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Date: 19990416

Dossier: 97-1794-UI

ENTRE :

HASSAN AMER,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

LE COFFRET CENTRE D'ORIENTATION ET DE FORMATION,

intervenante.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Charron, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu à Montréal (Québec) le 19 janvier 1999, dans le but de déterminer si l'appelant exerçait un emploi assurable, au sens de la Loi sur l'assurance-chômage (la « Loi » ) du 2 octobre au 19 décembre 1995, alors qu'il était au service de Le Coffret Centre D'Orientation et de Formation (le « payeur » ).

[2] Par lettre du 17 juillet 1997, l'intimé informa l'appelant que son emploi n'était pas assurable, car il n'était pas régi par un contrat de louage de services entre lui et le payeur.

Exposé des faits

[3] Les faits sur lesquels s'est fondé l'intimé pour rendre sa décision sont énoncés au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel comme suit :

« a) le payeur, organisme à but non lucratif, a trois mandats :

- aider les nouveaux arrivants à s'installer au Canada,

- régionaliser l'immigration et

- travailler à l'harmonisation des relations ethniques; (ignoré)

b) ses revenus proviennent de subventions gouvernementales; (ignoré)

c) l'appelant, citoyen du Burundi, est arrivé au Canada le 8 juillet 1994; (admis)

d) Citoyenneté et Immigration Canada lui a accordé le statut de réfugié; (admis)

e) des permis de travail ont été émis à l'appelant pour les périodes suivantes :

- du 29 septembre 1994 au 24 juin 1995,

- du 20 décembre 1995 au 20 décembre 1996 et du

- 24 octobre 1997 au 23 octobre 1998; (admis)

f) le payeur l'a engagé pour la période du 2 octobre 1995 au 29 mars 1996; (admis)

g) du 20 décembre 1995 au 29 mars 1996, il a travaillé en vertu d'un contrat de louage de services; (admis)

h) du 2 octobre 1995 au 19 décembre 1995, l'appelant n'avait de permis de travail valide. (ignoré) »

[4] L'appelant a reconnu la véracité de tous les alinéas du paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel, sauf ceux qu'il a niés ou déclaré ignorer, ainsi qu'il est indiqué entre parenthèses, à la fin de chaque alinéa.

Témoignage de Hassan Amer

[5] Citoyen du Burundi, l'appelant est arrivé au Canada le 8 juillet 1994, où le ministère de la Citoyenneté et Immigration lui a accordé le statut de réfugié. Le payeur a embauché l'appelant du 2 octobre 1995 au 29 mars 1996, comme en fait foi le relevé d'emploi de ce dernier. L'appelant était au courant que son permis de travail était expiré depuis le 24 juin 1995 et ce n'est que le 20 décembre que son permis de travail fut remis en vigueur. Donc, il n'avait aucun permis de travail valide du 2 octobre au 19 décembre 1995.

[6] Malgré un ordre du Ministre d'apporter avec lui tous les permis de travail qu'il a obtenus du 24 septembre 1994 au 23 décembre 1998, l'appelant a fait défaut d'obtempérer. C'est parce qu'il n'a pas fait la preuve qu'il était détenteur d'un permis de travail du 2 octobre au 19 décembre 1995, que l'intimé a déclaré que l'appelant ne travaillait pas en vertu d'un contrat valide, donc non-assurable.

Analyse des faits en regard de la Loi

Énoncé 1 : L'appelant n'avait pas de permis de travail en cours de validité entre le 2 octobre et le 19 décembre 1995

[7] L'appelant, citoyen du Burundi, est arrivé au Canada en juillet 1994 (R.A.A. par. 5c)). Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration du Canada a notamment émis à l'appelant des permis de travail pour les périodes suivantes :

du 29 septembre 1994 au 24 juin 1995;

du 20 décembre 1995 au 20 décembre 1996 (R.A.A., par. 5e)).

