallait faire ou comment améliorer la situation? Ont-ils menacé de confier la location du véhicule de plaisance à un autre agent de location ?

[22] Compte tenu de ce qui précède, le tribunal rejette les appels.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour d'octobre 1999.

“ J.A. Brulé ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour de juin 2000.

Erich Klein, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.