Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19990520

Dossier : 98-478-IT-I

ENTRE :

MARY LOUISE STEPHENS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I

[1] L’appelante a fait l’objet de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 1992 et 1993 rejetant la prétention qu’elle a le droit de tenir compte des pertes très considérables que lui ont causé un bien locatif, dans le calcul de son revenu pour les années en cause conformément à l’article 3 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi). Elle soutient que sa maison, sise au 417, avenue Mortimer, à East York, (la maison Mortimer), constituait une source de revenu, et que ses pertes devraient être incluses dans le calcul de son revenu. Elle a interjeté appel contre les nouvelles cotisations. Le ministre du Revenu national (le ministre) est d’avis que pendant les années concernées, l’appelante n’avait aucune attente raisonnable de tirer un profit de la maison en cause, et que, par conséquent, elle ne constituait pas une source de revenu, de sorte qu’il ne peut pas être tenu compte des pertes qu’elle a causées.

[2] Le droit en la matière est bien établi. Je dois étudier tous les faits que révèle la preuve, et appliquer les critères établis pour déterminer s’il y avait ou non attente raisonnable de profit. S’il y avait attente, l’appelante doit alors avoir gain de cause. Dans le cas contraire, ses appels doivent être rejetés. Le procureur général a fait valoir dans la réponse que les dépenses de l’appelante relatives au bien locatif n’étaient pas raisonnables et qu’elles, ou pour le moins certaines d’entre elles, devraient être rejetées en vertu de l’article 67 de la Loi. Il ne semble toutefois pas que le répartiteur du ministre se soit donné la peine de faire la moindre analyse des dépenses relativement à leur caractère raisonnable. Et aucune dépense particulière n’est désignée dans la réponse comme étant déraisonnable.

[3] En 1984, l’appelante a hérité d’une maison de sept chambres à coucher située sur un terrain de sept acres à Port Bruce. Après l’avoir louée de 1985 à 1989, elle l’a alors vendue parce qu’elle était trop éloignée de sa résidence à Toronto, de sorte qu’il lui était difficile de s’en occuper. Elle a alors cherché un bien locatif à acheter dans la région métropolitaine de Toronto, où elle habite.

[4] Le bien qu’elle a acheté était la maison Mortimer. Il s’agit d’un bungalow, décrit dans l’annonce immobilière comme ayant deux pièces au sous-sol. L’agent immobilier exerçant sur elle une certaine pression, l’appelante a acheté la maison sans voir le sous-sol, avec l’intention, dit-elle, de louer le rez-de-chaussée et le sous-sol à des locataires différents. Elle a donc été étonnée et déçue, après avoir pris possession, de constater que les deux pièces dont on lui avait parlé au sous-sol, consistaient en fait en une grande pièce coupée par une cloison partielle. Le sous-sol ne pouvait être loué comme étant une unité distincte, et en fait elle a découvert, aussi après l’achat du bungalow, que sa location comme deux loyers distincts serait contraire au règlement municipal applicable.

[5] L’appelante avait déjà acheté la maison lorsqu’elle s’est rendue compte de ces problèmes, aussi estimait-elle n’avoir d’autre choix que de tenter de se tirer le mieux de cette situation. Elle a donc loué le rez-de-chaussée, qui contenait deux chambres à coucher, au montant mensuel de 890 $. Si j’ai bien compris, le sous-sol est demeuré vide initialement, ne produisant aucun revenu. Au cours de cette période, l’appelante et une autre personne vivaient ailleurs en ville, dans une maison dont elles partageaient le loyer. Après environ deux ans, l’appelante a décidé de s’installer au sous-sol de la maison Mortimer, économisant de la sorte la dépense d’un loyer ailleurs.

[6] L’appelante a payé la maison Mortimer 209 000 $, soit un versement initial de 50 000 $, le solde de 159 000 $ étant financé au moyen de trois hypothèques. Elle n’était pas certaine des taux d’intérêt payables à leur égard, mais le plus bas semble avoir été 10 p. 100. Au début, ses versements mensuels d’intérêt à l’égard des hypothèques s’élevaient, à eux seuls, à au moins 1 650 $. Elle a cité dans son témoignage plusieurs montants différents, dont elle a dit qu’ils représentaient les revenus mensuels auxquels elle s’attendait, eut-elle été capable de réaliser son projet initial de louer le rez-de-chaussée et le sous-sol du bungalow comme deux unités distinctes. Ces montants se situaient entre 2 000 $ pour le plus élevé, et 1 550 $ pour le plus bas. Aucun de ces montants estimatifs ne semble témoigner d’une appréciation réaliste du marché locatif dans le voisinage. Je ne crois pas que l’appelante en avait la moindre idée, et elle n’a pas déclaré avoir fait de recherches à cet égard.

[7] Au cours de la plaidoirie, on a avancé qu’il faut considérer que cette affaire s’articule autour de l’usage personnel du bien locatif par la contribuable parce qu’au cours des années visées par l’appel, elle avait emménagé dans le sous-sol de la maison. Cependant, elle a pris cette mesure pour réduire ses pertes; j’estime donc approprié d’apprécier le caractère raisonnable de ses attentes en tenant compte du fait que la maison était destinée, dès le départ, à constituer pour elle un placement. L’appréciation doit toutefois être objective. Il ne suffit pas pour l’appelante de dire, comme elle l’a fait, qu’elle voulait louer la maison à profit pendant un certain temps, pour ensuite la vendre et en acheter une plus chère, et répéter cette façon de faire de manière à acquérir des propriétés d’une valeur de plus en plus grande de façon à s’assurer un revenu de retraite.

