Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19980128

Dossiers: 97-1016-UI; 97-1017-UI

ENTRE :

BRUCE G. McKICHAN, JOHN ARNOLD,

appelants,

et

LA MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimée.

________________________________________________

Pour les appelants : Bruce G. McKichan

Avocate de l'intimée : Me Nicole Levasseur

________________________________________________

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à London (Ontario), le 18 novembre 1997.)

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] L'appel en instance est interjeté en vertu des dispositions de la Loi sur l'assurance-chômage, récemment rebaptisée Loi sur l'assurance-emploi. Les appelants sont actionnaires de la Brohn Developments Inc. (la “ compagnie ”), petite société oeuvrant dans le domaine de la construction et de l'excavation. Les trois actionnaires de cette compagnie sont les deux appelants, Bruce McKichan et John Arnold, et une troisième personne, Doug Hodgins. La compagnie fait de l'excavation sous terre et construit des égouts ainsi que des conduites principales d'eau.

[2] L'entreprise avait été lancée en 1989 par les deux appelants et par Norman Hodgins, le père de Doug Hodgins. À cette époque, ils avaient réuni des capitaux et étaient devenus actionnaires proportionnellement aux capitaux qu'ils avaient réunis ou garantis, soit :

Norman Hodgins — 40 %

Bruce McKichan — 35 %

John Arnold — 25 %

Les participations sont restées les mêmes, sauf que Norman Hodgins a transféré ses 40 p. 100 d'actions à son fils, Doug Hodgins. Il y a une ligne de crédit à la banque, et chaque actionnaire garantit la ligne de crédit à hauteur du pourcentage d'actions qu'il détient. La tierce partie actionnaire n'est pas un appelant dans l'affaire en instance. Contrairement aux deux appelants, Doug Hodgins n'est pas actif dans l'exploitation de la compagnie.

[3] M. McKichan est le teneur de livres et le chef de chantier, et M. Arnold est lui aussi actif dans l'exploitation effective de la compagnie. Ils travaillent sur une base hebdomadaire, dans la mesure où il y a des travaux à exécuter. L'été, la compagnie pouvait avoir 10 à 15 employés. L'hiver, notamment en janvier et en février, où l'activité est faible, il pouvait y avoir des semaines où les deux appelants étaient les seules personnes employées par la compagnie. Durant ces périodes creuses, les appelants réparent du matériel et font en sorte que la compagnie soit prête à faire face à une charge de travail adéquate. Le nom de la compagnie elle-même est une contraction des prénoms des appelants, Bruce et John, ce qui donne “ Brohn ”.

[4] Les appelants reçoivent un salaire hebdomadaire de l'ordre de 700 à 800 $. Tous les deux dirigent les projets de la compagnie et y travaillent dur. Ils sont payés à la fin de chaque semaine, et les retenues à la source habituelles sont effectuées au titre de l'impôt sur le revenu et des cotisations au Régime de pensions du Canada. Ils fournissent des services pour la compagnie proportionnellement à leurs responsabilités et aux salaires versés.

[5] L'intimée soutient que les deux appelants exercent un emploi assurable, car, aux termes de l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage, ils exercent un emploi en vertu d'un contrat de louage de services exprès ou tacite. Autrement dit, la ministre du Revenu national dit qu'il y a un contrat de louage de services entre la compagnie et chaque appelant. Les appelants rendent des services à la compagnie et travaillent en contrepartie d’une rétribution fixe prédéterminée, versée hebdomadairement. Une jurisprudence volumineuse établit qu'une personne peut être employée par une compagnie dont elle est un des actionnaires, voire le seul actionnaire.

[6] Les appelants soutiennent qu'ils ne devraient pas être considérés comme des employés parce qu'ils sont les propriétaires de la compagnie. Ils considèrent l'entreprise comme une entreprise individuelle, dont ils détiennent 60 p. 100 des actions et à laquelle ils prennent part activement. Donc, ils ne se considèrent pas comme des employés; ils ne s'attendent pas à recevoir des prestations d'assurance-chômage et n'estiment pas qu'ils devraient être admissibles à de telles prestations. En outre, ils n'estiment pas qu'ils devraient verser des cotisations au régime d'assurance-chômage. L'argument des appelants est vigoureux, mais le fait est que des précédents indiquent qu'il peut y avoir un contrat de louage de services avec un actionnaire important d'une compagnie, que cette personne détienne 20 ou 40 p. 100 des actions d'une société n'ayant que trois ou quatre actionnaires.

