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Date: 19971127

Dossier: 96-1620-UI

ENTRE :

SYLVIE BERNIER,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Garon, C.C.I.

[1] Il s’agit d’un appel d’une décision en date du 12 juin 1996 du ministre du Revenu national selon laquelle l’emploi de l’appelante lorsqu’elle était au service de M. André Murray, propriétaire de la firme Cantine des Îles Enr., le payeur, durant les périodes ci-après mentionnées, était exclu des emplois assurables au motif qu’il existait un lien de dépendance entre l’appelante et le payeur. Les périodes en litige, d’après les actes de procédure, sont les suivantes :

du 14 mai 1993 au 29 août 1993

du 29 mai 1994 au 27 août 1994

du 11 juin 1995 au 2 septembre 1995.

[2] Dans la Réponse à l’avis d’appel, le ministre du Revenu national n’a pas invoqué l’application de l’alinéa 3(1)a) de la Loi sur l’assurance-chômage et ainsi n’a pas soutenu qu’il n’y avait pas de contrat de louage de services. Il s’est basé plutôt sur l’alinéa 3(2)c) de la Loi sur l’assurance-chômage en conformité avec la décision dont appel. À l’audience, l’avocate de l’intimé a expressément indiqué qu’elle s’appuyait seulement sur l’alinéa 3(2)c) de la Loi sur l’assurance-chômage et ainsi elle a plaidé que l’emploi en question de l’appelante était exclu des emplois assurables.

[3] L’intimé en concluant que cet emploi était exclu des emplois assurables en raison du lien de dépendance entre l’appelante et le payeur s’est fondé sur les allégations de fait formulées au paragraphe 5 de la Réponse à l’avis d’appel. Ce paragraphe 5 se lit ainsi :

En rendant sa décision, l’intimé, le ministre du Revenu national, s’est basé, inter alia, sur les faits suivants :

a) le payeur exploite un casse-croûte dans une roulotte située à Matane;

b) le casse-croûte est ouvert du début du mois de mai à la fin du mois de septembre de chaque année;

c) l’appelante est la conjointe de fait du payeur depuis plusieurs années;

d) l’appelante agit comme gérante-cuisinière pour le payeur;

e) les tâches de l’appelante consistent à : préparer les mets, servir les clients, préparer les commandes, faire l’épicerie et superviser les autres employés;

f) l’appelante travaille en moyenne 60 à 70 heures par semaine, 7 jours par semaine, pour une rémunération hebdomadaire de 520 $;

g) l’appelante bénéficie d’une journée de congé par mois;

h) les deux autres employées ont un horaire sur rotation qui varie de 10 heures à 45 heures par semaine et sont rémunérées selon un taux horaire de 5,70 $ à 6,50 $;

i) les modalités d’emploi de l’appelante diffèrent substantiellement de celles de 2 autres employées;

j) les prétendues périodes d’emploi de l’appelante ne coïncident pas avec les périodes d’activités de l’entreprise ni avec les périodes réellement travaillées de l’appelante;

k) à chaque année, la prétendue période d’emploi de l’appelante coïncide avec le nombre de semaines requises pour se qualifier à des prestations d’assurance-chômage;

l) l’appelante et le payeur ont un lien de dépendance au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu;

m) n’eût été du lien unissant l’appelante au payeur, celle-ci n’aurait pas été engagée pour effectuer un tel travail;

n) d’ailleurs, le payeur n’aurait jamais engagé une personne sans lien de dépendance aux mêmes conditions que celles offertes à l’appelante, encore moins pour de telles périodes.

[4] Le payeur a témoigné pour le compte de l’appelante. L’appelante elle-même n’a pas témoigné mais il a été tenu pour acquis par les avocats des parties que l’appelante aurait corroboré la version des faits du payeur.

[5] Madame Marie-France Drouin, agente des appels de Revenu Canada, fut la seule à témoigner pour le compte de l’intimé.

[6] Les alinéas a), c), d) e) et l) du paragraphe 5 de la Réponse à l’avis d’appel ont été admis par l’appelante. Les autres allégations du même paragraphe ont été niées ou ignorées.

[7] Selon son témoignage, M. André Murray travaille comme cuisinier depuis 18 ans. Pour sa part, l’appelante a exécuté des tâches dans des cantines depuis plusieurs années; elle a ainsi une grande expérience dans ce genre d’entreprise.

[8] La roulotte qui abrite la cantine a été acquise par le payeur en avril 1992. Cette cantine est située près des îles, à Matane (Québec). Le payeur a contracté un prêt pour effectuer cette acquisition. Cet emprunt a été souscrit uniquement par le payeur.

[9] Le payeur détient un permis de la ville pour exploiter cette entreprise et il paie un loyer à cette dernière.

