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Date: 19980831

Dossier: 97-10-IT-G

ENTRE :

PETER J. DUNLAP,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Sarchuk, C.C.I.

[1] Ces appels de Peter J. Dunlap (l' « appelant » ) sont interjetés à l'encontre de cotisations d'impôt pour les années d'imposition 1992 et 1993. D'un commun accord, les parties ont déposé un exposé conjoint des faits partiel. Ce document se lit comme suit :

[TRADUCTION]

1. Durant chacune des années d'imposition 1992 et 1993, Peter J. Dunlap (l' « appelant » ) était un employé de la Modern Mechanical Inc. (l' « employeur » ).

2. Au cours de chacune des années d'imposition 1992 et 1993, l'employeur a donné une réception à Noël pour ses employés. Chaque employé pouvait avoir un invité à la réception. La réception de Noël 92 s'est tenue au Centre des congrès d'Ottawa. Celle de Noël 93 s'est tenue à l'hôtel Westin.

3. Au cours de chacune des années d'imposition 1992 et 1993, l'appelant est allé avec une invitée à la réception de Noël donnée par l'employeur.

4. Pour chacune des années d'imposition 1992 et 1993, la réception de Noël comprenait les éléments suivants : souper et bar ouvert et hébergement à l'hôtel Westin. L'appelant et son invitée ont pris part au souper, ont consommé les boissons alcoolisées et autres et ont profité des agréments liés aux réceptions de Noël. L'appelant et son invitée ont en outre dormi à l'hôtel Westin. Toutes ces dépenses — souper, boissons alcoolisées et autres agréments liés à ladite réception et chambre d'hôtel — ont été prises en charge par l'employeur, sans aucuns frais pour l'appelant.

5. Pour chacune des années d'imposition 1992 et 1993, l'employeur a déduit de son revenu le coût total des réceptions de Noël. Il a déduit 23 632,33 $ pour 1992 et 22 522,53 $ pour 1993 relativement aux réceptions de Noël.

6. L'employeur n'a pas attribué d'avantage imposable à l'appelant pour les années d'imposition 1992 et 1993 concernant le fait que l'appelant et son invitée avaient pris part au souper, qu'ils avaient consommé les boissons alcoolisées et autres, qu'ils avaient profité d'autres agréments et qu'ils avaient dormi à l'hôtel Westin.

7. Dans des avis de nouvelle cotisation pour chacune des années d'imposition 1992 et 1993, le ministre du Revenu national a augmenté le revenu imposable de l'appelant de 302 $ et de 278 $ respectivement, en vertu de l'alinéa 6(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le ministre considérait que ces sommes représentaient l'avantage imposable correspondant au fait que l'appelant et son invitée étaient allés aux réceptions de Noël, c'est-à-dire qu'ils avaient pris part au souper, qu'ils avaient consommé les boissons alcoolisées et autres, qu'ils avaient profité d'autres agréments, mentionnés ci-devant, et qu'ils avaient dormi à l'hôtel Westin.

8. Les sommes fixées comme représentant des avantages imposables ont été calculées sur la base suivante :

9. Pour chacune des années d'imposition 1992 et 1993, le Centre des congrès d'Ottawa et l'hôtel Westin avaient fixé d'avance un prix pour le repas proprement dit, pour les boissons alcoolisées et autres et pour les autres agréments liés auxdites réceptions de Noël. Le ministre a vérifié chaque prix point par point, ainsi que le coût effectif de la chambre d'hôtel, selon les factures du Centre des congrès d'Ottawa et de l'hôtel Westin; voir les sections 7 et 8 du recueil de documents de l'intimée et les annexes I et II du présent document.

Avantage imposable — souper

10. Pour chacune des années d'imposition 1992 et 1993, le ministre a imposé l'appelant relativement au coût effectif du souper (repas) et aux frais connexes demandés par personne par le Centre des congrès d'Ottawa et l'hôtel Westin, pour l'appelant et son invitée, y compris les pourboires y afférents (selon l'annexe I et l'annexe II du présent document).

