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Date: 19980609

Dossiers: 97-17-UI; 97-103-UI

ENTRE :

PETER PETRUCCI, NELLO BERTO,

appelants,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] Ces appels ont été entendus ensemble sur preuve commune, avec le consentement des parties, à Toronto (Ontario), le 24 février 1998.

[2] L'appelant Nello Berto (“ M. Berto ”) fait appel de la décision du ministre du Revenu national (le “ Ministre ”), en date du 7 novembre 1996, selon laquelle l'emploi qu'il a exercé pour P.L.G. Construction Ltd. (la “ compagnie ”) du 21 juin au 17 décembre 1993, du 25 avril au 25 novembre 1994 et du 20 mars au 29 décembre 1995 n'était pas un emploi assurable en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage (la “ Loi ”). Le motif de la décision était le suivant :

[TRADUCTION]

“ [...] votre emploi était un emploi exclu, car, compte tenu des circonstances, vous aviez un lien de dépendance avec le payeur, soit la P.L.G. Construction Ltd. ”

[3] L'appelant Peter Petrucci (“ M. Petrucci ”) fait appel de la décision du Ministre en date du 7 novembre 1996 selon laquelle l'emploi qu'il a exercé pour P.L.G. Construction Ltd. (la “ compagnie ”), du 14 février au 18 novembre 1994 et du 13 mars au 8 décembre 1995, n'était pas un emploi assurable en vertu de la Loi. Le motif de la décision était le suivant :

[TRADUCTION]

“ [...] l'emploi que vous avez exercé au cours de la période allant du 14 février au 8 mars 1994 était un emploi exclu, car vous contrôliez plus de 40 p. 100 des actions avec droit de vote du payeur, soit la P.L.G. Construction Ltd. En outre, pour ce qui est de la période allant du 9 mars au 18 novembre 1994 et du 13 mars au 8 décembre 1995, votre emploi était un emploi exclu parce que vous aviez un lien de dépendance avec le payeur, soit la P.L.G. Construction Ltd. ”

[4] Il était dit que les décisions avaient été rendues en vertu des alinéas 3(2)c) et 3(2)d), respectivement, de la Loi.

[5] Les faits établis révèlent que la compagnie avait été constituée en 1986. Elle exploitait une entreprise de briquetage. En mai 1993, l'épouse de M. Berto, prénommée Vicki, avait acheté à un certain Gino Trevisan, soit une personne non liée, 50 p. 100 des actions en circulation de la compagnie. À cette époque, M. Petrucci détenait les 50 p. 100 restants des actions de la compagnie. Un mois plus tard, M. Berto était allé travailler pour la compagnie (juin 1993). Il avait été mis à pied au cours de l'hiver et avait demandé des prestations d'assurance-chômage. En mars 1994, l'actionnariat avait de nouveau changé. M. Berto avait obtenu 25 p. 100 des actions grâce à un transfert de la moitié des actions de son épouse, transfert pour lequel il semble qu'il n'ait rien payé; de même, M. Petrucci avait transféré la moitié de ses propres actions à son épouse. M. Petrucci et M. Berto avaient continué à travailler pour la compagnie. Ils supervisaient un certain nombre d'employés. Le travail était saisonnier et chacun d'eux avait demandé des prestations d'assurance-chômage au cours des hivers 1994 et 1995. La question est de savoir s'ils avaient ou non un lien de dépendance avec la compagnie au cours de ces périodes d'emploi respectives.

Le droit applicable

[6] Dans le régime établi en vertu de la Loi, le législateur a prévu que certains emplois seraient assurables, c'est-à-dire qu'ils donneraient lieu au versement de prestations au moment de la cessation, et que d'autres seraient des emplois “ exclus ”, soit des emplois qui, au moment de la cessation, ne donneraient pas droit à des prestations. Un arrangement conclu entre personnes traitant l'une avec l'autre comme des personnes ayant un lien de dépendance entre dans la catégorie des “ emplois exclus ”. Il est bien clair que l'objet de cette loi est d'empêcher que, dans le cadre du système, on doive verser une multitude de prestations fondées sur des contrats de travail artificiels ou fictifs.