[8] Pour en venir au critère que je dois appliquer pour apprécier l’attente de tirer un profit, celui qui prime dans le contexte d’un bien locatif est la capacité du bien, tel qu’il est financé, de produire un profit. Importante aussi dans le contexte d’un bien locatif est la planification de l’appelante, aussi bien au départ qu’une fois devenue évidente l’incapacité du bien locatif d’être rentable. Il est bien établi que les tribunaux ne doivent pas se hâter de juger après coup les décisions commerciales de l’appelant, et que les erreurs de jugement et les événements imprévisibles causant des pertes ne doivent pas inévitablement conduire à la conclusion que le bien locatif du contribuable ne constituait pas une source de revenu.

[9] À mon sens, la maison Mortimer, comme elle était financée par l’appelante à l’époque où elle l’a achetée, n’a jamais pu être rentable en tant que bien locatif. Il est vrai que l’appelante a éprouvé des difficultés inattendues. Peu après être devenue propriétaire, elle semble avoir fait face à des dépenses occasionnées par des réparations et des transformations majeures. Elle a déclaré qu’en plus du prix d’achat, elle a dépensé plus de 20 000 $ à divers chefs. Elle n’a pu expliquer en détail de quoi il s’agissait, mais je veux bien convenir que plusieurs réparations s’imposaient, et que l’appelante a aussi dépensé une somme considérable à tenter de transformer le sous-sol en un appartement susceptible d’être loué. Elle est aussi parvenue à rembourser la troisième hypothèque grâce à un héritage, mais il ne m’est pas clair si elle savait dès le départ qu’elle toucherait cette somme, ou s’il s’est simplement agi d’une chance inattendue.

[10] Deux choses sont claires, cependant. Premièrement, l’appelante ne s’est pas donnée la peine de se renseigner convenablement sur la maison elle-même ni sur le marché locatif dans le voisinage avant d’acheter la propriété. Si elle l’avait fait, elle aurait immédiatement constaté que cette maison, achetée dans les conditions auxquelles elle a consenti, ne pouvait absolument pas produire des bénéfices. Deuxièmement, l’appelante a vite compris après l’achat de la maison qu’elle ne pouvait être exploitée de façon rentable. Dès qu’elle a appris que le sous-sol ne pouvait donner des revenus, elle a dû se rendre compte que les revenus de la maison ne suffiraient pas à couvrir les dépenses. À cette époque, l’immobilier était à la baisse, et l’appelante hésitait à vendre à perte. Conséquemment, elle a exploité son immeuble en subissant des pertes annuelles au cours des années suivantes. Les pertes nettes imputables à cet immeuble pendant la période de sept ans entre 1989 et 1995 sont les suivantes :

1989 9 819 $

1990 7 470 $

1991 13 937 $

1992 19 608 $

1993 10 454 $

1994 3 568 $

1995 12 301 $

[11] En 1993, les frais d’intérêts imputables à la partie louée de la maison s’élevaient à eux seuls à une fois et demie le revenu de location brut. Cela semble s’appliquer également à partir de l989 jusqu’à 1991. En dépit de ces pertes continuelles et de son incapacité à en endiguer le flot, l’appelante n’a apparemment fait aucun effort pour vendre la maison Mortimer avant 1998.

[12] Ces pertes incessantes ne constituent que l’un des critères que je dois appliquer pour décider si la propriété en question est une source de revenu. J’ai étudié l’autre critère exposé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Landry v. The Queen[1], et je conclus que l’appelante ne possédait pas le degré de formation ou d’expérience qui lui permettrait de mettre fin à un historique de pertes et d'amorcer une série de bénéfices. Si j’en juge d’après la preuve, elle ne s’est pas adaptée à la situation, et elle n'a pas non plus élaboré un plan pour y faire face.

[13] Le représentant de l’appelante a comparé l’espèce à l’affaire Costello v. The Queen.[2] Dans cette affaire toutefois, le juge Bowman a conclu que l’appelante avait recherché un bien de placement de façon logique et professionnelle, et que ses prévisions au sujet de ses revenus et de ses dépenses étaient raisonnables. Des événements imprévus, semblables à certains de ceux que Mme Stephens a connus, avaient contrecarré ses attentes immédiates. Toutefois, l’appelante dans l’affaire susmentionnée, contrairement à Mme Stephens, avait pris des mesures correctives, et au moment de l’audition, elle avait rétabli la rentabilité de son bien. En l’espèce, les années les plus récentes pour lesquelles j’ai des éléments de preuve n’ont pas été profitables, et l’on ne m’a indiqué aucune mesure susceptible de corriger la situation.

[14] À mon avis, même en tenant largement compte des ennuis de l’appelante, de son manque de jugement et du fait qu’elle aurait, selon elle, été dupée par ceux qui lui ont vendu la maison, il n’existait pas la moindre possibilité, et encore moins une attente raisonnable, en 1992 et 1993 que ce bien puisse procurer des bénéfices à l’appelante.

[15] Les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de mai 1999.

« E.A. Bowie »

J.C.C.I

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de mars 2000.

Mario Lagacé, réviseur



[1] 94 DTC 6624.

[2] 98 DTC 1362.

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