Avantage imposable — boissons alcoolisées et autres et agréments connexes

11. Pour chacune des années d'imposition 1992 et 1993, concernant les boissons alcoolisées et autres et concernant les autres agréments, le ministre a calculé le coût total du bar, des autres agréments et des pourboires, a divisé ce coût par le nombre total de repas (invités) servis et est arrivé à un coût moyen par convive (y compris l'appelant et son invitée). Pour chacune des années d'imposition 1992 et 1993, l'appelant s'est vu fixer dans la cotisation une somme représentant ledit coût moyen pour lui et son invitée.

Avantage imposable — hôtel

12. Pour chacune des années d'imposition 1992 et 1993, l'appelant a été imposé au titre du coût de la chambre d'hôtel pour lui et son invitée.

13. Le coût total (avantage imposable) fixé à l'appelant pour l'année d'imposition 1992 a été de 195,17 $ concernant la réception et de 106,96 $ concernant la chambre (hébergement) de l'hôtel Westin (voir l'annexe I).

14. Le coût total (avantage imposable) fixé à l'appelant pour l'année d'imposition 1993 a été de 181,94 $ concernant la réception et de 95,81 $ concernant la chambre (hébergement) de l'hôtel Westin (voir l'annexe II).

15. L'appelant ne conteste pas le mode de calcul du ministre en ce qui a trait au montant fixé pour la nourriture et les pourboires connexes. Il ne formule aucune objection quant au calcul des frais d'hôtel effectué par le ministre. Par contre, il n'est pas d'accord sur le mode de calcul du ministre concernant les frais de bar et les pourboires y afférents.

Point en litige

16. La principale question en l'espèce est de savoir si les montants indiqués au paragraphe 7 représentent des avantages imposables devant être inclus dans le revenu de l'appelant en vertu de l'alinéa 6(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

17. Les parties se réservent le droit de présenter à la Cour des faits supplémentaires n'allant pas à l'encontre des faits énoncés aux présentes, et chacune des parties se réserve le droit de présenter des éléments de preuve supplémentaires nécessaires pour prouver ces faits[1].

Des éléments de preuve supplémentaires ont été présentés par l'appelant et par John McAninch, soit le directeur général de l'employeur.

Thèse de l'appelant

[2] L'appelant soutient que, dans les circonstances de l'espèce, il n'a reçu aucun avantage économique du fait d'avoir pris part aux réceptions de Noël que l'employeur donnait pour ses employés, car il n'en a tiré aucun gain économique. Comme l'avoir net de l'appelant n'a pas été augmenté du fait de la dépense effectuée par l'employeur, l'appelant n'a pas reçu d'avantage imposable aux fins de l'alinéa 6(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ). L'avocat de l'appelant soutient que cette conclusion est conforme à l'intention du législateur qui est sous-jacente à la disposition pertinente. À l'appui de cette proposition, il a renvoyé aux décisions rendues dans les affaires La Reine c. Savage, Canada c. Hoefele et Pezzelato v. The Queen[2].

[3] L'appelant fait en outre valoir que l'examen de bulletins d'interprétation de Revenu Canada en matière d'avantages sociaux accordés à des employés amène à conclure que l'alinéa 6(1)a) de la Loi ne vise pas des sommes payées par un employeur au titre d'une réception de Noël pour le personnel[3].

[4] L'appelant soutient en outre que l'inclusion du montant de la dépense relative à sa chambre d'hôtel comme avantage imposable va à l'encontre de considérations d'intérêt public, car l'employeur avait le devoir de veiller à ce que ses employés, y compris l'appelant, ne courent pas le risque de prendre leur voiture après la réception pour rentrer chez eux alors qu'ils étaient sous l'influence de l'alcool. Il est argué que l'inclusion de tels montants dans le revenu de l'employé serait contraire aux considérations d'intérêt public énoncées dans le bulletin d'interprétation IT-470R, qui dit que Revenu Canada n'inclut pas dans le revenu d'un contribuable des avantages correspondant au coût de services comme des services de conseils sur l'usage du tabac, des drogues ou de l'alcool, sur la gestion du stress, etc. Ainsi, traiter les frais de chambre d'hôtel de la même manière est également une question d'intérêt public.