[8] Du 25 juin 1995 au 19 décembre 1995, l'appelant ne détenait pas un permis de travail en cours de validité (R.A.A., par. 5h)).

Énoncé 2 : L'appelant a occupé un emploi chez Le Coffret, Centre d'Orientation et de Formation (ci-après le « payeur » ) pendant la période en litige

[9] L'appelant a travaillé au Coffret, Centre d'Orientation et de Formation du 2 octobre 1995 au 29 mars 1996 (R.A.A., par. 5h) et relevé d'emploi).

Énoncé 3 : L'appelant, en tant que personne non citoyenne canadienne et non résidente permanente devait, pour prendre et conserver un emploi au Canada, détenir un permis de travail en cours de validité

[10] L'article 18 du Règlement sur l'immigration de 1978 se lit ainsi :

« 18. (1) Sous réserve des paragraphes 19(1) à (2.2), il est interdit à quiconque, à l'exception d'un citoyen canadien ou d'un résident permanent, de prendre ou de conserver un emploi au Canada sans une autorisation d'emploi en cours de validité.

18. (2) Une personne titulaire d'une autorisation d'emploi en cours de validité ne peut conserver un emploi au Canada que si elle respecte toutes les conditions du permis. »

Énoncé 4 : L'appelant savait ou aurait dû savoir qu'un permis de travail en cours de validité lui était nécessaire pour prendre et conserver un emploi au Canada

[11] La question de savoir si l'appelant savait ou aurait dû savoir qu'un permis de travail en cours de validité lui était nécessaire pour prendre et conserver un emploi au Canada est importante, en common law, afin de déterminer si un contrat d'emploi interdit par une loi est nul dans le contexte d'un litige en assurance-chômage. En vertu de la théorie de l'illégalité en common law, une personne non citoyenne canadienne et non résidente permanente qui séjourne légalement au Canada et qui, de bonne foi, occupe un emploi au Canada ne doit pas être privé du droit d'obtenir des prestations d'assurance-chômage en raison de l'illégalité de cet emploi. Dans ce contexte, la Cour donnera effet au contrat de travail et conséquemment l'emploi sera déclaré assurable aux fins de la Loi sur l'assurance-chômage.

[12] Ce principe a été édicté par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Still c. M.R.N., en novembre 1997 (1998) 1 C.F. 549 (C.A.F.). Mme Still a immigré au Canada (Ontario) et a demandé le statut de résidente permanente. Le 22 septembre 1991, des fonctionnaires du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration du Canada lui ont délivré le document suivant :

« [TRADUCTION] Les présentes attestent que, concernant la personne nommée ci-dessous, une recommandation a été envoyée au gouverneur en conseil du Canada pour l'octroi d'une dispense en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration.

KATHLEEN STILL

En attendant l'approbation du gouverneur en conseil et pourvu qu'il soit satisfait à toutes les autres exigences, la personne susnommée se verra accorder le statut de résident permanent du Canada. »

[13] Mme Still a compris que ce document lui donnait à ce moment-là, et sans aucune autre démarche de sa part, le droit de travailler au Canada.

[14] En l'espèce, l'appelant savait ou aurait dû savoir qu'un permis de travail en cours de validité lui était nécessaire pour prendre et conserver un emploi au Canada. Tout comme dans l'affaire Polat c. M.R.N. (4 décembre 1997, A-31-97 (C.A.F.) et 96-402(UI) (C.C.I.), 17 mars 1998), l'appelant avait déjà obtenu dans le passé un permis de travail (période du 29 septembre 1994 au 24 juin 1995). L'obtention d'un premier permis de travail est significative parce que cela indique que l'appelant savait qu'à son expiration qu'il devrait en obtenir un nouveau avant de prendre ou conserver un emploi.

