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Date: 19980109

Dossier: 96-1215-UI

ENTRE :

YVON BUREAU,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

TREMBLAY, J.C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu 2 décembre 1997 à Québec (Québec).

Point en litige

[2] Il s'agit de savoir si, durant la période du 2 mai 1994 au 29 octobre 1994 et du 1er mai 1995 au 8 décembre 1995, l'appelant occupait un emploi exclu auprès de Ferme Bureau Inc., ci-après appelée le payeur, qui exploite une ferme laitière.

[3] Selon l'intimé, durant la période en litige, l'appelant possédait 40 %, son fils 40 % et sa brue, Cécile Poirier, 20 % des actions.

[4] Le payeur doit à l'appelant 145 750 $ sous forme de billet sans mode de remboursement ni intérêt et l'appelant n'a reçu aucun remboursement sur cette somme depuis 1992. De plus, l'appelant détient 139 950 actions non votantes du payeur qui ne lui ont jamais rapporté de dividendes.

[5] L'appelant a précisé qu'il n'aurait jamais cédé le contrôle du vote sur les actions du payeur à une personne sans lien de dépendance.

[6] Selon l'appelant, bien qu'il y ait lien de dépendance, ce fait n'a aucune incidence sur les conditions de travail, le salaire, etc.

Fardeau de la preuve

[7] L'appelant a le fardeau de démontrer que les cotisations de l'intimé sont mal fondées. Ce fardeau de la preuve découle de plusieurs décisions judiciaires dont un jugement de la Cour suprême du Canada rendu dans l'affaire Johnston c. Le ministre du Revenu national [1].

[8] Dans le même jugement, la Cour a décidé que les faits assumés par l'intimé pour appuyer les cotisations ou nouvelles cotisations sont également présumés vrais jusqu'à preuve du contraire. Dans la présente cause, les faits présumés par l'intimé sont décrits aux alinéas a) à t) du paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel. Ce paragraphe se lit comme suit :

5. En rendant sa décision, l'intimé, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ), s'est basé, inter alia, sur les faits suivants :

a) Le payeur, incorporé le 26 mai 1992, exploite une ferme laitière dont le troupeau compte 28 vaches laitières et entre 30 et 35 taures et veaux. (admis)

b) Le payeur cultive aussi environ 300 arpents de terre en foin et en grains pour nourrir le troupeau. (admis)

c) L'appelant avait acquis la terre de son père et a exploité la ferme pendant 16 ans à son propre compte. (nié tel que rédigé)

d) Le 26 mai 1992, l'appelant décidait de constituer le payeur et la répartition des actions comportant droit de vote du payeur se lisait ainsi :

- L'appelant avec 60 % des actions.

- Ghislain Bureau, fils de l'appelant, avec 20 % des actions.

- Cécile Poirier, épouse de Ghislain, avec 20% des actions. (admis)

e) Le 28 juillet 1992, le payeur achetait la ferme de l'appelant pour la somme de 425 700 $. (admis)

f) En contrepartie de cette vente, l'appelant recevait 350 actions de catégories F, G, H, I, J et K, sans droit de vote, d'une valeur nominale de 1 $ chacune et un billet promissoire de 285 750 $. (nié)

g) Le 18 septembre 1992, l'appelant transfère à son fils Ghislain, sans compensation, 20 % de ses actions votantes et la nouvelle répartition des actions votantes du payeur se lisait alors :

- L'appelant avec 40 % des actions.

- Ghislain Bureau avec 40 % des actions.

- Cécile Poirier avec 20 % des actions. (admis)

h) L'appelant perdait alors le contrôle du vote sur les actions du payeur et ce, sans contrepartie et en demeurant le seul actionnaire à courir un risque financier important. (nié)

i) L'appelant prétend qu'il a procédé ainsi car son fils voulait obtenir un prêt du Crédit agricole et qu'on exigeait que lui et son épouse détiennent 60 % des actions du payeur afin de consentir un prêt de cette nature. (admis)

j) Les 2 autres actionnaires du payeur, Ghislain Bureau et son épouse, n'ont pas investi d'argent lors de la constitution du payeur ni lors de l'achat de la ferme de l'appelant par le payeur. (admis)