Conclusion

[5] La disposition législative pertinente est l'alinéa 6(1)a) de la Loi, qui se lit comme suit :

6(1) Sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, ceux des éléments suivants qui sont applicables :

a) la valeur de la pension, du logement et autres avantages quelconques qu'il a reçus ou dont il a joui au cours de l'année au titre, dans l'occupation ou en vertu d'une charge ou d'un emploi, à l'exception des avantages suivants :

[...]

Les exigences qui sont énoncées dans cet alinéa et auxquelles il doit être satisfait avant qu'un montant puisse être inclus comme revenu d'emploi sont les suivantes. Premièrement, le montant doit correspondre à des « avantages quelconques » accordés à l'employé. Deuxièmement, il doit s'agir d'avantages que le contribuable « a reçus ou dont il a joui » ; troisièmement, il faut que ce soit des avantages que le contribuable a reçus ou dont il a joui « au titre, dans l'occupation ou en vertu [...] d'un emploi » . Seule la première exigence est en cause dans la présente espèce.

[6] Il convient de réexaminer ce que le juge Dickson (titre qu'il portait alors) disait dans l'arrêt La Reine c. Savage[4] concernant le sens des termes « avantages de quelque nature que ce soit » qui étaient à cette époque utilisés dans la version française de l'alinéa 6(1)a) de la Loi (qui parle aujourd'hui d' « avantages quelconques » ) :

[...] Notre loi renferme la stipulation « avantages de quelque nature que ce soit... au titre, dans l'occupation ou en vertu de la charge ou de l'emploi » , qui ne se trouve pas dans les lois anglaises mentionnées. Les mots « avantages de quelque nature que ce soit » ont nettement un sens très large; en l'espèce, le paiement de la somme de 300 $ tombe facilement dans la catégorie des « avantages » . De plus, notre loi parle d'un avantage « au titre » de la charge ou de l'emploi. Dans l'arrêt Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, cette Cour affirme ce qui suit, à la p. 39: [... Dans cet arrêt, il est question de la Loi sur les Indiens où l'expression « in respect of » est rendue par « quant à » .]

À mon avis, les mots « quant à » ont la portée la plus large possible. Ils signifient, entre autres, « concernant » , « relativement à » ou « par rapport à » . Parmi toutes les expressions qui servent à exprimer un lien quelconque entre deux sujets connexes, c'est probablement l'expression « quant à » qui a la portée la plus large.

Le juge Dickson citait en outre avec approbation des observations formulées par le juge Evans, de la Cour d'appel de l'Ontario, au sujet d'avantages qu'un contribuable a reçus ou dont il a joui au titre, dans l'occupation ou en vertu d'une charge ou d'un emploi. Je reproduis ici l'intégralité de ces observations[5] :

[TRADUCTION]

Je suis d'avis que, dans le calcul du revenu, il n'y a aucune différence entre une somme d'argent et une valeur correspondant à une somme d'argent. Il s'agit dans les deux cas d'avantages qui entrent dans le cadre du libellé des articles 3 et 5 de la Loi, soit des avantages que la partie intimée a reçus ou dont elle a joui au titre, dans l'occupation ou en vertu de sa charge ou de son emploi. Je ne crois pas que ces termes ne visent que les avantages liés à la charge ou à l'emploi en ce sens qu'ils représentent une forme de rémunération pour des services rendus. S'il s'agit d'une acquisition importante qui confère au contribuable un avantage économique et qui ne fait pas l'objet d'une exemption comme, par exemple, un prêt ou un cadeau, elle est alors visée par la définition compréhensive de l'art. 3.