[10] La bâtisse où se trouve la cantine n’est pas pourvue d’un système de chauffage; elle n’est pas non plus isolée.

[11] Le payeur déterminait les heures de travail des employées de la cantine.

[12] Monsieur Murray a affirmé que l’appelante, durant les périodes en cause, travaillait de 60 à 70 heures par semaine et était rémunérée à un taux hebdomadaire de 520,00 $, comme il est allégué au paragraphe 5 de la Réponse à l’avis d’appel. C’est M. Francis Simard, directeur de la Caisse populaire de Ste-Félicité, qui avait informé le payeur que ce taux était raisonnable, selon les normes du marché. Les deux autres employées recevaient le salaire minimum prévu par la loi durant les périodes en cause. Le taux horaire de cette rémunération était d’environ 6,50 $ en 1995 et près de 6,00 $ en 1993 et en 1994. Ces deux employées avaient aussi plusieurs années d’expérience dans le domaine. Selon M. Murray, ces employées faisaient un moins grand nombre d’heures. Elles n’étaient pas gérantes et ainsi elles avaient des responsabilités moins importantes.

[13] L’appelante commençait généralement son travail dans le mois de juin et terminait son emploi à la Fête du travail en septembre ou quelques jours avant. C’est un commerce saisonnier; la période de pointe d’une saison donnée commence lors du “festival de la crevette” aux environs du 20 juin. Le moment de l’ouverture de la cantine est dicté en partie par la température.

[14] Monsieur Murray a affirmé que son entreprise a fait des pertes pendant les trois premières années et a réalisé un profit durant la quatrième année et la présente année, c’est-à-dire, la cinquième année. L’entreprise aurait réalisé un profit net de 18 000,00 $ en 1996. En passant, l’exercice financier de l’entreprise se termine à la fin d’août. Cette entreprise a compté dans le passé trois employées mais cette année elle en a quatre.

[15] L’appelante faisait à la maison certains travaux préparatoires pour les fins de la cantine. Elle devait y consacrer, chez elle, de 10 à 15 minutes à tous les deux jours. L’appelante faisait aussi les courses pour le payeur durant ses heures de travail.

[16] L’appelante était payée par chèques pour les semaines en cause et elle a encaissé tous ses chèques.

[17] Le “Rapport sur un arrêt ou un appel”, de Revenu Canada, dont il sera question plus tard, fait état d’une épicerie au bout du quai où l’appelante se serait rendue lors de ses courses pour le commerce. Interrogé sur cette question, M. Murray a affirmé qu’il n’y avait tout simplement pas d’épicerie à cet endroit.

[18] Les travaux de nature comptable de l’entreprise du payeur étaient faits par M. Francis Simard, le directeur de la Caisse populaire de Ste-Félicité. Toute la documentation du payeur a été transmise à Revenu Canada, incluant les livres de paie et les relevés d’emploi.

[19] Monsieur Murray a mentionné qu’en ce qui concerne la période d’emploi de l’appelante pour l’année 1993 une erreur s’est glissée et il ne peut pas expliquer comment elle s’est produite. La période de travail en question est toutefois demeurée à 11 semaines. Il a affirmé que l’appelante a été payée en 1993 à partir du 13 juin et non pas à compter du 14 mai 1993, comme le faisait voir un certain relevé d’emploi. Elle a été payée selon ce qui est indiqué au livre de paie. Il a expliqué que l’appelante n’a pas travaillé en mai 1993 parce que lui-même était disponible étant donné que le restaurant où il était employé avait été la proie des flammes. Il a été tout à fait catégorique, en 1993 l’appelante a commencé à travailler en juin seulement.

[20] Quant à l’alinéa b) du paragraphe 5 de la Réponse à l’avis d’appel, il a été admis par M. Murray quant au moment de l’ouverture de la cantine mais il a été nié quant à la partie qui traite du moment de la fermeture, celle-ci ayant lieu généralement à la Fête du travail ou quelques jours avant, comme par exemple, en 1994.

[21] Au sujet de l’alinéa j) du paragraphe 5 de la Réponse à l’avis d’appel, M. Murray a spécifiquement nié l’allégation selon laquelle “les prétendues périodes d’emploi de l’appelante ne coïncident pas avec les périodes d’activités de l’entreprise ni avec les périodes réellement travaillées de l’appelante”. Les mois les plus occupés de la saison à la cantine étaient les mois de juin, juillet et août et l’appelante a travaillé durant ces trois mois de chacune des trois années en cause. Il a aussi indiqué que les périodes de travail de l’appelante sont bien celles mentionnées dans les livres.