k) Le 21 septembre 1992, l'appelant vendait l'une des résidences situées près de la ferme du payeur à son fils Ghislain pour la somme de 60 000 $ en contrepartie d'un billet promissoire du même montant. (admis)

l) À partir du 28 décembre 1992, l'appelant aurait été embauché périodiquement par le payeur, afin d'effectuer différentes tâches sur la terre. (admis)

m) Durant les périodes en litige, l'appelant a prétendument reçu une rémunération fixe de 400 $ par semaine en n'étant rémunéré qu'une fois par mois. (admis)

n) L'appelant rendait effectivement des services au payeur en vertu d'un contrat de louage de services. (admis)

o) le payeur doit à l'appelant une somme 145 750 $ sous forme de billet, sans mode de remboursement ni intérêt, et l'appelant n'a reçu aucun remboursement sur cette somme du payeur depuis 1992. (nié)

p) L'appelant détient aussi 139 950 $ d'actions non votantes du payeur qui ne lui ont jamais rapporté de dividendes. (admis)

q) L'appelant a précisé qu'il n'aurait jamais cédé le contrôle du vote sur les actions du payeur s'il avait transigé avec un étranger. (ignoré)

r) L'appelant est le père de M. Ghislain Bureau, et le beau-père de Mme Cécile Poirier qui contrôlent les actions du payeur et il est donc lié au payeur au sens de l'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu. (admis)

s) Le payeur n'aurait jamais engagé une personne non liée dans des conditions à peu près semblables à celles offertes à l'appelant. (nié)

t) La période d'emploi de l'appelant pour le payeur, pour la période du 28 décembre 1992 au 2 octobre 1993, a fait l'objet d'un appel et a été entendu par cette Cour et celle-ci a rejeté l'appel en déclarant que l'emploi était exclu des emplois assurables en vertu de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage. (admis)

Faits mis en preuve

[9] En plus, des admissions ci-dessus, la preuve des faits a été complétée par les témoignages de l'appelant et de son fils Ghislain ainsi que par la production des pièces A-1 à A-7.

Témoignage de l'appelant

[10] L'appelant a expliqué, confirmé par la suite par le témoignage de son fils Ghislain, que lorsque ce dernier a voulu acquérir la ferme en septembre 1992, le Crédit agricole a refusé de garantir le prêt de 243 000 $ à la Caisse populaire St-Ubalde. La raison en était que Ghislain et son épouse ne possédaient ensemble que 40 % des actions. Le Crédit agricole exigeait qu'il soit propriétaire de 60 % des actions.

[11] Or, comme l'appelant désirait vendre la terre et que son fils Ghislain était un garçon sérieux, il a accepté ce transfert d'un autre 20 % le 18 septembre 1992. De plus, l'appelant, pour se protéger personnellement lui et son épouse, exigeait lors de la transaction une somme de 200 000 $.

[12] Selon le témoin, il existait près de la ferme deux résidences dont l'une faisant partie de la ferme a été vendue en septembre 1992 à son fils, Ghislain, pour la somme de 60 000 $ payable avec un billet promissoire du même montant.

[13] Le prix de 425 700 $ payé par le payeur pour la ferme le 28 juillet 1992 [par. 8 : 5. e)] avait été fixé ainsi par les comptables, à la suite d’une évaluation de leur part. Ce montant de 425 700 $ inclut la somme de 60 000 $ pour la maison.

[14] L'appelant soutient que s'il avait vendu la ferme à un étranger, il aurait sans doute essayé d'obtenir la totalité du paiement comptant. Toutefois, il n'aurait peut-être pas réussi. Il a cité en effet un cas où un fermier, vendant à un tiers non lié, a dû conserver un solde en deuxième hypothèque. De toute façon, l’appelant lui-même était satisfait de la vente vu que c'était à son fils.

[15] Durant les périodes en litige, l'appelant soutient avoir travaillé 40 à 44 heures par semaine et qu'il était payé 400 $ par semaine avec paie à tous les mois. L'intimé, à l’alinéa 5. n) de la réponse à l’avis d’appel, admet que l’appelant « rendait effectivement des services au payeur en vertu d'un contrat de louage de services » .