(Les caractères gras sont de moi.)

[7] À l'appui de la thèse de l'appelant, l'avocat de ce dernier insistait particulièrement sur les propos suivants tenus par le juge Linden dans l'affaire Canada c. Hoefele[6]au sujet de la décision rendue par la Cour suprême dans l'affaire La Reine c. Savage :

Par conséquent, selon la Cour suprême, pour qu'elle soit imposable à titre d' « avantage » , une rentrée doit conférer un avantage économique. En d'autres termes, pour qu'elle soit imposable, la rentrée doit avoir pour effet d'augmenter la valeur nette du patrimoine du bénéficiaire. À l'inverse, la rentrée qui n'augmente pas celle-ci n'est pas un avantage et n'est pas imposable. [...]

[...]

[...] Comme je le mentionne précédemment, quatre des cinq juges de la Cour canadienne de l'impôt appelés à statuer dans les cinq affaires dont la Cour est saisie ont tranché que l'aide au paiement de l'intérêt hypothécaire ne constituait pas un avantage imposable. La principale raison en est que le programme en cause n'a pas eu pour effet d'accroître la valeur nette réelle de la résidence pour le débiteur hypothécaire. Les contribuables n'ont réalisé aucun gain financier en raison de l'aide. La valeur nette de leur patrimoine ne s'est pas accrue. Ainsi, une exigence fondamentale de l'alinéa 6(1)a) n'est pas respectée. En l'absence d'un gain financier, la rentrée ne devrait pas être imposée. [...]

(Les italiques sont de l'avocat de l'appelant.)

Se fondant sur ces propos et sur des propos semblables tenus par le juge Bowman, de la C.C.I., dans l'affaire Pezzelato v. The Queen[7], l'avocat soutenait que l'appelant en l'espèce n'était pas économiquement en meilleure posture qu'il l'aurait été sans les sommes correspondant aux frais liés à un emploi qui sont l'objet de la cotisation. Ainsi, les sommes en cause n'auraient pas dû être incluses dans le revenu de l'appelant comme avantages imposables en vertu de l'alinéa 6(1)a) de la Loi.

[8] En toute déférence, je ne puis accepter cette conclusion comme étant appropriée vu les faits dont j'ai été saisi. L'alinéa 6(1)a) de la Loi vise à assujettir à l'impôt des avantages quelconques provenant d'un emploi, c'est-à-dire les sommes correspondant aux dépenses engagées pour accorder de tels avantages[8]. Manifestement, l'intention sous-jacente à cette disposition est que soient inclus dans le revenu imposable d'un contribuable les avantages économiques qui proviennent de son emploi et qui augmentent la valeur de son emploi. Tel était le cas en l'espèce.

[9] Dans le jugement The Queen v. Blanchard[9], la Cour faisait remarquer que la « première [locution], « avantages de quelque nature que ce soit » , est claire et sans ambiguïté : on doit inclure toutes les formes imaginables d'avantages » . La Cour poursuivait en disant :

L'alinéa 6(1)(a) laisse très peu de place aux exceptions. Cependant, quelques-unes de celles-ci ont fait irruption dans la jurisprudence. Premièrement, les remboursements effectués par l'employeur à son employé, pour les dépenses faites par ce dernier ne sont pas imposables. Ces remboursements ne constituent pas des avantages. Ils n'ajoutent rien au pécule du contribuable, mais lui évitent simplement de payer de sa poche. En d'autres mots, ils ne constituent que des paiements issus d'une opération totalisant une somme nulle. Dans l'arrêt Splane v. The Queen, le juge Cullen, au nom de la majorité, a déclaré ce qui suit :

Ce dernier [le demandeur] est déménagé à la demande de son employeur, a engagé certaines dépenses lors du déménagement et a subi une perte. Le remboursement de ses dépenses ne peut pas être considéré comme étant un acte qui confère un avantage au sens de la Loi. On a tout simplement rétabli le demandeur dans la situation économique dans laquelle il se trouvait avant d'accepter d'aider son employeur en déménageant au bureau d'Edmonton.