[7] Le paragraphe 3(2) de la Loi sur l'assurance-chômage se lit en partie comme suit en anglais :

“ 3(2) Excepted employment is

...

c) subject to paragraph (d), employment where the employer and employee are not dealing with each other at arm’s length and, for the purposes of this paragraph,

(i) the question of whether persons are not dealing with each other at arm’s length shall be determined in accordance with the provisions of the Income Tax Act;...

En français, ce paragraphe se lit comme suit :

“ 3(2) Les emplois exclus sont les suivants :

[...]

c) sous réserve de l'alinéa d) [qui renvoie à des personnes et à des personnes morales liées, ce qui ne s'applique pas en l'espèce], tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l'application du présent alinéa :

(i) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu, [...] ”

[8] L'alinéa 251(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu se lit comme suit en anglais :

“ it is a question of fact whether persons not related to each other were at a particular time dealing with each other at arm’s length. ” (Les caractères gras sont de moi.)

En français, cet alinéa se lit comme suit :

“ la question de savoir si des personnes non liées entre elles n'avaient aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait. ”

[9] Bien que la Loi de l'impôt sur le revenu spécifie que la question de savoir si des personnes traitaient l'une avec l'autre comme des personnes sans lien de dépendance à un moment donné est une question de fait, cette question factuelle doit être tranchée dans le cadre du droit et est en réalité une question mixte de fait et de droit; voir la décision rendue par le juge Bowman, de la C.C.I., dans l'affaire R.M.M. Canadian Enterprises et al. v. The Queen, 97 DTC 302.

[10] Le sens de l'expression “ arm's length ” (lien de dépendance) a été l'objet de nombreux examens judiciaires au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans d'autres pays du Commonwealth, comme l'Australie, dont les lois fiscales renferment un libellé semblable. Dans la mesure où l'expression a été utilisée dans des affaires de fiducie et de succession, cette jurisprudence n'a pas été utilisée au Canada pour l'interprétation de lois fiscales; voir la décision rendue par le juge Locke dans l'affaire M.N.R. v. Sheldon's Engineering Ltd., 55 DTC 1110.

[11] Dans l'examen de la signification de “ lien de dépendance ”, il ne faut pas perdre de vue les termes de la version anglaise de la Loi de l'impôt sur le revenu que j'ai précédemment indiqués en caractères gras, soit “ were at a particular time dealing with each other at arm's length ” (qui désignent le fait, pour des parties, de traiter l'une avec l'autre comme des personnes sans lien de dépendance à un moment donné). Comme le fait remarquer le juge Bowman, de la C.C.I., dans l'affaire R.M.M., précitée, au Canada, la jurisprudence a eu tendance à insister sur la nature de la relation plutôt que sur la nature des opérations. Je ne suis pas certain que, vu l'inclusion de ces termes dans la version anglaise de la Loi de l'impôt sur le revenu, cette approche soit nécessairement la seule qui doive être adoptée, car procéder de la sorte, c'est faire fi de ces termes plutôt pertinents auxquels une signification doit assurément être attribuée. Cette évolution tient peut-être aux situations factuelles considérées dans un certain nombre d'arrêts faisant autorité au Canada. En général, il s'agissait d'une seule personne (morale ou physique) qui contrôlait les deux parties à une opération particulière. Ainsi, bien que l'opération ait pu s'apparenter à une opération commerciale ordinaire conclue par des personnes sans lien de dépendance, en soi, cela n'a pas été suffisant pour que l'opération soit jugée comme n'entrant pas dans la catégorie des opérations conclues par des personnes ayant entre elles un lien de dépendance; voir par exemple l'affaire Swiss Bank Corporation et al. v. M.N.R., 72 DTC 6470 (C.S.C.).

[12] En fait, ce que disent ces jugements, c'est que si une personne transfère de l'argent d'une de ses poches dans l'autre, même si elle le fait d'une façon qui est compatible avec une opération commerciale ordinaire, elle traite néanmoins avec elle-même, et l'opération demeure de par sa nature une opération entre des personnes ayant entre elles un “ lien de dépendance ”.