[16] L'intimé admet donc ainsi qu'il y a application de l’alinéa 3(1)a) de la Loi en faveur de l'appelante et le point en litige est restreint à 3(2)c) de la Loi.

[17] D'ailleurs, au sujet du principal point soulevé concernant l'emploi, soit le salaire, le fils Ghislain a témoigné avoir travaillé pour son père alors que ce dernier possédait la ferme et recevait 400 $ par semaine. De plus, après que l'appelant eut tenté à plusieurs reprises,en vain, de trouver un emploi, son fils l'a engagé à 400 $ par semaine et ce, après s'être informé auprès des fermiers environnants du salaire offert aux employés engagés. Il appert que 400 $, c'est le salaire hebdomadaire régulièrement payé.

[18] Concernant l'application de l’alinéa 3(2)c) de la Loi, plusieurs décisions ont été rendues par la Cour d’appel fédérale, dont celles rendues dans Tignish Auto Parts Inc. c. Le ministre du Revenu national[2]et Ferme Émile Richard et Fils Inc. et le Sous-procureur général du Canada[3]

[19] Dans la première décision Tignish Auto Parts Inc. (A-555-93 C.A.F.) du 25 juillet 1994, la Cour cite le procureur de l'intimé dont elle partage l'opinion :

Souscrivant à l'arrêt Minister of National Revenue v. Wrights' Canadian Ropes Ltd., qui fait autorité, l'intimé prétend que, à moins que l'on établisse que le ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances (comme il y est tenu aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi), a pris en compte des facteurs dépourvus d'intérêt ou a violé un principe de droit, la Cour ne peut intervenir. En outre, la Cour a le droit d'examiner les faits qui, selon la preuve, se trouvaient devant le ministre quand il est arrivé à sa conclusion, pour décider si ces faits sont prouvés. Mais s'il y a suffisamment d'éléments pour appuyer la conclusion du ministre, la Cour n'a pas toute latitude pour l'infirmer simplement parce qu'elle serait arrivée à une conclusion différente. Toutefois, si la Cour est d'avis que ces faits sont insuffisants, en droit, pour appuyer la conclusion du ministre, la décision de ce dernier ne peut tenir et la Cour est justifiée d'intervenir.

[20] Il se dégage donc quatre critères que la Cour canadienne de l'impôt peut appliquer pour décider si elle a droit d'intervenir :

le ministre

1) n'aurait pas tenu compte de toutes les circonstances;

2) aurait pris en compte des facteurs dépourvus d'intérêt;

3) aurait violé un principe de droit;

4) aurait appuyé sa décision sur des faits insuffisants.

[21] La Cour continue comme suit :

À mon avis, la position de l'intimé est correctement exposée sur le plan du droit, sauf qu'elle n'indique pas les pouvoirs que la Cour peut exercer une fois que son intervention est réputée justifiée.

[22] Après certaines considérations, la Cour ajoute plus loin :

Il est donc approprié, en l'espèce, d'analyser les dispositions de la Loi sur l'assurance-chômage en vertu desquelles la Cour de l'impôt exerce sa compétence afin de déterminer le type de décision qu'elle peut rendre.

La Cour de l'impôt, n'étant pas une cour supérieure d'archives, n'a pas la compétence inhérente de renvoyer la question au ministre. Toutefois, elle dispose de pouvoirs implicites qu'elle pourrait peut-être invoquer à cette fin comme le prétend l'intimé. Mais la difficulté en l'espèce vient du fait que le législateur s'est déjà prononcé sur le pouvoir de renvoi de la Cour de l'impôt. Le paragraphe 70(2) de la Loi, précité, est de nouveau reproduit ci-dessous :

70. (2) Sur appel interjeté en vertu du présent article, la Cour canadienne de l'impôt peut infirmer, confirmer ou modifier le règlement de la question, peut annuler, confirmer ou modifier l'évaluation ou peut renvoyer l'affaire au ministre pour qu'il l'étudie de nouveau et fasse une nouvelle évaluation; dès lors, elle est tenue de notifier par écrit sa décision et ses motifs aux parties à l'appel.