Les remboursements pour les dépenses réellement engagées ne sont donc pas visées par l'alinéa 6(1)(a).[[10]]

Deuxièmement, l'avantage qui est entièrement « étranger » ou « accessoire » à l'emploi d'un particulier, c'est-à-dire l'avantage reçu uniquement « à titre personnel » , peut ne pas être visé par l'alinéa 6(1)(a). Cette exception ne s'applique que dans très peu de cas et ne peut être invoquée que lorsqu'il n'y a aucun lien ni rapport avec la relation employeur-employé.[[11]]

[10] Dans la présente espèce, l'avantage n'entre pas dans le cadre de l'une ou l'autre de ces deux exceptions. Plus particulièrement, on ne peut dire de cet avantage qu'il a évité au contribuable « de payer de sa poche » ou que c'était un simple remboursement de frais engagés par l'appelant par suite de son emploi. On ne peut dire non plus de cet avantage qu'il était « étranger » ou « accessoire » à l'emploi de l'appelant. Le fait de donner les réceptions représentait une décision consciente que l'employeur avait prise pour récompenser ses employés et qui répondait au besoin que les deux parties avaient de nourrir de bonnes relations employeur-employés. Le fait que l'employeur ait unilatéralement décidé de cet avantage ne lui enlève pas son caractère essentiel, c'est-à-dire qu'il s'agit d'un avantage, et d'un avantage important, dont l'appelant a joui. Qu'on en ait ou non décidé unilatéralement ne change rien au fait qu'il s'agit d'un avantage[12].

[11] Comme le faisait remarquer le juge Linden dans l'affaire Canada c. Hoefele[13] :

Notre régime fiscal ne prévoit pas l'imposition de chaque dollar touché par le contribuable. Pour qu'une rentrée soit imposable, elle doit être assimilée à un revenu ou à un « avantage » . Il est vrai que toute somme versée à l'employé est un « avantage » , car ce dernier se trouve alors dans une situation meilleure que s'il n'avait touché aucune somme. Cependant, la question de savoir si, légalement, il s'agit d'un « avantage » au sens de l'alinéa 6(1)a) est une toute autre affaire dont l'issue dépend des faits de chaque cas.

(Les caractères gras sont de moi.)

Je reconnais que le mot « avantage » peut être interprété de façon à ne pas inclure une tasse de café et que, pour qu'un avantage soit digne d'être mesuré, il doit s'agir d'un avantage économique substantiel. L'avantage en cause dans la présente espèce ne peut être assimilé à une tasse de café ou à un repas gratuit occasionnel. Il représentait une autre façon dont cet employeur avait choisi de reconnaître et de rétribuer ses employés pour leurs fidèles services. Ce n'était pas un avantage banal ne répondant pas aux dispositions de l'alinéa 6(1)a) de la Loi.

[12] L'appelant soutenait en outre que, lorsqu'une disposition comme l'alinéa 6(1)a) de la Loi est vague, il convient de se reporter à des bulletins d'interprétation de Revenu Canada. L'avocat de l'appelant invoquait à cet égard des propos tenus par la Cour suprême du Canada, à savoir que « l'interprétation administrative [...] a une valeur certaine et, en cas de doute sur le sens de la législation, devient un facteur important » [14]. Cela est vrai, mais, vu la décision rendue par la Cour suprême dans l'affaire La Reine c. Savage et vu les décisions rendues par la Cour fédérale dans les affaires Canada c. Hoefele et The Queen v. Blanchard[15], il est difficile de conclure à l'existence d'un doute sur le sens de la loi en cause. Dans l'affaire Stevens v. M.N.R.[16],le juge Mogan faisait remarquer ceci :