[15] Au surplus, l'intimé soumet que la question de la bonne ou de la mauvaise foi n'est pas pertinente, en droit civil québécois, afin de déterminer si un contrat d'emploi interdit par une loi est nul dans le contexte d'un litige en assurance-chômage. Dans l'affaire Still (supra), la Cour d'appel fédérale donnait cet avertissement : « nous ne saurions perdre de vue le fait que les affaires émanant du Québec doivent être tranchées en vertu des dispositions relatives à l'illégalité qui figurent au Code civil du Québec » .

[16] Les dispositions pertinentes du Code civil sont les suivantes :

« 1412 C.c.Q. L'objet du contrat est l'opération juridique envisagée par les parties au moment de sa conclusion, telle qu'elle ressort de l'ensemble des droits et obligations que le contrat fait naître.

1413 C.c.Q. Est nul le contrat dont l'objet est prohibé par la loi ou contraire à l'ordre public.

1417 C.c.Q. La nullité est absolue lorsque la condition de formation qu'elle sanctionne s'impose pour la protection de l'intérêt général.

1418 C.c.Q. La nullité absolue d'un contrat peut être invoquée par toute personne qui y a un intérêt né et actuel; le tribunal la soulève d'office.

Le contrat frappé de nullité absolue n'est pas susceptible de confirmation.

1422 C.c.Q. Le contrat frappé de nullité est réputé n'avoir jamais existé.

Chacune des parties est, dans ce cas, tenue de restituer à l'autre les prestations qu'elle a reçues. »

[17] L'une des conditions essentielles de la validité d'un contrat est l'existence d'un objet qui ne soit pas prohibé par la loi ou contraire à l'ordre public. Le Code civil reconnaît qu'un contrat dont l'objet est prohibé par la loi ou contraire à l'ordre public est nul et sans effet. Il prévoit explicitement que la nullité du contrat est absolue lorsque la condition de formation qu'elle sanctionne s'impose pour la protection de l'intérêt général et ajoute que le contrat frappé de nullité absolue n'est pas susceptible de confirmation.

[18] Le juge Jean-Louis Beaudouin dans son livre Les Obligations énonce que « l'illicéité de l'objet est sanctionnée par une nullité absolue, puisque l'ordre public est en jeu » . Dans l'affaire Saravia c. 101482 Canada inc. [1987] R.J.Q. 2658 (C.P.), la Cour provinciale a statué dans ce sens : « The Immigration Act 1976 is a statute of public order, and a contract, knowingly or not, made in breach of one or many of its sections will be void and null » .

[19] La Loi sur l'immigration est une loi d'ordre public qui vise la protection de l'intérêt général. Elle vise à réglementer qui peut entrer et demeurer au Canada. Parmi les objectifs énoncés à l'article 3 de la Loi sur l'immigration, on retrouve : « maintenir et garantir la santé, la sécurité et l'ordre public au Canada » .

[20] Donc en vertu du droit civil en vigueur au Québec, le contrat de travail conclu, de bonne ou de mauvaise foi, par une personne non citoyenne canadienne et non résidente permanente qui ne détient pas de permis de travail valide est nul et sans effet. (Saad c. M.R.N. (9 juillet 1997) Ottawa 96-1719(UI) (C.C.I.) et Kante c. M.R.N. (23 mai 1997) Ottawa 94-1056 et 95-1153 (UI) (C.P.I.))

Énoncé 5 : Le contrat conclu entre l'appelant et le payeur pour la période en litige est nul

[21] Que ce soit en vertu du principe de common law édicté dans l'affaire Still (supra) et à son application dans l'affaire Polat (supra) ou en vertu du Code civil du Québec, le contrat de travail conclu entre l'appelant et le payeur pour la période en litige est nul.

[22] En effet, il incombe à l'appelant de faire la preuve qu'il était détenteur d'un permis de travail valide et ne l'a pas fait.

[23] En conséquence, l'appel est rejeté et la décision de l'intimé est confirmée.

Signé à Ottawa, Canada ce 16e jour d'avril 1999.

« G. Charron »

J.S.C.C.I.

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