[22] Monsieur Murray a également nié l’alinéa k) du paragraphe 5 de la Réponse à l’avis d’appel qui énonce qu’“à chaque année, la prétendue période d’emploi de l’appelante coïncide avec le nombre de semaines requises pour se qualifier à des prestations d’assurance-chômage”. M. Murray a indiqué qu’en 1993, l’appelante a travaillé 11 semaines alors que la période minimale était de dix semaines. En 1994, elle a été employée pendant 13 semaines alors que le nombre requis de semaines était de 12. En 1995, la période d’emploi a été de 12 semaines alors qu’il fallait avoir 11 semaines pour être admissible aux prestations d’assurance-chômage. Au sujet du volume de travail, M. Murray a expliqué que les activités à la cantine ont été au ralenti en mai de chacune des années en question.

[23] L’alinéa h) du paragraphe 5 de la Réponse à l’avis d’appel a été carrément nié. Le tribunal a appris que l’une des employées, Mme Picard, a travaillé 40 heures par semaine pendant 20 semaines durant l’année 1993. Durant les années 1994 et 1995, elle a fait les mêmes heures que les autres employées sauf pour le mois de mai 1994 où elle a travaillé 12 heures/semaine. Les deux autres employées ont travaillé à temps plein soit 44 heures par semaine en 1994 et en 1995. En 1993, l’une des employées travaillait 40 heures par semaine et l’autre un nombre un peu moins élevé d’heures. Contrairement à l’allégation figurant à cet alinéa, aucun employé n’a travaillé que dix heures par semaine.

[24] Le payeur a nié l’allégation à l’alinéa m) du paragraphe 5 de la Réponse à l’avis d’appel et a affirmé qu’il aurait engagé une autre personne aux mêmes conditions pour faire le travail accompli par l’appelante.

[25] J’aborde maintenant le témoignage de Mme Drouin.

[26] Le “Rapport sur un arrêt ou un appel” en date du 4 juin 1996 fut préparé par elle-même. Il fut mis en preuve. Dans ce rapport, elle a indiqué les démarches qu’elle a faites en vue de la préparation de ce document et a fourni certaines explications relatives aux points mentionnés dans la partie “Sommaire” du Rapport.

[27] Madame Drouin a reconnu que la mention au premier paragraphe de la page 8 que l’appelante n’a travaillé que le minimum de semaines requises pour être admissible aux prestations d’assurance-chômage n’est pas juste. L’appelante a travaillé lors de chacune des périodes une semaine de plus.

[28] Il est fait état dans ce Rapport de Mme Drouin que l’agent d’assurabilité a mentionné dans son compte-rendu que l’appelante a fait du travail bénévole lors de l’ouverture de la cantine en mai. On ne précise pas la mesure de ce travail bénévole, quelques heures seulement ou quelques jours ou plusieurs jours. Mme Drouin n’a pu rien ajouter de précis à ce sujet.

[29] Sous la rubrique “Durée du travail accompli”, figurant à la page 8 de son Rapport, Mme Drouin relève certaines contradictions relatives aux périodes de travail en particulier et soulève certaines questions à ce sujet. Mme Drouin a reconnu que la rémunération versée à l’appelante durant les périodes en question n’était pas déraisonnable.

Analyse

[30] Il m’incombe de déterminer en premier lieu si à la lumière des faits de cette cause l’exercice par le ministre du Revenu national de la discrétion qui lui est conférée par l’alinéa 3(2)c) de la Loi sur l’assurance-chômage a été fait conformément à la Loi.

[31] Certains faits sur lesquels s’est appuyé le ministre du Revenu national en exerçant sa discrétion ont été contestés avec succès pour le compte de l’appelante.

[32] L’allégation à l’alinéa b) du paragraphe 5 de la Réponse à l’avis d’appel que la fermeture du commerce n’avait lieu qu’à la fin de septembre a été réfutée. Cette fermeture a eu lieu au plus tard à la Fête du travail, au début de septembre.

[33] L’allégation figurant à l’alinéa h) du paragraphe 5 de la Réponse à l’avis d’appel touchant les heures de travail par semaine des employées a été en bonne partie contredite par la preuve. Les deux autres employées ont travaillé à plein temps en 1994 et 1995. En 1993, il semble que l’une de ces employées a travaillé à temps partiel durant seulement une partie de la saison; cette employée a travaillé à temps complet, pour le reste de la saison.