[13] Cependant, le simple fait que ces arrêts faisant autorité comportaient de telles situations factuelles ne signifie pas que des personnes ayant habituellement un lien de dépendance ne peuvent en fait traiter l'une avec l'autre comme des personnes sans lien de dépendance, pas plus que cela ne signifie que des personnes n'ayant ordinairement aucun lien de dépendance ne pourraient de temps à autre traiter l'une avec l'autre comme des personnes ayant un lien de dépendance. Ces arrêts sont tout simplement des exemples de ce que n'est pas une relation entre des personnes sans lien de dépendance; elles ne définissent pas en termes positifs ce qu'est une opération entre des personnes sans lien de dépendance. Ainsi, au bout du compte, tous les faits doivent être pris en considération, et tous les critères ou tests pertinents énoncés dans la jurisprudence doivent être appliqués.

[14] La notion de “ lien de dépendance ” a été examinée par le juge Bonner, de la C.C.I., dans l'affaire William J. McNichol et al. v. The Queen, 97 DTC 111, dans laquelle il disait, aux pages 117 et 118 :

“ On utilise communément trois critères pour déterminer si les parties à une opération ont entre elles un lien de dépendance. Il s'agit des critères suivants :

a) l'existence d'une même personne qui dirige les négociations de deux parties à une transaction,

b) les parties à une transaction agissent de concert et n'ont pas d'intérêts distincts, et

c) le contrôle “de facto” (réel).

[...]

En second lieu, la décision que le juge Cattanach a rendue dans l'affaire M.N.R. v. T R Merritt Estate est également utile. Aux pages 5165-5166, voici ce que le juge a dit :

[TRADUCTION]

Selon moi, le principe fondamental sur lequel se fonde la présente analyse est le suivant : lorsque les négociations menées au nom de chacune des deux parties au contrat sont en fait dirigées par le même “cerveau”, on ne peut dire que les parties traitent à distance. En d'autres termes, lorsque la preuve révèle que la même personne “dictait” les “conditions de la transaction” au nom de chacune des deux parties, on ne peut dire que les parties traitaient à distance.

[...]

Enfin, il est à noter que l'existence d'une relation sans lien de dépendance est exclue si l'une des parties à l'opération en cause exerce un contrôle de fait sur l'autre. À cet égard, on peut mentionner la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Robson Leather Company Ltd. v. M.N.R., 77 DTC 5106. ”

[15] Cette approche a également été adoptée par le juge Cullen dans l'arrêt Peter Cundill & Associates Ltd. v. The Queen, [1991] 1 C.T.C. 197, dans lequel il disait, à la page 203 :

“ La question de savoir si les parties en l'espèce n'avaient aucun lien de dépendance est une question qui doit être examinée selon les propres faits particuliers de l'affaire. ”

[16] Bon nombre de ces décisions, comme je l'ai dit, sont fondées sur la relation existant entre les parties, ce qui a été déterminé comme étant absolument concluant. On y trouve peu d'indications claires quant à la nature de l'opération ou de la transaction elle-même. Cette question a toutefois été abordée, bien succinctement, par la Cour fédérale d'Australie dans l'arrêt The Trustee for the Estate of the late AW Furse No 5 Will Trust v. FC of T, 91 ATC 4007/21 ATR 1123. En examinant des dispositions législatives de ce pays qui sont similaires aux nôtres, le juge Hill disait :

[TRADUCTION]

“ En ce qui a trait au problème en cause, il y a deux questions à trancher en vertu du paragraphe 102AG(3). La première est de savoir si les parties à la convention en question traitaient l'une avec l'autre comme des personnes sans lien de dépendance dans le cadre de cette convention. La seconde est de savoir si le montant du revenu imposable en cause est supérieur au montant mentionné dans le paragraphe comme étant le “ montant visé par le lien de dépendance ”.