Deuxièmement, un bulletin d'interprétation n'est qu'un énoncé de politique. Si je dois choisir entre maintenir une cotisation établie par l'application du sens ordinaire de la Loi de l'impôt sur le revenu à un ensemble donné de faits et rejeter la même cotisation parce qu'elle entre en conflit avec le sens ordinaire d'un bulletin d'interprétation publié, le choix est évident. Je dois maintenir la cotisation car elle est fondée sur la loi, alors qu'un bulletin d'interprétation n'est qu'un énoncé de politique fréquemment fondé sur des considérations de commodité administrative ou sur ce qui est pratique dans un secteur particulier d'activités commerciales. [...]

Troisièmement, rien n'empêche l'intimé d'établir des cotisations sans suivre les bulletins d'interprétation qu'il a publiés. Le principal but des bulletins d'interprétation est d'informer le public des politiques que l'intimé a adoptées pour faciliter l'application d'une loi aussi vaste et complexe que la Loi de l'impôt sur le revenu. [...] Lorsque l'intimé conclut qu'un employé a reçu un avantage appréciable au titre de son emploi, et que la valeur de cet avantage est relativement facile à déterminer, il n'a d'autre choix que d'appliquer l'alinéa 6(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, quoi que puisse dire un bulletin d'interprétation publié. À mon avis, le principe qui a été retenu dans l'affaire Harel v. Deputy Minister of Revenue for Quebec, 77 DTC 5438, à la page 5442, ne peut s'appliquer que lorsqu'il y a incertitude sur le sens de la loi. [...]

(Les caractères gras sont de moi)

Ces observations s'appliquent également aux appels considérés en l'espèce.

Argument de l'intérêt public

[13] La proposition avancée par l'avocat de l'appelant est que, si le coût de la chambre d'hôtel de l'appelant représente un « avantage » au sens de l'alinéa 6(1)a) de la Loi, le montant en cause ne devrait pas être inclus dans le revenu de l'appelant aux fins de l'impôt pour les mêmes raisons d'intérêt public que celles qui sous-tendent le paragraphe 46 du bulletin d'interprétation IT-470R, en vertu duquel les employeurs sont encouragés à offrir des services de conseils et en vertu duquel les employés ne sont pas dissuadés, par l'inclusion des coûts de ces programmes dans leur revenu, de chercher à obtenir de tels conseils.

[14] Dans l'affaire Neeb v. Canada[17], le juge Bowman disait :

L'intérêt public n'est pas défini. Il s'agit d'une notion plutôt élastique et la détermination de ce qui est contraire à l'intérêt public est en partie subjective. Comme le juge Burroughs l'a dit dans le jugement Richardson v. Mellish, (1824) 2 Bing. 229, D.C., à la page 252 :

[TRADUCTION]

[...] il s'agit d'une notion fort confuse et une fois qu'on l'invoque, on n'a aucune idée de ce qu'il adviendra. Elle peut nous éloigner de ce qui est fondé en droit. Cette notion n'est invoquée que lorsque les autres arguments sont rejetés.

Je suis tout à fait d'accord, mais cette notion fait néanmoins partie de notre droit et elle devrait être invoquée dans les cas appropriés, malgré son caractère vague et le degré de subjectivité qu'elle comporte.

Par contraste avec ce qu'il en était dans l'affaire Neeb, il serait totalement inapproprié dans les circonstances de l'espèce d'invoquer l' « intérêt public » comme fondement permettant de nier l'intention claire indiquée par le législateur à l'alinéa 6(1)a). Les prétendues concessions du bulletin d'interprétation citées par l'avocat de l'appelant ne sont pas étayées par la Loi, et l'on ne saurait permettre qu'elles déterminent l'issue d'un appel. Une telle décision serait carrément contraire aux objectifs d'intérêt économique exprimés par le législateur dans cette disposition législative. Il est également à noter que je ne voudrais pas que soit assimilée à une question d' « intérêt public » une approche administrative adoptée par le ministre du Revenu national (et qui s'oppose à une disposition législative claire).