[34] Si on lit l’allégation à l’alinéa i) du paragraphe 5 de la Réponse à l’avis d’appel, selon laquelle les modalités d’emploi diffèrent substantiellement de celles des deux autres employées avec les allégations m) et n) suivant lesquelles en substance le payeur n’aurait pas retenu les services de l’appelante n’eût été du lien de dépendance, ou doit inférer qu’il était implicite du point de vue du ministre du Revenu national que cette différence dans les modalités d’emploi dont il est question dans l’alinéa i) était nettement favorable à l’appelante et qu’ainsi cette dernière jouissait à cet égard d’un traitement de faveur. À ce sujet, la preuve démontre trois différences, concernant les modalités d’emploi de l’appelante d’une part et celles des deux autres employées d’autre part, soit sur le plan des heures de travail qui sont substantiellement plus élevées dans le cas de l’appelante, soit sur le plan des responsabilités qui sont plus importantes dans le cas de l’appelante que celles des autres employées et enfin sur le plan du taux de la rémunération qui a varié, selon le Rapport de Mme Drouin, de 5,70 $ à 6,25 $ par heure alors que l’appelante était payée sur une base hebdomadaire à un niveau qui équivalait à un taux horaire de 8,00 $. Le ministre du Revenu national s’est mépris en faisant état de ces différences pour appuyer sa conclusion concernant l’exclusion de l’emploi de l’appelante. Quant au nombre plus élevé d’heures de travail et au niveau plus grand de responsabilités, ce sont des questions de gestion interne qui sont de la prérogative du payeur; elles ne comportent rien d’inusité. Au sujet du taux de la rémunération versée à l’appelante, l’agente des appels a reconnu qu’il n’était pas déraisonnable. Selon la preuve, la raisonnabilité de ce taux s’appuie sur des renseignements obtenus par le payeur, notamment du directeur de la caisse populaire locale. En déterminant ce taux, il fallait tenir compte des responsabilités plus grandes de l’appelante.

[35] L’inexactitude des deux allégations figurant à l’alinéa j) du paragraphe 5 de la Réponse à l’avis d’appel a été établie par la preuve. En effet, il a été démontré quant à la première allégation que les trois mois où les activités de cette entreprise étaient les plus intenses étaient les mois de juin, juillet et août. Or, l’appelante a travaillé durant ces trois mois durant chacune des trois années en question. Quant à la deuxième allégation, elle a été réfutée, les périodes d’emploi de l’appelante ont bel et bien coïncidé avec ses périodes de travail. Au sujet de la période d’emploi en 1993, j’ai été persuadé que l’appelante a commencé à travailler le 13 juin et qu’il faut ignorer l’erreur d’écriture qui fut commise à cet égard.

[36] Il a été également établi que le ministre du Revenu national a manqué de précision lorsqu’il a allégué à l’alinéa k) du paragraphe 5 de la Réponse à l’avis d’appel que la “période d’emploi de l’appelante coïncide avec le nombre de semaines requises pour se qualifier à des prestations d’assurance-chômage”. De fait, chaque année, l’appelante a travaillé pendant une semaine de plus que le nombre minimum de semaines requis pour l’admissibilité aux prestations d’assurance-chômage. Cette différence plutôt minime à première vue a quand même une certaine importance vu qu’il s’agit d’un commerce saisonnier, dont l’exploitation est limitée à une période d’un peu moins de quatre mois. De toute évidence, cette différence serait plutôt négligeable si cette entreprise était exploitée durant toute l’année.

[37] Tout compte fait, le ministre du Revenu national a mal analysé certains éléments de la situation et s’est mépris sur le poids de la preuve. Les autres allégations de fait du paragraphe 5 de la Réponse à l’avis d’appel admises ou non réfutées par l’appelante — je me réfère aux alinéas a), c), d), e), f) et g) — ne suffisent pas à justifier la conclusion du ministre du Revenu national qu’un payeur sans lien de dépendance n’aurait pas retenu les services de l’appelante selon les modalités qui ont été établies.

[38] L’exercice de la discrétion du ministre du Revenu national est donc entachée d’illégalité.

[39] En outre, j’en viens à la conclusion en analysant l’ensemble de la preuve qu’un contrat à peu près semblable à celui qui nous concerne aurait pu être conclu entre deux personnes qui n’ont pas de lien de dépendance. Aucune modalité du contrat ne m’a paru inusitée ou exceptionnelle.

[40] Il y a donc lieu de conclure que l’emploi de l’appelante était assurable durant les périodes en cause, sous réserve de la modification à être apportée à la première période qui a trait à l’année 1993.

[41] Pour ces motifs, l’appel est accueilli et le règlement de la question est modifié. L’emploi de l’appelante est assurable durant les trois périodes ci-après mentionnées :

13 juin 1993 au 29 août 1993

29 mai 1994 au 27 août 1994

11 juin 1995 au 2 septembre 1995.

Signé à Vancouver, Canada, ce 27e jour de novembre 1997.

“Alban Garon”

J.C.C.I.

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