On ne doit pas trancher la première des deux questions uniquement en déterminant si les parties à la convention pertinente n'avaient entre elles aucun lien de dépendance. Dans ce paragraphe, l'insistance est plutôt mise sur la question de savoir si ces parties, dans le cadre de la convention, traitaient l'une avec l'autre comme le feraient des personnes sans lien de dépendance. Le fait que les parties elles-mêmes aient un lien de dépendance ne signifie pas qu'elles ne peuvent, à l'égard d'une opération particulière, traiter l'une avec l'autre comme des personnes sans lien de dépendance. Ce qui ne veut pas dire que la relation entre les parties n'est pas pertinente par rapport à la question à trancher en vertu du paragraphe. [...] ”

[Le soulignement est de moi.]

[17] Le juge Bowman, de la C.C.I., a fait allusion à ce type de situation dans l'affaire R.M.M., précitée, à la page 311 :

“ Je ne crois pas que, dans tous les cas, du simple fait qu'une relation mandant-mandataire existe entre des personnes, ces dernières ont nécessairement entre elles un lien de dépendance au sens de la Loi. Je ne crois pas non plus que si l'on retient les services de quelqu'un pour accomplir une tâche particulière et qu'on verse à cette personne une rémunération pour fournir le service, cela veut nécessairement dire qu'une relation dans laquelle il y a un lien de dépendance est créée. Ainsi, le procureur qui représente un client dans une opération peut bien être le mandataire de celui-ci, mais je ne crois pas que cela veuille nécessairement dire que ces personnes ont entre elles un lien de dépendance.

Le concept du lien de dépendance a évolué. ”

[18] En Écosse, dans l'affaire Inland Revenue Commissioners v. Spencer-Nairn, 1991 SLT 594 (entendue devant un tribunal appelé “ court of Sessions ”), les lords juges écossais examinaient une affaire dans laquelle les parties avaient un lien de dépendance. Ils formulaient des observations favorables sur l'approche adoptée par Whiteman dans l'ouvrage intitulé Capital Gains Tax (4e éd.), dans lequel l'auteur disait que deux questions devaient être prises en considération relativement à la notion de “ lien de dépendance ”. Il s'agissait premièrement de savoir si chacune des parties avait accès à un représentant distinct ou à un représentant professionnel et deuxièmement, ce qui est peut-être plus pertinent aux fins de la situation considérée en l'espèce, si de véritables négociations ont eu lieu.

[19] Aux États-Unis, la notion de “ lien de dépendance ” a été définie comme suit dans l'affaire Campana Corporation v. Harrison (7 Circ; 1940) 114 F2d 400, 25 AFTR 648 :

[TRADUCTION]

“ Une vente sans lien de dépendance comporte l'idée d'une vente entre parties ayant des intérêts économiques contraires. ”

[20] Dans l'affaire Campbell et M.R.N. (96-2467(UI) et 96-2468(UI)), j'avais traité de ces jugements, ainsi que des principes qui y sont énoncés. J'adopte tout ce que j'avais dit dans cette affaire.

[21] En définitive, il me semble que la meilleure façon de décrire ce qu'on entend par les termes anglais “ dealing at arm's length ” (traiter avec quelqu'un comme des personnes sans lien de dépendance) est de donner un exemple. Disons que deux commerçants, deux étrangers, sur le marché qui négocient ensemble, l'un pour obtenir le meilleur prix possible pour ses produits ou services, l'autre pour avoir le plus grand nombre possible ou la meilleure qualité possible de produits ou de services; ces personnes, dirait-on, traitaient l'une avec l'autre comme des personnes sans lien de dépendance. Toutefois, si ces deux personnes, des étrangers, agissaient dans l'intérêt sous-jacent d'une aide mutuelle ou d'une façon différente de celle dont on traiterait avec un étranger ou si leur intérêt était de conclure une opération factice pour parvenir conjointement à un résultat ou obtenir d'un tiers quelque chose qu'elles n'auraient pu par ailleurs avoir sur le marché libre, ces personnes, dirait-on, ne traitaient pas l'une avec l'autre comme des personnes sans lien de dépendance.