Avantage imposable — frais de bar et pourboires

[15] La dernière question à trancher tient au caractère approprié et exact du mode de calcul du ministre concernant les frais de bar et les pourboires y afférents. Les parties ont convenu que, pour chacune des années d'imposition 1992 et 1993, le ministre avait calculé le coût total du bar, des autres agréments et des pourboires et qu'il avait divisé ce coût par le nombre total de repas (invités) servis, arrivant ainsi à un coût moyen par convive. Pour chacune des années d'imposition 1992 et 1993, l'appelant s'est vu fixer dans la cotisation une somme représentant ledit coût moyen pour lui et son invitée.

[16] L'appelant a déclaré dans son témoignage qu'il était incapable d'estimer la valeur de sa part des frais de bar et des pourboires. À cet égard, la Cour ne saurait faire droit à ses appels sur ce point. De plus, je suis convaincu que, lorsque le ministre utilise un mécanisme d'établissement de la moyenne raisonnablement approprié aux circonstances, cela devrait généralement être acceptable, à moins que la partie appelante n'établisse selon la prépondérance des probabilités que ce mécanisme était inexact ou impropre par rapport à ce contribuable ou qu'elle établisse qu'un autre mécanisme ou formule est plus raisonnable. Cela n'a pas été fait en l'espèce.

[17] Les appels sont rejetés, avec frais, soit des frais devant être taxés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour d'août 1998.

« A. A. Sarchuk »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 29e jour de mars 1999.

Mario Lagacé, réviseur



[1]           Pièce A-1. Les calculs relatifs aux avantages imposables pour chacune des années d'imposition 1992 et 1993 étaient joints à cette pièce, aux annexes I et II. Ils ne sont pas reproduits dans les présents motifs.

[2]           [1983] 2 R.C.S. 428, à la page 441, [1996] 1 C.F. 322, aux pages 330, 334 et 335, et 96 DTC 1285, à la page 1289, respectivement.

[3]           L'avocat de l'appelant a expressément renvoyé aux paragraphes 4, 9 et 28 du bulletin IT-470R, au paragraphe 3 du bulletin IT-297R2 et au paragraphe 9 du bulletin IT-518R.

[4]           Précité, à la page 440.

[5]           The Queen v. Poynton (C.S. de l'Ont.), [1972] C.T.C. 411, aux pages 419 et 420.

[6]           Précité, à la page 330 et à la page 335.

[7]           Précité.

[8]           Waffle v. M.N.R., 69 DTC 5007, à la page 5011; The Queen v. Poynton, précité, à la page 419.

[9]           95 DTC 5479, à la page 5480.

[10]          Tel est le raisonnement qui a été appliqué dans les jugements suivants : Hoefele,précité, et Shoveller v. M.N.R., 84 DTC 1195; Huffman v. The Queen, 89 DTC 5006, conf. par 90 DTC 6405; Ransom v. M.N.R., 67 DTC 5235; Splane v. Canada, 90 DTC 6442, conf. par 92 DTC 6021 (C.A.F.).

[11]          Voir par exemple les jugements suivants : McNeill v. The Queen, 86 DTC 6477; The Queen v. Phillips, 94 DTC 6177, à la page 6180.

[12]          Juge Philp, Michael Adams v. Comark Inc., 92 5 W.W.R. 306, à la page 311.

[13]          Précité, à la page 334.

[14]          Harel c. Sous-ministre du Revenu (Québec), [1978] 1 R.C.S. 851, à la page 859.

[15]          Précité.

[16]          93 DTC 291, à la page 295; voir aussi l'arrêt The Queen v. Lachance, 94 DTC 6360 (C.A.F.).

[17]          [1997] A.C.I. no 13 (94-260(IT)G).

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