[7] Je suis convaincu sur la foi de la preuve présentée dans les appels en instance qu'il y a un contrat de louage de services. Les appelants ont décrit d'une manière très directe ce qu'ils faisaient. Il est évident que, tout comme n'importe quel autre employé, ils reçoivent un salaire fixe hebdomadaire. Ils ont des fonctions déterminées qu'ils remplissent dans l'intérêt de l'entreprise de la compagnie et ils sont payés pour ces fonctions. En fait, il y a un contraste bien intéressant entre la situation des deux appelants, soit des actionnaires actifs qui ont librement reconnu en preuve qu'ils recevaient un salaire hebdomadaire, et la situation du troisième actionnaire, soit un actionnaire inactif. Ce dernier ne fournit pas de services réguliers et n'est donc pas régulièrement payé par la compagnie. Il n'a aucun contrat ferme avec la compagnie et n'a aucun salaire prédéterminé.

[8] Le troisième actionnaire oeuvre dans une exploitation agricole et détient du matériel lourd pour cette exploitation. D'après le témoignage de M. McKichan, lorsque la compagnie a besoin d'une remorque à plateau pour transporter du matériel lourd ou des matériaux, elle loue la remorque ainsi que le tracteur à Doug Hodgins. M. Hodgins est payé pour son matériel sur une base horaire, au taux en vigueur dans le domaine de la construction pour la location de matériel semblable, et il ne tire donc aucun avantage du fait qu'il détient 40 p. 100 des actions. Je trouve toutefois intéressant que le plus gros actionnaire ne reçoive aucune paye, hebdomadaire ou mensuelle, parce qu'il ne participe pas à l'exploitation de la compagnie et ne fournit pas de services personnels pour elle. Les deux appelants qui dirigent la compagnie et qui fournissent des services tous les jours de la semaine sont payés régulièrement.

[9] Je conclus qu'il existe en l'espèce un emploi assurable et que des cotisations d'assurance-chômage sont donc payables par la compagnie pour ce qui est de la part de l'employeur et par chacun des deux appelants pour ce qui est de la part de l'employé.

[10] Les appelants ont soulevé un argument intéressant, à savoir qu'ils estiment que, s'ils demandaient des prestations d'assurance-chômage, on pourrait les leur refuser pour le motif qu'il y a un lien de dépendance entre eux et la compagnie. En vertu des dispositions de l'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu, je suis porté à penser qu'il n'y a pas de lien de dépendance entre la compagnie et M. McKichan, car ce dernier détient seulement 35 p. 100 des actions et n'est pas lié aux deux autres actionnaires. De même, il n'y a pas de lien de dépendance entre la compagnie et M. Arnold, car celui-ci détient seulement 25 p. 100 des actions et n'est pas lié aux deux autres actionnaires de la compagnie. De prime abord, donc, en vertu de l'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu, je dirais qu’aucun appelant n'a de lien de dépendance avec la compagnie. Il pourrait être soutenu qu'il y a un lien de dépendance en vertu de l'alinéa 251(1)b), la question de savoir si des personnes non liées entre elles n'avaient aucun lien de dépendance à un moment donné étant une question de fait.

[11] Ayant entendu les appelants, je serais très réticent à conclure qu'ils ont en fait un lien de dépendance avec la compagnie. Je considère que les deux appelants n'ont guère de lien de dépendance, bien que, de l'aveu général, ils coopèrent amicalement aux fins de la réussite de l'entreprise de la compagnie qui les emploie. J'aime à penser que le doute soulevé par les appelants dans leur argumentation, à savoir qu'on pourrait leur refuser des prestations en vertu de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage, représente une possibilité si lointaine que ce n'est pas un facteur important devant être pris en considération par qui que ce soit.

[12] Me fondant sur ce que j'ai entendu, je dois rejeter les appels et conclure que les appelants exerçaient un emploi assurable pour la Brohn Developments Inc. au cours de la période pertinente, soit du 1er janvier 1993 au 6 décembre 1996.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de janvier 1998.

M. A. Mogan

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 17e jour de juillet 1998.

Isabelle Chénard, réviseure

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.