[22] Si la relation elle-même — encore là, il faut se rappeler que la version anglaise de la Loi ne dit pas “ where they are in a non arm's length relationship ”, soit le fait, pour deux parties, d'être dans une relation où elles ont un lien de dépendance; elle dit “ where they are not dealing with each other at arm's length ”, soit le fait pour deux parties de ne pas traiter l'une avec l'autre comme des personnes sans lien de dépendance — est telle qu'une partie est sensiblement en mesure de contrôler ou d'influencer l'autre ou d'exercer un pouvoir sur l'autre ou que les deux parties ont une relation dans laquelle elles fonctionnent ou dirigent leur entreprise très étroitement, par exemple s'il s'agit d'amis, de parents ou d'associés en affaires, sans aucune preuve claire du contraire, la Cour pourrait bien conclure que les parties ne traitaient pas l'une avec l'autre comme des personnes sans lien de dépendance. Toutefois, cela ne signifie pas que les parties ne peuvent réfuter cette conclusion. On doit cependant à mon avis faire une distinction entre la relation et l'opération. Les parties qui sont dans ce qu'on pourrait appeler une “ relation où elles ont un lien de dépendance ” peuvent assurément traiter l'une avec l'autre comme des personnes sans lien de dépendance dans les circonstances appropriées, tout comme deux étrangers peuvent, dans certaines circonstances, s'associer et ainsi ne pas traiter l'une avec l'autre comme des personnes sans lien de dépendance.

[23] En définitive, s'il y a un doute dans l'interprétation à donner de ces termes, je ne puis que me fonder sur les propos tenus par Mme le juge Wilson dans l'affaire Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S., à la p. 10 :

“ Puisque le but général de la Loi est de procurer des prestations aux chômeurs, je préfère opter pour une interprétation libérale des dispositions relatives à la réadmissibilité aux prestations. Je crois que tout doute découlant de l'ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du prestataire. ”

[24] Au bout du compte, on en revient aux deux commerçants, aux deux étrangers, qui font des affaires sur le marché. La question pertinente est de savoir si le même genre d'indépendance d'esprit, d'indépendance quant aux objectifs, d'intérêts économiques contraires et de véritables négociations caractérisaient les opérations en cause, comme on pourrait s'y attendre dans cette situation commerciale. Si, sur la foi de l'ensemble de la preuve, tel est le genre d'opération ou de transaction qui a eu lieu, la Cour peut conclure que les parties traitaient l'une avec l'autre comme des personnes sans lien de dépendance. Si un de ces éléments était absent, ce serait l'inverse.

Examen de la preuve

[25] Il est clair que, jusqu'au 8 mars 1994, M. Petrucci contrôlait plus de 40 p. 100 des actions avec droit de vote de la compagnie. L'emploi qu'il a exercé jusqu'à ce moment était donc un emploi exclu, c'est-à-dire non assurable.

[26] Lorsque M. Berto était allé travailler pour la compagnie en juin 1993, il n'était pas actionnaire. Son épouse détenait 50 p. 100 des actions. Elle avait acheté ses actions en partie avec un pécule qu'elle avait amassé pour elle-même et en partie avec de l'argent appartenant conjointement à elle et à M. Berto. Elle a dit que le plus gros lui appartenait. Elle occupait un poste à temps plein dans une biscuiterie locale et avait son propre argent.

[27] D'une manière générale, M. Berto reconnaissait que son mariage était un mariage traditionnel, mais, a-t-il dit, il faisait dans l'ensemble ce que son épouse lui disait de faire. Il ne sait ni lire ni écrire l'anglais particulièrement bien et compte sur son épouse à cet égard. Avant mai 1993, il avait travaillé comme briqueteur pour le Conseil de l'éducation, mais, au printemps (1995), il n'avait pas été rappelé. Le fait que son épouse ait acheté des actions de la compagnie était peut-être fortuit. Il avait commencé à travailler pour la compagnie en juin. Il dit qu'il était payé 18 $ l'heure, soit exactement comme les autres employés. Il se rendait là où M. Petrucci ou Vicki lui donnait pour instructions de se rendre et, le soir, il rendait compte de ce qu'il avait accompli durant la journée. Il travaillait généralement huit heures par jour et était payé hebdomadairement, par chèque. Il n'était pas signataire autorisé pour ce qui est du compte bancaire. Les chèques étaient signés conjointement par M. Petrucci et Vicki. L'ensemble de cet arrangement semblait parfaitement normal en 1993, et le fait que Vicki détenait 50 p. 100 des actions ne semble pas avoir empêché que M. Berto soit traité exactement comme les autres employés au cours de cette période d'emploi.