[23] La Cour d'appel fédérale, dans l'affaire Ferme Émile Richard et Fils Inc., a résumé ainsi l'affaire Tignish Auto Parts Inc. :

... Ainsi que cette Cour l'a rappelé récemment dans TIGNISH AUTO PARTS INC. c. MINISTRE DU REVENU NATIONAL, (25 juillet 1994), A-555-93, C.A.F. inédit), l'appel devant la Cour canadienne de l'impôt, lorsqu'il s'agit de l'application du sous-alinéa 3(2)c)(ii), n'est pas un appel au sens strict de ce mot et s'apparente plutôt à une demande de contrôle judiciaire. La Cour, en d'autres termes, n'a pas à se demander si la décision du Ministre est la bonne; elle doit plutôt se demander si la décision du Ministre résulte d'un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire. Ce n'est que si la Cour en arrive à la conclusion que le Ministre a fait un usage inapproprié de sa discrétion, que le débat devant elle se transforme en un appel de novo et que la Cour est habilitée à décider si, compte tenu de toutes les circonstances, un contrat de travail à peu près semblable aurait été conclu entre l'employeur et l'employé s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[24] Il s'agit maintenant de se demander si dans la présente affaire, la décision du Ministre résulte d'un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire.

[25] Le Ministre appuie sa décision finale principalement sur les allégués 5. o) à 5. r). Ils se lisent comme suit :

o) Le payeur doit à l'appelant une somme de 145 750 $ sous forme de billet, sans mode de remboursement ni intérêt, et l'appelant n'a reçu aucun remboursement sur cette somme du payeur depuis 1992.

p) L'appelant détient aussi 139 950 $ d'actions non votantes du payeur qui ne lui ont jamais rapporté de dividendes.

q) L'appelant a précisé qu'il n'aurait jamais cédé le contrôle du vote sur les actions du payeur s'il avait transigé avec un étranger.

r) L'appelant est le père de M. Ghislain Bureau, et le beau-père de Mme Cécile Poirier qui contrôlent les actions du payeur et il est donc lié au payeur au sens de l'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[26] Ces allégués concernent en partie la situation dans laquelle se trouve l'appelant en regard de la transaction par laquelle la ferme a été transférée du père au payeur. Et le fils a dû acquérir la majorité des actions du payeur pour obtenir le financement requis (voir par. [10]). Tous ces faits amènent donc à la conclusion du fait fondamental que l'appelant est lié au payeur, fait non contesté par ailleurs.

[27] Toutefois, ce seul fait ne peut appuyer la conclusion de l'intimé de l'allégué suivant soit ([8] : 5s) :

s) Le payeur n'aurait jamais engagé une personne non liée dans des conditions à peu près semblables à celles offertes à l'appelant.

[28] Les faits qui créent le lien de dépendance ne sont pas suffisants en soi pour conclure qu'il existe des conditions d'engagement qui seraient semblables à celles offertes à une personne non liée.

[29] Aucun fait pertinent, c'est-à-dire qui se rapporte au fond même de la cause, démontre qu’il existe un avantage découlant de l'engagement et qu'une personne non liée n'aurait pas obtenu. C'est là en fait la substance de 3(2)c). Le seul fait qui pourrait être pertinent est le salaire de 400 $ par semaine. Or, selon la preuve, Ghislain aurait reçu de l'appelant ce salaire dans les années antérieures et c'est ce salaire qui est généralement payé pour un employé de ferme (par. [17]).

[30] L'intimé s'est donc appuyé sur des faits qui créent le lien entre les parties mais non sur des faits relatifs à la rétribution versée ou à la modalité d'emploi comme l'indique 3(2)c). Selon moi, il y a donc absence de base qui appuie la conclusion de l'intimé. Comme l'intimé a admis par ailleurs que l'appelant rendait effectivement des services au payeur, la Cour conclut que l’appel est bien foindé.

[31] L'appel est accueilli et le règlement de la question par le Ministre est infirmé.

Signé à Québec (Québec), le 9 janvier 1998.

« Guy Tremblay »

J.C.C.I.



[1] [1948] R.C.S. 486, 3 DTC 1182, [1948] C.T.C. 195.

[2]C.A.F., A-555-93, 25/07/94

[3] C.A.F., A-172-94, 01/12/94

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