[28] En 1994, les choses ont changé avec la modification de l'actionnariat. Ni M. Berto ni M. Petrucci n'étaient alors payés à l'heure. Chacun recevait plutôt un salaire hebdomadaire fixe, dont la Cour n'a pu déterminer le montant exact parce qu'un certain nombre de chiffres incompatibles ont été mentionnés; néanmoins, c'était de l'ordre de 800 $. Leurs responsabilités incluaient tout, du briquetage proprement dit à la supervision de leurs équipes. Toutefois, de temps à autre, la compagnie était à court d'argent, et ils ne recevaient pas leurs salaires hebdomadaires.

[29] Pour ce qui est de leur affirmation selon laquelle une paye de vacances était intégrée à leurs salaires, cela n'est pas manifeste aux yeux de la Cour.

[30] Il est à noter que, bien que la compagnie ait été déficitaire en 1994, chacun d'eux a reçu un boni de 6 500 $.

[31] On a dit des deux épouses qu'elles participaient aux décisions commerciales de la compagnie — c'est-à-dire que les quatre prenaient les décisions ensemble. Or, dans les faits, leur participation était faible ou inexistante. La Cour a noté que Vicki avait un poste à temps plein ailleurs.

[32] La Cour ne doute aucunement que les deux appelants étaient des personnes qui travaillaient extrêmement fort. Cependant, il est bien clair que personne n'exerçait un contrôle sur eux. Aucun contrôle indépendant n'était exercé par la compagnie concernant le lieu de travail ou la façon dont ils travaillaient ou concernant leur rétribution. Ils n'étaient pas traités comme l'auraient été des travailleurs de l'extérieur. En fait, M. Berto a souligné que, une fois qu'il était devenu copropriétaire, sa paye avait diminué.

Conclusion

[33] Pour ce qui est de l'appel de Nello Berto, je suis bien convaincu, selon la prépondérance des probabilités et après un examen de l'ensemble des éléments de preuve, que l'emploi que M. Berto a exercé en 1993 était un emploi véritable et que M. Berto et la compagnie traitaient l'un avec l'autre comme des personnes sans lien de dépendance tout au long de cette période. Il existait des intérêts économiques distincts, et l'arrangement conclu en matière d'emploi correspondait à ce qui aurait été conclu sur le marché libre. L'appel de M. Berto est accueilli dans cette mesure, et la décision du Ministre est modifiée en conséquence.

[34] En ce qui a trait aux appels des deux appelants pour les années 1994 et 1995, je ne suis pas convaincu qu'ils traitaient avec la compagnie comme le feraient des personnes sans lien de dépendance. Je n'irais pas aussi loin que les avocats du Ministre, qui considéraient l'arrangement conclu comme une opération trompe-l'oeil, mais je ne suis nullement convaincu que les épouses jouaient un rôle quelconque dans la gestion de cette compagnie. Les deux appelants exerçaient un contrôle illimité sur leurs propres modalités d'emploi. Ils agissaient de concert et il est clair que, ensemble, ils n'avaient pas d'intérêts économiques distincts de ceux de la compagnie. En fait, ils travaillaient pour eux-mêmes.

[35] Les deux appels pour les années 1994 et 1995 sont rejetés et les décisions du Ministre sont confirmées.

Signé à Calgary (Alberta), ce 9e jour de juin 1998.

“ Michael H. Porter ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 16e jour de décembre 1998.

Mario Lagacé, réviseur

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